« La face cachée du récit »
On n'aime jamais intensément sans haïr un peu en même temps. La proposition inverse est vraie.
Où il y a de la haine, il a un rappel d'amour.
Chapitre 1 : Mise en bouche et amuse-gueules
L'été avait été rude. Le retour de Lord Voldemort avait créé une tension palpable dans le monde des sorciers. D'autant plus que deux camps s'étaient largement distingués : ceux qui avaient accepté de croire sur parole un jeune garçon d'à peine quinze ans et ceux qui suivaient la version négationniste du Ministère de la Magie. Une jeune femme à la longue chevelure rousse, dont émanait une sorte de halo argenté, reposa sa plume et jeta un coup d'œil à l'extérieur. L'automne arrivait à grand pas. Les arbres étaient encore habillés de leurs feuilles, mais celles-ci tiraient désormais sur le jaune, le orange et le marron, offrant à l'atmosphère un semblant de chaleur.
Un « pop » se fit entendre dans la pièce, aménagée depuis presque trois ans maintenant en bureau. Un feu de cheminée et des meubles en chêne créaient une ambiance chaleureuse et apaisante.
« Professeur Merteuil… », siffla une voix rugueuse, à la limite de la supplication.
La sorcière se leva et contourna son bureau, apercevant un elfe de maison si courbé que son énorme nez touchait pratiquement le sol.
« J'écoute… », lâcha la jeune femme, dont la voix laissait paraître une pointe d'agacement.
« Professeur Merteuil… Le professeur McGonagall m'envoie vous prévenir que le la cérémonie de répartition va bientôt commencer… », répondit l'elfe hésitant, presque craintif.
« Eh bien, Wizzyby, dis au professeur McGonagall que… En fait, non, ne lui dis rien, je m'en chargerais moi-même. Maintenant, file ! », s'exclama le professeur en agitant la main, intimant à l'elfe de partir sans se faire prier.
La jeune femme n'avait jamais eu de problème particulier avec le professeur McGonagall. Leurs relations étaient cordiales et respectueuses, notamment parce que la directrice adjointe ne se mêlait pas du travail de ses collègues. C'était la première fois que le professeur de métamorphose semblait la rappeler à l'ordre. La jeune femme réfléchit quelques instants. Au cours des dernières années qu'elle avait passées à Poudlard en tant que professeur de sortilèges, il lui semblait qu'elle n'était jamais arrivée en retard au banquet de rentrée. Il n'était toutefois pas question de créer un conflit. Le professeur Merteuil attrapa donc sa cape préférée, qu'elle enfila par-dessus son bustier lacé dans le dos et sa jupe noire fendue à mi-cuisse, puis sortit de son bureau en direction de la grande salle.
« Ah, Circia ! », s'exclama le professeur McGonagall, tandis que la jeune femme parcourait le hall en direction de la grande porte.
« Désolée de vous avoir envoyé Wizzyby. J'aurais préféré vous l'apprendre plus tôt mais je ne l'ai moi-même su que ce matin et avec la rentrée, je n'ai pas eu le temps de passer voir chaque professeur en personne… Enfin, bref, Dumbeldore a trouvé, ou plutôt s'est vu imposer un nouveau professeur de défense contre les forces du mal. C'est une employée du Ministère de la Magie, Dolores Ombrage. Quoi qu'il en soit, je voulais m'assurer qu'aucun de nos professeurs ne manque à l'appel ce soir… », déclara-t-elle dans un état d'excitation tel qu'il semblait presque qu'elle en ait oublié de respirer.
« Ne vous en faites pas, Minerva. Je suis là et tout va bien se passer ! », souffla Circia en apposant une main réconfortante sur le bras de sa collègue.
Sur ce, le professeur Merteuil pénétra dans la grande salle. Excepté les nouveaux élèves de première année, tous les autres étaient déjà assis à la table de leur maison respective. La jeune femme sentit quelques regards se poser sur elle, mais ne s'en offusqua pas. Le quart de sang vélane qui coulait dans ses veines l'avait toujours empêchée de passer inaperçu, quel que soit le lieu dans lequel elle se trouvait. Sans sourciller, Circia traversa donc la grande salle jusqu'à l'estrade accueillant la table des enseignants. Son regard se posa immédiatement sur une femme rondelette, qui lui fit penser à un crapaud. Elle ne l'avait jamais vue et se douta immédiatement qu'il devait s'agir de l'employée du ministère dont Minerva venait de lui parler. Prenant soin de ne pas croiser son regard, la jeune femme s'installa aux côtés du professeur Trelawney, qui semblait en pleine discussion avec elle-même.
Circia Merteuil resta silencieuse en attendant l'arrivée des premières années, jusqu'à ce que le siège à sa droite laisse place à un homme d'une pâleur aveuglante. Instantanément, la jeune femme se raidit et tenta vainement de déplacer sa chaise vers la gauche.
« Navré, professeur Merteuil, mais il semblerait qu'aucun autre siège ne soit libre… », railla l'homme aux allures de chauve-souris, un sourire mesquin plaqué sur le visage.
« Professeur Rogue, il n'y a pas de mal… », souffla-t-elle sans prendre la peine de le regarder.
Dès leur première rencontre, quatre ans plus tôt, Circia avait senti que croiser le professeur de potions tous les jours à Poudlard ne serait pas une partie de plaisir. Cette mauvaise impression venait sans aucun doute de la tentative ratée de Rogue de pénétrer dans son esprit, à peine cinq minutes après son arrivée dans le bureau de Dumbledore. Professionnelle dans l'art de la legilimancie et de l'occlumancie depuis son plus jeune âge, Circia lui avait immédiatement bloqué l'accès à ses pensées, lui laissant savoir qu'il avait de toute évidence trouvé une adversaire à sa taille. Le souvenir de cette rencontre lui arracha un léger sourire, au moment même où McGonagall apparaissait suivie des élèves de première année.
La cérémonie se déroula sans accroc. Le Choixpeau magique entama sa chanson, qui fût sans aucun doute plus longue et plus engagée qu'à l'ordinaire. Vint ensuite l'éternelle répartition des élèves dans chacune des maisons. Lorsque le dernier élève, Zeller Rose, fut envoyé chez Poufsouffle, Dumbledore annonça le festin, qui fût accueilli par un tonnerre d'applaudissements. Circia resta silencieuse durant tout le repas, maudissant la malchance qui l'avait placée entre ses deux voisins. D'un côté, le professeur Trelawney, qui était connue pour être un peu dérangée et, de l'autre, le sombre professeur Rogue, que Circia avait toujours eu du mal à cerner. Il était froid et arrogant. Malgré tout, le côté sombre qui émanait de lui provoquait chez elle un certain intérêt. Il aiguisait en quelque sorte sa curiosité.
Dumbledore se leva lorsque tout le monde sembla rassasié et entama son habituel discours. Les recommandations ne changeant guère d'une année à l'autre, Circia s'était laissée aller contre le dossier de son siège et n'écoutait que d'une oreille, applaudissant aux moments opportuns. Cependant, son attention se porta rapidement sur la petite sorcière issue du ministère. La tenue rose bonbon dont elle était affublée arracha à la jeune femme une légère grimace. Une tête de crapaud semblait être solidement attachée sur le corps d'une truie. Tous les regards étaient désormais tournés vers l'employée du ministère. A vrai dire, jamais personne n'avait osé couper la parole du directeur lors de son discours de bienvenue. Circia se redressa pour la voir de plus près et même le professeur Trelawney sembla sortir de sa bulle pour s'intéresser enfin à ce qui l'entourait réellement.
« Merci, cher directeur, pour ces aimables paroles de bienvenue », minauda le professeur Ombrage.
Surprise, le professeur Merteuil adressa un regard interrogateur à Minerva McGonagall, assise à deux sièges d'elle. Cette dernière se contenta de lui répondre par un haussement d'épaule en signe de consternation. L'arrivée de ce nouveau professeur de défense contre les forces du mal promettait de ne pas passer inaperçu. Son discours pouvait, au premier abord, sembler d'un ennui mortel et ce devait effectivement être le cas pour la plupart des élèves présents dans la salle. Toutefois, aucun des professeurs ne perdait une miette de ses phrases à double sens et la majorité d'entre eux se contenta d'applaudir vaguement, lorsque Dolores Ombrage eu terminé.
Alors que le professeur Dumbledore reprenait la parole, Circia sentit le professeur Rogue se pencher discrètement vers elle.
« Il semblerait, ma chère Circia, que nous ayons enfin trouvé une femme plus… » Il sembla chercher le mot adéquat. « … Plus endiablée que vous. »
Circia tourna doucement la tête vers lui et planta son regard dans le sien, un sourire narcissique accroché aux lèvres.
« Le plus malheureux dans cette histoire, mon cher Severus, c'est, je crois, que nous n'avons encore rien vu… », lâcha-t-elle tout en détournant le regard pour le poser sur le professeur Ombrage, qui se trémoussait d'excitation sur sa chaise. « Maintenant, si vous le permettez, je vais prendre congé. J'ai mieux faire que de rester là à écouter vos sarcasmes. », souffla-t-elle en se levant, alors que le brouhaha des élèves rejoignant leurs dortoirs envahissait la salle.
Sans attendre de réponse de la part de son bien aimé collègue, Circia s'avança dans l'allée centrale en direction de la sortie. De nombreux élèves se bousculaient pour atteindre plus rapidement le grand hall, mais chacun s'arrêtait sur son passage pour l'observer, un sourire béat plaqué sur le visage. Le professeur Merteuil avait toujours aimé jouer de ses pouvoirs de vélane pour se faire respecter de ses élèves. Certains de ses collègues voyaient cela d'un mauvais œil, mais Albus Dumbeldore lui avait dit un jour que tous les moyens étaient bon pour maintenir la discipline au sein de Poudlard, excepté bien sûr le châtiment corporel, et que le charme n'était pas proscrit. C'était donc sans le moindre scrupule que le professeur de sortilèges arpentait les couloirs, faisant onduler sa longue chevelure de feu de part et d'autre de son corps, tout en adoptant une démarche digne d'une déesse grecque. Alors qu'elle arrivait enfin à s'extraire de la grande salle, Circia jeta un coup d'œil derrière elle. Le professeur Rogue n'avait pas bougé de son siège et l'observait fixement. Un arrogant sourire étira les lèvres de la jeune femme ; il la détestait et elle aimait ça.
Toutefois, Circia Merteuil n'était pas tranquille. L'intrusion du ministère dans les affaires de l'école, ainsi que le discours de leur déléguée, ne laissait rien présager de bon. La jeune femme ne parvenait pas à comprendre comment le professeur Dumbledore avait pu laisser faire une chose pareille à Poudlard. Après tout, la nomination des professeurs était un pouvoir qui n'appartenait qu'à lui. Curieuse et inquiète, Circia décida de se rendre dans le bureau du directeur pour obtenir quelques explications. Elle arriva rapidement devant la gargouille de pierre qui gardait l'entrée du prestigieux bureau et lui en donna le mot de passe.
« Fizwizbiz ! », lança-t-elle.
La gargouille s'écarta et lui laissa l'accès à un escalier en colimaçon. Circia avança sur la première marche et se laissa porter jusqu'à une porte en chêne, qui s'ouvrit sitôt que la jeune femme eut frappé. Dumbledore avait déjà de la visite. La plupart des professeurs de Poudlard faisaient face au directeur, debout derrière son bureau.
« Circia ! Je m'attendais également à vous voir ce soir. », déclara Albus Dumbeldore avec un sourire bienveillant.
« Le ministère n'a pas à fourrer son nez dans les affaires de Poudlard, c'est une honte de les… », siffla le professeur McGonagall avant d'être interrompue.
« Calmez-vous, Minerva ! En ces temps troublés, il est inutile de contrarier le ministère. Voldemort finira bien par commettre une erreur et alors, Fudge ne pourra plus nier son retour. Ce n'est qu'une question de temps. », déclara le directeur d'une voix calme et rassurante.
Bien que cette réponse ne sembla pas satisfaire le professeur McGonagall, dont les lèvres étaient sévèrement pincées, elle n'ajouta rien.
« Que faut-il faire alors ? », questionna le professeur Merteuil incrédule.
« Rester calme et coopératif, c'est ce que j'attends de vous. Mais ne vous inquiétez pas, je veillerai personnellement à ce que Dolores Ombrage ne dépasse pas les bornes. », répondit simplement le vieil homme, sans se préoccuper des grognements et des signes de consternation que le mot « coopératif » avait provoqués chez ses professeurs.
La porte s'ouvrit alors brusquement, laissant apparaître le professeur Rogue.
« Dolores Ombrage arrive. Je pense qu'il serait judicieux qu'elle ne nous trouve pas tous ici à nous plaindre comme de pauvres écoliers au directeur. », lâcha-t-il d'un ton neutre, non moins satisfait de son effet.
« Severus à raison ! Mes chers collègues, je vous serais reconnaissant de rejoindre vos appartements. Il se fait tard et les cours commencent tôt demain. Bonne soirée à tous. », répondit Dumbledore afin de clore la conversation.
Ce fut le professeur McGonagall qui quitta le bureau la première, non sans cacher sa colère. Circia lui emboîta le pas et ne se gêna pas pour toiser le professeur Rogue lorsqu'elle passa devant lui. Le sourire mesquin qu'il affichait avait le don de la mettre hors d'elle. La jeune femme s'arrêta quelques instants, prête à lui envoyer une remarque cinglante, mais décida après réflexion qu'il valait sûrement mieux miser sur l'indifférence. Elle ne souhaitait pas rentrer dans son jeu, du moins pas ce soir. Elle continua donc son chemin, suivant le conseil de Dumbledore d'aller se coucher, histoire d'être en forme pour le premier jour de l'année scolaire.
