1_ L'ours en peluche
Ça faisait plusieurs mois que Pyro travaillait chez les REDs et qu'il brûlait du BLU toute la journée. Et depuis qu'il était arrivé, il n'avait eu que très peu de signes d'affections de la part de ses collègues. Ça seul satisfaction était d'avoir fait du bon travail et d'aller se coucher auprès d'une peluche rose en forme de licorne qu'il avait confectionné lui-même. Il lui arrivait parfois de pleurer contre elle car il se sentait trop seul. Et le matin, il était obligé de la cacher, au cas où l'un de ses coéquipiers n'entre et se moque de lui en la voyant. Le pyromane avait déjà assez de remarques à propos de sa façon de parler ou même de son identité mystérieuse, il n'avait pas besoin qu'on le raille à propos d'une peluche.
Mais depuis deux mois, il s'était trouvé une nouvelle attraction : l'équipe BLU avait accueilli un nouvel ingénieur. Son petit plaisir n'était pas de le brûler vif ou de détruire ses tourelles, non, c'était de le regarder, encore et encore. Chaque fois qu'il pouvait apercevoir au loin son sourire, il sentait son cœur fondre dans sa poitrine. Et si par inadvertance il se trouvait devant lui, il se laissait tuer, incapable d'appuyer sur la gâchette ou de lui fendre la tête. Il revenait alors au Respawn en soupirant. Puis quand venait le soir, il sortait et se cachait pour observer l'ingénieur qui passait ses soirées seul dans une petite cabane perchée qu'on appelait justement le perchoir. C'était habituellement un nid à Sniper, mais une fois le combat fini, il devenait le repère de ce drôle de mécano qui aimait humer l'air du soir.
Cela faisait donc deux mois que le RED Pyro aimait en secret le BLU Engineer. Il ne pouvait rien dire à personne, et de toute façon, personne ne le comprenait. Et il pouvait encore moins le dire à l'heureux élu !
Le pyromane décida alors de lui faire quelques avances anonymement et il confectionna alors un adorable petit ours en peluche doté de lunettes de protection et d'un casque jaune. Ensuite, il l'envoya à l'ingénieur ennemi en passant par une poste extérieure à la base.
Il fut heureux de voir quelques jours plus tard l'homme au beau sourire porter l'ours en peluche dans la poche de cuir qui pend toujours à sa ceinture. Mais que faire de plus ?
Un jour, alors que Pyro parcourait les tunnels des vieilles mines, son pied buta contre quelque chose de mou et léger. Il baissa la tête et vit la petite peluche. Son cœur se serra. L'ingénieur aurait-il décidé de la jeter ? Il la prit et la glissa à l'intérieur de sa combinaison. Peut-être qu'il l'avait simplement perdu. Quelque chose bougea derrière lui. Il eut juste le temps de se retourner et d'allumer son lance-flamme. Le Spy ennemi tomba à terre dans un hurlement de douleur.
-Mmh mmhmhm pmph ! fit le RED avec un ton ironique.
Puis il s'ébroua et repris sa promenade dans les boyaux de terre. Il fit un pas à l'extérieur et entendit la voix de l'administrateur leur annoncé que les REDs avaient gagné. Pyro lâcha un cri de joie et retourna dans les mines direction la base RED.
Les combattants étant enfin tous partis dans leurs quartiers, Pyro sortit et se cacha derrière une palissade faites de tôle. Il se pencha et aperçu le casque jaune dans le perchoir. Il sortit le petit ours de sa combinaison, le caressa et sortit de sa cachette. Le pyromane se fit le plus discret possible, jetant des coups d'œil autour de lui histoire de s'assurer qu'il n'y avait que l'ingénieur en tant que BLU. Il atteignit la bicoque sans problème et grimpa les escaliers en bois sans faire de bruit. Mieux valait de pas effrayer le mécano.
Un fois en haut, il vit le dos de l'homme en salopette. Il était plongé dans un livre qu'il lisait debout, les mains appuyé sur une table installé là. Il ne l'avait toujours pas vu.
Pyro déglutit et tapota doucement l'épaule de l'ingénieur. Celui-ci se retourna, sursauta en retenant un cri et le coup partit aussi tôt. La clef à molette frappa si fort le masque à gaz qu'un des verres se brisa et que le pyromane fit un tour sur lui-même avant de tomber par terre.
Le RED, bien qu'atrocement sonné, parvint à se recroqueviller dans un coin de la cabane, les mains au-dessus de sa tête, le souffle court.
L'homme au casque s'arrêta, ne comprenant pas cette attitude, puis son attention fut attiré par quelque chose sur le planché. L'ours en peluche était tombé des mains de l'incendiaire lorsqu'il l'avait frappé. Alors il la ramassa et regarda une nouvelle fois son ennemi :
-T'es v'nu juste pour me ram'ner ma peluche ?
À son accent, Pyro déduit qu'il était Texan. Il ne bougea pas, la tête lui tournait encore trop.
-Oh ! Tu réponds ?!
Le RED se força à hocher la tête de haut en bas. Il avait un peu peur de se reprendre un autre coup. Habituellement, lorsqu'il croisait l'ingénieur, sa mort était rapide, mais là…
-Ah… t'es mis en danger pour ram'ner cette peluche, t'en est conscient ?!
L'autre hocha la tête à nouveau, toujours caché derrière ses mains. Il entendit le BLU reposer sa clef à molette et soupirer. Il releva un peu la tête et vit qu'il était appuyé contre la table, bras croisés et la peluche de nouveau à sa place.
-J'sais pas trop quoi dire là, bonhomme, à part p't'être merci ! T'es bien courageux pour v'nir jusqu'là sans arme. D'ailleurs, t'peux t'rel'ver, j'frappe pas un homme désarmé hors combat. Et encore moins un homme qui m'ramène ma peluche. J'ai dut la perdre pendant l'combat.
Pyro ne bougeait pas, malgré la voix rassurante du BLU.
-Hey, ça va ? J't'ai frappé si fort ? s'inquiétait Engineer
Il s'approcha de l'homme en combinaison ignifuge qui se recroquevilla un peu plus avec un petit gémissement.
-Hé, hé, t'en fais pas, j'vais pas t'faire mal ! J'suis désolé pour le coup, mais t'm'as surpris, expliqua-t-il gêné. Fais-moi voir ça, tu veux ?
L'incendiaire n'eut pas le choix, l'ingénieur l'attrapa par le filtreur et lui souleva la tête.
Le Texan eut un mouvement de recul et poussa un cri de surprise qu'il étouffa en plaquant sa main sur sa bouche. Visiblement confus, il s'excusa :
-J'suis désolé, j'savais pas que… je… Non t'fais pas peur mais…
Derrière les derniers morceaux de verre brisé, il avait pu voir une petite partie du vrai visage du pyromane : un œil totalement blanc dépourvu de cils au milieu d'une peau distordue blanche et rose parsemée à présent de petits éclats de verre. De quoi faire peur il est vrai au premier coup d'œil lorsqu'on ne s'y attend pas.
-Mmmh.. mmmhg ghhhmphh nnnm… répondit l'autre d'une voix timide en détournant la tête.
-J'suis vraiment confus, j'comprends pas un mot de c'que tu dis… heu…hem… Bouge pas j'vais chercher de quoi soigner rapidement et réparer ton masque, d'accord ?!
-Mhhhp ?! mmfmmffmhpm mphmfphmf !
-À t'voir faire l'asticot comme ça c't'un refus, mais imagine, tu r'tournes dans ta base comme ça, t'vas avoir droit à de sérieuses questions, mon bonhomme, voir même pire ! Alors j'vais chercher du matériel et toi t'bouge pas ! Tiens, j'te l'laisse en otage !
Il enfonça l'ours en peluche dans les bras du pyromane et se précipita dans les escaliers pour courir jusqu'à sa base. L'ingénieur avait raison, si Pyro retournait à la base dans cette état, on saurait qu'il sort le soir voir le BLU et il ne pourrait jamais dire pourquoi. On risquerait alors de le prendre pour un traitre et sa situation n'irait pas en s'améliorant.
Il s'assit dans le coin de la cabane en bois, les genoux repliés contre sa poitrine serrant la peluche contre lui. Il se sentait bête et la douleur à sa tête le lançait.
Plusieurs minutes s'écoulèrent et enfin il entendit les pas de l'ingénieur dans l'escalier.
-Toujours là ? Bien !
Il déposa une petite caisse de métal bleu et une boite de premier secours sur la table. Il ouvrit la boite aux couleurs pâles et en sortit de quoi s'occuper des plaies du pyromane.
-J'imagine que tu n'voudras pas que j'vois ton visage, alors j'vais faire comme j'peux pour t'soigner.
Il s'agenouilla près du RED (si près) et d'une main il tint la tête du blessé et de l'autre enlevait les quelques bouts de verre encore fichés dans la peau déjà torturée avec une pince. L'arcade sourcilière nue du pyromane se fronçait de temps à autre, ce qui ne facilitait pas la tâche, mais il faut dire que la manœuvre ne lui était pas agréable. Puis l'ingénieur prit le désinfectant et en imbiba un coton qu'il passa soigneusement sur chaque plaie.
-V'là ! Une bonne chose de faite ! Mais pour réparer l'reste, faut qu't'enlève ton masque.
Pyro enfonça sa tête dans ses épaules, l'air de dire que cela était impossible. Mais l'autre rit gentiment :
-T'as qu'à t'tourner l'temps que j'travaille dessus, d'accord ?
L'autre acquiesça et se tourna face au coin pour enlever son masque. Engineer découvrit des cheveux cuivrés et en bataille, légèrement rendu électrique par le masque. Ils n'étaient pas assez longs pour couvrir la grande balafre qui lui descendait dans la nuque et qui lui prenait tout le côté gauche de la tête, lui collant également l'oreille au crâne. Il fut parcouru malgré lui d'un frisson à la vue de cette cicatrice mais il ne dit rien. Il prit le masque et enleva ce qui restait du verre cassé.
-Dis-moi… T'es pas obligé de répondre hein, mais… tu vois de ton œil gauche ?
Il y eut un long silence pendant lequel l'ingénieur continuait son travail de réparation, désespérant d'avoir une réponse. Cependant, une voix enrouée qui aurait avalé trop de fumée répondit :
-Non.
L'homme au casque ne put s'empêcher de sourire en entendant la voix du pyromane, puis il reprit un air grave :
-Ah, je suis désolé… Ce n'est pas trop dur en étant borgne ? Enfin, j'veux dire, quand j'te croise, t'as pas l'air d'agir, je m'demandai s'tu vois conv'nablement du coup…
-Si.
-Héhéhé, t'es pas bien bavard sans masque, mon garçon ! le taquina le BLU.
Pour toute réponse l'homme en rouge enfonça de nouveau sa tête dans les épaules, embêté par cette taquinerie. Il ne savait pas quoi répondre à ça.
-D'un côté, ça m'fait plaisir d'entendre ta voix, même si t'es quand même mon ennemi.
-J'aimerai ne pas l'être…
-Hm ?
L'ingénieur fut surpris par cette réponse improbable du pyromane. Il s'arrêta un moment dans son affaire pour le regarder sans dire un mot. Il avait l'air d'un gamin qu'on aurait mis au coin, toujours replié sur lui-même. Le mécano décida de changer de conversation reprenant la répération:
-Maintenant, tu peux m'dire qu'est c'qui t'as am'né à faire cette folie ?
-Je… je savais qu'elle t'appartenait et… je me suis dit que… que ce serait dommage qu'elle soit séparée de son propriétaire que… peut-être qu'elle t'est chère.
-En effet, j'l'aime beaucoup même si mes partenaires s'moquent de moi à propos de ça. Mais j'leur en veux pas et puis, ils savent tous que j'sais pas d'qui elle vient. Le colis était anonyme.
-Et tu acceptes les cadeaux d'anonymes ?
-Eh bien, pas forcément mais l'fait que ce p'tit ours porte mes lunettes et mon casque, ça m'a touché. Une admiratrice peut-être.
Il rit de bon cœur et entendit une petite toux venant du pyromane.
-J'ai bientôt fini, l'informa le réparateur.
L'autre hocha la tête. Il tremblait un peu, pris d'un intense malaise. La timidité sûrement. Il se sentait mis à nu, il détestait parler aux gens sans avoir son masque, il détestait avoir son visage à découvert.
-Ça n'va pas ?
-J'veux mon masque, marmonna-t-il d'une voix étranglée.
-Il arrive, t'en fais pas, encore…
-Il me faut… faut mon masque !
Pyro cachait son visage de ses mains en se resserrant un peu plus sur lui-même. Il était totalement pris de panique et il fallait le calmer au plus vite. Engineer était quelqu'un de très compréhensif et attentionné envers ses collègues et son entourage et il fit ce qu'il n'aurait jamais fait à un RED auparavant. Il retira ses lunettes, les laissant pendre à son cou, ferma les yeux et s'agenouilla à côté du pyromane. Puis il passa un bras autour de ses épaules et de son autre main, il ramena la tête du RED contre lui.
-Chhhhhht, là, y a pas d'soucie, y a personne, y a que nous deux, tout vas bien, mon garçon, d'accord ? Je ne peux que t'entendre, je n'te vois pas, c'est promis, parole de Texan !
Pyro s'était figé dans le bras de l'homme qu'il aimait secrètement. Il s'entait son cœur battre et sa voix résonner dans sa poitrine. Il leva un peu la tête et vit que ses yeux était clos. Il en profita un moment pour le contempler. Il avait de grands cernes accentués par les marques de ses lunettes de protection. Ses pommettes ressortaient légèrement au-dessus de sa large mâchoire ornée d'une barbe d'au moins deux jours. Sa bouche fine aux coins rieurs lui donnait un air adorable. Comme il aurait voulu voir ses yeux. Mais il ne pouvait pas, car s'il les voyait, lui le verrait aussi.
L'incendiaire colla de nouveau son oreille contre le torse large de l'ingénieur.
-Tout va bien.
-Je n'aime pas qu'on me regarde, marmonna le RED.
-J' m'en doute, Pyro, mais je n'te r'garde pas.
-Et j'aimerai un chocolat chaud avec de la chantilly dessus… marmonna l'autre plus bas.
-Hein ?
L'ingénieur ne put s'empêcher de rire aux éclats.
-Sacré Pyro !
Il lui frotta la tête et se releva pour attraper le masque et le tendre au pyromane. Il sentit la texture lisse lui glisser entre les doigts puis il entendit de nouveau le marmonnement étouffé du pyromane :
-Mefffi.
-Oh y a pas d'quoi, mon garçon, on est quitte ! Mais tu vas d'voir rentrer à ta base, ton absence risque d'être suspecte.
L'autre acquiesça, commença à s'en aller et s'arrêta pour lancer un dernier regard à l'ingénieur. Celui-ci lui sourit et… Il avait de magnifiques yeux bleus. Pyro se tourna de nouveau pour partir, se pris le mur, grogna et descendit l'escalier. Son cœur battait la chamade, il se précipita jusqu'à sa chambre où il s'enferma sans même dîner. Il se roula dans ses draps, attrapa sa peluche et lui fit part de la plus belle journée qu'il n'est jamais eu depuis qu'il était arrivé ici.
