Base : Dir en Grey, et l'univers des Ames Perdues de Poppy Z. Brite. Genre : Fantastique. Rating : T ? Disclaimer : Les membres de Dir en Grey n'appartiennent qu'à eux-mêmes, et je ne me fais de blé sur aucun d'entre eux - ce qui est fort dommage, avec toutes les jolies paires de chausures qui me font de l'oeil ces deniers temps. B.O. du chapitre : The Spy (The Doors)
Peut-être ma dernière fanfiction inspirée de Dir en Grey... Très dfférente des précédentes - par le sujet comme par le style - elle peut très certainement être lue par qui n'a jamais entendu parler du groupe. Voire de Poppy Z. Brite et des personnages d'Ames Perdues, même si ceux-là risquent d'y perdre un peu...
Née d'une inspiration commune avec Farfadine, qui crée sa propre version de l'affaire - en négatif, si l'on peut dire.
Histoire de fantôme géorgien
Chapitre 1
Child of Vodoo Rock
C'était un vendredi soir que tout avait commencé.
Un vendredi de septembre, alourdi encore par la chaleur poisseuse de la fin de l'été – cet été du sud, aussi suffocant que celui de leur pays, et semblant s'étaler à l'infini, comme incapable de trouver son propre terme. Un poids immédiat qui s'était abattu sur eux au sortir de l'avion, quelque chose de presque physique, brutal et insidieux à la fois. Le temps de traverser une centaine de mètres de macadam fumant, leurs tee-shirts s'étaient déjà plaqués à leur corps, inondés d'une sueur que la climatisation approximative du van dans lequel ils s'étaient ensuite entassés ne suffirait jamais à étancher.
La bagnole en question avait déjà dû transbahuter un sacré paquet de gens sur un sacré paquet de kilomètres, depuis un bon paquet d'années, avant de venir les chercher sur ce tarmac brûlant de l'aéroport d'Atlanta. C'était écrit dans chaque rayure grignotée de rouille, chaque bosselure de la carrosserie beige sale, dans le cuir usé, craquelé, des deux banquettes arrière. Et dès qu'ils l'avaient vue, ils avaient deviné que toute l'organisation de cette dernière étape sur le sol américain serait à son image. Du « on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a, désolé du peu mais vous avez qu'à faire avec », à des années-lumière de ce à quoi ils avaient été habitués chez eux, en Asie, et même de ce que leur avaient offert les états du Nord et la Californie, pendant tout le mois passé.
A vrai dire, ils s'en doutaient plus qu'un peu, lorsqu'ils avaient accepté de participer à ce festival au fin fond de la Géorgie – un festival sans doute relativement informel, mais incontournable pour tous les fans de rock dans le sud-est des Etats Unis, une opportunité fabuleuse de s'y faire mieux connaître… c'était à peu près ainsi que leur manager avait présenté les choses, avant d'évoquer la possibilité d'un tournage du côté de Savannah, et ils s'étaient rendus à ses arguments sans trop de réticences malgré les pinailleries inévitables des uns et des autres – de certains bien plus que d'autres.
On ne refuse pas l'Amérique lorsqu'elle vous ouvre les bras, même s'il faut descendre quelques marches du piédestal de la gloire pour pouvoir y entrer. Et au fond, ils n'étaient pas mécontents de pouvoir prolonger un peu plus longtemps ce séjour tant attendu, d'avoir l'occasion de côtoyer d'autres musiciens du coin – ou d'ailleurs – de s'introduire d'un peu plus près dans ce monde trop fantasmé pour être connu.
Tant pis si les conditions matérielles n'étaient pas optimales : après tout, le manque de confort, l'informel eux-mêmes faisaient partie du charme, de l'exotisme…
Au moins, il ne présentait aucune réticence à rouler, ce van – et c'était somme toute le principal qu'on attendait de lui. Entassés à l'intérieur, ils redevenaient bien moins « le plus grand groupe de rock japonais du moment » qu'une simple bande de musiciens en tournée. Déstabilisant, certes – un peu – mais aussi et surtout stimulant. En dehors de toute considération climatique, on aurait même pu dire que ça avait quelque chose de rafraîchissant.
Une fois sortis des faubourgs de la ville, il leur restait encore un peu plus d'une soixantaine de miles à parcourir jusqu'au bled où s'était installé le festival. L'autoroute déroulait son ruban rectiligne et monotone entre des masses informes de végétation noyée de kudzu, des champs vallonnés, parfois à l'abandon, et de vagues baraquements de planches plus ou moins délabrés, qui servaient ou avaient servi à abriter on ne savait trop quoi. Du vert à perte de vue, foisonnant, envahissant, sous la lumière ambrée du soleil en fin de course que dissimulaient déjà à leurs yeux les frondaisons des arbres. Des cannettes de Coca et de Bud' étaient à leur salvatrice disposition dans une glacière électrique posée sur la banquette avant, entre Kyo et Kaoru ; ils avaient fini par se résoudre à ouvrir les fenêtres, et le vent qui venait inlassablement leur rabattre les cheveux dans les yeux était chargé d'un parfum sucré saupoudré de poussière. Trop tiède pour ne pas sembler presque lascif en dépit de la vitesse.
Shinya y abandonnait son visage, les yeux fixés sur le paysage défilant, l'épaule envahie par le poids de Toshiya qui y avait piqué du nez à intervalles réguliers pendant la première demi-heure, avant de s'y endormir pour de bon. Die fredonnait entre ses dents de vieilles chansons dont il avalait la moitié des paroles, en gratouillant dans l'air sur la guitare qu'il n'avait pas eu la place de prendre avec lui, et Kaoru lisait des papiers quelconques, sourcils froncés avec agacement devant leur fâcheuse tendance à vouloir s'envoler.
Au bout de la troisième feuille rapatriée de l'arrière par leur batteur, Kyo avait fini par faire remarquer qu'il serait plus judicieux de les coincer sous la glacière en attendant de se racheter une paire de bras supplémentaire, ce à quoi le guitariste avait répliqué que ça pourrait donner lieu à des expérimentations intéressantes sur sa dernière Ganesa, puis le silence était retombé – au moins celui des mots.
Aucun d'entre eux n'avait en réserve l'énergie nécessaire pour entamer une quelconque conversation, que le bruit des fenêtres ouvertes aurait de toute manière rendue à peu près inintelligible, et le chanteur, lui, préférait concentrer son attention sur l'extérieur, par un réflexe hérité de toujours.
Tâter le pays, l'atmosphère si particulière de cette contrée inconnue.
C'était une attitude qui ne nécessitait aucun effort – il suffisait juste de se laisser aller, les sensations venaient d'elles-mêmes. Elles ne demandaient que ça. Leur fermer son esprit était pour lui infiniment plus difficile, un travail de volonté qu'il n'avait jamais pleinement réussi à maîtriser, même s'il s'avérait parfois indispensable. D'une nécessité plus que vitale.
La souffrance est une chose qui laisse des traces indélébiles, et son seul souvenir peut suffire à rendre fou…
Comme tous les autres, peut-être plus que beaucoup, cet endroit-là en recelait, de la souffrance – la somme de mille blessures individuelles, diffuses, parfois à demi effacées par le temps. Rien d'insurmontable, mais comme un arrière-goût d'amertume, un parfum de rêves brisés, enfouis sous la couche inexorable des jours, de l'habitude, de la fatalité, presque réduits à la poussière mais toujours présents, malgré tout. Plus fragiles que le cristal et plus tenaces que le kudzu, cette plante presque monstrueuse qui envahit tout de son étreinte et résiste à toutes les exterminations, mais capable de tant offrir à qui sait la maîtriser.
Par endroits aussi, la sensation se faisait plus violente, la brisure d'une chair ou d'un esprit que la vitesse ne laissait pas le temps d'identifier et qui disparaissait presque aussitôt.
C'était frappant de réaliser combien ce pays renfermait de murmures, de traces de vie à demi dissimulées au premier regard, jusque dans les lieux qui ressemblaient le plus à un impénétrable désert de végétation luxuriante. L'atmosphère, ici, était étrange, vraiment. Bien plus que dans les autres pays qu'il avait jusqu'alors traversés.
Ce climat humide et lourd, somme toute assez semblable à celui du Japon en période estivale, aurait pu sembler réconfortant s'il n'avait pas distillé en Kyo une toute autre sensation. Il y avait ici quelque chose de plus malsain et de plus sensuel, de plus sauvage et de plus périmé. Les souvenirs s'enracinaient infiniment moins profond dans le terreau des siècles, mais n'en paraissaient que plus rapidement vieillis. Comme si en à peine plus de deux cent ans, le temps avait cherché à rattraper des millénaires. Comme si l'esprit des choses se faisait lui aussi ronger par l'humidité, bouffer par cette marée verte inexorable, et se défendait en hurlant un peu plus fort qu'ailleurs, pour surmonter l'étouffement.
Il parlait de la langueur des jours, de l'ennui informe et paresseux, de peines infinies, de sueur, de mort, d'ivresses et de musique. Il laissait percevoir des monstruosités déchirantes et des prières affamées, des résignations pitoyables et des luttes sans répit.
Et il était tendu par le langage souterrain de la magie – une magie obscure, au nom trompeur, hybride, puissante et dangereuse, recréée de toutes pièces sur les débris des croyances de deux mondes opposés. Même infime, sa trace était partout, imprégnait chaque fibre de l'âme de ce pays.
C'était elle qui l'avait alerté. Sa concentration soudaine, infiniment plus épaisse et plus noire qu'auparavant. Comme une tache de pétrole sur le paysage qu'explorait son esprit.
Il avait immédiatement compris qu'il devait se fermer à elle, la repousser de toutes ses forces.
Mais justement, il n'en avait pas assez, de force. Ce long mois de tournée l'avait trop épuisé pour qu'il soit encore capable de lutter comme il l'aurait voulu. Ou peut-être était-ce simplement qu'elle était trop puissante pour lui. Peut-être n'aurait-il rien pu faire, de toute façon…
Ils avaient quitté l'autoroute depuis quelques minutes déjà ; le van avait longé des champs immenses plantés d'arbres solitaires et de quelques éoliennes archaïques, les vastes bâtiments tout de bric et de broc d'une ferme à peine plus moderne, dans l'encadrement de chênes séculaires drapés de mousse espagnole. L'atmosphère s'était faite un peu plus humide encore, alors que le soleil mourant diaprait d'orange doré l'horizon devant eux. Il devait y avoir de l'eau, par ici, une quelconque rivière étalant son cours en marécages invisibles, dont l'arrière-goût putrescent se devinait sous la douceur entêtante des fleurs de la vigne sauvage.
La route avait traversé un pont, et il l'avait sentie. Une menace diffuse, se précisant d'instant en instant. Instinctivement, il avait essayé de barricader son esprit, mais la chose était trop forte. Elle avait fait voler en éclat ses trop faibles défenses et s'était imposée à lui, brutale et cruelle.
Une prise de possession.
Comme un viol – le viol d'une âme par une âme étrangère chargée d'un océan de haine et de frustration. Une haine universelle, soudain cristallisée contre lui. Déversée en lui.
On eut dit que la chose l'avait sondé, pour immédiatement le reconnaître comme cible idéale et réceptacle de tout ce qu'elle avait amassé de ténèbres.
Et soudain tout était devenu noir. Le noir oppressant, sans repères, du tombeau, de la terre gluante entassée, qui étouffe. Un noir puant et glacial, qui l'avait retenu une éternité.
Le corps qui se dissout. S'enfonce. Terre dans les yeux. Chair dans la terre. Choses, blanc informe, grouillant, gavées de la chair retournant à la terre. Noir. Noir absolu.
Un déchirement, brutal. Un envol.
Incendie.
Souvenir, raison de tout.
Flammes en tourbillon, étincelles éclatées. Corps désarticulés, dansant. Rythme fou, hypnotique. Rythme des corps. Rythme des flammes. Des reflets, cuivre brûlant sur la peau nue, noire comme le monde.
"Cuz' fire is life… I'm the fire.
Deep down here, I keep the fire in me
Cuz' I'm the Child..."
Un écho, l'écho d'une chanson, loin, très loin. Et l'obscurité, à nouveau. Différente. Sans limites. Obscurité du monde.
« That Child. »
Sentir tout, sans rien éprouver. Rien que le manque de tout. Manque du monde. Manque au monde…
« And I can't go back."
Haine de ce monde qui continue de tourner. Comme si de rien n'était. Pour n'avoir rien été pour lui.
La chose relâcha son esprit aussi brutalement qu'elle y avait déversé sa mitraille d'images et de sensations anarchiques. Kyo reprit conscience en sentant une main le secouer sans ménagement. Une voix familière, tout près de lui, qui l'appelait.
Kaoru…
Le visage du guitariste était penché sur lui, l'inquiétude clairement marquée au fond des yeux noirs. Et la vague de nausée était née, aussi irrépressible et violente que ce qui venait de le quitter.
Son ami avait dû comprendre, car il se pencha pour dire quelque chose au conducteur, et le van avait à peine eu le temps de s'arrêter que Kyo était déjà dehors, régurgitant en spasmes douloureux le maigre contenu de son estomac sur le bord de la route.
Il se serait sans doute écroulé ici même, le corps et l'esprit vidés de toutes forces, sans la présence d'esprit de Shinya qui s'était précipité à sa suite pour le soutenir, le retenir de ses bras minces et nerveux, glissés sous ses épaules, enroulés autour de sa taille. L'étreinte du jeune batteur était comme un point d'ancrage à la réalité, à la matérialité tangible du monde, et il s'y était abandonné quelques instants de plus qu'il n'en aurait eu réellement besoin pour récupérer la maîtrise de lui-même. Mais il avait soigneusement évité son regard – leurs regards à eux tous, concentrés sur lui. Même celui de Kaoru.
Surtout celui de Kaoru.
Les autres avaient mis l'incident sur le compte de la fatigue accumulée, de la tension nerveuse, mais le guitariste était le seul à savoir. Le seul en qui il avait eu assez confiance, un jour, pour parler de cette étrange capacité qu'il possédait à ressentir les émotions, les souvenirs cachés, l'essence même des êtres et des choses – vivantes ou mortes.
Kaoru savait. Mais il ne pouvait pas comprendre. Ce que cela représentait. A quel point cela pouvait parfois être douloureux, physiquement et mentalement épuisant.
Et surtout ce que Kyo lui-même ne comprenait qu'à peine – à quel point cette fois-ci avait été différente de toutes les autres. Infiniment plus éprouvante que toutes les autres.
Au fond de lui-même, le chanteur avait déjà compris qu'elle n'était qu'un commencement.
Ils n'étaient plus guère qu'à un ou deux miles de leur destination, et la chose était toujours là, tapie quelque part, pas bien loin – dans un endroit dont émanait un arrière-goût obsédant de mort – prête à s'insinuer à nouveau au plus profond de lui, dès qu'il lui en prendrait la fantaisie, l'envie ou le besoin.
Un vendredi de septembre sur une route poussiéreuse, dans la lumière cuivrée de la fin du jour et le parfum entêtant du kudzu – le début de toute l'histoire.
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