Je me souviens très clairement de l'été de mes seize ans. Je m'étais employée à rester enfermée dans ma chambre, à lire, griffonner tout et n'importe, ou tout simplement à ne rien faire, étendue sur mon lit, les bras en croix. Ma vie n'avait été troublée que par la voix de mon père venant du rez-de-chaussée, qui me parvenait tôt le matin, s'insurgeant contre les nouvelles du jour. Sans ça, j'aurais pu facilement oublier que nous étions en guerre. Je ne voulais pas y penser. L'été s'était déroulé sans anicroches, dans la fraîcheur des ombres de ma chambre, doucement rythmé par les lettres que je recevais d'Alice et celles que je lui envoyais. Honnêtement, j'aurais alors voulu que cela dure toujours.

Mais on ne lutte pas contre le temps, et quand vint septembre, comme des centaines d'autres étudiants, je dus retourner à Poudlard.

Cette année là, mon père ne m'accompagna pas Lubie puérile d'une enfant qui se croit « trop grande pour ça ». Cependant, comme toujours, je retrouvai Alice sur le quai. Elle me serra très fort dans ses bras, et je remarquai qu'elle avait changé de parfum. Ses boucles blondes semblaient plus longues et détendues que d'ordinaire, et son visage plus osseux.

« Tu m'as manqué, tu sais ?

- Toi aussi Alice.

- Alors pourquoi tu n'es jamais venue ? Je t'ai invitée un million de fois à sortir avec nous et tu avais toujours une excuse.

Le « nous » désignait Lily Evans, pour qui Alice s'était récemment prise d'affection, et pour qui je nourrissais un agacement sans bornes, Franck Londubat, petit ami dévoué d'Alice, parfaitement adorable au demeurant, mais avec une grosse tendance à lui manger le visage à tout bout de champ. Devoir tenir la chandelle et supporter Lily-la-bêcheuse passait encore, mais j'ajoute que tout ce petit monde s'était mis à fréquenter la bande à James Potter. Ce dernier poursuivais Lily de ses assiduités, laquelle défendait sa vertu à corps et à cris (surtout à cris, ce qui me tapait prodigieusement sur le système) alors qu'à la vérité, tout ce que cette hypocrite aurait voulu c'est que James la coince derrière une porte, une bonne fois pour toute. Sirius Black, qui se trouvait greffé à James comme une vilaine tumeur, était un imbécile hors-concours, et un vicelard patenté pardon, un séducteur. Venait ensuite Remus Lupin, un attrape-minettes au physique javelisé qui se la jouait intello et mystérieux. Peter Pettigrow fermait la marche, tel un nain Tracassin grimé en cheerleader, agitant ses pompons au moindre exploit de ses copains. Voilà. Donc j'aime autant vous dire, que Lily et les Maraudeurs (modestes jusqu'au bout, ils s'étaient eux-même donné un nom de groupe dont la simple évocation me donnait de l'urticaire), très peu pour moi.

« Je l'explique pas Alice, ça tombait mal pour moi à chaque fois, et puis j'ai attrapé cette vilaine grippe, et...

- Et ça, tu l'expliques ? Me coupa-t-elle, le doigt pointé à l'autre bout du quai.

Quand on parlait des loups... Il semblait en effet que James et ses copains avaient bien mangé durant les vacances. Beaucoup de protéines. A moins que leurs mamans ne leur aient refilé des hormones destinées aux chevaux. Bon sang, comment était-il possible d'autant grandir en deux mois ? Et tous ses poils, ça venait d'où ? Il va sans dire qu'ils n'étaient pas seulement gigantesques et poilus, ce qui aurait été plutôt effrayant, non, ces crétins étaient devenus, et croyez bien que ça m'a fait mal de me l'avouer, foutrement attirants. Enfin, si on aimait le genre, bien sûr. Lily allait devoir monter d'un octave. Et Madame Pomefresh organiser un planning familial.

Tandis que je réalisai avec effroi qu'Alice leur faisait signe de nous rejoindre, Franck sortit de nulle part. Et question poussée d'hormones, il n'était pas en reste.

« La vache, Franck ! Les fées se sont enfin décidées à se pencher sur ton berceau ?

Il m'asséna une gentille tape au sommet du crâne. Crâne sur lequel il aurait pu déposer un plateau repas et déjeuner à son aise, tant il avait grandi.

« Je n'accepte aucune réflexion venant de toi, traîtresse. On t'a attendue tout l'été.

J'allais répéter mon petit ïatus, quand l'ombre des Maraudeurs nous recouvrit tous les trois. Bon sang, comme je regrettai l'époque où c'était Alice et moi contre le reste du monde... Ils nous saluèrent avec enthousiasme, ce qui me donna une légère nausée. Ils entamaient tous la remémoration de leurs aventures estivales (merci pour moi) à grand renforts d'éclats de rire, quand, comme si il venait de s'apercevoir de ma présence, Sirius Black pivota vers moi.

« Et toi alors, on espérait que tu te joignes à nous, qu'est-ce qui t'est arrivé ?

- Grippe.

- En plein été ?

- Justement. Climat propice à la reproduction des miasmes.

Je ne sais pas si ce fut mon utilisation hasardeuse des déterminants ou la rougeur diffuse que je sentais sur mon visage, mais toujours est-il qu'il m'adressa un sourire franchement amusé. Et que je rougis de plus belle. Je ne sais plus qui a donné le signal de départ, mais je lui en fus très reconnaissante. Mon soulagement fut de courte durée, car alors que nous cheminions vers l'entrée du wagon le plus proche, Sirius continuait de me coller aux basques. Une fois dans le train, je profitai de l'étroitesse des couloirs pour me pencher vers Alice et la supplier de ne pas me laisser seule.

« Pourquoi ? Me chuchota-t-elle en retour.

- Black me met mal à l'aise.

- Pourquoi ?

Je ravalai l'agacement que provoquait la réduction de vocabulaire de mon amie et lui répondait avec véhémence.

- Il sent comme un mélange de chlamydia et de brillantine. Ça me prend à la gorge.

Elle pouffa discrètement de rire, avant de néanmoins reprendre son sérieux.

- Soit gentille avec Sirius. Il a pas eu un été facile.

- Tu te fous de moi ?

J'étais abasourdie. « Soit gentille avec Sirius » Mais bien sûr, et puis quoi encore ? Cette pauvre Alice déconnait à plein régime. Je n'eus cependant pas le temps d'amorcer le premier crêpage de chignon de l'année, car Franck l'attira dans un compartiment où étaient déjà entrés James, Peter et deux garçons de Serdaigle que James salua chaleureusement avant de les présenter à Franck. Et je me retrouvai plantée là, dans le couloir, les bras ballants flanquée de Black, Lupin, et d'une furieuse envie de faire passer Alice (qui ne me regardait déjà plus) de vie à trépas.

« Je crois que c'est complet...

La voix hésitante de Remus me sortit de mes pensées. Je jetai un coup d'oeil derrière moi et le vit échanger un regard amusé avec Black. Et en plus ils se foutaient de ma gueule...

Le compartiment suivant se trouva être, à mon grand désespoir, absolument vide. Nous nous installâmes, Remus et Sirius l'un à côté de l'autre, et moi en face, contre la fenêtre. La situation me semblait des plus absurdes. Deux mois enfermée avec moi-même m'avaient fait développer une légère agoraphobie, et devoir y remédier avec les deux énergumènes qui me faisaient face était tout ce qu'il y avait de moins souhaitable. Cependant, et malgré mon évidente réticence à fraterniser avec eux, les deux garçons se montrèrent affables et volubiles, et firent preuve d'intérêt quant à mon été vécu cloîtrée.

« Sérieusement ? Pas une fois ?

- Si, dans le jardin, de temps en temps.

- C'est pas ce que j'appelle une sortie !

- Moi non plus. Tu t'es pas emmerdée toute seule ?

- Non...

- En même temps elle était malade...

- Malade, c'est ça ouais...

Je savais qu'ils n'avaient pas de mauvaises attentions, mais leur jugement commençait à me peser. Et seule contre deux grandes perches absolument certaines de détenir la vérité, je perdis toute ma verve. C'est alors que la porte de la cabine s'ouvrit et que la tête rousse de Lily apparut dans l'entrebâillement. A cet instant, en me forçant un peu, j'aurais pu la voir entourée d'un halo lumineux.