Sans que l'on sache vraiment pourquoi – peut-être par l'influence du cinéma ou de la littérature – quand le mot crime est évoqué, on l'associe immanquablement à une nuit sans lune, où hurlent les loups et où mugit le vent. Oui, d'instinct, on entrevoit une ruelle sombre, jonchée d'obscurité et d'ombres inquiétantes. On imagine sans mal une jeune femme frêle, innocente, aux yeux qui appellent silencieusement au secours. On sent sa respiration maladroite, le tremblement de ses mains. Et puis là, un cri, horreur ! Dans l'ombre, on aperçoit une silhouette menaçante, qui se traine vers sa victime lentement, consciente de sa toute puissance, du droit de mort qu'elle a désormais sur cette pauvre créature qui titube devant elle. L'homme – car c'en est un - se rapproche encore et encore. La malheureuse veut courir pour s'enfuir mais dans un hasard funeste, elle trébuche sur un caillou posé là par la fatalité. Le psychopathe aux yeux de braise la domine de toute sa taille de géant, sort de sa veste un objet étincelant – un couteau ! - le brandit dans les ténèbres et...

C'est ce moment que choisit Sasuke Uchiwa pour se déranger enfin de son siège et de quitter cette séance de cinéma grotesque. Il se releva et entreprit de se faufiler entre les pieds de ses voisins à qui il cachait désormais le massacre de la jeune femme innocente par le psychopathe aux yeux de braise. Il se fit passablement huer par les spectateurs furieux, à qui il répondit méchamment qu'ils ne rataient rien de bien extraordinaire. Sorti de la masse, il remonta l'allée à grandes enjambées et s'extirpa de la fournaise qu'était devenue la salle. Il marchait droit vers la sortie quand la caissière, une fille tout ce qu'il y a de plus banal, l'apostropha alors qu'il passait devant elle.

-Monsieur, s'écria-t-elle d'une voix stridente qui perça les tympans de Sasuke comme des aiguilles.

Il se retourna de mauvaise foi pour lui faire face. Les rougeurs qui gagnaient ses joues lui donnèrent envie d'y flanquer deux claques.

- Le film vient de commencer, vous partez déjà ? s'étonna-t-elle ingénument.

- Ça se voit non ? Se contenta-t-il de répondre, en ouvrant à peine la bouche.

Cette fille l'énervait déjà. A quoi s'attendait-elle? A ce qu'il s'adosse sensuellement à son malheureux comptoir, qu'il lui sourit de toutes ses belles dents blanches et qu'il l'invite à diner en lui jurant qu'elle était l'astre de sa nuit ? Oui, c'était sûrement les pensées qui fusaient dans sa tête farcie de nuages roses. Cela ne flatta pas l'égo de Sasuke, au contraire il se lassa d'autant plus. Mais après tout, il n'y pouvait rien. Ce n'était pas sa faute si sa beauté naturelle attirait malgré lui.

La caissière loin de se douter du mépris qu'elle suscitait, interpréta le regard fixe du jeune homme comme de l'intérêt quelconque pour sa personne et reprit en battant furieusement des paupières.

- Vous avez raison, gloussa-t-elle, moi non plus, je n'ai pas aimé.

Et là, elle reçut un regard si froid, si méprisant qu'elle se ratatina sur son siège.

- Alors là, je m'en fous, mais royalement, lâcha-t-il d'une voix d'outre-tombe.

Et voilà, c'était dit, simple, sobre, joli tout en restant puissant. Superbe. Sasuke se félicita lui-même et sans se départir de sa classe naturelle, il tourna les talons et quitta le hall. Derrière lui, il perçut un gémissement lointain. Il apprécia une nouvelle fois le son délicat de quelqu'un que l'on a écrasé.

Il retrouva l'air frais de cette début d'après-midi avec un plaisir qui l'étonna lui-même. Pourtant il sut de suite que sa mauvaise humeur ne le quitterait plus avant des heures. Pourquoi est-il énervé ? Parce qu'il avait évidemment le devoir de l'être en permanence. C'était une marque de fabrique en quelques sortes.

Quel prétexte allait-il choisir aujourd'hui pour justifier son envie de se jeter sur le premier venu ? Ce film bien sûr, ce navet, cette immondice, cette barbarie du septième art ! Shadows, que cette horreur prétendait s'appeler. Il avait tout exécré: son scénario insipide et prévisible dès le générique, ses acteurs qu'ils savaient sans les avoir vu, sélectionnés pour leur tête plutôt que pour leur jeu, et puis cette niaiserie, cette stupidité qui découlaient du tout...

Peut-être était-il aussi énervé parce que des meurtres, des vrais, il en avait des tonnes qui l'attendaient sur son bureau. Peut-être aussi parce que le crime qui lui rongeait la conscience depuis presque deux semaines n'était pas qu'une jolie fille qu'on égorge pour verser du sang sur le trottoir d'une ruelle sombre.

Son meurtre à lui s'était déroulé dans les alentours de deux heures de la plus belle après-midi de ce mois de septembre. Il y faisait alors beau, doux, les enfants jouaient dehors, les oiseaux et les amoureux roucoulaient dans les parcs baignés de soleil. Il avait eu lieu dans le quartier le plus agréable de tout Konoha, au milieu de ces charmantes maisons de pierres blanches entourées de jardins verdoyants. On avait retrouvé le corps allongée sur un tapis d'une valeur inestimable, couvert des rayons de soleil. C'était une jeune femme agréable, dont les traits étaient alors immobiles, comme si elle dormait encore. Un seul coup à la tête l'avait plongé dans un sommeil duquel elle ne sortirait plus.

Qui l'avait tuée ? C'est là que le tableau s'assombrissait. Personne ne semblait avoir porter la main sur cette mignonne petite tête, absolument personne. On n'avait rien entendu, rien vu, rien trouvé. Pas de marque, pas d'empreinte, pas de mobile, qu'un corps pesant dont on ne sait que faire.

Il est vrai qu'il a toujours existé des meurtres insolubles, dont le coupable court encore avec du sang sur les mains.

Mais étrangement, avec cette enquête, Sasuke découvrit que les meurtres dans les hautes familles ne sont jamais insolubles, jamais. Il y a toujours un coupable dans ce genre de noble tragédie. S'il a disparu, ce n'est pas son habilité que l'on remarque, c'est la bêtise des policiers que l'on souligne.

Oui pour la première fois de sa jeune et brillante carrière, Sasuke Uchiwa, dignitaire du nom ô combien prestigieux de Uchiwa avait connu l'humiliation publique. La presse s'était empressé de le blâmer, de rabaisser le prestige de sa famille si réputée, d'insinuer qu'il n'était qu'un fils à papa sans talent.

Les Huygas, riche fratrie de la malheureuse Hanabi victime d'un inconnu impalpable, avaient eux aussi signaler leur mécontentement à coups de conférences répétées.

Alors peut-être que finalement le réalisateur du film que Sasuke avait jugé apte à lui changer les idées, peut-être ce pauvre homme pouvait-il soupirer un peu. Ce n'est pas son travail qui avait ainsi poussé Sasuke Uchiwa a déserté le cinéma et à se plonger d'autant plus dans la haine de son prochaine. C'était peut-être tout simplement la faute au sentiment qui lui nouait les entrailles : celui d'avoir échoué.

Il grogna de rage et finit par relever la tête. Il était devant son commissariat, dont il avait apparemment trouvé le chemin sans y penser. Il soupira en se disant qu'il replongeait en enfer et passa finalement le seuil de la porte. A peine fut-il entré qu'une jeune femme accourut vers lui. Elle était grande, montée sur des jambes au galbe parfait que laissait largement apparaître une jupe en cuir noir. Elle portait un haut qui moulait son buste et qui dévoilait sans mal le bord de son soutien-gorge. Ses longs cheveux blonds ramenés en une haute queue de cheval, retombaient sur ses épaules et une large mèche cachait son œil droit fortement maquillé.

Elle sourit de toutes ses dents. Sasuke ne s'arrêta pas et elle se mit à trottiner derrière lui.

- Alors Sasuke-kun, s'exclama-t-elle d'une voix suraigüe. Ce film, c'était comment ?

- A chier.

- Oh, lâcha-t-elle avant de reprendre avec autant de vigueur. Regarde, j'ai fait des efforts pour m'habiller plus sérieusement, comme tu as dit. C'est comment ?

- A chier, répéta-t-il en zigzaguant entre les bureaux. Mais c'est mieux que ton infâme collant d'hier.

Elle interpréta cette dernière remarque comme un compliment et lui offrit un nouveau sourire niais. Elle allait se relancer vivement dans la conversation quand elle fut interrompu par un homme qui déboula bruyamment sur eux, un journal chiffonné dans la main.

- Sasuke, c'était sympa ton film alors, ça t'a fait du bien ? Demanda-t-il à une telle vitesse que cela devenait dur de ne pas perdre quelques mots en route.

La jeune femme tenta de lui signaler par de grands signes de bras qu'il ferait mieux de se taire mais il n'y fit pas attention.

- Hn, fut la seule réponse qu'il obtenu de son supérieur.

- Merde, vu ta tête, c'était pas ça. C'est bizarre, parce que j'avais lu des super critiques sur le film et que je pensais...

- Kiba. Avant que je te mette mon poing dans la figure, dis-moi ce que tu veux.

- Oh, tu vas pas être content, gémit le dénommé Kiba.

- Dis-le.

Il lui tendit de mauvaise grâce le journal.

- On est page 4, on nous flingue, c'est affreux, lâcha-t-il en lui désignant l'article d'un doigt tremblant.

Il y eut un long silence pendant que Sasuke parcourait la chronique. Kiba s'était machinalement bouché les oreilles et même la jeune femme avait fait un pas en arrière. Étrangement, il ne se mit pas à crier, il ne poussa pas un soupire. Il plia simplement le journal avant de le lancer habilement dans la poubelle.

- Kiba, dit-il d'une voix monocorde.

- Oui ? Lâcha l'autre en écartant prudemment ses mains.

- Où est Nara ? Continua-t-il imperturbable.

- Ben, comme d'habitude. Il dort.

- Va le réveiller et dis-lui de venir à mon bureau.

Kiba hocha la tête faiblement et s'élança avant de disparaître dans la masse.

- Ino, appela-t-il en se retournant vers la jeune femme qui n'avait pas bougé.

- Oui, Sasuke-kun ?

- Café.

- Tout de suite, Sasuke-kun.

Et elle s'éloigna à son tour. Pendant deux petites secondes, Sasuke ferma les yeux. Il analysa la situation en silence, respira en retrouvant son calme, comme on le lui avait appris. Lentement, son visage aussi figé que de la pierre, il prit le chemin de son bureau. Rien ne sembla plus l'atteindre, ni le chaos ambiant, ni l'envie sourde qu'il avait de tuer un innocent. On est Uchiwa ou on ne l'est pas après tout.

La porte se referma sur lui et le cacha aux yeux furieux du monde. Certaines personnes crurent entendre des râles bestiaux provenant de l'intérieur. Mais de ça, personne ne dit jamais rien.

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- C'était génial ! S'exclama Naruto Uzumaki alors qu'il franchissait le seuil de son appartement.

Il sourit largement et se retourna vers la jeune femme qui l'accompagnait.

- Sakura-chan, tu as aimé ? Lui demanda-t-il joyeusement.

La concerné sourit à son tour, amusée.

- Oui, c'était bien. Et puis, Shadows, c'est bien trouvé comme titre. Mais mon voisin était insupportable, il faisait un de ces bruits avec son pop-corn, c'était atroce ! Se plaint-elle en se renfrognant.

- T'as vu que quelqu'un est parti au bout de dix minutes ?

- J'ai vu, il devait avoir quelque chose à faire, répondit-elle simplement alors qu'ils regagnaient la rue.

- C'est bizarre tout de même. Enfin, moi j'ai beaucoup aimé.

- Tu aimes tout, Naruto. Absolument tout. On te met devant un dessin animé pour enfant et tu es fasciné.

Le jeune homme fit la moue en se renfrognant. Il croisa ses bras sur sa poitrine signe qu'il était au plus haut stage de bouderie. Elle rit un peu et le saisit par le bras pour l'attirer vers elle. Il se laissa faire, incapable de rester silencieux plus longtemps.

- Allez, rentre au lieu de boucher l'entrée, dit-elle d'une voix plus douce.

- Tu restes un peu ? Demanda-t-il en se déchaussant.

Elle hocha la tête et il lui offrit de nouveau un grand sourire. Elle alla accrocher leur deux manteaux alors qu'il partait s'assoir au salon.

Elle revint et le trouva effectivement presque allongé sur le canapé.

- Tu te sens bien ? S'exclama-t-elle vivement quand elle le vit se frotter longuement les yeux.

- Oui, ne t'inquiète pas, la rassura-t-il en souriant. Ça va. Je suis juste un peu fatigué.

Elle voyait déjà cette fatigue poindre dans ses yeux et son cœur se serra. Il aperçut sûrement que son expression se figeait. Il se redressa et tendit la main.

- Ne t'inquiète pas. Les médecins ont dit que c'était normal que je sois à la ramasse. Le traitement est dur. Il faut juste un peu de temps pour que je m'habitue.

- Je sais. Désolée.

Et elle s'approcha et saisit sa main. Elle la trouva d'une froideur terrifiante et elle s'efforça de la réchauffer entre les siennes. Il la regarda faire sans rien dire.

- Tu as faim ? Demanda-t-elle pour briser ce silence pesant.

- Non, je me suis goinfré de pop-corn.

Elle sourit en lui tapant légèrement sur la tête. Puis elle vit clairement qu'il luttait contre le sommeil. Ses yeux embrumés clignaient rapidement.

- Tu devrais dormir un peu, proposa-t-elle avec sérieux.

Il ne chercha pas à lutter et se coucha docilement sur le canapé. Il lui sourit une dernière fois et ferma les yeux.

Elle le regarda un instant et partit chercher le journal qu'elle venait d'acheter. Elle s'installa sur le fauteuil et entama sa lecture des nouvelles du jour. Dix minutes plus tard, une voix la tirait de ses pensées.

- Qu'est-ce que tu lis ?

- Dors, idiot, lâcha-t-elle sans détourner le regard.

- C'est quoi cette histoire ? Demanda-t-il cependant.
Elle abaissa le journal, il lui désignait un article de la première page.

- Ça ? Tu n'en as pas entendu parler ? C'est le meurtre d'Hanabi Hyuga, la fille héritière de la famille Hyuga, enfin tu sais les industriels.

- Ça me dit quelque chose... Elle a été tuée ?

- Apparemment, mais on dit là que la police n'a toujours aucune idée sur l'identité du tueur. Avec un héritage comme ça, ça en fait des envieux. Quoi qu'il en soit, ça fait deux semaines que ça dure et rien. Je peux te dire que l'équipe en charge de l'enquête se fait méchamment descendre.

Il ne répondit rien, il semblait profondément réfléchir.

- Lis l'article si tu veux, je vais chercher quelque chose à boire.

Elle lui tendit l'article en se levant. Il s'en saisit brusquement et entama sa lecture.
Étrangement, les mots qu'il lisait vinrent à se mêler dans une cascade de lettres. Le nom d'Hanabi Hyuga s'imposa plus que les autres dans son esprit. Il eut l'impression de connaître cette femme, de voir son corps allongé sur le sol, de sentir l'odeur affreuse du sang. Il entendit une voix qui criait au fond de sa tête, une voix de femme qui gémissait de rage, de douleur. Il lâcha le journal, il était dans cette chambre, avec cette femme qui hurlait et dont les yeux furieux lui jetaient des regards fous. Il la voyait clairement maintenant, du sang coulant sur sa robe blanche.

Venge-moi, lisait-il avec effroi sur ses lèvres alors qu'elle s'approchait de lui.

Il poussa un cri d'impuissance, tout en tombant sur le sol. Sa tête lui brûlait atrocement, comme percée de part en part par des lames invisibles.

Hanabi Hyuga toujours droite dans son esprit torturé, lâcha d'une voix grave quatre mots qui résonnèrent longtemps. Tu dois m'aider.

Naruto Uzumaki eut alors de nouveau la sensation de toucher la mort.