Disclaimer: La Terre du Milieu, ses régions et ses habitants appartiennent à JRR Tolkien, ses descendants et quiconque en possède les droits. Cette fiction n'a aucun but lucratif.
La Gloire de Cardolan
Prologue
Il faisait encore nuit. La sorte de nuit glaciale, celle qui vous donne envie de rentrer bien au chaud chez vous pour rejoindre votre lit et vous blottir sous les draps, à l'abri des peurs de l'obscurité qui rôdent au-dehors. De la buée sortant de ses naseaux, le cheval attendait, nerveux. Harnaché et sellé, il tapotait le sol gelé du bout de son sabot, les yeux fixés sur son maître qui tardait. Un lourd bouclier d'acier triangulaire pendait à son flanc droit, recouvert d'une peau peinte aux couleurs bleues azur de l'Arnor. Sur le gauche, une épée courte reposait dans l'attente d'un combat. Le seul bruit audible aux alentours de la petite ferme était le cliquetis de son fourreau qui battait dans le vent contre les boucles de fer de la selle. Le reste n'était que silence.
L'homme n'avait pas besoin de parler : son regard était déjà lourd de sens. La femme n'osait tout simplement pas ouvrir la bouche, car elle savait qu'elle ne pourrait alors s'empêcher de pleurer. Quant au petit garçon, il ne comprenait pas pourquoi les cavaliers qui attendaient plus loin étaient venus les réveiller si tard dans la nuit. L'homme remarqua le regard endormi de son fils et s'agenouilla difficilement près de lui, gêné par sa lourde armure assemblée à la hâte. Il le couva d'un regard protecteur et attendri il savait que ce serait le dernier qu'il lui serait permis de lui accorder.
- Ça va aller, mon bonhomme ? Je te fais confiance pour s'occuper de la ferme en mon absence, hein ! dit-il en cachant du mieux qu'il pouvait les sanglots qui lui étranglaient la gorge et en se forçant à sourire.
- Où est-ce que tu vas, papa ? demanda candidement l'enfant en réponse.
- Tu te rappelles, quand le vieux Sabadal racontait ses légendes au coin du feu ?
L'enfant hocha la tête avec enthousiasme, les souvenirs des contes lui revenant en mémoire, avec les banquets et autres jeux qui allaient avec.
- Eh bien, papa va faire comme dans ces histoires. Je vais aller avec les autres chevaliers pour protéger le pays.
- Et tu vas tuer des dragons et ramener des trésors et des pierres précieuses et on chantera tes légendes à toi aussi ?
Le père avait souri aux premières propositions, mais ce même sourire se fana à la dernière. Il se contenta de tapoter une dernière fois l'épaule de son fils sans répondre. Il ne savait pas quand il le reverrait, mais il espérait que ce serait le plus tard possible –il avait la certitude que ce serait de l'autre côté de la ligne. Précautionneusement, il ôta le pendentif en forme de tête de loup de son cou et le passa à celui de son fils, qui le regarda les yeux brillants. C'était l'emblème de leur famille, le signe qu'il était enfin pleinement considéré comme un homme. Du haut de ses douze ans, il était fier de pouvoir le porter.
- Prends-en soin, mon fils, lui conseilla le chevalier. Il te protégera de la mauvaise fortune, mais pour cela, sache rester bon avec ceux que tu rencontreras. C'est un peu plus tôt que je ne l'aurais souhaité, mais… Agenouille-toi.
Le garçon s'exécuta sans hésiter. Son père dégaina la lourde épée à deux mains accrochée dans son dos et en posa la lame sur l'épaule de l'enfant. C'était l'épée qui lui avait été donnée lorsqu'il avait été adoubé, lorsqu'il avait juré fidélité à Ostoher Ier, tombé à Amon Sûl. Elle représentait, tout comme le pendentif, le symbole de sa famille qui avait longtemps habité dans les bois emplis de loups du Rhudaur : une tête de loup stylisée pour le pommeau, alors que la garde était constituée de deux serpents enroulés, pour la Maison de Cardolan.
- Que ta lame protège Arnor. Qu'elle défende les opprimés, qu'elle punisse l'assassin, mais qu'elle ne se prononce pas sans jugement. Jamais tu ne fuiras devant l'ennemi, toujours tu le combattras avec acharnement. Voilà ton serment.
Il lui assena alors une claque retentissante, qui surprit tellement l'enfant qu'il n'eut pas le temps d'avoir mal et se contenta de se frotter la joue. L'homme planta ensuite l'épée dans le sol devant lui, et déposa le fourreau devant, avant de prendre le visage de son fils entre ses mains et de déposer un baiser sur son front.
- Pour quand tu seras prêt, lui souffla-t-il.
Il se releva ensuite pesamment et fixa quelques secondes sa femme, avant de la serrer dans ses bras. Aucun des deux ne put retenir ses pleurs, et le petit garçon comprit que quoi qu'il aille faire, son père avait une tâche très importante et très dangereuse, comme dans les légendes. Mais il reviendrait vivant, parce que son père était un héros, et que les héros ne peuvent pas mourir.
- Si jamais le feu d'alarme de Minas Malloth s'allume, tu sais ce que tu dois faire, murmura l'homme à l'oreille de sa compagne. Prends le nécessaire, et pars te réfugier à Fornost. Je te rejoindrais là-bas.
- Je ne pourrais pas t'abandonner ici, rétorqua-t-elle. Cardolan est nôtre foyer, et il le restera. Je ne fuirais pas en te laissant mourir en arrière.
- Cardolan est tombée en même temps qu'Amon Sûl… et je ne reviendrais pas, tu le sais autant que moi.
Elle laissa échapper un sanglot, et l'homme lui déposa un rapide baiser sur les lèvres avant de monter en selle dans un fracas de métal. Puis, jetant un dernier regard sur sa ferme qui croulait sous la neige, il tourna bride et fit grimper la colline où les autres cavaliers l'attendaient à sa monture. Tous avaient le même regard hagard, encore sous le choc de la nouvelle que leur capitaine était venu leur annoncer. L'homme s'excusa rapidement pour l'attente, mais son supérieur secoua la tête.
- On est tous dans le même bateau.
Puis il leva la main, et la troupe se mit en branle. Une simple vingtaine d'épées, appelées en urgence pour aller défendre les Hauts des Galgals, lieu de repos ancestral des rois d'Arnor, et ce depuis Anarion Ier. Devant la petite bâtisse, la femme et son fils les regardèrent disparaître lentement à l'horizon, se fondant dans l'obscurité. L'enfant tira sur la manche de la robe de chambre de sa mère, la forçant à détourner les yeux qu'elle maintenait fixés à l'endroit où son mari avait disparu.
- Quand est-ce que papa reviendra ?
- Je ne sais pas, Carthaën. Je ne sais pas… Viens, il faut rentrer.
Se retenant de pleurer encore, elle entraîna à l'intérieur l'enfant qui était de l'humeur joyeuse de ceux qui ont encore des illusions sur le monde et la justice. Mais il n'était pas beau de rêver ces temps-ci, pas bon de penser que la Terre du Milieu était en paix. Dans les lointaines contrées de l'Angmar, le mal était réapparu. Et après avoir supprimé le Rhudaur, il marchait droit sur Cardolan –droit sur eux. Ça, l'enfant était trop jeune pour le comprendre sa mère l'enviait, elle qui regrettait à chaque instant que celui qu'elle aimait fasse partie de l'armée. Elle qui aurait tant aimé connaître la paix. La porte de la ferme se referma sur eux. La lourde épée resta plantée bien droite dans le froid.
Au loin, un loup hurla.
Cette fiction ne devrait comprendre qu'une dizaine de chapitres, au maximum. Elle racontera, d'après les éléments des annales du Seigneur des Anneaux, comment de lieu sacré les Hauts des Galgals sont devenus un endroit maudit. J'espère que cette première approche vous aura plu; n'hésitez pas à m'en faire part.
Note: la chronologie de la chute d'Arnor ne sera sans doute pas scrupuleusement respectée, plusieurs siècles étant censés s'écouler entre la destruction de Cardolan et la corruption des Hauts. Ici, il ne s'agira que de quelques années.
Strider.
