Disclaimer : Fairy Tail appartient à Hiro Mashima. La photographie appartient à j-adree. L'histoire ci-dessous et certains de ses personnages secondaires m'appartiennent.

Raiting : M. Langage cru et parfois sexuel.

Genres : Univers alternatif – tranche de vie – romance.

Ndla : Hello. Pour respirer un peu, j'ai eu l'envie d'exploiter une de mes nombreuses idées et l'écrire en trois chapitres. J'aurais pu en faire une originale, mais finalement non. Elle n'est pas longue, j'ai écrit ça pour me distraire. Ça a fait son effet, puis le résultat est satisfaisant à mon goût. Ce changement de style m'a amusée et m'a redonné goût à l'écriture sans prise de tête.

Bonne lecture à tous.


Gloire du matin

Les reflets d'hiver

Il est sept heures quarante-quatre quand une sonnerie tonitruante déchire la quiétude du sommeil.

Gray, un homme dans la trentaine — trente-et-un, depuis la veille — cherche à tâtons l'engin perturbateur qui chante et vibre avec violence sur la table de chevet. Son visage enfoui sous l'oreiller s'en extirpe. Papillonnent les paupières encore bouffées par la fatigue. Il grimace, baille, gratte sa barbe naissante en regardant l'écran lumineux derrière la pénombre de ses yeux plissés. Sa tête est d'une lourdeur familière. Elle le lance ; il souffre.

Qui est le gros con qui l'a réveillé ?

Ses yeux reconnaissent les lieux : la couleur éclatante de l'armoire raffinée, sculptée dans le bois blanc ; le confort de son large matelas, le lit se mariant à la couleur taupe du tapis ; sa lampe de chevet, ronde, noire et argentée, diffuse une lumière avalée par celle du jour. Le matin filtre doucement à travers les stores qui tamisent la pièce.

Au moins, il est chez lui.

Stuart J. qu'affiche le portable. Un véritable gros con, c'est le cas de le dire. Gray ne répond pas : il préfère laisser son répondeur prendre le relai.

« Hé Fullbuster ! Tu dors encore ? … Allô ? On m'entend là ? Tu m'entends ? … Merde j'suis con, c'est le répondeur ! Ha ha. Ah au fait, c'est moi ! Quel con, mais quel con…»

Qui d'autre ? Cette voix irritante et sa manie de merde de l'appeler si tôt. C'est officiel, Stu' est définitivement un sale bouffon de première. Pourquoi doit-il se taper cet incapable en guise de co-entraineur ? Pourquoi pas Roki ou même Drear, tiens ? Question rhétorique et récurrente qui vient parasiter son crâne à chaque (putain de) matin. L'évidence crève l'œil : sa blessure à la jambe, ou comment finir sa carrière avec l'absurdité d'un palet dans les burnes. Ça fait foutrement mal et c'est injuste, ouais. Aujourd'hui, il pourrait avoir une belle carrière, si la vie ne faisait pas sa salope. C'est triplement con, ouais.

Dommage pour Stuart. Béquilles pendant neuf ans, obligé.

« … On s'demande avec l'équipe si t'veux pas revoir un peu ta… stratégie. Ouais j'sais c'que t'es en train d'penser, qu'on peut tous se foutre des crosses dans le fion, pas besoin d'le dire ! Mais réfléchis-y, OK ? Puis faudrait voir si Anderson est capable d'assurer le goal et aussi… »

Dommage pour Gray. Équipe de tarlouzes, obligé.

Quand vont-ils se décider à gagner, ne serait-ce qu'un seul putain de match, dans leur vie ? C'est pas près d'arriver. Surtout pas ce vendredi contre les Cerberus, vu l'habileté d'Andercon. Aussi efficace qu'une passoire aux énormes, immenses, titanesques trois trous.

Trois.

— Equipe nationale mon cul, grommèle Gray d'une voix enrouée par le sommeil.

Règle numéro un du lundi : ne jamais emmerder l'entraineur un lendemain de cuite. Ni l'emmerder tout court le matin. A bien y réfléchir, il faudrait éviter de lui adresser la parole de si bonne heure.

Gray laisse sa tête douloureuse retomber lourdement, face contre l'oreiller, là où Morphée l'a séduit la veille entre trois bouteilles de tequila — faut qu'il arrête de boire, définitivement. Morphée et qui, déjà ? Un quelconque nom qui commence par un V, ou qui contient cette lettre, au milieu — à la fin… ? Aveuglé par le coussin, il tâte rapidement la place froide à côté. Personne. Bonne nouvelle, il n'aura pas à la foutre dehors.

« Au fait, ce soir on se retrouve tous au bar, parait qu'y a… »

Mais où est-ce qu'elle est, si elle n'est pas dans le lit ? Dans la salle de bain ? La cuisine ?

Il grogne, encore, parce qu'il n'a pas envie de régler ce genre de situation. Pendant une longue minute, Gray envisage de faire le mort, allongé sur le ventre, parfaitement immobile. Un bruit agresse son ouïe et lui donne des envies de meurtre. Une casserole ? Des couvercles ? "V" a l'air de croire qu'elle peut faire comme chez elle. Naïve.

« Oublie pas qu't'as deux heures de train à faire. »

— La ferme…

Gray râle dans l'oreiller. Le train. Il ne l'oublie jamais, ça. Comment y parvenir ? Deux heures, ce n'est pas long ; ce n'est même pas assez. D'autres peuvent s'ennuyer ou dormir, mais lui, il compte les minutes. Et ça le laisse sur sa faim. Ceci pour une curieuse et même raison — à chaque fois.

Le message vocal se finit et laisse place au silence ; pas trop tôt.

Il se redresse sur le lit, s'assied sur le bord. La couverture taupe et le drap blanc, entremêlés, tombent sur le tapis. Ses doigts passent dans ses cheveux noirs dans l'espoir de les coiffer. Ça n'a jamais marché, alors pourquoi ça le ferait ce matin ? Une stupide habitude. Il masse ses tempes, sa tête fait bien mal comme il faut. Il a l'impression qu'un tournevis s'est planté dans son crâne et que ce dernier est le vis en question, mais il arrive à se trimballer jusqu'à la salle de bain. Son unique œil ouvert accomplit l'exploit de distinguer le lavabo.

L'eau froide n'aide pas, elle éclabousse son torse et quelques gouttes glaciales se perdent sur sa verge exhibée. Il sursaute, peste dans sa barbe et se sèche dans une serviette verte. La glace verticale lui renvoie l'apparence d'un homme mal rasé. L'absence d'une érection matinale ramollit sa queue, mais les muscles saillants, creusant et bombant son corps, font naître l'arrogance sur son vague sourire.

L'homme lève un avant-bras dont les muscles jouent sous la chair, et passe une main paresseuse sur son ventre sculpté. Vaniteuse, sa réflexion crâne.

Normal que V soit encore là.

Gray soupire et décide de prendre tout son temps pour se préparer. Avec un peu de chance, elle sera partie avant qu'il ne puisse la confronter. Pourquoi a-t-il fini avec V ? Il essaie de se remémorer la soirée, et il a un souvenir flou de… Natsu. Oui, cet abruti qui l'a emmerdé avec son concours d'alcool. Et Erza ? Non. Erza et Mirajane, qui lui ont présenté V. Celle-ci est donc une amie, ou une collègue de travail des deux femmes.

Gray prie très fort pour que ce soit le deuxième choix. Il n'a pas envie que ses deux amies le tabassent — encore.

Ce n'est pas la première fois qu'elles lui présentent d'autres femmes, mais Gray n'a jamais passé plus d'une nuit avec elles. Ce ne sera pas différent, cette fois. Est-elle brune ou blonde ? Rousse, peut-être. Il n'a même pas retenu son foutu nom, mais il est sûr et certain qu'il comporte la lettre V.

L'odeur de bacon grillé parvient à ses narines alors qu'il se brosse les dents — depuis douze minutes.

Après trois minutes de plus, Gray recrache le dentifrice et se rince, avant d'étaler de la mousse à raser sur sa mâchoire. Une fois fini, et ceci sans s'être coupé une seule fois avec son rasoir manuel, il se résigne à aller dans la cuisine. Mais il n'y a personne dans la pièce, et à la place de la femme qui a partagé son lit, il voit seulement une assiette couverte, sur la table en bois noir. Un mot griffonné sur un bout de papier blanc est posé dessus.

Bien dormi, sexy coach ? J'ai une petite urgence à régler, vraiment désolée... J'espère que ma spécialité du matin saura me faire pardonner ! Régale-toi bien. J'ai hâte de te revoir. Mon numéro est dans le dos de la feuille. Appelle-moi…

Patricia.

Un sourire narquois étire les lèvres du lecteur : il n'y a pas de lettre V dans le nom de la femme. Il jette un vague coup d'œil au numéro, avant que celui-ci ne finisse dans la poubelle. Gray se sert un grand verre d'eau dans l'évier, ouvre le frigo et ajoute quelques glaçons. Ça lui fait du bien, le liquide glacé dans sa gorge le réveille.

Le brun se gratte la nuque, et se rend dans sa chambre pour se préparer. Le costard qu'il prend dans son armoire est d'un gris sombre, sa chemise est blanche, et la cravate qui accompagne le tout est d'un bleu de givre.

Il repasse en coup de vent dans la salle de bain. Debout face au miroir, il noue l'accessoire autour de sa nuque, peste lorsqu'il n'y arrive pas du premier coup, puis jette un regard satisfait à son reflet. Un dernier passage de ses doigts dans ses cheveux, en vain.

A faible volume, les Pixies passent à la radio pendant qu'il conduit en direction de la gare. Dans sa voiture, il baisse la vitre et apprécie le vent froid du début d'hiver qui rafraichit son visage. Son mal de tête diminue, mais il ne s'en débarrassera pas si facilement. Il faut vraiment qu'il arrête de se bourrer la gueule.

Inattentif, il freine à la dernière seconde devant un feu rouge qu'il a failli brûler. Sa voiture est en travers du passage piéton, et il râle dans sa barbe invisible. Un passant l'insulte en contournant le capot, alors Gray rétorque d'un majeur grossièrement dressé. Heureusement que le feu passe rapidement au vert. Ni vu, ni connu ; nulle amende payée.

L'air siffle quand le véhicule prend de la vitesse. Son chant hivernal accompagne la radio et détend Gray. En laissant passer une vieille piétonne, il tapote placidement sur le volant, mais ses prunelles lui jettent des pics de glace imaginaires pour la forcer à marcher plus vite. La saison froide s'est invitée dans le creux des branches déployées, et les a démunies de leurs feuillages. Nulle verdure ni couleurs chatoyantes ; il ne reste plus que le gris, les nuages, la pluie, le temps morne et la promesse de jours enneigés.

Gray aime l'hiver.

Une main sur le volant, il regarde la montre à son poignet : huit heures vingt-deux. Il a encore une vingtaine de minutes avant le départ de son train, et arrivé à la station, une machine vomit un ticket lui permettant de stationner pour la journée entière.

Il attend dehors, près des rails, après avoir acheté son billet. Fidèle, son paquet de cigarettes est resté dans sa poche depuis hier — ou peut-être que c'est lui qui l'a mis là.

Ses lèvres embrassent le filtre et il allume sa clope avec un briquet doré. La fumée se fraie un passage jusqu'à ses poumons, il l'exhale en forme de quelques cercles pour se distraire. Première clope de la journée, ça le détend et chasse sa mauvaise humeur du matin. Son regard sombre lorgne la grisaille dans le ciel. Il va peut-être pleuvoir, et Gray a oublié son parapluie — en a-t-il seulement un, chez lui ? Il ne sait même plus.

— Monsieur… l'interpelle une voix féminine. Vous pourriez éviter de fumer ? C'est interdit.

Le ton perché cogne avec violence sa boîte crânienne. Il a bien l'impression que sa tête vient de se prendre une balle.

Il baisse les yeux pour dévisager une jeune femme, petite et mignonne, qui lui indique l'interdiction derrière lui. Il prend un bref instant pour arquer un sourcil en direction de la clope encastrée derrière la croix rouge, avant de reporter son attention sur la femme. La sévérité de son ton le fait tiquer, et il la dévisage à sa guise ; assez longtemps pour la mettre mal à l'aise. Quand les yeux chocolat le lassent, il distingue une boucle d'oreille en forme de lune pendue à son lobe dévoilé. Deux pommes rondes, de longs cheveux noirs, une fine taille.

Mignonne et bien foutue.

Ce n'est pas la première fois que Gray vient dans cette gare. Ce n'est pas la première fois qu'il enfreint le règlement, il s'est déjà pris une amende. Et ce n'est pas, non plus, la première fois qu'on lui demande d'éteindre sa cigarette. Sur sa bouche s'invite un sourire charmeur qui fait rougir l'inconnue — avec une facilité déconcertante qui lui donne l'impression de tricher —, il tire une dernière taffe de sa clope, la laisse tomber et l'écrase sous sa chaussure noire. Le sol crisse sous son pied.

— Désolé, souffle-t-il dans la direction de la jolie brune.

Lune, car c'est ainsi qu'il décide de la nommer, joint ses deux mains sur ses genoux et effectue un bref salut informel : un petit mouvement de la tête, penchée quelque peu en avant. En se redressant, ses cheveux dansent avec légèreté sur ses épaules. Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose, balbutie un ou deux mots qu'il ne saisit pas, puis lui tourne le dos. Elle s'éloigne à plusieurs mètres, et le regard de glace lorgne le mouvement de ses demi-lunes.

Quand elle rejoint deux enfants, un garçon et une petite fille qui lui ressemblent, Gray perd aussitôt le peu d'intérêt qu'il a eu. Il jette un regard blasé à la clope qu'il vient d'écraser, puis s'intéresse à l'heure affichée sur le panneau.

Son regard se porte machinalement sur la porte lorsqu'un voyageur rejoint le quai. Grand de taille, les cheveux grisonnants cachés dans un béret, l'homme porte un sac de sport à l'épaule. S'ensuit un groupe de femmes, dont une qui glousse dans sa main. D'autres gens arrivent, certains encombrés d'une valise ou deux, d'autres les mains vides, et Gray s'ennuie. Ça le fait un peu tiquer, mais il est connu pour sa patience, alors il attend.

Il l'attend.

Cinq ou six minutes plus tard, le train arrive. La voie ferrée est agressée par les roues ferroviaires. Le cri strident que le frein pousse est désagréable. Quand il monte dans le quatrième wagon, il cherche une place en contre-sens et s'installe du côté de la grande vitre.

Il devrait rester debout, et prêter sa place à ceux qui en ont besoin, mais l'idée le laisse indifférent. A l'heure qu'il est, Gray pourrait être en première classe, dans la place bien plus confortable qu'il a payée, et s'il doit se retrouver en deuxième, on pourrait au moins le laisser s'asseoir. Il n'a pas envie de se mêler à tous ces étrangers.

Il pose son front sur la vitre froide, et regarde dehors. Les branches dénudées par l'hiver se tiennent comme de grotesques silhouettes givrées le long du quai, derrière les bancs vides. Les lettres ortie de secours sont inscrites en rouge et en gras, sur le haut de la fenêtre ; le S est à moitié effacé et sa couleur est fade. Gray a envie de rallumer une clope, mais le foutu signe est encore et toujours là, exhibé sous son nez — quel casse-pieds.

Ses yeux de glace observent les passagers qui continuent de monter. Trop de monde, ils se retrouvent très vite tassés les uns contre les autres. Certains restent debout, la main occupée par un smartphone ; d'autres se tiennent fermement à l'accroche fixée au plafond.

C'est qu'il l'aperçoit.

Un éclat fracasse ses prunelles et il ne voit plus qu'une seule chose : ces mèches bleues, entre une ou deux épaules vêtues de noires. Elle embarque au dernier moment, juste avant que les portes ne se ferment. Gray ne décroche pas son regard de l'azur.

Il sait que c'est elle.

L'inconnue du quatrième wagon.

Ça fait trois mois qu'ils prennent le même train. Il pourrait changer de voiture, rejoindre la première classe qui compte une place achetée mais jamais occupée. Il pourrait, mais Gray reste là. Dans le wagon numéro quatre, où les cheveux bleus se fraient un chemin. Difficilement. Elle ne parle pas, glisse ses mains entre les nombreuses personnes, dont la plupart sont des hommes en costards noirs, et parvient enfin près des places assises. Le contact visuel se brise lorsqu'elle s'installe dans l'un des sièges libres, plus loin, à l'avant.

Le train ne tarde pas à démarrer. A l'intérieur, le bruit est moins fort et le calme s'invite. Certains parlent au téléphone, envoient des SMS, écoutent de la musique. Il y a même un jeune couple qui lit des bouquins, certainement des universitaires. De temps en temps, ils échangent quelques commentaires et des sourires.

Le tableau lasse très vite Gray. Il se calle aussi confortablement que possible dans son siège de seconde classe, et se laisse bercer par le voyage. Ses prunelles observent le paysage qui défile, à travers la vitre. Le ciel se met à pleurer quelques gouttes qui s'écrasent sur les fenêtres du train. Serein, il écoute la paisible mélodie des nuages qui se répercute sur les voitures. Les yeux clos, il se sent observé. Gray préfère ouvrir ses paupières, et pour s'occuper, la pénombre glacée observe les gouttes d'eau frétiller. Il suit une perle poussée par la vitesse ; elle s'envole. Il compte celles auxquelles l'air donne des ailes. Trois. Sept.

Une femme dans la cinquantaine s'approche et s'installe en face, dans l'une des deux banquettes libres. Le brun replie ses jambes par réflexe pour la laisser passer, mais ne daigne pas enlever sa veste de la place à côté. Même quand elle y jette un coup d'œil insistant, en attendant une invitation qui ne vient pas.

Bientôt, la locomotive perd de la vitesse et s'arrête dans un cri strident. Des voyageurs débarquent à l'arrêt, d'autres montent. Lorsqu'un homme, dont le manteau sombre ne fait qu'atténuer son ventre bedonnant, prend place à côté de la femme brune, Gray profite de la légère cohue pour changer de place.

Il bouscule quelques-uns qui refusent de lui céder le passage, les ignore quand ils râlent, et avance jusqu'à la tête du wagon. Il trouve un emplacement près d'un vieillard au crâne dégarni, appuyé sur une canne que Gray évite de toucher lorsqu'il s'assoit près de l'homme. Celui-ci le suit du regard, derrière ses paupières que les rides froissent.

Depuis sa nouvelle place, il peut distinguer les cheveux bleus à quelques mètres. Elle est assise dans les quatre sièges suivants. La passagère est entourée de trois autres, une femme et… Il n'arrive pas à voir les deux qui lui tournent le dos, les deux places occupées devant lui l'en empêchent. La bleue lui fait face, mais elle ne le voit pas.

Gray aimerait bien qu'elle le fasse : c'est leur rituel matinal.

Lui ne se gêne pas pour la regarder.

Enfoirés de bouffons, qu'il pense lorsqu'en face, les deux passagers se penchent sur un téléphone et rient d'un quelconque contenu. Ils lui barrent la vue, alors Gray ancre ses yeux ailleurs.

Le reflet est incertain dans la fenêtre : la lumière matinale l'empêche de mieux la voir, mais il s'en contente. Il devine la veste noire et la paire de jeans qu'elle porte. Ses doigts jouent avec les boucles de ses cheveux qu'elle entortille autour de son index. Elle se recoiffe machinalement.

Ils ne se sont jamais parlés ; seulement dévisagés. De brefs coups d'œil, qu'elle brise aussitôt qu'il ancre ses yeux dans ses prunelles trop bleues. Parfois, il arque un sourcil et une jolie teinte rosée se répand sur ses joues pâles. Et d'autres fois… Le contact visuel dure assez longtemps pour le faire bander. Il ne sait pas comment elle y arrive avec seulement l'intensité de son regard, mais il la suspecte de le faire exprès.

Le contrôleur procède à son habituelle vérification, Gray plonge une main dans la poche intérieure de sa veste grise et prépare son billet. Le regard scotché à la vitre, il la regarde fouiller dans son sac pour présenter son ticket.

Le train passe sous un pont, l'obscurité aveugle le fumeur pendant un instant.

Très vite, la lumière baigne l'intérieur et Gray, qui n'a pas détourné ses yeux de la vitre, plonge dans une marée profonde.

Elle le regarde.

Le brun ne sait pas si elle en est consciente, mais il ne détourne pas les yeux. Il cille à peine, ses yeux le piquent un peu, mais il refuse de gaspiller une seule seconde de leur échange. Surtout pas quand elle rentre dans le jeu. Sait-elle qu'il peut la voir aussi, depuis sa place ? Un sourire railleur valse sur le coin de sa bouche, et il la voit écarquiller brièvement les yeux.

Maintenant, elle le sait.

Dans le reflet, il ne peut distinguer la rougeur qui teint ses pommettes, mais il la devine. Innocente, elle bat des paupières, et fait semblant de regarder le paysage. Rien à l'horizon ; juste quelques toits, des arbres, des arbres, une usine, encore de stupides arbres…

Son embarras amuse Gray.

Au troisième arrêt, et comme l'entraineur s'y attend, les cheveux bleus disparaissent.

Elle quitte le wagon, il a seulement le temps de distinguer sa main, cachée à moitié sous sa longue manche. La blancheur de sa petite patte l'habille d'élégance, mais aussi d'une fragilité qui contraste avec son air fier ; celui qui lui fait lever la tête, et qui noie son regard dans la froideur d'une pluie d'hiver.

Les portes se referment et empêche le vent de s'engouffrer ; les retardataires aussi.

Encore trois quarts d'heure de trajet. Gray ferme les yeux. Il attend le prochain arrêt pour changer de voiture ; rejoindre le confort. Un fracas trouble le silence quand le contrôleur active son micro. A la place de signaler l'approche de la future halte, la voix masculine, impassible, prononce avec le sérieux propre à son métier :

« Merci de garder vos vêtements à bord du train. Please keep your clothes on while on the train... »

A l'entente de l'absurdité de l'annonce, Gray fronce les sourcils. Il jette un regard spontané à son propre corps.

Merde.

Où sont passées sa veste et sa putain de chemise ?

Ses yeux cherchent cette dernière avec frénésie, mais il la repère très vite. Là, suspendue sur la canne de son voisin que son subconscient a, visiblement, prise pour un portemanteau. En remettant le vêtement sous les nombreux coups d'œil scrutateurs ou gênés, l'exhibitionniste ne manque pas la blonde qui lorgne ouvertement ses muscles.

Gray sourit, arrogant.

— P'tit con, va… maugrée le vieillard.


Voilà ! Merci pour votre lecture. Je vous dis à bientôt sur le deuxième chapitre.