Disclaimer : non, pas à moi. Vraiment pas à moi.

Mortel

Il était tard dans la nuit. Fatiguée par une dure journée de travail, Jane Foster s'apprêtait à se mettre au lit. Quelques coups frappés à sa porte la firent sursauter.

Qui pouvait bien vouloir la réveiller à une heure pareille ? Méfiante, Jane s'empara d'une bombe de poivre. New York n'était vraiment pas la ville la plus sûre du monde et sa mésaventure avec Vision l'avait rendue encore plus inquiète.

- Qui est là ? s'enquit-elle en entrouvrant sa porte.

- Jane… Foster ?

La voix était familière mais Jane se méfiait toujours. N'importe quel super-criminel pouvait très bien imiter la voix de Thor.

- C'est moi.

- C'est moi. Thor, le fils d'Odin. Aurais-tu la bonté de m'accorder ton hospitalité ?

Une seule personne pouvait parler ainsi. Jane ouvrit la porte en grand et resta sidérée. Thor se tenait devant lui, d'accord, mais il ne ressemblait pas au souvenir qu'elle avait de lui. Elle se trouvait face à un homme normal en tenue civile, pas à un dieu en armure. La chose la plus troublante était l'expression de son visage. On aurait dit qu'il souffrait au plus profond de son être.

- Thor… murmura-t-elle. C'est toi ?

- Certes. Aide-moi, je t'en prie !

Jane lui tendit le bras. Thor s'y appuya et parvint à se traîner jusqu'au canapé où il s'écroula. Il regarda autour de lui. Un lit, une table, des chaises, un coin-cuisine… On aurait dit que l'architecte avait voulu accumuler tout le minimum vital dans une seule pièce.

- Nous sommes dans une de tes demeures ? s'enquit-il.

- Nous sommes dans mon unique maison, répondit-elle. Elle te plait ?

- Elle est bien… petite.

Jane hésita entre l'envie de rire et celle de lui dire que c'était tout ce qu'elle pouvait se payer vu son salaire et les prix de l'immobilier. Ah, ces gosses de riches ! Enfin, le plus urgent était de le soigner vu qu'il était blessé.

- On appelle ça un studio ! lança-t-elle en se levant pour aller chercher sa trousse de secours. C'est ce qu'il y a de plus pratique : tout est à portée de main. Tu as mal ?

Thor hocha la tête. Avouer que sa jambe le faisait souffrir lui faisait honte.

- C'est ta jambe ? continua-t-elle en inspectant le contenu de sa trousse.

- Je crois que j'ai un… os cassé, avoua-t-il en rougissant un peu.

- On va voir ça ! Enlève ce pantalon, que je t'ausculte.

Thor la fusilla du regard. Jane, qui avait déjà eu affaire à ce genre de réaction, soutint son regard.

- Thor, enlève ce pantalon, répéta-t-elle calmement.

- Voilà qui serait bien mortifiant.

- Mortifiant ? Au cas où tu n'aurais pas remarqué, je suis en pyjama. Je ne peux pas te soigner si tu ne me montres pas ta jambe, tu comprends ?

Thor capitula et s'extirpa de son pantalon, aidé par Jane. Depuis l'île du silence, l'Enchanteresse observait la scène en contenant son envie de rire. Voilà que le puissant Thor se faisait soigner comme un bébé !

- Fracture du tibia, constata Jane. Il va falloir t'emmener à l'hôpital.

- L'hôpital ? répéta Thor. Voilà qui est encore plus mortifiant.

- Mortifiant ou pas, tu es blessé et il faut faire quelque chose. Je téléphone…

Une sonnerie les interrompit. Jane attrapa son portable et fronça les sourcils en voyant le nom qui s'affichait.

- Janet… qu'est-ce qu'elle me veut ?

En effet, l'ambulancière se sentait en froid avec son ancienne bonne copine. Elle n'avait toujours pas digéré la façon dont celle-ci lui avait déconseillé de fréquenter Thor sous prétexte que ce serait dangereux pour elle. Sans blagues, Jane sauvait déjà des vies bien avant que la Guêpe ne fasse partie des Vengeurs ! Soudain énervée, elle décrocha.

- Allo ?

- Jane ! T'imagine pas ce qui s'est passé. Une chose toute bizarre a transformé Tony, Cap et Thor en les privant de leurs pouvoirs. Captain et Iron Man les ont récupérés, j'ai toujours pas compris comment, mais on n'a toujours pas de nouvelles de Thor, on ne sait pas où il est. Tu l'aurais pas vu ?

Jane croisa le regard de Thor, qui secoua la tête. Il se réjouissait de savoir que ses deux amis avaient retrouvés leurs capacités respectives mais le fait de se savoir le seul à être toujours diminué lui semblait encore plus humiliant. Il ne voulait pas se montrer devant eux comme ça.

- Jan, répondit l'auxiliaire médicale le plus calmement qu'elle le put, je ne fais pas de choses qui sont dangereuses pour ma santé.

- Oh ! balbutia la Guêpe, soudain gênée. Désolée. S'il passe te voir, tu nous appelle, d'accord ?

- Bien sûr ! s'écria l'autre. Au fait, Hank et toi, ça marche comment ? Mentalement parlant, il va bien ?

C'était un coup bas. Jane savait parfaitement que le Docteur Pym avait pété un câble, et elle savait aussi que Janet se sentait vaguement coupable de l'avoir plus ou moins abandonné alors qu'il avait besoin d'elle. Cette question n'était qu'une façon déguisée de lui dire que sa vie sentimentale étant nulle, elle n'avait pas de conseils à donner aux autres. Blessée, Jan raccrocha sans dire un mot. A son tour, Jane déposa le combiné.

- Je viens de faire une grosse mesquinerie, soupira-t-elle tristement.

- Tu viens de m'éviter une humiliation cuisante, protesta Thor.

- J'aurais pu éviter la mesquinerie. Rhabille-toi, je t'emmène à l'hôpital.

- Non, Jane Foster. Si Iron Man et Captain America ont retrouvé leur vraie nature, cela veut dire que les effets de cette chose étrange sont limités dans le temps. Je t'en prie, laisse-moi attendre ici que cela se produise.

Jane pinça les lèvres. N'importe quelle auxiliaire médicale aurait tout de suite emmené ce blessé à l'hôpital mais quelque chose la retenait. Thor pouvait très bien redevenir ce qu'il était à n'importe quel moment, c'était vrai, et puis… Oh, autant se l'avouer : dans le fond, elle avait très envie de passer un peu de temps avec lui.

- On attend jusqu'à demain, décida-t-elle en allant remplir un verre d'eau. Tiens, prends ça, c'est du paracétamol. Tu as faim ? J'espère que tu aimes les surgelés parce que je n'ai rien d'autre.

Thor la regarda aller et venir, mettre le couvert pour une personne et revenir s'asseoir près de lui. Il n'avait pas touché au verre de liquide pétillant qu'elle lui avait mis dans la main et elle dût le forcer à prendre une gorgée qu'il recracha immédiatement.

- Qu'est-ce donc que ce breuvage répugnant ? cria-t-il presque.

- Du paracétamol, répondit Jane, qui commençait à perdre patience. C'est un antidouleur. Bois-le, tu te sentiras mieux après. Je vais chercher de quoi nettoyer.

- Nettoyer ? Pourquoi donc cela ?

- Tu viens de cracher sur ma table basse.

Soudain, Thor se sentit honteux. Jane avait la bonté de lui accorder hospitalité dans son humble demeure et il la remerciait en souillant son mobilier ! Sans dire un mot, il lui prit éponge et chiffons des mains et nettoya lui-même la table.


Depuis l'île du Silence, Loki et l'Enchanteresse observaient la scène avec des sentiments mêlés. L'Enchanteresse jubila en voyant le fils d'Odin manier le chiffon comme un vulgaire mortel, puis se sentit troublée en voyant la façon dont il regardait cette mortelle insignifiante. Elle lui servait de la nourriture vulgaire et il la mangeait en souriant comme s'il s'agissait d'un banquet au Walhalla ! Pourquoi ? Peut-être son sortilège était un peu trop efficace, après tout.

- On dirait qu'il aime être un mortel, suggéra Loki.

- Tant mieux ! lança Amora en pensant le contraire. Nous serons définitivement débarrassés de lui !

Loki fit la grimace. Il aurait préféré régler lui-même son compte à Thor…


Le repas terminé, Jane tendit des draps sur le clic-clac. Thor se sentit troublé. Il y avait quelque chose d'émouvant dans le fait qu'ils allaient dormir dans la même pièce, même s'il ne s'agissait évidemment que de dormir.

- Demain, c'est mon jour de congé, annonça Jane après avoir éteint la lumière. On pourra… Réveille-moi si tu as besoin de quoi que ce soit !

Thor resta muet. La réveiller ? Elle avait déjà tellement fait pour lui, et les mortels ont besoin de sommeil ! Ses vêtements le grattaient et il profita de l'obscurité pour les retirer, en faisant la grimace à cause de la douleur. Après cela, il tendit l'oreille pour deviner si elle dormait.

Ses yeux s'étaient habitués à l'obscurité et il distinguait vaguement sa petite tête sur l'oreiller. Elle avait l'air si fragile dans ce lit… Il lui vint à l'esprit que si jamais un super-criminel débarquait dans leur chambre, il serait pratiquement incapable de la protéger. Cette idée lui sembla insoutenable.

- Dors-tu, Jane Foster ? murmura-t-il soudain.

- Pas encore. Tu veux un autre antidouleur ?

- Non, je te remercie. Comment peux-tu le supporter ?

- Supporter quoi ? demanda-t-elle.

- Le sommeil. N'importe qui pourrait venir dans ta chambre, n'importe quoi pourrait attaquer la ville et tu serais incapable de faire quoi que ce soit !

Jane resta interdite, puis se mit à pouffer de rire. Thor resta stupéfait.

- Je ne plaisante pas ! s'écria-t-il.

- D'accord, répondit-elle. Tu sais, ta réaction m'étonne un peu de la part de quelqu'un dont le papa dort une semaine de suite par an.

- Le sommeil d'Odin est un mal nécessaire, dit gravement Thor. Lorsque cela se produit, les plus forts guerriers d'Asgard montent la garde pour éviter que le pire se produise.

- Hé bien, bailla Jane, c'est pareil ici. On a des équipes qui veillent sur nous la nuit : des médecins, des policiers, des ambulanciers… Et quand les équipes de nuit vont se coucher, les équipes de jour prennent le relais. Dors, ça va te faire du bien.

Le fils d'Odin médita longuement cette information. Il y avait quelque chose de troublant dans le fait que d'une certaine façon, chaque mortel recevait le même traitement de faveur que le roi des dieux. Cependant, il ne pouvait s'empêcher d'admirer ces créatures fragiles qui se privaient de sommeil pour que leurs frères puissent dormir tranquilles. La main de Jane reposait sur son oreiller. Il l'attrapa dans la pénombre, déposa un baiser sur ses phalanges et murmura :

- Bonne nuit, mon amie.

A suivre...