Eau de rose
Avertissement : SK pas à moi (sinon on aurait eu du TamHao dans Flowers).
Note : Ça faisait longtemps que je n'avais plus écrit autant d'une seule traite. Je suis contente. J'espère que ça vous plaira :)
Personnages : Tamao, Jeanne, Hao
Tamao – La pluie ou le soleil
Compliqué. C'était un bon mot pour synthétiser les sentiments de Tamao. Compliqué parce qu'elle n'arrivait pas à savoir si ce qu'elle ressentait pour Jeanne était juste de l'amitié et ce qu'elle ressentait pour Hao juste les restes d'un vieux béguin. Compliqué parce que quand aucun des deux n'était là, elle se sentait comme une âme perdue, repensait à la veille où Hao est venue l'embêter, prévoyait le lendemain où elle devait retrouver Jeanne en ville. Compliqué parce que si ce qu'elle ressentait était vraiment de l'amour – ce qu'elle pressentait malheureusement quand elle analysait clairement ses réactions – elle réalisait qu'il allait falloir faire un choix. Hao ou Jeanne.
Quand elle était la disciple de Mikihisa, elle avait noué un lien très fort avec cet unique adulte qui s'occupait d'elle et lui apprenait tout ce qu'il savait. Il était clair qu'il faisait augure de figure paternelle, sans être tout à fait son père quand même. Il l'avait confiée à Yohmei à quelques occasions. La première fois, elle n'avait pas décroché un seul mot, mais elle observait les entraînements de Yoh en cachette de derrière les arbres. Il ressemblait à son père. Il faisait beaucoup d'efforts pour être un bon shaman. Il était le premier garçon de son âge qu'elle côtoyait réellement. Il était très gentil. Mikihisa lui avait dit qu'elle devait l'épouser.
C'est à ce moment-là qu'elle s'était mise dans la tête qu'elle était amoureuse de lui et qu'elle ne laisserait rien de mal lui arriver. Apprendre plus tard qu'il était en fait fiancé à une autre n'avait rien changé à cela. En fait, ça n'avait pas été trop douloureux, ça l'avait faite rêver. Même aujourd'hui, elle n'arrivait pas à savoir si le pire avait été de savoir qu'elle ne pourrait jamais être avec Yoh ou qu'elle ne serait jamais aussi forte qu'Anna. Quand ils étaient partis faire le tour du monde ensemble après le Shaman Fight et qu'elle s'était enfin sentie prête à oublier Yoh, elle aurait pu espérer tomber amoureuse d'un garçon mignon qu'elle aurait rencontré au lycée. Mais non. Au lieu de cela, elle s'était retrouvée à tisser des liens un peu trop forts avec Sa Sainteté l'Iron Maiden Jeanne et une relation pas très innocente avec Sa Majesté le Roi des Shamans. Elle n'aurait su dire lequel des deux était le plus inaccessible.
Après le Shaman Fight, Jeanne n'avait pas voulu rentrer en Europe. Les X-laws s'étaient reconvertis en fondation humanitaire et leur QG mobile s'était ancré dans la baie de Tokyo. Elles avaient commencé à se voir, la première fois car Jeanne voulait tenir sa promesse de faire essayer des vêtements à Tamao. Cette dernière avait bien tenté de refuser, mais la française était vraiment très enthousiaste et voulait en profiter pour essayer des pantalons, alors ça ne servait à rien de protester.
Elles avaient passé un super après-midi. Tamao n'était pas tout à fait détendue et détournait timidement la tête quand Jeanne se changeait mais Jeanne semblait n'y accorder aucune attention. En même temps, plus d'une centaine de personnes avaient déjà pu admirer ses sous-vêtements lors de son match contre les Nails.
Après cela elles s'étaient revues. Puis re-revues. Puis re-re-revues. Elles passaient de plus en plus de temps ensemble, à manger des glaces, à faire les boutiques, à visiter Tokyo. Tamao avait emmené Jeanne partout et répondait chaque jour avec plaisir aux questions de l'occidentale sur la culture japonaise.
Dans le même temps, Tamao avait commencé à recevoir les visites du roi. Comme Yoh avant lui, Hao trouvait qu'on voyait bien les étoiles depuis le cimetière, même si cela laissait Tamao perplexe. Il y avait sûrement plein d'autres endroits sur Terre depuis lesquels on voyait mieux les étoiles que depuis un cimetière dans une des villes les plus peuplées du monde.
Il avait confié Opacho aux Hana, ce qui l'obligeait à passer à l'auberge au moins une fois par semaine si ce n'était une fois par jour, sans quoi le petit garçon faisait une dépression. Mais il ne repartait jamais les mains vides ; Tamao avait fait le compte. Elle avait déjà vu disparaître tout ou partie des cookies et gâteaux qu'elle aimait préparer, égaré des crayons, des pastels et des peintures, fait une croix sur deux disques de musique, racheté trois peignes et perdu plus d'une centaine d'élastiques – même s'il fallait admettre que Mari et Macchi y étaient sûrement aussi pour quelque chose. Sans parler de ses dessins : une mer, un parc, une carafe, un Yoh, deux ou trois Opacho et un Jeanne qu'elle n'avait même pas eu le temps de finir et dont elle se demandait qu'elle utilité il pouvait bien en avoir. Elle s'était également résigné à ne plus acheter de lotion de cheveux bas de gamme, considérant leur disparition systématique comme un message.
Ils ne parlaient pas beaucoup, mais les regards qu'ils échangeaient lors de ses visites en disaient longs et Tamao finissait presqu'une fois sur deux par détourner la tête avec le feu aux joues. Une fois sur deux seulement. Et les fois où il la frôlait dans les couloirs et où son visage s'enflammait ne comptaient pas.
Quelques fois, ils s'étaient retrouvés tous les trois. Jeanne, Hao et elle. La première fois, elle avait été étonnée que ça ne vire pas à la catastrophe. Ils s'étaient salué avec amabilité, s'étaient assis chacun d'un côté de Tamao et avaient fait la conversation avec les Hana, Ryu, Manta et Opacho. Tamao avait aperçu du coin de l'œil Tokagerô empocher ce qu'il avait misé avec Ashcroft, Ponchi et Conchi.
La deuxième fois par contre, cela avait tourné à la bataille rangée. Canna avait lâché une remarque un peu trop hasardeuse et pas suffisamment enrobée de miel au sujet des X-laws. Jeanne avait répondu avec un soupçon d'agacement, Hao avait lancé une remarque un peu moqueuse, Jeanne avait pincé les lèvres et l'on pouvait dire que la paix était enterrée. Le reste de l'après-midi n'avait été que regards furieux, hautains, méprisants ou moqueurs, ponctués de remarques lancées en l'air mais terriblement acides.
Tamao avait dû faire face à de vrais dilemmes. Quelle était la meilleure manière d'étendre les vêtements ? Dans quel sens fallait-il accrocher les pinces à linge ? Devait-elle aller prendre le soleil dans le jardin avec Opacho et Hao ou écouter de la musique avec Ryu, Manta et Jeanne ? Trouvait-elle que X-Charity était un nom stupide ? Ne pensait-elle pas que les chats étaient des animaux paresseux, bons à rien et insupportables ?
Et quand au milieu de l'après-midi elle pensait avoir trouvé une solution pour apaiser les esprits et proposé de faire des crêpes, il fallut trancher sur le parfum. Hao préférait rhum, Jeanne la fleur d'oranger. Tamao avait fini par faire deux saladiers de pâte différents et, contrairement au dicton, la nourriture ne les avait pas réconciliés. A qui devait-elle passer le sucre en premier quand ils le demandaient en même temps ? Ne pouvaient-ils pas attendre que ce soit Ryu qui soit en train de se servir pour la réclamer ?
- Tamao, j'ai cassé tous mes crayons de couleur, déclara Opacho. Je pourrai en ravoir ?
- Heu oui, b-bien sûr, fit-elle d'une voix étranglée en donnant sans y réfléchir le sucre à Jeanne qui était à sa droite.
Elle aperçut toutefois le regard triomphant que la jeune fille lança à Hao sans que ce dernier ne se sépare de son sourire.
- Je pourrai avoir surtout des orange ? C'est la plus jolie couleur.
- J-je ne sais p-pas, répondit Tamao, doutant qu'il existe des pochettes avec juste des crayons orange. Je regarderai ce que je trouve.
- Le bleu, c'est très joli aussi, lança Ryu, espérant ramener les conversations sur quelque chose de neutre.
Les couleurs, ça paraissait inoffensif comme sujet, mais Tamao avait un mauvais pressentiment.
- Orange c'est mieux pour Opacho, répondit l'enfant. Opacho s'habille en orange.
- C'est juste parce que tu es habitué, intervint Canna. Regarde Mari, elle portait que du noir et maintenant elle met surtout du violet et ça lui va très bien.
- Mari veut que Macchi mette du bleu-gris.
- Pas question, répliqua la rousse.
- Mari veut, insista sa camarade.
- Demande d'abord à Tamao de s'acheter des robes.
- On pourra aller faire les magasins ensemble, s'enthousiasma Jeanne. J'ai repéré de très chouettes magasins de robes.
- Noires, enchaîna Hao.
- Blanches, rétorqua Jeanne.
- Rouges.
Tamao se leva et se rendit à l'évier pour se laver les mains, mais surtout pour cacher ses joues cramoisies. Elle avait l'impression d'avoir de l'acide dans la gorge et n'en revenait pas elle-même d'avoir osé ouvrir la bouche. Ses oreilles sifflaient mais elle entendit quand même la voix légère d'Hao commenter que cela lui irait sans doute très bien.
Les conversations reprirent, formant un brouhaha qu'elle n'arrivait pas à déchiffrer.
Quand les battements de son cœur eurent repris un rythme normal et que l'eau fraîche sur ses poignets l'eut aidé à se calmer, elle retourna s'assoir entre Hao et Jeanne. Cette dernière lui sourit franchement mais ne fit aucun commentaire.
- Elles sont très bonnes tes crêpes, Tamao, lui lança Manta depuis l'autre bout de la table.
- Merci, répondit-elle d'une toute petite voix.
Le goûter s'était achevé dans une ambiance plus sereine qu'il n'avait commencé et Jeanne avait pris congé – Marco s'était excusé d'être en retard car il avait dit qu'il viendrait la chercher à 17h00 et qu'il était 17h03 – sans qu'aucune pique supplémentaire n'ait été lancée. Jeanne avait juste adressé un regard un peu contrarié à Tamao avant de partir, mais elle n'arrivait pas à savoir si c'était pour elle ou pour Hao qui était juste derrière elle, si près qu'elle pouvait sentir ses doigts effleurer les siens.
Les fois suivantes où Hao et Jeanne s'étaient rencontrés, Tamao avait pu sentir une certaine tension dans l'air, comme une ambiance de duel, mais chacun s'était abstenu de faire des remarques désagréables et Tamao avait réussi à partager son temps entre l'un et l'autre, non sans relever de temps à autres des regards un peu amènes ou moqueurs entre les deux grands shamans.
Elle les aimait beaucoup tous les deux, d'où ses tourments, et aurait bien eu besoin de formaliser tout cela pour essayer de tirer au clair ses sentiments. Comme elle ne s'imaginait pas parler de tout cela à qui que ce soit, elle avait acheté un calepin, comme un journal intime, mais maintenant qu'elle était assise en tailleur sur son futon, elle n'osait pas écrire. D'une part, cela ne lui était pas naturel. D'autre part, Hao avait l'air d'avoir pris l'habitude de fouiller partout – même si rien de ce qu'il avait jamais pris n'ait été dans sa chambre, raison pour laquelle elle ne laissait plus traîner ses dessins et affaires dans le salon – et elle n'avait vraiment pas envie qu'il tombe dessus.
- Qu'est-ce que vous faites ?
Ponchi et Conchi étaient chacun perché sur l'une de ses épaules, les yeux rivés sur son journal.
- On attend que t'écrives quelque chose, pourquoi ? répondit Ponchi.
Tamao referma le calepin avec un bruit sec et soupira.
- Vas-y Tam, crache le morceau, fit Conchi. On est tes fantômes gardiens, tu peux tout nous dire.
- Ouais, renchérit Ponchi. On peut être des fantômes gardiens de secrets si tu veux.
Tamao hésita. Même si elle avait voulu leur en parler, elle ne savait pas par où commencer. Par le fait qu'elle était amoureuse ? Par Jeanne ? Par Hao ?
- Je…
Elle buta sur les mots mais ses fantômes se montrèrent exceptionnellement attentifs et silencieux.
- Je crois… je… amoureuse.
Le dernier mot avait été chuchoté.
- De Jeanne ?
- D'Hao ?
Le renard et le tanuki échangèrent un regard perplexe après avoir parlé en même temps. Etait-elle si transparente ?
- Justement…
- Justement quoi ? voulut savoir Conchi.
- Je… je ne sais… pas.
Nouvel échange de regards perplexes de la part de ses fantômes.
- Tu es amoureuse des deux quoi, résuma Ponchi.
- Crétin ! Ce n'est pas possible ça ! Et puis comment tu veux qu'elle soit amoureuse de Jeanne, c'est une fille ?
- Et toi comment tu crois que c'est possible qu'elle aime Hao ? C'est un fantôme ! Il est mort.
- C'est pas parce qu'il est inaccessible qu'elle ne peut pas l'aimer. Comme pour Yoh.
- C'est vachement plus intelligent d'aimer Jeanne, rétorqua Ponchi.
- Pas du tout, s'offusqua Conchi.
Le renard et le tanuki se jetèrent l'un sur l'autre et se mirent à se battre sous le regard désespéré de Tamao.
- A-arrêtez…
Ils semblaient ne plus l'entendre.
- Stop !
Cette fois elle avait levé la voix et les avait séparés de force en leur administrant un bon coup de poing à chacun.
- Désolée, lâcha-t-elle un peu sèchement alors qu'ils restaient silencieux, attendant qu'elle parle.
- Sois pas désolée, on sait très bien que tu nous frappes quand on dépasse les limites, on ne sait juste jamais à quel moment les limites sont sur le point d'être dépassées, la rassura Conchi.
- Ouais, comme avec Anna.
Le renard flanqua un grand coup de coude dans le ventre de son partenaire qui poussa un cri plaintif. Tamao ne se formalisa cependant pas qu'ils parlent d'Anna. Pas sur le coup. Puis elle s'appuya contre le mur et ferma les yeux, se souvenant que c'était Anna qui avait plu à Hao, comme c'était Anna qui plaisait à Yoh.
- Je ne sais pas à quoi t'es en train de penser, mais ça a l'air de te rendre triste alors tu ferais mieux de penser à autre chose, fit sévèrement Conchi.
Cela tira un sourire à sa petite maîtresse.
- Ryu doit être revenu des courses. Je vais aller voir s'il a besoin d'aide pour cuisiner, décida-t-elle, pour se forcer à se changer les idées.
Ryu venait juste de revenir des courses. Il devait déjà être dans la cuisine pour ranger ses achats, en particulier les produits frais, mais Tokagerô était encore dans le salon avec tout le monde et semblait avoir quelque chose d'extraordinaire à annoncer aux Hana.
- Vous ne croirez jamais ce qu'on a vu en passant devant le petit café à côté de la supérette ! disait-il.
- Crache le morceau, s'impatienta Canna.
- Hao et Maiden, annonça Tokagerô. Là, assis à une même table, en train de manger des glaces. Je dis pas que c'était l'amour fou entre eux, mais je sais reconnaître un rencart quand j'en vois un, et c'en était un.
- Et d'où tu sais reconnaître un rencart ? ricana Macchi.
- Leurs jambes se touchaient sous la table, répliqua au tac-au-tac. Tu m'expliques comment ça se ferait si c'était pas un rencart ? J'ai six ans gamine, je sais repérer deux fauves qui se tournent autour avant de…
- Tu peux pas la fermer.
Ryu était sur le seuil de la cuisine et semblait de mauvaise humeur.
- Tamao, j'aurai besoin de toi pour les légumes. Si je m'en occupe en plus des sushis, on mange pas avant la nuit.
La jeune fille hocha lentement la tête et le suivit dans la pièce d'à côté.
Elle s'était figée net en entendant les déclarations de Tokagerô et elle se sentait désormais toute vide. Elle se mit à peler les asperges, puis les mangues, mais sentit les larmes lui monter aux yeux petit à petit.
Qu'est-ce qu'elle avait bien pu aller s'imaginer ? Hao ? Jeanne ? Choisir ? N'importe quoi, pour qui se prenait-elle ? Avait-elle oublié qu'elle était toute petite ? Hao avait besoin d'une femme forte, avec du répondant, comme Anna. Et Jeanne… Jeanne avait besoin d'un mari. Et Jeanne ferait une très bonne First Lady.
- Tamao ?
Elle releva la tête vers Ryu.
- Tu sais que si tu as besoin de moi, pour quoi que ce soit, je suis là ?
Il semblait soucieux.
Tamao secoua la tête pour signifier qu'elle le savait. Si elle essayait de parler, elle sentait qu'elle éclaterait en sanglots.
Elle découpa les mangues en petit morceaux pour que Ryu puisse les incorporer à ses sushis, lava quelques feuilles de menthes et disposa les asperges dans un joli plat.
- Tu connais la différence entre un lion, une panthère et une chatte ?
- N-non.
Ryu lui sourit.
- Il n'y en a pas. Ce sont tous les trois des félins.
Tamao cligna des yeux et Ryu, tout en gardant son sourire doux, se reconcentra sur son riz qui venait de finir de cuire.
- Je monte… me reposer un peu, avant le dîner, déclara-t-elle en essayant de maîtriser les trémolos dans sa voix.
Pourtant, sans qu'elle ne sache l'expliquer, les paroles de Ryu avaient réussi à la réconforter et elle se sentait un peu mieux.
Tamao était assise sur le rebord de sa fenêtre, une jambe dans le vide, l'autre servant d'appui à son carnet à dessins. Cela devait bien faire une heure qu'elle dessinait. Une esquisse de bateau, un désert brûlant, l'arène du Shaman Fight, Ponchi et Conchi, Anna. Le premier dessin, le bateau, était humide aux endroits où étaient tombées ses larmes.
Si dessiner l'avait apaisé, cela lui avait aussi permis de prendre du recul, de mettre une barrière entre elle et ce qu'elle ressentait, de s'élever.
Avec les déclarations de Tokagerô, elle revoyait plein de choses d'un nouvel angle. Le vol du portrait de Jeanne par Hao, par exemple. Leurs confrontations régulières et plus ou moins déclarées, qu'elle avait arbitré à ses dépens, distribuant des points à l'un ou à l'autre. La contrariété de Jeanne quand Hao l'approchait. Leurs tentatives d'attirer son attention pour qu'elle soit avec l'un et pas avec l'autre. Elle s'était fait prendre dans un jeu terriblement cruel dans lequel elle n'était rien. Toute petite petite chose.
Cela la rendait triste mais aussi, curieusement, en colère. C'était étrange, elle ne s'était jamais mise en colère contre Yoh ou Anna.
Elle entendit Jeanne arriver, pousser le portail de l'ancienne auberge et la héler depuis le jardin. Elle ne tourna pas la tête et fit comme si elle n'avait pas entendu.
Leur invitée finit par sonner à la porte sans que Tamao n'ait bougé et, alors même qu'elle ne pouvait pas ne pas avoir entendu le dring retentissant, elle ne cilla pas, continuant de crayonner tranquillement les cheveux d'Anna.
- J'aurai dû venir plus tôt.
Tamao sursauta brusquement et faillit en lâcher son carnet à dessins.
Hao venait de se matérialiser à côté d'elle, marchant nonchalamment dans les airs, un bras contre le mur, l'autre sur le rebord à quelques centimètres de sa hanche. Son visage était penché vers elle et elle pouvait sentir le bout de ses cheveux lui chatouiller le cou.
Elle remonta vivement celle de ses jambes qui pendait dans le vide et se releva maladroitement, s'éloignant du rebord de la fenêtre.
Hao rit en enjambant le rebord pour entrer dans sa chambre.
- Qu-qu'est-ce que… qu'est-ce que vous f-faites là ? réussit à balbutier Tamao en cherchant à remettre de la cohérence dans ses pensées.
- Je m'invite à dîner, répondit Hao avec un grand sourire comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.
- Les gens civilisés passent par la porte, lança hardiment Ponchi.
- Ouais, renchérit Conchi.
Hao haussa un sourcil et les deux esprits se recroquevillèrent derrière Tamao. Cette dernière serrait son carnet contre sa poitrine sans lâcher Hao du regard. Elle essayait de garder une contenance mais il la prenait totalement au dépourvu.
La porte de la chambre s'ouvrit violemment et Jeanne déboula dans la pièce. Elle avait les joues rouges comme si elle venait de courir et ne semblait pas surprise de trouver Hao. Tamao imaginait qu'elle avait dû sentir sa présence. Après tout, Jeanne était de la catégorie des Dieux.
- Toi.
Elle semblait offusquée.
Hao éclata d'un rire méprisant et Tamao comprit son erreur. Elle s'était tournée vers la porte quand Jeanne avait fait son entrée fracassante, elle avait lâché Hao des yeux, elle lui avait presque tourné le dos…
Avant qu'elle ne puisse réagir, il était dans son dos, tenant d'une main sa taille et de l'autre sa main droite, celle qui ne tenait son carnet.
- Nous étions en train de discuter, tu ne veux pas nous laisser un peu d'air ?
Tamao avait chaud. Heureusement – ou malheureusement, elle n'aurait trop su le dire – pour elle, Jeanne n'avait pas l'intention de les laisser. Un éclat de colère passa dans ses yeux, ou du moins Tamao supposa que c'était de la colère, elle ne se rappelait pas avoir jamais vu Jeanne s'énerver vraiment, et la jeune fille se jeta sur eux.
Tamao ne comprit pas trop ce que Jeanne avait l'intention de faire mais Hao menait la danse et ils se retrouvèrent tous les trois allongés un peu pêle-mêle sur le futon. Au moins le Shaman King avait-il su se rendre utile en amortissant leur chute.
Jeanne roula au-dessus d'eux et Tamao se retrouva entre elle et Hao, qui avait lâché son bras mais avait toujours une main sur sa taille. Tamao ne pouvait pas voir Hao mais elle faisait face à Jeanne et les regards furieux qu'elle envoyait au shaman ne lui échappèrent pas.
Elle commençait à avoir vraiment très chaud et n'osait plus bouger, sentant plusieurs sources de chaleur inconnues autour de ses jambes. Un rapide coup d'œil lui appris qu'il s'agissait tout à la fois des jambes de Jeanne et de celles de Hao qui venaient se superposer sur les siennes. En plus de cela, Jeanne l'écrasait à moitié et le corps du jeune homme contre elle était brûlant. Pas étonnant qu'elle trouve qu'il fasse chaud…
Ils restèrent un moment comme cela, tous les trois allongés sur le futon, en silence.
Tamao pouvait sentir le torse d'Hao se soulever et s'abaisser régulièrement contre son dos et voyait le visage de Jeanne se décrisper. La jeune fille sainte attrapa une de ses mains dans les siennes et ferma les yeux. Durant un instant, un court instant, Tamao se sentit bien.
Ensuite, elle se refit la scène en pensée, rappela à sa mémoire les paroles de Tokagerô et se crispa. Elle se mordit les lèvres pour s'empêcher de pleurer et se força à bougea.
Jeanne la lâcha quand elle se redressa et les deux grands shamans démêlèrent leurs jambes pour lui permettre de se lever si elle le souhaitait.
- Je ne suis pas un jouet.
Elle avait presque murmuré les mots tant ils lui arrachaient la gorge, mais il fallait que ce soit dit.
Elle voulut se lever mais Hao attrapa sa main et l'en empêcha.
- Que…
- Bien sûr que non, déclara Hao, coupant Jeanne.
Tamao sentit ses lèvres effleurer sa main mais se refusa à le regarder.
- Mais ne t'inquiète pas, ajouta-t-il d'une voix terriblement mielleuse, tu n'es pas la pire.
- Je ne comprends pas, intervint Jeanne.
- Evidement, répliqua aussitôt Hao. Tu es celle de nous trois qui comprend le moins ce qu'il se passe.
Tamao n'avait pas besoin de voir Jeanne pour sentir qu'elle était terriblement vexée.
Hao libéra sa main sur un baiser et se leva prestement.
- Finalement je ne resterai pas dîner, déclara-t-il. Je vais vous laisser discuter tranquillement de tout ça entre vous, vous n'aurez qu'à m'appeler quand vous serez tombées d'accord.
Tamao leva un peu les yeux vers lui, suffisamment pour voir sur son visage d'abord moqueur se dessiner un sourire dangereux.
- Oh et ne vous inquiétez pas, si vous ne comprenez pas je me ferai un plaisir de venir vous expliquer plus clairement.
Tamao frissonna.
- Bonne soirée.
Et sur une pirouette, Sa Majesté se volatilisa.
Tamao resta un moment interdite, essayant de comprendre ce qu'il avait voulu dire sans y parvenir. A côté d'elle, Jeanne se releva et réarrangea sa robe.
Tamao attendit qu'elle parle la première, sans doute pour lui demander des explications. C'était cela que souhaitait Hao ? Qu'elle s'explique sur les sentiments qu'elle nourrissait pour lui ? Pour elle ? Pour eux ? Qu'elles se mettent au clair, que Tamao garantisse qu'elle n'avait pas l'intention d'être un obstacle dans la relation entre Jeanne et Hao ?
Beaucoup de choses lui tournaient dans la tête et aucune n'était réjouissante. Si Jeanne avait presque démoli la porte de sa chambre en sentant la présence d'Hao, c'était forcément parce qu'elle était jalouse. C'était cela qui devait amuser le roi, faire tourner en rond sa petite amie, Jeanne, en se servant de Tamao pour cela.
Le penser clairement lui donna de nouveau envie de pleurer. Elle se fit toutefois violence pour retenir ses larmes et glissa un coup d'œil vers Jeanne.
- On va manger ? finit simplement par demander cette dernière.
