CHATON

Chaton est une nouvelle fanfiction que je ne pensais pas vraiment finir un jour. Pourtant, la voilà. Une trentaine de chapitres au compteur, elle sera publiée au rythme d'un chapitre, chaque mercredi.

Je suis très heureuse mais en même temps très anxieuse de vous la présenter. Cela fait plusieurs années qu'elle me trottait en tête et il aura fallu des mois et des mois d'écriture intensive pour en venir à bout. Il restera sûrement des coquilles, des erreurs ou des imperfections mais le moment est venu de couper le cordon.

En quelques mots, pour ne pas vous prendre en traître: c'est un post-Poudlard, très axé sur le Quidditch (mais très) et les personnages secondaires, avec des points de vue multiples, des OCs et certainement de l'OOC. Oui, ça fait peur... Mais si vous avez aimé "Dieux du Stade", vous devriez vous y retrouver.


Avertissements

J'ai essayé de respecter au maximum le matériel laissé par JKR ("copyrightons" tout ce qui est à elle) mais j'ai dû malgré tout faire quelques belles entorses au canon. Vous trouverez donc des adaptations chronologiques et l'insertion dans le monde sorcier de la télévision.

J'ai choisi le rating T pour les thèmes abordés et le vocabulaire de certains personnages. Âmes sensibles, vous le savez désormais.

Il y a beaucoup, beaucoup de Quidditch et d'OCs, je préfère aussi que vous le sachiez. A chaque chapitre, un petit récapitulatif sera fait.


Remerciements

Comme je ne suis pas certaine que vous me suiviez jusqu'au bout de cette trentaine de chapitres, je tiens à les faire dès à présent.

Merci à Blue Cinnamon, Clochette et Cybèle Adam, qui ont été d'adorables alpha-lectrices sur les premiers chapitres et qui m'ont conforté par quelques mots dans l'idée que cette histoire pouvait exister.

Merci aux gens du LJ et de passage pour leur soutien et leurs mots d'encouragements. Merlin sait pourtant que le sujet avait de quoi rebuter.

Merci aux lecteurs et revieweurs pour vos messages, votre confiance et votre soutien durant ces mois d'écriture (vous ne vouliez souvent pas entendre parler de Chaton, mais je parvenais toujours à en glisser quelques mots !)

Et surtout, tant pis pour le méga cliché, un immense merci aux sportifs, aux entraîneurs, aux supporters, aux journalistes, radio, presse écrite, web, blogueurs, commentateurs professionnels ou du dimanche pour avoir été durant toutes ces années une source d'inspiration constante. Chaque fois que je pensais aller trop loin dans les faits, dans la caractérisation, dans les propos des personnages, une affaire me prouvait le contraire.

Et puis merci à JKR. Pour avoir inventé le Quidditch et ses joueurs.


Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark

— Bordel de merde !

Beaucoup de choses étaient en général tolérées dans la salle de rédaction du Daily Wizard. Gilda Green, sorcière quinquagénaire éternellement vêtue de cyan et maîtresse des lieux, y tenait. Ses journalistes avaient parfois besoin de liberté. Pour s'exprimer, travailler et même, pourquoi pas, créer. Les jurons étaient cependant l'un des rares excès qu'elle réprouvait. Sauf évidemment quand c'était d'elle-même qu'ils provenaient. Malgré sa bonne éducation, la célèbre rédactrice en chef du plus grand journal people sorcier ne pouvait s'en passer. Ces « mots doux » faisaient partie intégrante de son étonnante personnalité.

Aussi quand Moïra Sander, car c'était elle qui était à l'origine de cette expression qui lui avait valu les regards réprobateurs de l'ensemble de la rédaction, s'aperçut de ce qu'elle avait fait, elle porta immédiatement la main à sa bouche et tenta, à l'aide d'une moue contrite et misérable, de se faire pardonner.

D'un raclement de gorge sonore, Gilda ramena l'attention vers elle.

— J'aurais choisi un autre terme, fit-elle les sourcils froncés, du bout de la longue table où elle trônait. Mais je pense que notre stagiaire a parfaitement exprimé le fond de notre pensée...

Elle vit la jeune femme, mise mal à l'aise par les regards, gigoter sur sa chaise. Il ne s'agissait que de son troisième jour au journal, de sa première conférence de rédaction et déjà, la petite avait réussi l'exploit de se faire remarquer.

— Quoi qu'il en soit, soupira Gilda avec lassitude, et aussi... incroyable que puisse paraître la nouvelle, nous ne devons pas nous laisser abattre. C'est un camouflet. Rien d'autre qu'un camouflet. J'imagine déjà cette punaise de Skeeter jubiler. C'est un scoop, certes. Mais nous pouvons faire mieux. Nous ferons mieux, rectifia-t-elle. Nous l'avons déjà fait. Nous avons plus d'une fois coiffé au poteau la Gazette du Sorcier. Ils ont fait l'erreur d'avancer sur notre terrain de jeu. Ils le paieront cher.

Un léger sourire étira les lèvres de la sorcière.

— Souvenez-vous simplement du Toxico...

Un murmure d'approbation parcourut les journalistes et tous les regards convergèrent une fois de plus en direction de Moïra. La jeune fille rousse, cette fois-ci, ne cilla pas. Gilda la savait parfaitement consciente du fait que cette nouvelle attention était uniquement due à la personne qu'elle remplaçait.

— Faites travailler vos sources ! conclut la rédactrice en refermant l'ébauche du numéro de la semaine suivante. Cherchez ! Creusez ! Je veux du retentissant, de l'inédit et du populaire. Dégotez-moi le scoop de l'année ! Vous n'avez pas une semaine pour ça.

D'un claquement de doigts, elle mit fin à la réunion et tua net tous prémices de protestations. Les mines un peu déconfites, les journalistes se levèrent et quittèrent la salle.

— Sander ! fit Green d'une voix forte.

La petite stagiaire, affairée à ranger ses affaires (elle avait pris de quoi noter et, ne sachant comment cela se déroulerait, de quoi boire et manger) sursauta. Sa nouvelle patronne la vit lever les yeux vers elle avec prudence. D'un geste de la main, elle l'encouragea à approcher.

A voir son air catastrophé, elle devina que la jeune femme avait naïvement cru que sa réaction plutôt « spontanée » avait été oubliée, et que c'était pour cette raison qu'on la retenait. La mettant sciemment au supplice, Green attendit que le dernier journaliste soit parti pour parler. La tranquillité d'âme de la petite nouvelle n'était rien face au problème que tous devaient régler désormais.

— Où est Darwin ? demanda-t-elle, feuilletant le courrier fraîchement arrivé, sans même la regarder.

— Il... Il est sur le terrain, répondit Moïra d'une voix tremblante.

Gilda réprima un sourire. C'était du moins ce qu'il lui avait dit. Arrivée la première dans les locaux du journal, elle avait elle-même vu le message que Darwin avait laissé à la stagiaire qu'on lui avait affectée. En trois jours, elle imaginait bien que la petite Sander et lui n'avaient pas réellement eu le temps de « copiner », si tant est que Darwin puisse être capable de ce genre de choses.

— Évidemment, soupira Green en se pinçant le nez. Jamais là quand il faut. Il a, soi-disant, toujours mieux à faire... Espérons pour une fois que ce soit vrai. Tant pis ! fit-elle en se redressant. Nous ferons sans lui...

Se plongeant dans ses pensées, elle se mit à jouer avec l'énorme saphir qui lui servait d'alliance. Une contre-attaque était à mener rapidement. Pour détrôner le scoop de Skeeter, une seule cartouche ne pourrait être utilisée. A elle de la sélectionner. En attendant, les affaires courantes devaient continuer. Et si la petite était aussi motivée qu'elle le disait lorsqu'elle avait été engagée, elle...

— Je peux faire quelque chose? proposa Moïra d'une voix tremblante.

Elle l'était.

Sous le regard inquisiteur de sa supérieure, la jeune stagiaire s'empressa de se justifier.

— Mr Darwin m'a confié quelques paperasses mais si je peux me rendre utile, en ce moment de crise, je...

Gilda fit mine de peser le pour et le contre. Ce n'était pas l'affaire du siècle, les risques d'envoyer la « bleuette » étaient plutôt limités. Darwin aurait de toute façon refusé de s'en occuper.

— Hé bien... fit-elle d'une voix traînante. Une de nos starlettes s'apprête à faire des siennes. Pour une émission de télé... Cela pourrait être intéressant. Je voulais que Darwin y aille mais...

— Je serai ravie de le faire, s'empressa de dire Moïra.

— Je n'en doute pas, répliqua Gilda Green avec un sourire froid.

La sorcière observa la jeune femme sortir de la pièce, surexcitée. Voilà à quoi Skeeter la conduisait : à des choix risqués. En espérant que, si la petite parvenait à cesser de rougir dès qu'on lui parlait, son air naïf et sa vue basse amadoueraient avec un peu de chance les gens qu'elle rencontrerait.

Cela ne résoudrait pas leur problème, c'était certain. Camouflet pour camouflet, voilà tout ce qu'elle désirait. Quelque chose de suffisamment alléchant pour effrayer les gens de la Gazette du Sorcier.

Prise d'une soudaine fatigue, elle se laissa tomber sur sa chaise et observa d'un air absent le plafond. Il y avait bien des choses qu'elle ne comprendrait jamais.

Comment les Potter avaient pu donner l'exclusivité des premières photos de leur rejeton à cette sale garce de Rita Skeeter ?

oOoOo

— Les mecs, une autre bière ?

La tête plongée dans son frigo, Roger sentit plus qu'il ne vit le sourire moqueur de ses amis.

— Quoi ? fit-il en se redressant.

— Tu ne joues pas un match capital à la fin de la semaine, toi ?

Capital ? s'écria Gerry Nixon, son coéquipier venu d'outre-Atlantique. Tu plaisantes ? Livingstone a dit que, non seulement elle mettrait un terme à nos contrats si on perdait, mais qu'en plus, elle nous braderait dès qu'elle le pourrait.

Eugene Roe, seul non joueur de Quidditch de la soirée et auteur de cette pique malheureuse, parut un instant mal à l'aise.

— Enfin... Plein de gens pourraient vouloir vous acheter, non ? marmonna-t-il devant leurs airs si sérieux.

— Mec, pas si on perd ce match-là, répondit Nixon avec une grimace.

Tous deux se tournèrent vers Roger, en train de poser une autre bouteille sur la table.

— Je ne suis pas saoul ! se défendit-il sous leurs regards réprobateurs.

— Ah oui ? Alors prouve-le !

— Façon moldue ou sorcière ? demanda-t-il, un sourire aux lèvres.

— Pitié Davies ! se moqua Nixon. Tout le monde sait souffler dans un ballon.

Roger savait bien que le manque de culture légendaire des américains n'était rien d'autre qu'un vulgaire cliché. Hélas pour eux, Gerry faisait office de contre-vérité. L'hôte de la soirée secoua la tête, atterré.

— Ok ! soupira-t-il. Sorcière !

D'un mouvement de baguette, il fit voler la bouteille qui sortit aussitôt de la pièce. Un « merci » crié depuis le salon l'informa que le colis avait bien été réceptionné.

— Satisfaits ? demanda-t-il en se tournant vers ses deux compères.

— T'étais à Serdaigle ! signala Eugene, son ancien camarade de classe, les sourcils froncés. Ça ne va rien prouver.

Roger préféra se tourner vers Nixon, qui sans être une lumière restait un chouette type, espérant qu'il ferait preuve de moins de mauvaise foi.

— Nix', une autre ?

— Non merci, fit-il en montrant la bouteille à moitié vide qu'il avait en main. Ça va pour moi... Et je tiens réellement à mon contrat !

Au fond, il n'avait pas tort, Roger le savait. Pour des sportifs de leur niveau, boire alors qu'une rencontre approchait était plutôt déconseillé. A dire vrai, boire pour des sportifs de leur niveau était même totalement prohibé.

— Tu as raison... soupira-t-il à regret. Mais , j'en ai vraiment besoin.

Compatissant, son coéquipier lui tapa amicalement l'épaule. Roger poussa un soupir et d'un geste de la tête invita ses invités à rejoindre le reste de la troupe, resté dans le salon, confortablement installé devant la télévision.

oOoOo

— Quoi ? C'est ça qui t'angoisse ? s'écria Doyle, un autre de ses collègues et gardien remplaçant, avachi par terre une bouteille de bière à la main, alors qu'avec résignation, Roger écoutait les premières notes du générique de cette foutue émission. Tu vas jouer le match de ta vie dans deux jours et tu balises pour un jeu télé à la con ?

— Ce n'est pas qu'une simple émission de divertissement, grogna Roger. C'est un jeu culturel à but caritatif et...

Il laissa sa phrase en suspens, ne sachant pas comment livrer le fond de sa pensée sans manquer de respect à la femme qu'il fréquentait assidument.

— Inger est une fille maligne, tenta Eugene. Elle est danoise, elle aura toujours l'excuse de la langue.

— Et puis elle n'est pas seule ! signala Nixon. D'ailleurs, pourquoi tu ne l'as pas accompagnée?

Bien malgré lui, Roger laissa échapper un sourire. Oui, pour cette spéciale couple de célébrités, lui la star du Quidditch et elle, la starlette venue du grand froid, auraient formé le tandem idéal. Elle y avait pensé. En fait, Inger l'avait même supplié.

— Si on vous demande, on m'en a empêché...

Au fond, Davies n'était pas fier de ce qu'il avait fait. Inger était une jeune femme séduisante qu'il voyait depuis quelques mois désormais. Ils avaient même fini par emménager ensemble. Donc oui, finalement, Roger pouvait dire qu'ils se fréquentaient. De manière exclusive, c'était assez rare pour être précisé.

Inger faisait partie de ces gens persuadés d'avoir un talent, convaincus que le monde les attendait et qu'un jour, même les plus circonspects les vénèreraient. Ce genre de personnalités n'était pas étranger à Roger. Le milieu du Quidditch en regorgeait. Le rêve les faisait vivre et parfois même avancer. Mais ce qui était un sentiment concevable pour un amateur de la petite balle dorée l'était nettement moins dans le cas d'Inger. Qui de talent n'avait que celui de sa beauté. Lassée d'être simplement une belle parmi tant d'autres, celle-ci avait décidé de se lancer. De faire autre chose et de prouver sa valeur, d'exprimer son art, son don.

A la difficulté près qu'elle n'en possédait aucun.

Malgré ce que Roger lui disait (que son métier de mannequin payait bien et qu'elle pouvait voyager, qu'être belle n'était pas donné à tous), elle s'était entêtée et avait commencé à vouloir provoquer l'intérêt. Davies était intelligent, il savait que l'amour n'était pas le seul fondement de leur relation. Il ne s'y était pas trompé. Lui, en se casant, cherchait à ce qu'on lui foute la paix et qu'on ne compte plus ses conquêtes, elle cherchait un parti intéressant pour se montrer. Le Poursuiveur des Wanderers aurait pu en être choqué. Mais la plastique d'Inger lui faisait ravaler tous ses reproches.

Hélas, son beau visage ne suffisait pas à faire oublier les innombrables idioties qu'elle débitait. S'il avait tout d'abord trouvé son accent délicieusement charmant, Roger n'avait pas tardé à découvrir que la belle venue du Nord était bête comme ses pieds. Et ce qui pouvait passer au sein du foyer ne pouvait pas être toléré un soir de grande écoute devant la moitié de la communauté sorcière.

Si Inger souhaitait exposer son ignorance, qu'elle le fasse sans lui et sans l'y mêler. Les gens découvriraient bien assez tôt la vérité. Lui, l'ancien Serdaigle, le joueur dandy et érudit, bradait son amour de la culture pour les plaisirs de la chair et des sens.

La voix du présentateur fit rapidement fondre son sourire. Les jeux étaient faits. Si l'agent d'Inger, un charlatan, œuvrait réellement dans son intérêt, il lui aurait conseillé de laisser son coéquipier du soir, le chanteur August Blum, parler.

oOoOo

— Ben tu vois, ça ne se passe pas si mal que ça !

Roger répondit d'un grognement. Un peu de compassion à son égard était décidément trop demandé ?

— Bien sûr, reprit Nixon d'une voix un peu plus aiguë qu'à l'ordinaire, elle n'était pas obligée de donner autant de détails sur votre vie privée... Monsieur « je-t'ai-déjà-dit-dix-mille-fois-de-relever-cette-cuvette-de-toilettes-Poursuiveur-vedette-qui-ne-sait-pas-viser »

— Oh, la ferme, grogna Roger.

D'un sortilège d'attraction, il fit venir une autre bière. Au regard réprobateur que lui adressa son coéquipier, il répondit par un sourire forcé et fit sauter la capsule de sa bouteille à l'aide de sa baguette.

— Tu devrais vraiment arrêter de boire, mec !

— C'est pas ta copine qui raconte des conneries sur toi à la télé ! J'ai besoin de boire, ok ? s'énerva-t-il en montrant Inger rire bêtement à l'écran. Je ne suis pas saoul. Et si je l'étais, je ne serais pas le premier à jouer dans cet état-là ! Crois-moi, les Frelons, l'autre jour, n'étaient vraiment pas frais !

— Si Livingstone savait... reprit Doyle les sourcils froncés.

— Si Livingstone savait, le coupa Davies, elle me dirait de faire ça proprement, au Firewhisky !

Ses coéquipiers éclatèrent de rire. C'était tellement vrai. Vidant la moitié de sa bouteille d'un trait, Roger ne put les imiter. Inger avait décidé de l'entraîner dans sa propre déchéance. Il était ridicule avant même que la première question ne soit posée.

— Elle a appris que tu la trompais ou quoi ?

— Me parle pas de malheur, soupira Roger horrifié, avant d'envisager que lui annoncer une telle chose en direct pouvait être également un moyen de se venger et de mettre fin à ce calvaire.

Dans la demi-heure qui suivit, ce que craignait Roger n'arriva finalement pas. Le Magyar à pointes avait accouché d'un Veracrasse. Outre les anecdotes de leur quotidien (dont seul le quart s'était avéré être vrai), tout se passait relativement bien. S'il n'avait pas été directement concerné, il aurait même pu prendre plaisir à regarder. Inger n'avait pas trop parlé, du moins pour faire autre chose qu'évoquer sa vie privée. Et quand elle avait tenté de répondre à une question, elle ne l'avait pas fait sérieusement. Enfin, personne n'avait compris qu'elle était sérieuse. Davies, lui, en était bien conscient.

Obnubilés par son physique, ses potes avaient tout oublié. L'un dans l'autre, Roger en fut rassuré. Il aurait même fini par croire que le pire pouvait être évité si ce n'était finalement pas arrivé.

On va peut-être appeler quelqu'un, fit Inger à l'écran. Là, ça me paraît trop compliqué.

Oui, mais qui? fit Blum d'un air un brin trop mélodramatique pour ne pas être forcé. Tu as quelqu'un dans tes contacts qui pourrait...

Il y a bien... Bébé.

Avec une synchronisation étonnante, Roger, se redressant du canapé dans lequel il avait sombré, s'écria en même temps que le présentateur.

— Bébé ?

Oui, fit Inger avec un petit rire, alors que le public de l'émission se joignait à son hilarité. Excusez-moi. C'est Roger, mon fiancé.

— Quoi ? s'écria Roger, manquant de s'étrangler.

— Elle a dit que c'était toi, son fiancé, jugea bon de répéter Doyle.

— D'ab... D'abord, rectifia Davies que la stupeur faisait bégayer, on n'a jamais été fiancés !

A l'écran, imperturbable et l'air plus amoureuse que jamais, Inger continuait.

...C'est le petit nom que l'on se donne.

— Je ne l'ai jamais appelée comme ça, fit-il en se levant et en se tournant vers ses amis. Et je ne tolèrerai jamais qu'elle me surnomme de la sorte !

— Ben... Elle parle peut-être d'un autre Roger, ricana Nix'.

Davies prit soin de lui adresser un regard consterné.

— Mec, soupira Eugene tentant de le rassurer. C'est juste pour la télé.

Comment pouvait-il dire ça ? Pour la télé ou pas, ça n'avait rien d'anecdotique. C'était typiquement le genre de détails que les supporters adverses adoreraient. Quand un stade entier le reprendrait… A cette simple idée, Roger déglutit avec difficulté. Flaquemare devait déjà s'en frotter les mains !

— Je ne l'ai jamais appelée comme ça, se défendit-il les lèvres pincées. Moi, je l'appelle Mogwai !

— Quoi ? fit Nixon étonné.

— Référence moldue, répondit Davies avec un sourire mauvais. Elle chante mal et déteste être mouillée. C'est un vrai monstre dans ces cas-là.

Il parut réfléchir avant de renoncer.

— Hum... Ok... Sympa ! Mais pourquoi tu...

Le crépitement des flammes dans la cheminée l'empêcha de continuer.

— Ah, je crois que c'est pour toi, claironna Doyle ravi, le seul à encore suivre ce qui se passait à la télé.

Titubant légèrement, de colère et d'ivresse, Roger se dirigea vers l'âtre.

— Oui ? grogna-t-il avec mauvaise humeur.

— Bébé ? fit une voix masculine.

Excusez-moi ?

Il entendit en écho parfait les éclats de rire d'une salle entière sortir de sa cheminée et de sa télé. Forcément, elle l'avait fait. Elle l'avait appelé.

— Pardon, c'est Peter Patison, vous êtes en direct pour l'émission «Pluie de gallions ». Je suis en compagnie d'August Blum et d'Inger Svenson, votre délicieuse fiancée. Nous avons une question valant deux mille gallions à vous poser. Je vous rappelle que nous jouons pour l'association des Orphelins de Sainte-Mangouste. Vous êtes prêts ?

— Je n'ai pas vraiment le choix, marmonna Roger.

— Inger va vous poser la question.

Davies regretta sincèrement de ne pas s'être intéressé au jeu un peu plus tôt. Durant les quelques minutes qu'il avait passées à se plaindre de ce surnom et démentir l'état de leur relation, il aurait pu chercher. Du moins tenter de voir ce que pouvait bien être « Orgueil et Préjugés ».

— J'en sais rien moi ! Pourquoi tu m'as appelé ? J'étais censé t'aider pour le Quidditch !

— Enfin, se défendit-elle. Cela passait cet après-midi à la télé moldue. On l'a enregistré !

— Oui, répondit Davies avec lenteur. Justement parce qu'on n'a pas pu le regarder!

— On l'a enregistré pour moi, rectifia-t-elle froidement. Parce que je devais me préparer pour cette soirée ! Toi, tu as dit que tu restais.

C'était là que ses mensonges allaient se payer. Quitte à choisir, Roger aurait préféré que l'Angleterre entière n'y assiste pas.

— Je n'ai pas vu ce passage, désolé, mentit-il.

Pressée par le temps et par son coéquipier, Inger demanda froidement.

— Et c'est quoi à ton avis ?

Roger pria pour que la loi des probabilités soit vraie.

— Euh... La C ?

La communication coupa alors. Roger se retourna vers le canapé. A l'écran, Inger et son coéquipier paraissaient désappointés. Les regards de ses amis tournés vers lui finirent par le déconcentrer.

— T'as regardé Orgueil et Préjugés ? fit Eugene dans un pouffement.

— Oh, la ferme ! J'ai dit ça pour qu'elle me foute la paix cet après-midi.

Devant les regards à la fois interrogateurs et intéressés, il se sentit obligé de développer.

— Elle voulait que je l'accompagne faire des courses pour cette émission à la con et comme je n'avais pas envie de passer trois heures à choisir une paire de chaussures que, de toute façon, on ne verra pas, j'ai préféré esquiver.

— T'avais mieux à faire, c'est ça ? demanda Nixon d'un air entendu, le gratifiant d'un coup de coude.

Roger laissa échapper un soupir. Autant dire la vérité.

— Je suis passé au club avant d'aller voir une amie. Après, j'ai déposé quelques affaires pour Chaton et je suis allé boire un coup, histoire de regarder les filles passer.

— Bien mieux à faire quoi !

Eugene et Nixon se mirent à ricaner. Roger aurait pu démentir si à cet instant, Doyle, toujours autant fasciné par le jeu, ne leur avait pas demandé de se taire.

— Bébé, je crois que tu devrais écouter.

— ... bon pressentiment, disait Inger une main sur le cœur. Je sais que ce n'est pas suffisant mais... Je m'engage à mettre la différence. Vraiment, j'ai confiance en mon fiancé.

— Nom de... Mais on n'est PAS fiancés ! s'écria Davies avant de penser à autre chose. Et on en est à combien là ?

— Deux mille gallions, soupira Doyle.

Le sol sous Roger se mit à tanguer et il pouvait jurer que l'alcool n'avait rien à voir là-dedans.

— Putain de merde ! souffla-t-il en se laissant tomber dans son canapé.

Il avait beau être assis, sa chute ne semblait pas vouloir s'arrêter.

— Ça va te coûter cher mon vieux, ricana Doyle en lui tapant le genou. La bonne réponse était la A. Pemberley.

— Comment tu le sais ? demanda Eugene les sourcils froncés.

— J'ai lu Orgueil et Préjugés.

Nixon laissa échapper un rire gras.

— Fillette, pourquoi t'as fait ça ?

Questions et remarques se précipitèrent dans la tête de Roger, empêchant les mots de sortir dans l'ordre, de manière distincte et calme.

— Mais... Mais t'es... T'es con ou quoi ? bégaya-t-il alors que Doyle, vexé, défendait chèrement sa virilité. On s'en fout ! Pourquoi tu ne l'as pas dit ?

— Ben... T'as pas demandé.

Inspirant profondément, Roger fit l'effort de prendre sur lui.

— Elle va payer à cause de toi !

Alors qu'il aurait dû se taire, Doyle ne put s'en empêcher.

Vous allez payer !

— Quoi ?

D'un geste de la tête, il lui conseilla de mieux regarder sa télé. Inger, sans égard pour lui, avait décidé de continuer.

Mon fiancé et moi allons payer. C'est une cause importante et...

— MAIS ON EST PAS FIANCES ! Merde! Cette bague-là, fit-il ulcéré en pointant l'écran, elle n'est même pas de moi !

— Vous voulez confirmer ? fit l'animateur.

Par solidarité et même si cela ne servit pas, toutes les personnes présentes dans son salon les supplièrent de ne pas le faire.

— Non, non, non, non, non, murmura Roger les yeux fermés, dans l'espoir que ça puisse aider.

Oui.

Alors que le public de l'émission applaudissait, Davies, lui, hurlait.

— Putain ! Elle va me ruiner.

— Arrête, t'es pas non plus dans le besoin, signala Eugene pour le faire relativiser. Flaquemare voulait te faire signer un contrat en or, j'ai lu ça dans le journal.

— Des conneries, répondit Roger écœuré. Ils n'ont jamais voulu. C'est Ellis qu'ils veulent. Et vu qu'il a saboté son contrat, c'est déjà fait.

— Quoi ? s'écrièrent Nix' et Doyle d'une même voix.

— Mais même, reprit Eugene, ignorant comme Roger les questions des autres invités. A Wigtown, ça va... Tu es plutôt bien payé.

— Plus que moi en tous cas, soupira Doyle.

Davies le fit taire d'un coup de pied qu'il évita sans peine.

— Elle n'a pas un rond, s'écria-t-il. Qu'est-ce que tu veux qu'elle paie ? C'est moi qui vais devoir payer pour sa bêtise. Ne compte pas sur ses talents pour faire rentrer un peu d'argent. Son disque ? Personne ne va l'acheter. Je suis à deux doigts de me percer les tympans quand elle se met à chanter. Émission de merde.

Furieux et ivre, Roger se plaça devant la télé et la menaça du doigt.

— Bande de crétins ! Mais pourquoi elle y est allée ? Et pourquoi ils l'ont invitée ? Mais quelle conne! Je lui avais dit... Elle est stupide et...

— Ahem... Roger !

— Heureusement qu'on n'est pas fiancé, continua-t-il sur sa lancée, je la larguerais direct !

— Roger !

— Si ça se trouve, c'est contagieux en plus ! J'espère que vous êtes vaccinés.

Roger !

— Quoi ? fit-il en se tournant. Mais c'est vrai ! Je... Oh...

Même l'alcool ingéré ne pouvait expliquer ce qui s'était passé. L'appartement, en l'espace de quelques secondes, avait été littéralement envahi. Des gens avec des caméras, des machins pour le son, un présentateur dont il avait oublié le nom et l'émission, des inconnus train de noter, des Plumes à papotes. C'était curieux et sûrement très mauvais.

Et au milieu de tout ça, évidemment, trônait Inger.

Roger jeta un regard à la télévision où l'image s'était soudainement figée.

Piégé.

— Merde, souffla-t-il.

— Surprise, marmonna quelqu'un dans la salle.

— C'était une caméra cachée...

Entendre Inger parler le fit sursauter. S'il avait été sobre, il se serait rappelé de tout ce qu'il avait dit et aurait trouvé un moyen de s'en sortir sans trop de dégâts. Malheureusement, il ne l'était pas.

— Bébé, fit-elle avec un sourire. Reconnais que tu ne t'en doutais pas, pas vrai ?

Elle se pencha vers lui et l'embrassa. Sans grande conviction mais cela donna le change. Puis elle se tourna vers les autres personnes présentes pour en plaisanter.

Roger pouvait dire du mal d'Inger. Elle le méritait réellement. Il y avait cependant un talent qu'il ne pouvait lui retirer, outre sa beauté, maintenant, il le savait.

Putain ce qu'elle était bonne actrice.


Prochaine dose: "Lire entre les lignes"

Vous pouvez retrouver Roger, ses coéquipiers et sa fiancée dans "Des jours et Davies", sur le LJ ou le recueil "Dieux du Stade".