I - Endymion

'Ce petit plus qui nous change ou nous uni,
Ce léger détail qui soigne ou saigne ce que nous sommes,
Je le ferai miens, pour que toujours, tu m'accompagnes.'

-

Elle le regardait dormir. Derrière les paupières de papier glacé, d'étranges histoires défilaient.

Elle pouvait facilement le discerner. Il était immobile, paisible. Allongé, ses cheveux répandus reposaient avec une noblesse naturelle ; les filaments argentés coulaient par vagues en une eau limpide irisée de lune. Et ce visage à la fois fin et dur portait incontestablement le titre de merveille. Une merveille à résoudre.

Elle savait parfaitement qu'au moindre mouvement brusque, il se serait redressé en un instant, et aurait manqué de séparer sa tête de ses épaules à quelques dixièmes de secondes près.

Mais il demeurait innocent en ce moment.

Il demeurait vulnérable face à elle parce qu'elle ne le haïssait pas ; ce que peu de gens pouvaient alors prétendre. Elle ne pouvait exactement dire pourquoi. C'était trop beau, trop long, trop profond. Et puis, malgré cela, ce ne serait pas forcément compréhensible ; pas plus toléré.

Là, en cet instant, elle s'était mise nue ; son manteau gris qui avait essuyé la rudesse des taudis était tombé pour quelques minutes. Pour que ce soit équitable. Parce que, lorsqu'elle regardait cette silhouette allongée, offerte, ouverte, elle ne voyait ni un ange, ni une machine, ni un démon. Elle voyait un être qui n'avait pas appris à grandir correctement.

Peut-être par ce que dans ses livres d'enfance, les cobayes remplaçaient les princesses et les seringues les baguettes magiques. Ou parce qu'il n'avait pas trouvé le mode d'emploi de l'être humain dans les rayons poussiéreux. Il n'y avait pas beaucoup d'exemples autour non plus. Peut-être, protéger des idéaux que l'on s'emploie à briser et vivre un rêve où les couleurs ne marchent pas avait étaient trop difficile.

Ce qu'elle voyait en cet enfant, outre la grâce qui le caressait, c'était sa vie. Lorsqu'il reposait, si simplement, elle pouvait la lire sur son visage...

Ce sourcil n'avait rien du pyromane. Ce nez semblait perdu, se dressant un peu, fier, cherchant comment s'enfuir de l'histoire dont il n'aimait pas l'attribution des rôles. Ces cils scellaient son sommeil dans un poème de délicatesse. La force avec laquelle ils embrassaient chaque joue laissait un peu deviner les images qui se jouaient derrière le papier glace...

Elle hésitait un peu. Elle ne savait pas s'il était prudent de décrire ses lèvres. Elle ne préférait pas. Pas pour l'instant.

Et quoi qu'il fasse, où qu'il aille, quoi qu'il dise, qu'il démontre ; dès qu'il s'allongeait et que son esprit s'envolait... en dépit des coups qui lestaient ses ailes ; dès qu'il s'envolait vers l'intimité de son royaume onirique, il se déshabillait pour ses yeux à elle.

Enfin non...

Pas exactement pour les siens. Mais pour tout coeur qui, débarrassé de la haine, aurait observé.

Observer.

Elle ne pouvait plus s'en empêcher ; c'était un trop beau voyage dont elle profitait. Elle naviguait dans les pages du conte d'un enfant voulu parfait. Même si l'innocence se déchirait chaque matin sur un monstre plus froid qu'avant – qui se voulait plus froid qu'avant. Qui l'était peut-être même moins – elle n'eût pas cédé ce voyage. Mais la quantité, pour ce qu'elle était jusque là, n'était pas vraiment très probante.

Et quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise – et oh, il s'appliquait à être haïssable – elle, ne voyait que l'enfant pour lequel elle avait tant et tant éprouvé.

Elle aurait voulu l'embrasser, essuyer ses larmes, baiser ses joues, et allumer dans son regard trop mûr l'étoile d'un sourire…

…mais ce petit garçon était un peu grand pour cela.

Et puis alors, cela changeait le sens des choses.

Elle, voulait juste qu'une nuit, peut-être un de celles-ci où ils marchaient vers un but soi dit secret couverts d'un prétexte facile pour leur compagnie, l'enfant lui ouvre les bras et pleure.

Il n'y avait pas de sentiment de défi ou de curiosité. C'était juste pour elle ; du pur et odieux égoïsme…

Après, il pourrait croiser ses bras couverts de piqûres, sécher ses larmes et froidement jauger les adultes.

Mais plus tard. Pas maintenant.

Elle ne savait plus à quel moment cet égoïsme avait pris le pas sur son sentiment du devoir. C'était devenu pour elle. Au point de déjà jalouser cette confiance pas même encore née. Elle s'en était pourtant rendue compte... mais c'était déjà trop tard.

Si elle avait pu éviter cela, elle aurait très certainement continué à lui porter ce regard, à lui sourire et chercher sa présence ; à vouloir le connaître. Il se suffisait déjà à lui même en matière de fascination.

Mais au moins elle n'aurait pas eu à accrocher son cœur au bout de la Masamune. C'est tranchant une Masamune. Elle avait bien eu le temps de s'en apercevoir.

Lorsqu'elle s'en sentait l'audace, elle s'approchait d'avantage. Elle savait qu'elle risquait sa vie, mais l'ayant quasiment déjà perdue, elle ne s'y accrochait encore que par nécessité. Elle voulait rester en vie pour pouvoir assister encore à un nouveau voyage et voir s'il y avait moins de chasseurs guettant l'hirondelle noire ; s'il y avait moins de pirates suivant la frégate.

Avec déférence et discrétion, en simple spectatrice, elle regardait la représentation onirique de cet homme inachevé continuer encore de construire même quand rien ne tenait.

À chaque fois que le sang de Nibelheim, ou qu'un souvenir noir calcinait son travail, le bourgeon de sa plante renaissait un peu plus loin, plein de ces espoirs aussi présents que tabous…

Elle savait tout cela inconscient. Mais ça n'en était que plus beau.

Il devenait vraiment difficile de ne pas rejoindre l'enfant ; de ne pas accourir pour l'envelopper, le cacher dans ses bras, tenter de le protéger de l'indifférence du monde…

Mais alors, l'enfant mourrait peut-être et elle, certainement.

Ce n'était pas un enfant comme les autres.

Il était un présent trop emballé ; une coulée rouge vermeille sur les premières neiges.

-- Sang ? Fraises ? Encre ?

Lequel, quels fruits ?

Et combien de pages…

C'était beau. C'était fascinant.

C'était bien.

Elle n'avait pas joué sa part de mascarade depuis bientôt un an ; c'était inutile dans ces conditions…

Ils allaient partout et nulle part. Ils étaient tout et personne. Il se disait libre, alors, elle pouvait aussi le prétendre...

Pourtant, elle savait que ce n'était pas normal ; que cela faisait trop de temps. C'était plus que les histoires ne l'accordent.

Il devait l'emmener à la cité interdite depuis tant et tant de mois maintenant…

Mais il refusait d'en parler. Il avait même trouvé une raison.

Elle ne savait plus laquelle.

Peut-être n'avait-elle pas écouté. Peut-être était-elle trop occupée à cacher son coeur. (Même s'il l'avait déjà attrapé, il n'était pas obliger de le savoir.)

Mais lorsque, parfois, sa joie glissait de dessous son propre son masque, devant les autres, il reprenait la bride. Lui, l'horrible monstre, traînant cruellement derrière lui son innocente prisonnière.

C'était clair, non ? C'était évident.

Y voir quoi que se fut d'autre était ridicule.

N'était-ce pas le grand général ?

N'était-ce la pauvre petite vendeuse de lis ?

'Ridicule.'

Alors elle obéissait. Elle redevenait la victime charroyée, et lui l'être malsain, instable, oppressant ; l'idéal cauchemardesque. Ca ne l'embêtait plus maintenant. Elle n'aimait pas trop l'attribution des rôles, mais bon, il était têtu lui aussi. Ce n'était pas grave d'avoir à faire semblait pour les autres lorsqu'ils traversaient une ville. Non ; pas lorsqu'il y avait tant de liberté à la clé…

Et puis lorsqu'elle s'en sentait l'audace elle se rapprochait d'avantage. Mais seule la robe du crépuscule se prêtait à ce jeu.

N'était-il pas effrayant ? N'était-ce pas rapide ? La peur était une chose trop dangereuse. Il pouvait la tuer avant qu'elle n'achève sa mission. Ou bien… la refuser. Non ; seule la robe du crépuscule se prêtait à ce jeu…

(Mensonge. N'est-ce pas ?)

C'était ennuyeux. Elle avait, semblait-il, déjà oublié comment mentir. (Se mentir. Se mentir.)

La seule raison qu'il lui restait vraiment et justifiait ce voyage nocturne où il était si pur, était qu'alors, il lui appartenait un peu… Dans ces instants, elle n'avait pas à craindre de se dévoiler, car c'était de lui qu'il s'agissait, et non d'elle. Bref répit pour la cetra, il était simple de garder le cap avec ces oasis où l'âme d'une étoile voyait glisser ses masques et essayait de respirer avant de replonger dans l'abîme.

Seule la robe du crépuscule se prêtait à ce jeu…

Ces moments secrets n'étaient qu'à elle. Ils ne le concernaient pas assez pour qu'il les sache...

Elle le caressait d'un regard minutieux, puis approchait sa main du visage. A chaque fois, l'interdit la traversait comme un frisson. Mais… qui l'avait placé ?

Elle approcha le poignet de ses lèvres et ferma lentement les yeux, aussi chancelante que ferme sur ses pieds. C'était devenu une sorte de drogue et elle en était plus qu'ivre. Ivre de son enfant et totalement, incroyablement jalouse...

Elle approcha son poignet de ses lèvres et ferma lentement les yeux.

Oui ces lèvres...

Elles... Elles semblaient retenir des larmes muettes, tout en se moquant de la couleur du monde. Elles parlaient de prédation meurtrière mais elles scellaient des promesses dorées.

Elles étaient pourtant roses. Si simples et si pales. Elles étaient probablement chaudes ; son souffle sur son poignet ne la brûlait-il pas ? Ces lèvres devaient être immensément douces. Puisque sa bouche refoulait et gardait ses rêves. Ces lèvres, aucun doute, ne demandaient qu'à être caressées. C'était certain.

Même si elles ne le savaient pas.

Et puis, c'était cet enfant qu'elle avait envie d'étreindre. Juste lui.

Mais cela ne changeait pas le fait qu'alors, la pureté de son sommeil le quitterait aussitôt, et ce ne serait plus un enfant . . .

Elle l'avait déjà touché cet enfant. Ce magnifique enfant.

Lorsque les voiles macabres de l'horreur enserraient son coeur ; lorsque ces traits innocents se courbaient de douleur. Le coeur déchiré, il lui était impensable de ne pas l'en libérer. Elle avait déjà essayé de l'éveiller autrement, mais sans succès. Seul ce contact ; sa paume contre son épaule, lui permettait de s'échapper des griffes de Wutai et de Nibelheim.

Oh il s'était éveillé en sursaut ; ce qui n'avait pas aidé à améliorer son humeur. L'enfant s'était effacé quelque part, dans un endroit qu'elle n'avait pas pu trouver, et il avait sortit son épée, lui présentant l'estoc.

Mais voilà, le bref souvenir de ses ombres parvint très tôt à lui changer les idées. Il n'était pas si mal d'avoir été réveillé.

Cela signifiait, en outre, qu'elle l'avait vu. Et alors, c'était compliqué. Elle se demandait souvent si la superbe de sa fierté venait plus de sa nature que de sa formation Shinra. Peut-être, sans doute y avait-il des deux...

Heureusement, ayant trouvé assez d'excuses pour ne pas la tuer, il avait retenu un soupir.

'Fatigué, soldat ?' pouvait-elle l'imaginer se demander lors d'une de ses pointes d'auto-dérision.

Chaque nuit, elle était là, penchée sur lui, parcourant des yeux son sommeil, attendant la chute de l'oiseau pour le garder des vautours.

À chaque aube, l'aspirant dieu reprenait ses masques ; et en chaque matin, la fille à l'âme cetra veillait sur leurs tabous.

On eut pu dire qu'une sorte d'accord était tacitement né.

Les sourcils de l'endymion se plissèrent et un souffle saccadé s'échappa de ses lèvres. Au dessus de lui, elle ferma sa main en un poing raide. La subtilité de son expression de détresse était d'autant plus douloureuse à regarder, mais pour rien au monde elle ne le pouvait le quitter du regard.

Elle s'apprêta à le tirer de ses ombres oniriques. Un dernier tremblement fit pourtant glisser sa main. Inconsciemment ses doigts trouvèrent la gorge même d'où était sorti un nom devenu insupportable.