MUSIC ONLY

La police arriva une dizaine de minutes plus tard, accompagnée comme à l'habituelle de ses gyrophares bleus et de sa sirène hurlante. Après avoir forcé la porte d'entrée et défini un périmètre de sécurité -dans l'espoir sans doute d'éviter d'être assaillis par ces chers fanatiques du crime que l'on nommait très professionnellement « journalistes »- ils s'introduisirent dans la boutique mise à sac de Music-Mega Store pour y découvrir plus d'une cinquantaine de personnes inconscientes, parmi lesquelles on dénombrait très exactement onze morts et un blessé grave -on se demande bien qui... indice : ça commence par un D.
- Quel est votre nom ? demanda un inspecteur carnet en main.
Kate se massa le crâne, parvenant difficilement à se remémorer les évènements, et pour cause : un mal de tête inébranlable ne cessait de lui marteler la tête au rythme de tambours répétitifs. Le réveil était dur, là-dessus aucun doute, pire que sa dernière gueule de bois ! Un médecin inexpressif lui enfila un bracelet par-dessus le bras et mesura sa tension.
- Wil… Wilson. Kate Wilson, articula-t-elle difficilement.
- Vous êtes bègue, nota le policier. Depuis combien de temps ?
- Depuis que... que... que... j'ai neuf ans, avoua-t-elle sombrement.
L'homme haussa un sourcil, écrivit quelques mots sur son carnet, puis reprit le fil de ses idées :
- Eh bien Mademoiselle Wilson, pouvez-vous nous dire ce qu'il s'est passé ici exactement ?
La jeune femme aux cheveux violets fronça les sourcils, incapable de se rappeler quoi que ce soit. Le vide total, le trou, le néant, bref rien qui ne puisse lui expliquer ce qu'elle faisait -totalement inconsciente- à la boutique de Music-Mega Store, elle qui -en tant qu'étudiante théoriquement sérieuse- devait assister à un cours à l'université.
- Je… je… ne m'en souviens pas…
- Il semblerait qu'ils soient tous victimes d'amnésie collective, diagnostiqua alors le médecin en analysant les pupilles de sa nouvelle patiente.
- Pour… Pourquoi est-ce que… que… j'ai si mal à la… la tête ? geignit Kate en se massant les tempes.
- Probablement un effet secondaire.
- Un… un effet secondaire ?
Elle remarqua alors tout autour d'elle un grand nombre de personnes dans son état, complètement perdues, tout juste sortis d'un état inconscient et apeurés par les révélations plus que troublantes des policiers et des infirmiers.
- Kate…, commença calmement l'inspecteur –non sans une certaine gêne-, il semblerait que vous ayez subit, vous et la clientèle, un attentat terroriste. Nous suspectons un gaz neurotoxique.
- Un… un attentat ? répéta l'autre éberluée. Il y… y a des morts ?
- Oui j'en ai bien peur. 11 au total, plus un homme grièvement atteint.
- Le reste des personnes présentes semblent cependant en bonne santé, si ce n'est un trouble de la mémoire et une forte migraine, compléta le médecin en vérifiant ses notes.
- Si je vous pose ces questions, reprit l'autre homme sévèrement, c'est parce que vous vous teniez à l'écart de la clientèle lorsque nous vous avons retrouvée. Vous vous étiez enfermée dans la salle d'enregistrement, savez-vous pourquoi ?
Kate ouvrit de larges yeux, se souvenant soudainement qu'elle avait raté un cours d'histoire très pointu sur l'attribution de certains éléments scientifiques à des divinités grecques et les conséquences que cela provoqua sur le mouvement du christianisme. Puis elle revint à l'inspecteur et haussa les épaules, ne sachant trop quoi ajouter :
- Non. Je… je… je ne sais vraiment p…
- Inspecteur ! intervint alors le médecin en retirant son stéthoscope. Si je puis me permettre, j'aimerais beaucoup garder ces gens en observation une nuit tout au plus, afin de voir s'il n'y a pas apparition d'autres symptômes.
- Mais oui Docteur Lewis, faîtes comme bon vous semble! bougonna l'autre peu satisfait de la tournure sans intérêt que prenait l'enquête.
L'homme en blouse blanche soupira faiblement à la vue du travail qui s'annonçait puis déclara finalement à la jeune femme :
- Mademoiselle Wilson, direction l'hôpital…

Bip… Bip… Bip…
Assise sur le rebord du lit, Kate suivait très attentivement la courbe de l'électrocardiogramme sur lequel on l'avait branchée. Un rythme simple et très régulier de 70 pulsations pas minute. Elle jeta un rapide coup d'œil par la fenêtre de la chambre. La nuit tombait sur Londres, une nuit couverte ci et là de quelques cumulus. Elle n'osait appeler son employeur, de peur sans doute que ce sadique ne rapplique au galop pour la punir de son absence. Et oui, la planète était peuplée d'un grand nombre de personnages excentriques qui s'imaginaient les pleins pouvoirs sur tout et tout le monde, et qui ne manquaient jamais de faire valoir leur arrogance et leur intolérance. Elle regarda sa montre, inquiète. Le spectacle débuterait d'ici trois heures. Peut-être pouvait-elle filer en douce, sans éveiller les soupçons ? Oui c'était la meilleure chose à faire !
Décidée, elle sauta du lit, enfila ses vêtements noirs, sa veste de cuir et ses baskets, puis se dirigea vers la porte, sac à dos sur les épaules. Elle posa ses doigts sur la clenche, s'apprêtant à la tirer vers elle, mais une autre personne à l'extérieur la devança et poussa le battant. Une infirmière, c'était une infirmière habillée de blanc et de rose pâle, d'une cinquantaine d'années, maquillée et visiblement éreintée par cette dure et trop longue journée. Elle se nommait Brigitte d'après son badge.
- Qu'est-ce que vous comptez faire exactement ? s'intrigua-t-elle à la vue de la jeune femme prête à partir.
- Je… je… je…
- Vous vouliez filer à l'anglaise, pas vrai ? s'indigna l'autre les poings sur les hanches. Ecoutez Mademoiselle, je n'ai pas l'attention de vous obliger à rester, pour être honnête : je suis fatiguée et à cette heure, je n'en ai plus grand-chose à faire. Mais sachez tout de même que c'est pour votre santé. Un gaz neurotoxique peut s'avérer très dangereux, et à meilleure raison si…
Elle définit alors ainsi tout une liste de symptômes très graves. Kate n'écoutait plus que d'une oreille indiscrète les recommandations de la vieille, se portant soudainement d'intérêt pour une autre personne. Derrière la silhouette ronde de Brigitte, la jeune femme discerna sur un brancard la présence d'un homme inconscient et particulièrement pâle. Un biper sonna, la sortant brusquement de sa fixation insistante. L'infirmière Brigitte retira l'appareil de sa poche et soupira :
- Oh non… Encore une urgence ! Cinquante patients qui arrivent en même temps… ça vous retourne un hôpital ! Tenez, vous voulez bien m'aider ? Emmenez cet homme dans votre chambre.
- Qu'est-ce… Qu'est-ce qu'il a ?
- Visiblement, il est plus touché que vous par le gaz, mais personne n'a encore eu le temps de l'examiner. Vous n'avez pas l'air totalement stupide. Mettez son lit à côté du vôtre et branchez-le sur l'électrocardiogramme. Je repasserai plus tard pour contrôler.
Sur ce, l'infirmière Brigitte lui adressa un maigre sourire –un des rares de la journée- et parti en courant pour attraper l'ascenseur. Kate soupira faiblement, contrainte de rester contre son gré. Elle baissa alors les yeux vers l'inconnu, un homme de grande taille, mince, élégant en somme, le visage doux et serein, les cheveux imbibés de gel, en bataille, portant encore son long par-dessus brun, un joli costume sombre et d'adorables converses blanches. Assortiment original certes, mais pas moins étrange...
La jeune femme sourit tendrement, puis attrapa la barre du lit sur roulettes et le tira vers l'intérieur de la pièce.
- Eh bien...Si j'avais su que j'aurai un bel homme pour compagnon de chambre, je n'aurais peut-être pas tenté de filer en douce, gloussa-t-elle en le positionnant près de la fenêtre.
Elle lâcha un faible soupir en constatant qu'un arbre au feuillage dense obstruait le panorama qu'offrait leur position élevée, et haussa les épaules :
- Je sais que la vue n'est pas terrible, mais c'est toujours mieux que rien, pas vrai ?
Aucune réponse. L'homme restait toujours inexpressif, calme dans son sommeil. On eut dit un enfant sous un certain angle, espiègle dans sa façon d'être, à moins que ce ne soit tout bonnement un ange au regard sévère ? Tout était possible après tout… elle ne le connaissait pas -même si cette étrange impression de familiarité lui nouait l'estomac.
- Vous ne vous réveillerez jamais, n'est-ce pas ? soupira-t-elle tristement après plus d'une minute de silence.
Kate rapprocha la machine de l'électrocardiogramme près du lit. Elle retira le long manteau de l'inconnu, déboutonna sa chemise avec délicatesse et brancha les fils aux les pastilles ECG qu'elle colla sur sa poitrine. Mais soudain, au contact de sa peau, elle sursauta, porbablement suite à une légère décharge d'électricité statique. Elle crut durant ce très bref instant percevoir l'écho d'une voix masculine...
« Le Docteur… »