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Prologue

À travers le hublot de son vaisseau spatial privé, le prince Hata regardait grossir la minuscule planète Terre à mesure que l'appareil s'approchait. Il jubilait. Qui aurait cru que l'auteur de cette fiction le choisirait, lui, personnage mineur de Gintama, aux apparitions sporadiques malgré son charisme de leader, pour introduire cette histoire ? Personne, pas même l'auteur lui-même, celui-ci s'en mord d'ailleurs les doigts, car personne n'en a rien à foutre de ce personnage.

Hata se frotta les mains de contentement. Ce n'était qu'une bonne nouvelle de plus qui venait ponctuer de la meilleure des manières une journée déjà fructueuse. Dans sa quête inlassable d'animaux les plus rares et les plus singuliers, il avait écumé planètes sur planètes et avait ainsi enrichi sa collection personnelle de nouvelles espèces toutes plus étranges les unes que les autres. Mais la dernière escale avait été la plus bénéfique. Il y avait dégoté une bizarrerie, c'était le moins que l'on puisse dire pour ce petit animal qui deviendrai à coup sûr la vedette de sa collection. Une bestiole complètement tordue qui venait ainsi s'ajouter à la liste des espèces mal branlées de Mère Nature. Preuve qu'on pouvait foirer à tous les niveaux.

Ce spécimen pouvait être considéré comme le chaînon manquant entre un primate et un criquet migrateur, c'est-à-dire un truc tellement improbable qu'il parvenait à établir un lien entre deux espèces qui n'avaient rien en commun. Avec la taille d'une maquette de 2CV à l'échelle 1/18ème. Un truc moche, mais pas trop gros. Mis à part son physique intéressant, la bestiole n'était pas des plus aimables. Elle n'avait déjà pas tellement apprécié qu'Hata la baptise du doux nom d'Apollo 13, peut-être parce qu'un tel nom ne lui promettait pas un avenir sous les meilleures augures, ou peut-être était-ce parce que c'était tout simplement un nom extrêmement laid. Hata avait eu beau tenter par tous les moyens d'amadouer son nouveau joujou, Apollo 13 s'était borné à grogner en montrant les dents, une denture qui laissait d'ailleurs à penser que la bestiole était carnivore.

Tout en continuant à penser à sa nouvelle acquisition, Hata se dirigeait distraitement vers son siège. Ils n'allaient pas tarder à pénétrer l'atmosphère.

Le vaisseau spatial de Hata se posa directement sur la piste d'atterrissage de sa résidence personnelle, un peu à l'écart d'Edo. Il évitait généralement de passer par le Terminal lorsqu'il revenait de ses petits safaris dans l'espace, de peur de se faire chopper par les douanes. Il avait beau jouir d'un titre particulier, ça n'empêchait pas les autorités de contrôler attentivement tout ce qui débarquait sur Terre. Par chance, plus on s'éloignait d'Edo, moins on avait de chance de tomber sur des chieurs. Une chance inversement proportionnelle à celle de tomber sur des péquenauds. Son zoo privé attirait toutes sortes de badauds venus des quatre coins de la banlieue de la ville, et qui venaient s'émerveiller devant ses bizarreries venues de l'espace.

Au moment de décharger les nouveaux membres de sa collection, Hata sentit son ventre se tordre d'angoisse. Combien de survivants, cette fois-ci ?

Chacun des spécimens de sa collection avait été cryogénisé pour le voyage, et le retour à la vie était toujours un moment délicat.

Certaines espèces qu'Hata ramenait de ses safaris provenaient de planètes où l'atmosphère était en tout point différente de celle de la Terre. Parvenir à introduire ces espèces endémiques sur la planète Bleue était un réel défi, et le taux d'échec était élevé.

La boule au ventre, Hata suivit la procession de sarcophages de cryoconservation, que ses employés s'empressaient de mener aux laboratoires où son équipe de scientifiques et médecins-vétérinaires s'affairait déjà à ressusciter les premiers arrivants.


Jin habitait dans un modeste village dans la périphérie d'Edo. Propriétaire de la seule auberge du coin, il était un homme serviable et aimable, apprécié de tous les habitants de la petite bourgade. Il avait deux adorables enfants et une charmante épouse auxquels il tenait comme à la prunelle de ses yeux. Bref, Jin était un travailleur honnête, et un père de famille exemplaire.

Il avait été témoin de l'arrivée des Amantos vingt ans auparavant, puis de la déchéance des samurais. Il avait cru à l'époque que son monde et ses habitudes de vie allaient disparaître, comme le pensait tout à chacun. Mais la soi-disant invasion s'était résumée en tout et pour tout en une visite, dix ans auparavant, d'un contingent d'Amantos qui, sous couvert de la nouvelle réglementation qu'ils venaient d'instaurer, confisquèrent toutes les lames qu'ils avaient pu trouver. Leur butin avait été maigre, aucun des hommes du village n'ayant de quoi se payer un sabre digne de ce nom. Ils n'en voyaient pas l'utilité d'ailleurs, car, perdu dans les montagnes au fin fond des bois, le petit village était sans histoire, à part les deux piliers de bar qui se crêpaient le chignon de temps à autre.

Bref, le fameux changement que tout le monde attendait s'était résumé à des histoires à propos de « boîtes à images qui parlent » et d'eau qui arrive par des tuyaux, des trucs auxquels seuls les citadins et les villages mieux lotis avaient eu droit. Perdu dans les montagnes, le petit hameau de Jin avait échappé à la modernisation, et la présence des Amantos ne leur était rappelée que par les convois de vaisseaux spatiaux qui leur passaient de temps en temps au dessus de la tête.

Et par ce tordu, qui avait élu domicile à quelques kilomètres de là. Jin en avait d'abord entendu parler par un de ses clients. Un Amanto obèse, qui collectionnait les créatures étranges et multipliait les allers et retours en vaisseau entre la planète Terre et quelques galaxies lointaines. En quelques temps, ce type était devenu l'attraction locale et nombreuses étaient les rumeurs et les histoires qui couraient à son sujet.

Tout à l'heure encore, l'énergumène avait fait des siennes. Son vaisseau avait atterri vers midi, pour redécoller à peine quelques heures plus tard. Ce type avait le feu aux fesses pour sûr. Il ne tenait pas en place.

Jin bailla et s'étira en soupirant. Il aurait donné cher pour offrir à sa petite famille un voyage dans l'espace.

Il se redressa et regarda autour de lui. On était le milieu de l'après midi, et l'auberge était vide. Dans les rues, les rares patients se hâtaient en courbant l'échine et en rentrant la tête dans les épaules. Assis sous l'auvent de son établissement, Jin voyait au loin de noirs nuages lourds de pluie qui s'amoncelaient derrière la colline voisine. Le mois d'août tirait sur sa fin, amenant avec lui les intempéries du mois de septembre. Une violente rafale de vent fit claquer l'auvent et lui ébouriffa sa tignasse. Le déluge était imminent.

Un deuxième coup de vent, plus fort cette fois, renversa les bancs et les chaises de sa terrasse. Il décréta qu'il était temps de rentrer se mettre à l'abri, quand il capta du coin de l'œil une petite forme noire qui s'était faufilé sous une table. Sûrement un chat de gouttière à la recherche d'un endroit où rester au sec. Jin s'agenouilla et tendit sa main, à laquelle répondit le chat en crachant et en sifflant. Dérangé par une bourrasque plus puissante que les autres, l'animal sortit de l'ombre. Ce que vit alors Jin ressemblait à tout sauf à un chat. Un truc à mi chemin entre un castor des montagnes et un crapaud buffle, le tout de la taille d'un rat qui aurait pris double ration à la cantine.

Jin recula en sursautant. Le coup de la surprise passé, et voyant que l'animal s'était posté en arrêt devant lui, Jin s'avança pour examiner la chose de plus près. Il en était sûr, cette bête ne venait pas de la planète Terre. À tous les coups, ça provenait de chez l'autre fada grassouillet. Les bruits couraient comme quoi cet extra-terrestre avait une espèce de zoo privé dans sa propriété, rempli d'espèces provenant des quatre coins de la galaxie. Celle-ci s'était sûrement échappée de son enclos.

Jin sourit. Il se dit qu'avec un peu de chance, s'il ramenait la bestiole à son propriétaire, il toucherait peut-être une jolie récompense. Un moyen de faire plaisir aux gosses. Restait juste à capturer l'erreur de la nature en question.

Il tendit le bras doucement pour ne pas brusquer l'animal. Celui-ci ne broncha pas, se contentant de fixer la main qui s'avançait vers lui d'un air méfiant.

Il ne lui restait qu'un centimètre. À lui le pactole ! Sa joie fut de courte durée. Avec une impressionnante rapidité, l'animal sortit ses crocs et les lui planta dans son avant-bras. Jin se redressa en hurlant de douleur. Il secoua son bras avec frénésie, tentant de se libérer de l'étau qui lui broyait les os, avec une force insoupçonnée pour un animal aussi petit. En vain. Jin commençait à ne plus sentir son bras alourdi du poids de l'animal qui ne voulait toujours pas lâcher sa prise. En même temps que la douleur intense provoquée par la morsure, il se sentit soudain pris de vertige. Son champ de vision parsemé de petites lumières qui clignotaient devant lui se rétrécissait de plus en plus. Il avait chaud et froid en même temps. Il commençait à sombrer dans l'inconscience, quand la crainte soudaine de perdre son bras le saisit. Il agit rapidement. Il attrapa de sa main valide le tabouret sur lequel il était assis et l'assena de toutes ses forces sur la tête de l'animal. Celui-ci mourut sur le coup.

Jin vacillait.

Il se sentait partir, tandis que le sol semblait se dérober sous ses pieds.

La dernière chose qu'il vit fut la masse sans vie de l'animal qu'il venait de tuer tomber lourdement sur le sol, tandis que des marques laissées par ses crocs sur son avant-bras s'écoulait un flot continu de sang rouge écarlate.

Rouge, rouge, rouge.

Puis ce fut le noir.


A suivre