La maladie ne s'intéresse pas à ceux qui ont envie de mourir. Lawrence Durrell.
Chapitre 1
John Watson avait toujours aimé la hauteur, parce qu'il fallait se dépasser physiquement et mentalement pour l'atteindre.
John Watson avait toujours aimé la délicieuse sensation d'adrénaline qui pulsait dans ses veines, quand il se rendait compte qu'il était tellement haut qu'une chute accidentelle serait mortelle.
John Watson avait toujours aimé le danger quand il défiait la Hauteur elle-même, l'alarme qui sonnait dans son crane quand il comprenait qu'une seule petite erreur lui serait fatale.
C'était pour cette raison, qu'il était en train de pratiquer l'escalade en haute montagne, quand ça arriva.
Une violente quinte de toux.
Ce n'était pas une toux grasse ou sèche qui se manifestait à cause d'une vilaine grippe, ou d'un rhume.
Celle-ci avait été si violente que sa respiration s'était bloquée, pendant quelques secondes qui lui parurent une éternité.
Mettant cet événement sur le compte d'une vilaine grippe, les parents de John n'ont pas été alarmés. Lui non plus, d'ailleurs. A vrai dire, l'enfant de 13 ans était déjà prêt pour regrimper un mur d'escalade.
Le plus complexe et le plus dangereux, bien entendu.
Pourtant, de jour en jour, cette quinte de toux devint bien plus fréquente, bien plus longue, et elle se déclenchait sur un rien : Quand John montait les escaliers, quand il accélérait le pas pour rattraper son bus qu'il avait manqué, quand il rigolait un peu trop fort avec ses amis...
Un jour, sa toux – devenue quotidienne – avait été si dévastatrice qu'il en avait vomi. Un mélange immonde de sa nourriture digérée, de bile, et de sang.
Inquiets par cet incident, ses parents l'avaient le plus vite possible emmené chez son médecin traitant, qui leur avait conseillés des examens plus poussés, un air grave peint sur son visage.
Le verdict était tombé avec la force d'un coup de poing dans l'estomac. Ravageur et brutal.
A seulement 13 ans, John Watson était atteint de la mucoviscidose, qui touchait ses poumons.
Le traitement fut aussi lourd que le verdict : John devait suivre une rééducation par kinésithérapie respiratoire, surveiller son alimentation et prendre des médicaments. Tout ça, une à plusieurs fois pas jour.
Pourtant, ce qui détruisit John, plus efficacement que sa maladie qui lui rongeait ses organes respiratoires, ce fut d'avoir été obligé de mettre un terme à l'escalade, alors qu'il s'était qualifié pour les championnats de France benjamins.
Lui qui avait rêvé de devenir escaladeur professionnel...
Malheureusement, le traitement servait uniquement à ralentir la progression de la maladie, à réduire les possibles complications, et non à la supprimer entièrement. Ça aurait été trop beau si cela avait été le cas : Un miracle généreusement servi par les cieux.
Mais, cela faisait longtemps que John Watson ne croyait plus aux miracles. Qu'il ne croyait plus en rien tout court, d'ailleurs...
En quelques années, son état s'aggrava, et son insuffisance respiratoire fut si avancée qu'il était, à présent, contraint à l'oxygénothérapie à domicile.
Aucun de ses médecins spécialisés, au sein du Centre de Ressources et de Compétences de la Mucoviscidose ne le formulaient encore, mais John savait que sa dernière chance était la greffe pulmonaire. Ce n'était plus qu'une question de temps.
Il passa ses années collèges déscolarisé, prenant des cours par correspondance sur Internet, grâce à des associations éducatives.
Pourtant, à l'age de 16 ans, John Watson avait insisté auprès de sa mère, pour se rendre au lycée, afin d'y passer une scolarité normale.
Parce que c'était ce que voulait être John Watson : Pas un patient atteint de la mucoviscidose, mais juste un adolescent comme les autres, qui se préparait pour sa rentrée en seconde, dans un lycée inconnu.
Normal.
~~
« Je vous présente votre nouveau camarade de classe, John Watson. Je compte sur vous pour lui offrir un accueil digne du Lycée Rive Gauche ! »
La voix mielleuse – et dégoulinante de compassion – de la professeure agaçait John, qui ne souhaitait qu'une chose : Qu'elle abrège son horripilant discours de bienvenue, et qu'elle le laisse s'asseoir à une table.
Si possible à une table bien éloignée, à l'abri des regards.
En réalité, son envie la plus tenace était de fuir à toutes jambes de cette salle de classe qui puait la sueur et le renfermé.
Tous les yeux étaient rivés sur lui, par conséquent, John se dandinait d'un pied sur l'autre en se tortillant nerveusement les doigts, montrant ainsi clairement son malaise.
En plus d'être mal à l'aise, une fureur noire bouillonnait dans ses veines, mais il la dissimulait avec brio, en forçant un sourire fade sur ses lèvres.
C'était la lueur familière de pitié dans les prunelles aux alentours qui énervait John, si bien qu'il était à deux doigts de creuser un profond trou pour s'y réfugier et pour ne plus jamais en ressortir.
Une lueur de pitié aussi offensante qu'inutile.
Les yeux chagrinés suivaient le parcours de la fine lunette à oxygène transparente qui reliait ses deux narines au concentrateur d'oxygène portable qu'il trimballait partout, avec lui.
John serra les dents, sentant ses joues chauffer d'embarras et de colère.
Vous voulez mon dossier médical, pendant que vous y êtes ?! Songea-t-il rageusement, faisant bien attention à ce qu'aucune trace de sa fureur intérieure ne soit lisible sur son visage neutre.
Il savait qu'il était injuste, mais il s'en moquait royalement.
Il détestait la pitié qu'il lisait clairement dans les yeux des autres.
Il détestait être ménagé, comme s'il n'était qu'une petite chose fragile et cassable, juste parce qu'il avait eu le malheur de naître avec des poumons déjà détruits.
Il détestait la peur qui grésillait dans les iris des élèves, comme s'ils craignaient que John s'effondre en un tas de poussière, au moindre coup de vent.
Pourtant, il y avait bien un regard qui n'était pas braqué sur lui, et qui l'ignorait totalement, comme s'il n'existait pas.
C'était celui d'un adolescent situé au fond de la classe, qui était avachi sur sa chaise, comme si le poids du monde entier était uniquement soutenu par ses épaules frêles.
Il était vêtu d'un jean négligemment troué aux niveaux des cuisses, d'un long manteau obscur qui descendait jusqu'à ses genoux, et un foulard, d'un bleu foncé avec des reflets violets, entourait son cou.
Concernant son visage, de longues boucles noires indomptables tombaient en cascade sur son front et sur sa nuque. Deux iris envoûtantes, passant du bleu, au vert émeraude ou au gris clair, selon l'éclairage, fixaient le plafond d'un air blasé. Ses pommettes saillantes accentuaient le creusage presque alarmant de ses joues, et sa bouche pulpeuse était tordue en une grimace d'ennui.
Il semblait inconscient du monde qui l'entourait, isolé dans sa bulle. Son corps était bien présent, mais son esprit semblait ailleurs, très loin des murs froids et ternes du lycée.
A vrai dire, son visage aussi pâle que du lait était tellement neutre, qu'on aurait pu croire qu'il dormait les yeux ouverts. Dans le cas de John, il aurait pensé qu'il était mort, si sa cage thoracique ne s'élevait pas lentement au rythme de sa respiration silencieuse.
John se tira de sa contemplation de ce mystérieux élève, quand la professeure daigna enfin lui demander de s'asseoir.
Raffermissant sa prise sur son sac à dos dans lequel se situait sa bouteille à oxygène sur son épaule droite et son sac de cours porté par son épaule gauche, il s'élança fièrement vers le fond de la salle, ayant la ferme intention de se mettre à coté de l'élève en question.
Pourtant, la chaise à coté de celui-ci était prise par son cartable, et il ne semblait pas le moins du monde vouloir l'enlever.
« Heu... Je peux m'asseoir ? » Demanda John timidement, en désignant d'un geste de la main la chaise en question.
Le frisé cligna plusieurs fois des paupières, la voix douce du blond le tirant brusquement de ses songes, et il planta ses yeux hypnotiques dans ceux de John.
Le blond en retint son souffle, quand il fut la victime de ce regard perçant qui le fixait avec une intensité presque agressive, semblant mettre à nu tous ses secrets.
« Non. »
Sa voix traînante et grave était aussi glaciale que l'expression de son visage.
Devant la stupéfaction qui s'inscrivit sur le visage de John, il ajouta paresseusement, diablement sarcastique :
« C'est d'ailleurs pour cette raison que mon sac est sur cette chaise. Pour que personne ne puisse s'y asseoir. »
John étant incapable de prononcer une phrase cohérente, le frisé profita de son silence et il lui désigna de sa main osseuse la table inoccupée qui se trouvait à l'opposé de lui, dans un coin reclus de la classe :
« Il y a une table libre, là bas, Annonça-t-il froidement, une ironie mordante imprégnant chaque mot, Tes poumons dégradés ne t'ont pas enlevés la vue, n'est-ce-pas ? »
Il ponctua sa réplique assassine d'un sourire tellement forcé qu'une multitude de fossettes creusèrent ses joues.
John était indigné par cette insulte, mais un étrange soulagement l'envahit.
Instinctivement, il avait deviné que cet élève se comportait de cette manière désagréable, avec tout le monde.
De plus, le frisé ne jetait même pas un regard au tuyau transparent qui barrait les joues de John, près de ses pommettes, et qui était calé derrière ses oreilles.
Il regardait uniquement ses yeux avec un mépris évident, comme il l'aurait fait avec un adolescent normal.
C'était la première fois, depuis le diagnostic de sa maladie, que quelqu'un ne prenait aucune pincette avec lui.
C'était la première fois que quelqu'un le traitait en un humain comme les autres, et non comme un objet cassé qu'il fallait manier avec précaution.
Ce fut à cette pensée, que le cœur de John se gonfla de soulagement.
« Y a-t-il un problème ? » La voix suspicieuse de la professeure rompit la bataille de regard qui affrontait les deux adolescents.
« Non madame, Répondit automatiquement John, en quittant finalement le mystérieux frisé du regard pour offrir à l'adulte un sourire rassurant, Aucun. »
A ses mots, il s'assit sur la table aimablement proposée par le frisé, et il sortit ses affaires en silence, ignorant les quelques regards inquisiteurs des autres élèves sur lui, qui lui brûlaient la peau.
De son coté, Sherlock Holmes faisait mine de fixer le plafond, mais il jetait quelques coups d'œil intrigués vers le blond en toute discrétion, pour le décrypter des pieds à la tête.
Ce John Watson n'était pas un Apollon, mais il n'était pas un adolescent laid non plus : Il était un parfait compromis entre les deux.
Une belle représentation du physique banal, qui n'était en aucun cas gâchée par le tuyau qui rentrait dans les narines de son nez proéminent.
Ses cheveux blonds étaient trop courts, mais leur couleur paille se mariait à merveille à ses yeux bleus clairs et à sa peau naturellement bronzée.
Pourtant, les signes de sa maladie se manifestaient bel et bien.
En effet, deux cernes noires découlaient de ses yeux qui étaient eux-même fatigués, complètement éteints, comme si toute vie avait été aspiré de son âme. Son dos était voûté, presque plié en deux, comme s'il portait un poids constant sur ses épaules.
Ce qui piqua la curiosité de Sherlock, fut l'étincelle de soulagement qui avait brillé dans les iris bleues ivres de douleur de ce John, quand il avait été désagréable.
Comme si ce John aimait qu'une personne soit cinglante, avec lui.
Bizarre...
Intéressant...
Le chemin tortueux de ses pensées fut interrompu par la vibration discrète de son téléphone – toujours allumé, bien entendu – contre sa cuisse.
Sachant directement l'identité de l'auteur du texto qu'il venait de recevoir, il sortit son portable de sa poche dans un grognement agacé, et il le cala devant sa trousse pour lire le message en question :
Comment se passe ta rentrée, petit frère ? MH ( 8h12 )
Sherlock pouvait clairement imaginer la voix condescendante et diablement moqueuse de son frère, qui prononçait ces mots. Ainsi que son rictus supérieur absolument insupportable, vissé à ses lèvres.
Ta gueule, Mycroft. SH ( 8h14 )
Si grognon de bon matin... J'en déduis que c'est ennuyeux, vu que tu m'envoies des SMS en cours... Ce qui est interdit, je tiens à le préciser. MH ( 8h17 )
Alors, arrêtes de m'en envoyer ! SH ( 8h18 )
Tu es un élève indigne. MH ( 8h21 )
Et toi, tu es un grand frère indigne. SH ( 8h22 )
… Cruel. MH ( 8h25 )
Non, réaliste. SH ( 8h28 )
Essaye de ne pas traumatiser tes professeurs, dès le premier jour. MH ( 8h29 )
Ah Ah Ah. Très drôle. SH ( 8h31 )
Sérieusement, ce lycée est si ennuyeux que ça ? Tu n'as même pas une mini distraction pour ton cerveau brillant ? Enfin, bien moins brillant que le mien, je précise... MH ( 8h35 )
Sherlock ne put s'empêcher de grincer des dents.
Son frère avait toujours pris plaisir à l'humilier, à propos de leur intellect. C'était devenue une habitude, et avec le temps, le brun avait appris à l'ignorer, mais la sensation cuisante, elle, ne diminuait pas.
Réponds à la question, petit frère. Y a-t-il une petite distraction à te mettre sous la dent ? MH ( 8h48 )
Automatiquement, le regard de Sherlock dévia vers ce John Watson, qui prenait consciencieusement des notes.
Peut être bien que j'en ai une, en effet... SH ( 8h48 )
Tu fais partager ? MH ( 8h48 )
Non. SH ( 8h49 )
Son nom ? MH ( 8h49 )
Toi qui es tellement plus intelligent que moi, frérot... Tu vas bien réussir à répondre à cette question tout seul... Cherche. SH ( 8h51 )
Sans attendre de réponse, Sherlock remit son portable dans sa poche avec un sourire narquois, et il replongea dans son Palais Mental dans un soupir plaintif, jusqu'à la sonnerie.
