Lointain

Mourir est un pays que tu aimais Je viens mais éternellement par tes sombres chemins.

Tu es là. Silencieux. Caché en toi même.

A l'intérieur de ce corps, loin derrière ces façades, il y a toi, que je cherche à connaître, que je veux reconnaître.

Je lutte contre toi, ta froideur, ton rejet.

Tous ces murs construits pour te protéger. Mais de quoi?

Je ne prétends à rien. Ni te sauver, ni même te comprendre. Juste partager, alléger ton fardeau sans poser de questions.

Mais il y a ces murs, il y a aussi ton orgueil.

Cet orgueil absolu qui me refuse à toi.

Qui te pousse à conserver ta souffrance pour toi seul, toi, un Job méconnu.

Pour t'absoudre, il te faudrait un dieu qui aurait tout vu, tout vécu, même l'enfer. Surtout l'enfer.

Tu rêves d'un être à qui tu pourrais tout dire de toi et qui te dirais:

"Je te pardonnes. Lèves toi, vas, je laisse ma vie entre tes mains."

Même alors. Il n'aurait pas compris. Et il te faudrait tout recommencer du récit de ta vie.

Mais par où commencer?

Quel est le début de nos actes?

Quand es-tu devenu cet être solitaire?

Il m'est impossible de me dire que tu as toujours été ainsi.

Il y a en moi le fol espoir de penser que tu aurais pu être tout autre, riant, heureux, un être de bonheur.

Mais t'aurais-je aimé alors? Je me pose souvent la question.

Je ne demande rien que de t'aimer. De loin, puisque tu ne me veux pas à tes côtés. En silence, puisque même ma voix t'insupporte. Sans te voir, puisque tu rejettes jusqu'au moindre regard de tes yeux sombres.

Juste qu'il me soit permis de t'aimer.

Juste que tu acceptes qu'un être dans ce monde pense à toi, autrement qu'à l'image que tu veux bien te donner.

Sans doute ne comprendras-tu pas mes sentiments, mais qu'importe.

Ainsi cette incompréhension sera notre unique lie, que je chérirais.

Tu ne veux rien de moi, ni mon amour, ni ma jeunesse.

Et bien, je ne te les donne pas, je les garde en moi, souverains.

Ce n'est pas un sacrifice. Non, ne crois pas cela.

Je ne me sacrifie pas sur l'autel de l'amour.

Bien au contraire. Mon amour va vivre. Loin de toi, mais vivre.

Après tout, ne suis-je pas libre?

Il m'est amer de penser que cette liberté m'est imposée.

Mais cet assujettissement si étrange me vient presque de toi.

A ton insu, tu m'as donné quelque chose.

Comme tu serais furieux d'en avoir conscience!

Je ne t'aimerais peut-être pas toute ma vie. Je refuse de faire une telle promesse, qui sait ce que la vie me prépare?

Peut-être rencontrerais-je un homme qui fera frémir mon corps et vibrer mon cœur!

Mais je sais que lorsque je serais vieille, lorsque avant de partir, je regarderais derrière moi, je te verrais toujours fidèle à toi même, debout, sombre et lointain. Seul au milieu de tous ces autres, à lutter contre toi même.

Et j'aurais alors, moi aussi, le fol orgueil de me dire que j'ai peut-être, au contraire de tous, vu qu'il y avait autre chose sous cette cape noire que tu arbores. Un mystère non élucidé.

Et je partirais avec l'illusion d'avoir eu un rôle, même passif, même inconnu de toi, dans ta vie.

Tu existes autrement pour moi. Peut-être est-ce un mensonge! Peut-être es-tu réellement cet être qu'ils décrivent. Mais je me refuse à penser que mon cœur se trompe.

Et quand bien même, je conserverais cet amour de toi parce que lorsque je vois ma vie, je sens qu'il est ce qui m'est arrivé de plus beau et que toute vie ne devrait être que beauté!

Ces mots qui me traversent ne t'atteindront jamais.

L'éternité serait trop courte pour qu'ils fassent le chemin jusqu'à toi,

Ô mon lointain!

On retrouva leur corps le lendemain, après leur unique nuit de lumière, noyés dans le lac. On trouva dans le bureau de Severus Snape une lettre de Hermione Granger:

"Tout n'est que luxe, calme et volupté

Offrons-nous le luxe au moins une fois,

Moi de t'apporter le calme,

Toi de m'apporter la volupté."

Le mystère sur les évènements demeure entier.

Leur amour vit encore au travers de la longue lettre de la jeune femme, trouvée par hasard, aujourd'hui dans l'un des tiroirs du bureau d'Albus Dumbledore.

Ici, quelques références:

Bonnefoy, la première ligne est tiré de son poème Vrai nom, in Du mouvement et de l'immobilité de Douve.

Cioran, notamment De l'inconvénient d'être né

Mauriac, extrait de Thérèse Desqueyroux

Baudelaire, Invitation au voyage, in Les fleurs du mal.