Il resserra inconsciemment le col de son manteau afin de se protéger du vent glacial qui tentait de s'y engouffrer. Il leva ensuite les yeux vers le ciel où des nuages noirs de pluie s'amoncelaient au loin, succédant ainsi à la nuit dans une danse des plus synchrones.

A cette heure matinale il avait peu de chance de croiser quel qu'âme qui vive, ce qui lui convenait tout-à-fait au vue de ce qu'il venait faire ici. Et puis il n'était pas d'humeur sociable et communicative ces derniers temps.

Il détestait cet endroit, synonyme à ses yeux de souffrance, de perte, de souvenirs d'un bonheur depuis longtemps révolu. Et pourtant il s'y tenait, de sa propre initiative, sans personne pour l'y encourager ou l'y astreindre, si ce n'est ce sentiment de devoir à accomplir, ce travail de mémoire à réaliser et le respect qu'il éprouvait envers la personne qui y reposait, en paix espéra-t'il. Comme lui si tout fonctionnait comme il le souhaitait.

Il remonta d'un pas rapide l'allée bordée de vieux chênes et de hautes haies taillées, les graviers grinçant sinistrement sous ses pieds. De hautes stèles, des petites croix grises, blanches, des sépultures et des tombeaux à perte de vue, quelques caveaux familiaux et au loin une vieille chapelle en ruine aux murs envahis par le lierre et les feuilles de vignes. Plus loin encore des arbres squelettiques dont les branches décharnées se mouvent au gré du vent, telles des spectres ou des âmes perdues dansant avec la brume vaporeuse du matin, trouvant là un semblant de compagnie dans leur univers si vide de vie, si tristement gris.

Il connaissait le chemin par cœur pour l'avoir effectué tant de fois, aussi bien de jour que de nuit (il escaladait alors la lourde porte en fer forgé, heure de fermeture oblige).

Il bifurqua soudain sur sa droite, avança de quelques pas et s'arrêta devant une petite tombe bien entretenue Caitlin Annabella Todd. Il s'accroupit et en chassa les quelques feuilles mortes que le vent avait poussées là.

- Bonjour Kate, comment vas-tu aujourd'hui?

Et comme à chaque fois il pouvait presque entendre la voix de son amie lui répondre : comment crois-tu que j'aille Tony ? Je suis morte pour l'amour du ciel !

Mais c'était là une routine qu'il effectuait chaque samedi (enfin ceux où lui et son équipe n'étaient pas de roulement). Ce même rituel qui se poursuivait inlassablement par une conversation à sens unique il lui racontait les dernières nouvelles, les enquêtes qu'ils avaient résolues et celles qui prendraient infiniment plus de temps il lui disait comment se portaient les autres, parfois beaucoup plus rarement comment il allait lui-même (cela n'avait jamais était son fort de s'épancher sur ses sentiments, du moins de façon claire et honnête, quand bien même son interlocuteur était un mort).

Si c'était un bon jour il lui parlait de ses espérances quant à l'avenir, ses désirs, sa volonté d'avancer vers l'inconnu et de cesser le surplace qu'il pratiquait depuis des années mais cela ne s'était plus produit depuis bien longtemps maintenant.

Quand c'était un jour sans, c'est-à-dire les dix ou onze dernières fois (mais qui comptait hein ?), il se tenait là, muet quant à ce qui provoquait son humeur maussade, évitant tout sujet ayant de près ou de loin un quelconque lien avec sa personne, avec sa vie. Ainsi il ne parlait que des autres, du monde qui devenait de plus en plus fou et hostile, du réchauffement climatique qui lui règlerait bientôt son compte si l'humanité ne changeait pas sa façon d'être, de la disparition étranges des abeilles et du prix Nobel de la paix décerné à , de l'avancée de la médecine et de la science jugée bien moins intéressante par la presse que celle des dernières technologies ou du dernier Scorcèse, du désintérêt de plus en plus marqué des américains pour ces mêmes actualités et de tout ce qui ne touchaient pas directement à leur confort de vie. Et puis il y avait les niks qui venaient de perdre contre les lakers par trente points d'écart, de McGee et de son dernier livre qui ironiquement s'intitulait Rien ne va plus, de Ducky, de Abby, parfois de Ziva, toujours de Gibbs, de son caractère que jalousait bon nombre de grizzly, du bateau qui s'éternisait dans sa cave, à moins qu'il l'en eut sorti par quelque tour de magie, de son penchant pour les rousses toujours manifesté …

Ça s'était avant.

Mais aujourd'hui était un jour particulier. Aujourd'hui il ne serait question que de lui. Et de la plus grande décision de sa vie. Celle qui bouleverserait toute la donne, celle qui tirerait définitivement un trait sur les huit dernières années de sa vie. Et il ne savait comment l'aborder, il ne pouvait trouver les mots pour l'expliquer (un DiNozzo à court de mots, les autres auraient donné cher pour voir ça à n'en pas douter !).

- Ce n'est pas une visite comme les autres aujourd'hui Katy. Je crains fort de ne plus pouvoir venir aussi souvent désormais. Mais je sais que tu comprendras, tu sais que je n'ai plus le choix, j'ai déjà attendu trop longtemps ! soupira-t'il avec cette profonde amertume teintée de mélancolie qui ne le quittait plus. Cette résignation des personnes qui face à deux choix drastiques n'ont d'autre option que d'en choisir le moins pire.

Il se pencha en avant et avec une infinie délicatesse se mit à caresser le nom gravé dans la pierre froide. Puis il porta une main à son cou d'où il détacha une fine chaine en or au bout de laquelle pendait un médaillon. Saint Michael, patron protecteur des policiers, celui qui de son épée pourchasse et pourfend le mal tandis que de ses ailes déployées il protège l'innocent. Il la porta à ses lèvres et la passa enfin autour de l'angelot potelé qui surplombait l'édifice.

- Veilles sur eux petite sœur car moi je ne serai bientôt plus en mesure de le faire !

Une goutte d'eau vint s'écraser sur la dalle en gré, puis une autre. Bientôt une pluie fine et glaciale s'abattit sur lui, sans qu'il n'y prête plus d'attention que cela. Au diable Ducky et ses recommandations!

Pour la première fois depuis longtemps il se sentait enfin à sa place quelque part, et il n'allait pas laisser quelques petits désagréments l'y en chasser. Il avait parfaitement conscience que le fait de se sentir vivant et en harmonie dans un tel lieu reflétait un état d'esprit perturbé et dérangé. Pourtant c'était ainsi qu'il le ressentait. Peut-être devenait-il fou ? Ou alors était-ce le désespoir qui semblait ne plus vouloir le quitter. Il ne savait pas, et pour tout dire, de ça aussi il s'en foutait royalement.

- Dieu que tu me manques !Pourquoi est-ce toi qui es partie ? Il aurait été tellement plus juste que ce fusse moi pas de famille ni de proches pour me pleurer. Pas de réels amis non plus en dehors de toi mais ça tu aurais su le surmonter j'en suis sûr ! Tu as toujours été si forte, bien plus que tu ne t'en donnais le crédit, et tellement plus que moi ! Regardes-moi ! J'en suis réduit à ne parler qu'avec les morts, et moi je n'ai pas l'excuse d'être médecin légiste pathétique !

« Tu m'aurais surement botté les fesses jusqu'à Seattle si j'avais émis de tel propos de ton vivant, mais c'est là le hic tu n'es plus là, tu m'as laissé derrière et je me suis égaré, je ne retrouve plus ma route, et je m'en fous. Car les personnes que j'y croise sont sans réelle consistance, froides, distantes, impersonnelles, ou alors égoïstes, mesquines, déloyales, cruelles. »

« Je me fais souvent l'idée d'être ce funambule sur la corde raide qui avance, un bandeau sur les yeux, et qui entend en bas les clameurs et les petits cris de mécontentement, ceux des spectateurs déçus de ne pas me voir tomber, impatients de me voir échouer. Et il y a ceux que ça n'intéressent même pas. Et puis il y avait toi, autrefois, mais ta main tendue à disparue avec toi. Et il ne reste que ces personnes en bas. Et toi quelque part tout là-haut mais je ne te vois pas, je ne t'entends pas ! Tu n'es plus là.

Et comme d'un claquement de doigt la douleur se fit aussi forte qu'au premier jour et l'envahit totalement, telle une vague déferlante. Une boule douloureuse se forma dans sa gorge, l'empêchant de respirer, l'empêchant même d'essayer.

Et puis un bruit de pas derrière lui attira son attention brièvement, mais il ne se retourna pas. Il n'était pas plus curieux que ça de savoir qui venait troubler son instant de communion avec son ancienne partenaire.

Non ! Tout ce qu'il souhaitait c'est que cet importun lui fiche la paix, c'était son moment à lui, et il tenait à tirer sa révérence loin des regards indiscrets.

Une main s'abattit violemment sur son épaule, le faisant involontairement sursauter.

- Qu'est-ce que tu fous là DiNozzo ? Tu sais pertinemment que tu n'y es pas le bienvenu !

Et il ferma les yeux avec fatalisme et acceptation. Une réalisation lui sauta au visage : le destin avait vraiment un sens de l'humour tordu! Il avait fallu que ce fut cette personne parmi toutes les autres qui vienne interrompre ses pathétiques adieux.

Et soudain le vase déborda, les barrières se rompirent et il se mit à rire, à rire sans aucune limite ni retenue, compulsivement, douloureusement, jusqu'à ce que des larmes lui montent aux yeux, larmes qu'il s'autorisa pour une fois à laisser couler. Aujourd'hui était un jour à part, c'était le premier du reste de sa vie!

Car aujourd'hui, de sa propre main, Tony DiNozzo allait mourir ! Le clown est mort, venez fêter le cirque que fut sa vie car elle arrive à son terme!


C'est curieux comment une idée germe dans votre cerveau jusqu'à ne plus vouloir s'en décrocher et au final la seule solution qui vous reste est de la rédiger sur papier pour lui donner sa part concrète d'existence.

Une suite pourrait éventuellement voir le jour même si je ne sais pas quand. A moins que ce chapitre se suffise à lui-même. On verra.

En tout cas j'espère que cette ébauche de fic ne vous aura pas trop ennuyé, voir vous aura plu. A bientôt, pour la suite ou pour une tout autre histoire.