Chapitre 1 :
Le soir tombait sur l'éternelle comédie humaine. En premier lieu, il fallait mimer l'épuisement, parce que tout de même, au bout de vingt heures de garde, être encore frais comme un gardon… ce n'était franchement pas décent ! Certaines infirmières l'avaient sérieusement soupçonnés d'être sous amphétamine, une fois qu'il n'avait pas vu le temps passé et qu'il avait travaillé sans interruption, durant plus de quarante-huit heures. Depuis, il prenait soin de respecter des horaires à peu près humains.
Le parking souterrain, venteux et mal éclairé l'irritait au plus au point. Car si personnellement, il ne craignait rien, ni refroidissement ni agression, il n'en allait pas de même pour les délicates créatures qu'il côtoyait au quotidien….sans compter celle qui attendait, adossée à la portière de sa voiture. Il s'arrêta une seconde pour la contempler, tant qu'elle ne pouvait pas le voir, sachant qu'elle serait atrocement gênée, si jamais elle s'en rendait compte.
Distraitement, sa main glissa dans ses longs cheveux, répandant son parfum tiède et poudré dans l'atmosphère glaciale. Il ferma les yeux et respira à fond. Aucune force, ni la maîtrise qu'il avait si difficilement acquise au fil des années ni la tendresse qu'il reconnaissait volontiers éprouver pour l'adolescente, n'était de trop en cet instant. Il réalisa qu'elle regardait fixement dans sa direction, ayant probablement senti qu'on l'espionnait et se décida à avancer. Aussitôt, elle sourit et parut apaisée.
- Alors ? Combien de miracles aujourd'hui ?
Il laissa échapper un petit rire. Sa réputation n'était plus à faire. Il s'installa au volant, tandis qu'elle faisait le tour du véhicule. La portière du côté passager résista. Il se pencha par-dessus le siège pour la débloquer. Certainement transie, elle s'engouffra à l'intérieur, sans lui laisser le temps de se redresser. Un front heurta une épaule. Des lèvres des marbres effleurèrent un centimètre de peau brûlante et parfumée. Il se remit vivement comme il faut. Elle détourna la tête, embarrassée.
Contact. Le moteur laissa échapper un puissant ronronnement. La joue pressée contre la vitre, elle observait les lumières de la ville qui défilaient à une allure tout à fait raisonnable. Il avait appris à ne pas trop malmener l'accélérateur, lorsqu'elle était là. Il guettait le long soupir mélancolique qui ne pourrait que venir. Cette fois-ci, il ne devait pas le laisser passer. Il devait lui parler, savoir, essayer de la comprendre. Elle respira à fond et exhala très lentement, comme une petite musique de lassitude et de chagrin.
- Les autres te manquent, n'est-ce pas ?
Elle sursauta et braqua son regard sur lui. Il n'avait pas besoin de surveiller la route en continu, alors il lui fit face. Rancœur. Elle lui en voulait d'aborder le sujet. Mais pas autant que lorsqu'il se taisait. Sans un regard pour le volant, il obliqua légèrement pour se laisser doubler par une voiture qui arrivait derrière eux. L'autre conducteur marmonna un « merci » machinal, ne se doutant pas qu'il serait entendu.
- Les autres…
Evidemment il avait employé le pluriel par pure délicatesse. C'était lui, toujours lui. Il aurait voulu être capable de compatir, d'oublier la trahison et le ressentiment pour pleurer, au moins au sens figuré, la disparition de celui qu'elle aimait…elle qu'il considérait comme sa fille… Au lieu de quoi, il ne pouvait lui offrir que de pauvres mots de réconfort, à la limite du pathétique.
- Il a fait ce qu'il pensait devoir faire… par amour pour toi.
- Alors il s'est trompé ! L'amour ce n'est pas jouer les preuxs chevaliers et se sacrifier pour la frêle princesse, quitte à la laisser seule et désespérée après ! C'est parfois aimer d'avantage d'entraîner l'autre dans la mort que de l'abandonner !
- Preux chevalier ? Trouves-tu que son attitude ait été celle d'un preux chevalier, lorsqu'il a…
- Tais-toi ! Je me moque de ce qu'il a pu faire ! Je…
Elle se tut brusquement, prenant conscience de ce qu'elle venait de dire. Elle s'en moquait. Il avait détruit tout ce qui lui était cher, briser tant et tant de vie, générer des monceaux d'atrocités…et elle s'en moquait. Voyait-elle combien ses yeux étaient noirs ? Se souvenait-elle que cela faisait deux semaines qu'il n'avait plus chasser ? Un véhicule klaxonna. Il se rendit compte qu'il roulait à cheval sur deux bandes. Le parfum se propagea un peu plus dans l'habitacle, comme elle se trémoussait, mal à l'aise.
Son odeur, elle-même, avait changé depuis ce jour. Elle avait perdu son caractère capiteux et entêtant, son extraordinaire puissance qui lui avait toujours permis de la retrouver. A présent, subtile, poudreuse et plus florale que jamais, elle évoquait le parfum des roses séchées…presque un parfum de vielle femme…prématurément vieillie…mais toujours beaucoup trop tentante. Elle bredouilla quelques mots d'excuses, les yeux brillants de larmes mal contenues.
- Ca va…tu avais le droit de le dire…par contre, je crois que je vais te déposer ici.
Elle acquiesça, réprimant difficilement un sanglot et n'attendit pas qu'il soit totalement arrêté, pour bondir hors du véhicule. Il la suivit du regard, juste pour s'assurer qu'elle arrivait, saine et sauve, sur le trottoir, et écrasa l'accélérateur, provoquant un concert de klaxons scandalisés. Il ne réapparaîtrait pas avant d'avoir retrouver son calme et de s'être copieusement sustenter, ce qui n'était pas toujours évident dans une grande cité où l'essentiel de la faune, à des kilomètre à la ronde, était bipède.
Et voilà qu'il la fuyait à son tour ! Il devait être écrit qu'elle finirait toute seule et sans doute ne méritait-elle rien de mieux. Ici, c'était la 5ème avenue. Une foule opaque se pressait de toute part, saturant de son souffle bouillant ce crépuscule de janvier. Glissant ses mains dans ses poches, elle s'aperçut que son porte-monnaie avait disparut. Elle se retourna pour s'assurer qu'il ne venait pas de tomber et ne put voir arriver l'homme pressé qui la percuta de plein fouet. Douleur. Juron. Elle ferma les yeux, se préparant pour un rendez-vous inopiné avec son ami, le sol.
Rien.
Une paire de bras s'était refermé sur sa taille et la soutenait. Durs et froids. Il était revenu. Il ne l'avait pas abandonnée. Folle de joie, elle releva vivement la tête, prête à lui dire qu'elle l'aimait et qu'elle ne voulait plus jamais qu'ils se fâchent… mais se figea. Ce n'était pas lui. Terreur ! Qui se mua en larmes, lorsqu'elle croisa le regard solaire de l'inconnu. Elle se cramponna au nouveau venu, relâchant les sanglots qu'elle avait si longtemps retenus en captivité. Des commentaires fusèrent autour d'eux mais peu lui importait.
Ses pieds quittèrent la terre ferme. Une grille en dessous soufflait de l'air chaud en continu. Ils se trouvaient devant l'entrée d'un magasin de vêtement, fermé à cette heure. Il ne tenta pas de la repousser, lui caressant au contraire les cheveux avec douceur. Instinctivement, elle chercha une de ses mains et la serra de toutes ses forces. Il s'écarta prudemment, craignant probablement qu'elle s'aperçoive dans la consistance inadéquate de sa chair. Il ne pouvait pas se douter qu'elle était déjà au courant de tout.
- Mademoiselle ?
- Je…je suis désolée…je…c'était stupide…ça va…désolée…je vais bien
- En êtes-vous sûre ?
Il paraissait sincèrement soucieux. Indécent de splendeur. Monstrueux tant il ressemblait à celui dont elle s'efforçait de taire le nom… De toute évidence, il ne la laisserait pas partir, avant qu'elle ne lui ait assuré qu'elle se sentait bien. Elle ouvrit la bouche pour parler mais aucun mot n'en sortit. Elle était faible. Elle voulait prolonger ce moment… l'enfer lui envoyait l'image de son bourreau et elle en redemandait… Son cœur rata un battement et ses jambes flanchèrent.
Elle se laissa emporter dans un état second et fut un peu surprise de se retrouver assise dans un café, une tasse grog entre les mains. Elle avala une gorgée du breuvage chaud et sucré. L'alcool lui chauffa agréablement la tête et l'estomac. Du bout des doigts, elle repoussa ses longs cheveux raides et blonds puis soupira.
- Je m'appelle Anisa…et vous ?
- Carlisle.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
Hébé ! Je me trompe ou vous avez tous cru qu'il s'agissait de Carlisle et de Bella dans la voiture et qu'Edward avait fait une grosse bêtise ?
