Make me feel
CHAPITRE PREMIER
« Harry, cher Harry. Tu ne comprendras certainement pas mon geste, mais je n'en puis plus. Je suis lasse de tout cela, de cette vie vaine et sans autre avenir qu'une éternité de jours identiques les uns les autres. Je ne suis qu'une ombre dans tes pensées, et je ne supporte plus de te voir fermer les yeux sur un autre visage lorsque tu m'embrasses. Je pensais qu'après dix années de vie commune et trois enfants les choses changeraient. Au lieu de cela, je m'enfonce peu à peu dans un profond dégoût de cette vie superficielle et qui ne m'a jamais comblée. Je préfère m'en aller avant de te haïr, ou pire, de me mettre à haïr mes enfants. J'aimerai conclure sur un « je t'aime », mais cela n'est plus de mise entre nous. Adieu. »
Reposant la plume d'une main qui ne tremblait pas, elle se releva, empreinte d'un calme amer forgé par les dix années d'imposture qui venaient de s'écouler. Levant les yeux vers le velux qui ne laissait filtrer que la pale lueur de la nuit, elle songea qu'elle se sentait vide de tout. Pas la moindre peur la retenant. Jamais elle ne s'était sentie aussi sereine. Quelle ironie. Elle regarda une dernière fois le petit grenier pourvu d'un simple table de bois usé et d'un luminaire qu'elle avait éteint afin de se retrouver seule avec ses ténèbres. Elle passa la corde autours de son cou et donna un coup de pied dans le tabouret qui la soutenait. Son corps s'agita dans de violents soubresauts tandis que l'oxygène désertait ses poumons et que la bave inondait sa gorge et sa bouche, étouffant ses cris éventuels. Ses mains agrippaient vainement et convulsivement l'air autour d'elle dans le maigre espoir de se raccrocher à quelque chose. Dans les films, les strangulations sont toujours montrées rapides et propres. Dans la réalité, il n'en est rien. Le corps se révolte contre la volonté morbide de l'esprit, tente de se sauver, de se préserver. C'est long. C'est douloureux. Et c'est loin d'être serein. Ginny Weasley éprouvait tout cela, cependant, malgré la douleur de son corps qui semblait se disloquer de l'intérieur, elle n'éprouvait toujours aucun regret. Peu à peu, des tâches de couleur envahirent son regard, elle n'entendit plus rien. Son crâne sembla exploser en un millier d'éclat de verre, puis ce fut sa poitrine. Et puis le néant dans une dernière suffocation.
James rentrait de Poudlard ce jour là. C'était les vacances de Toussaint. Albus avait préféré demeurer à l'école pour ces vacances, afin de les passer en compagnie de ses amis. Enfin, surtout en compagnie de sa cousine, Rose Weasley, de qui il se trouvait inséparable malgré leur différence de caractère. Lily s'affairait dans sa chambre, faisant et défaisant le monde autour de sa maison de poupées. Son père n'était pas encore rentré du ministère. La maison était calme, un peu trop. Il posa ses affaires en vrac sur le canapé, prenant le risque de se faire sermonner par sa mère plus tard. Ruminant quelques sombres pensées à l'idée de la liste interminable de devoirs de vacances présentes dans son sac, il se servit un verre de lait, qu'il but silencieusement. Mais où était donc sa mère ? Il gravit les escaliers de l'étage où se trouvait la chambre conjugale pour la trouver vide. Il fronça les sourcils et jetant un regard vers l'étroit escalier menant au grenier. D'ordinaire, c'était le réduit de leur père, là où il s'isolait afin de broyer du noir sans indisposer les autres membres de la famille. Il s'engagea dans l'escalier, souriant à l'idée que sa mère eut décidé sur un coup de tête de faire le grand ménage d'automne dans cet obscur réduit. Il ouvrit la porte et se figea. Là, dans la pénombre, se trouvait la silhouette de sa mère, tel un pantin inarticulé seulement porté par ses fils. Son visage était déformé par les convulsion de la mort, yeux écarquillés, peau boursouflée et peinte de violet et de vert. Il fit un pas en arrière, entendit un long hurlement résonner à ses oreilles, puis se rendit compte que c'était le sien. Il hurla longtemps devant le corps grotesque et méconnaissable de sa mère.
Un an plus tard
Harry ouvrit les yeux difficilement, la gorge encore sèche d'un cri retenu de justesse. Il se redressa lentement sur le petit lit blanc et se traîna jusqu'à la vasque pour s'asperger le visage d'eau claire. Il regarda son reflet dans le petit miroir, et comme chaque matin, il éprouva l'envie de foutre son poing dedans. Il passa rapidement son tee-shirt autrefois blanc, aujourd'hui gris de par les nombreux passages en machine et ne se donna même pas la peine de discipliner ses cheveux. L'infirmière, après lui avoir remis son petit-déjeuner, l'informa que le Docteur Millepertuis souhaitait le voir une fois qu'il serait prêt. Il hocha distraitement la tête, et se força à engloutir les deux toasts recouverts de marmelade à l'orange, le thé et la part de pudding. Il avait bien tenté de ne plus s'alimenter dans les début, mais les guérisseurs avaient des méthodes bien à eux pour forcer les patients à ingurgiter de quoi survivre et au bout d'un moment il s'était découragé et avait recommencé à manger. Lors de son internement, il avait passé deux mois prostré dans une chambre d'isolement, engoncé dans une camisole afin qu'il ne puisse se faire de mal. Et depuis huit mois, il se cloîtrait dans cette chambre misérable, enchaînant inlassablement les heures de thérapies individuelles, les repas fades et les heures à faire les cents pas dans sa cellule médicale. Quand il eut fini son devoir gustatif, et qu'il fut sur de ne pas aller le régurgiter dans la cuvette, il se leva et toqua à sa porte afin de signaler à l'infirmière qu'il était prêt. Cela faisait un an qu'il était là, et il était toujours incapable de mettre un nom sur les membres du personnel médical qu'il côtoyait chaque jour. Il s'était détaché de tout, ne vivant plus que dans un coma blanc dans lequel plus rien n'avait la moindre importance.
Au cours de ses heures de thérapies, beaucoup de choses avaient été évoquées. Des tas de rouages psychologiques avaient été débloqués, huilés, réparés. Et pourtant, rien ne changeait. Il avait tout dit. Il s'était mis à nu dans le but d'aller mieux un jour. Il n'avait rien caché, ou presque. Il voulait être à nouveau un être humain normal, non pas pour lui, puisqu'il se dégoûtait, mais pour ses enfants. Ils venaient le visiter au début, ils le soutenaient. Puis il y avait eu ce journaliste. La Fouine. Tel était son nom de plume. Il avait trouvé Merlin savait comment une copie de la lettre laissée par sa défunte femme et l'avait publiée dans la Gazette. Sûrement un membre de la Brigade de Police Magique qui s'était laissé amadouer suite à un échange de pièces sonnantes et trébuchantes. Après cela, ses enfants n'étaient plus jamais venu. Cela faisait sept mois qu'il ne les avait vu. Quand il avait compris qu'ils le haïssaient, il s'était enfoncé loin en lui-même et avait lâché l'affaire, comme l'on dit vulgairement. Il avait continué la thérapie individuelle puisqu'on ne lui avait pas laissé le choix, mais les progrès étaient minces. Ou du moins, ils étaient importants mais pas dans le bon domaine. Il avait tout réparé, sauf le principal. La culpabilité est une tâche qui s'incruste en profondeur. On peut frotter jusqu'à s'en arracher la peau, elle sera toujours présente, vicieuse, masquée aux yeux du monde, brûlante et dévorante. Il avait été dispensé de thérapie de groupe quand les guérisseurs avaient constatés que d'une part cela lui était tout à fait inutile, mais surtout que sa présence froide et sombre effrayait les autres patients.
Il toqua doucement au bureau de son thérapeute référent, entra sans attendre la réponse et s'affala dans le fauteuil destiné aux patients, arborant son air blasé devenu habituel, celui qui lui servait de masque. Le docteur Millepertuis, un homme ayant pour physique le cliché du psychologue bon enfant à savoir une corpulence ronde, un crâne dégarni, de grosses lunettes et un sourire doux, s'assit en face de lui.
« - Bien. Monsieur Potter, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Au sein de l'institut, vous avez réalisé tous les progrès possibles et aujourd'hui rester ne vous apporte que le ressassement de votre passé. Aussi, le comité et moi-même avons décidé de vous laisser sortir, et de vous réintégrer dans le monde. »
Harry hocha imperceptiblement la tête. La nouvelle lui était parfaitement indifférente. Ici ou ailleurs, peut importait. Il n'avait plus aucune volonté de rien. Cependant, après quelques réflexions sous l'œil analytique du psychiatre, il finit par ouvrir la bouche.
« - Il est hors de question que je retourne dans mon ancienne maison.
- Bien évidemment. De toute manière, elle a été vendue par le frère de feue votre femme, monsieur Ronald Weasley. Nous avons un programme de réintégration parfaitement élaboré monsieur Potter. Pour cela, nous mettons à votre disposition un appartement au sein de Londres, ainsi qu'un nouvel emploi.
- Un nouvel emploi ? Demanda-t-il avec incompréhension.
- Bien évidemment monsieur Potter. Vous vous doutez bien qu'un homme ayant votre profil psychologique ne peut décemment pas reprendre la direction du Bureau des Aurors. Répondit doucement son thérapeute.
- Évidemment...
Mais au fond, cela lui était bien égal.
- Et quelles seront mes nouvelles fonctions Docteur ? En quoi puis-je encore être utile au monde ? Cracha-t-il d'une voix lourde de sarcasme.
- Vous trouver un nouvel emploi ne fut pas chose aisée, et ce, malgré votre passé prestigieux. Votre profil rebute les employeurs potentiels, ajouta Millepertuis en tournant les pages de son dossier. Dépressif, lunatique, parfois violent, anciennement anorexique, et à tendances autodestructrices, la liste est longue malheureusement.
- Remarquez qu'aujourd'hui, je ne suis plus qu'une coquille vide, je ne vois pas bien qui je pourrais effrayer.
- N'être qu'une coquille vide monsieur Potter est le propre de la dépression profonde. Aussi, nous vous réintégrons dans le monde normal tout en vous conservant des heures de thérapie hebdomadaire obligatoires.
- Et si je ne viens pas ?
- Nous vous réinternerons.
- Merveilleux.
- Inutile de lever les yeux au ciel monsieur Potter. Vous avez besoin que l'on vous secoue. Et pour répondre à votre première question, seul un employeur a accepter de vous prendre à son service. Je n'ai pas bondi de joie en voyant de qui il s'agissait, cependant, nous n'avons pas le choix. Vous devez faire vos preuves avant que d'autres vous acceptent..
- Dites moi tout Docteur, mon cœur palpite d'impatience. Coupa-t-il froidement.
- Il s'agit d'un emploi de secrétaire, pour le compte du journaliste La Fouine. »
Harry Potter écarquilla grand les yeux. Puis il hurla. Il tempêta. Renversa les étagères pleines de bibelots inutiles. Mais rien ne changea le fait qu'il se retrouva à dix heures précises devant la porte de l'hôpital, avec pour seul bagage les vêtements qu'il portait, une somme visant à couvrir ses besoins pour le mois en attendant son premier salaire, et l'infirmière devant le mener à son nouveau logement. « Bon courage pour votre nouvelle vie monsieur Potter, et à la semaine prochaine. » Va mourir vieillard. Après vingt minutes de marche, ils arrivèrent devant un de ces nouveaux immeubles de la banlieue londonienne, un de ceux destiné à la réinsertion des taulards, des malades et surtout aux étrangers. Quel bonheur. Troisième étage avec ascenseur. Enchaînement de couloirs blancs, en attente des milliers de tags à venir, sentant la peinture. Avant de partir de l'hôpital, Millepertuis l'avait informé des coups de fils passé à ses proches pour qu'ils viennent l'accueillir à sa sortie. Mais personne n'était venu. D'où l'infirmière. Ce n'était guère étonnant. Ses réels proches se limitaient à la famille Weasley, qui le haïssaient. Lui qui avait pris la vie de leur fille unique. Leur unique sœur.
Il refoula une nausée à ces pensées. Il était hors de question qu'il pleure ou qu'il vomisse sous le regard compatissant de la cruche débordant de gentillesse qu'on lui avait assigné. Elle ouvrit la porte et lui révéla son nouveau « chez lui ». Il s'agissait d'un studio tout à fait classique. Aux environs des vingt-cinq mètres carrés, une salle principale, une salle de bain, un balcon, et un coin cuisine. Le tout meublé en bois gris pale. Un enchaînement de blanc, de blanc sur blanc, et de re blanc sur blanc.
« Je vous ai mis vos clefs ainsi que le double sur la commode de l'entrée. Le loyer doit être versé entre le 1e et le 10 de chaque mois à la concierge. Il est évident que vous avez le droit de décorer à votre guise. Il faut que vous vous sentiez ici chez vous. C'est très important pour la thérapie. »
Il ne lui adressa qu'un vague signe de tête et elle partit sans demander son reste. Brave bête. En fouillant au hasard, il découvrit que le réfrigérateur était plein et que ses tiroirs avaient été remplis avec les vêtements qu'il pensait avoir perdu avec son ancienne maison. On avait du fouiller pour lui remettre ses principales affaires. Ils faisaient ça bien au London Asylum. Ce serait toujours mieux que de porter cet infâme ensemble de jogging d'un gris fatigué qu'on lui avait remis pour sa sortie. Mécaniquement, il prit une douche, se coiffa, et enfila un jean, une chemise et des chaussures au hasard, puis s'assit sur le lit.
Et maintenant ?
En plein centre de Londres, au cœur de la ville, se trouvait un long immeuble dont l'accès était interdit aux moldus, et contenant les bureaux de la Gazette du Sorcier. Les bureaux étaient composés d'une longue chaîne de box plus bruyants les uns que les autres, à cause des cris que les employés s'adressaient, des hiboux et des notes qui volaient un peu partout dans un joyeux désordre et à cause des clochettes raisonnant dans tous les coins annonçant un nouveau scoop ou une nouvelle convocation. Chaque box était meublé d'un bureau vomissant de longues liasses de papiers, de notes et de carnets, d'étagères remplies de livres de compte, d'archives personnelles et de manuscrits d'interviews diverses et variées. Les bureaux de la Gazette pouvaient aisément s'apparenter à une gueule béante et avide, prête à avaler tous les scandales, toutes les anecdotes du monde, pour les régurgiter à la face de la communauté magique.
Au milieu de tout de ce charismatique bazar, se trouvait un box qui différait des autres. Constitué d'un large bureau de bois noir, dont le fourmillement de manuscrits était impeccablement discipliné en plusieurs piles classées par thème et d'étagères remplies de classeurs rangés par taille et par sujets, le bureau de La Fouine était l'illustration parfaite de l'intelligence organisée. Et gare à celui ou celle qui viendrait troubler l'ordre des lieux ! La Fouine était justement présente, supervisant l'entrée d'un minuscule bureau et d'une chaise dans son antre, ceci à destination de son nouveau secrétaire. Aujourd'hui, il était la plume acérée de la Gazette, celle qui n'avait peur de nulle censure et l'angoisse du gouvernement et des sorciers cherchant à camoufler quelques sombres secrets de famille. Il n'avait pas réellement besoin d'un secrétaire. Cependant, c'était bien un luxe qu'il avait les moyens de s'offrir. Et en imaginant Harry Potter, sauveur des sorciers en train de copier ses lettres, un grand éclat de rire cynique lui échappa.
Il devait arriver à 13h pour sa première journée de travail. Comme il avait hâte.
Harry Potter se trouvait devant les bureaux de la Gazette avec un peu d'avance. Il s'était sorti une cigarette et la fumait en regardant la devanture de son nouveau lieu de travail d'un air buté. Étrangement, sortir lui avait fait un peu de bien. Il avait presque senti du soulagement en n'étant plus entouré de quatre murs blafards. Il avait pu s'acheter des cigarettes en ayant un comportement humain envers le buraliste. Si ça ce n'était pas un progrès. Après un soupire résigné, il s'engouffra dans le couloir devant le mener au bureau indiqué sur son petit papier. Deuxième étage, allée D. Il ignora royalement les regards ébahis et les interpellations à son encontre. Il était mort à l'intérieur. Harry Potter, le Sauveur, était mort le jour où Ginny Weasley avait passé une corde autour de son cou et l'avait condamné comme son tueur pour l'éternité. Il ne s'était pas pardonné. Il ne se le pardonnerait jamais. Et il ne lui pardonnerait jamais non plus. Sur les huit mois où ses enfants étaient à Poudlard, elle avait choisi le jour où James rentrait chez eux pour passer l'acte. Du peu qu'il avait réussi à glaner sur ses enfants quand il était assez conscient pour le faire, il savait que James n'était jamais sorti du trauma dans lequel sa découverte l'avait plongé. Son hurlement avait été sa dernière parole. Il n'avais plus jamais parlé. A personne. Déterrer les souvenirs constamment, et la tristesse inhérente à cela était son seul moyen de ressentir quelque chose. Il n'éprouvait qu'un vide constant, où une nausée perpétuelle quand ses souvenirs venaient scarifier sa mémoire comme un millier de lames de rouille et d'os. « Les premiers seront les derniers, les derniers seront les premiers. » Il avait tout eu, et il avait tout perdu. Et il ne pouvait lui en vouloir puisque tout était sa faute. S'il avait su l'aimer, elle serait vivante. Et ses enfants seraient toujours avec lui. Il pensait pourtant savoir jouer son rôle. Il avait dupé tout le monde. Sauf elle.
Perdu dans les méandres de ses sombres pensées, il ne s'était pas tout de suite aperçu qu'il avait dépassé la bonne travée. Jurant un peu, il fit demi-tour et s'engouffra dans l'allée D. A demi-mot, il demanda à un journaliste lambda de lui indiquer le bureau de La Fouine. C'était celui au fond du couloir, le plus grand. Évidemment. Il allait être le secrétaire de celui qui lui avait volé ses enfants et ses amis. Pourtant, il avait pris des dispositions pour cacher aux yeux du monde cette lettre assassine, mais quelques argents passés sous le bureau avait pu délier les langues et les archives. Et tout le monde avait su qu'il était un assassin par omission. Il n'avait pas parlé, il avait joué la comédie, et elle était morte. Il pressa le pas, se demandant intérieurement si le voir lui donnerait envie de lui mettre son poing sur la gueule ou si cela lui serait tout à fait indifférent. Il toqua à la cloison du box et à son habitude, passa le rideau fermé sans attendre de réponse.
« - La Fouine, c'est ici ? Demanda-t-il d'une voix désintéressée.
Et bien Potter, on ne t'a jamais appris les bonnes manières ? Lui répondit une voix traînante et amusée. »
Cette voix...Lui.
Draco Malfoy se dressait au milieu de son bureau à la propreté insolente au milieu du désordre environnant. Le visage rayé par son éternel sourire ironique, il profitait parfaitement de l'instant. Se retrouver avec le sacro-saint Harry Potter comme secrétaire particulier était tout à fait jouissif. Cependant, il n'avait pas prévu une telle réaction de sa nemesis. Au lieu de la rage et de l'indignation escomptée, il eut la stupeur de le voir blanchir, immobile dans son entrée, se tenant au mur pour ne pas tomber dans ce qui semblait être un savant mélange d'horreur et de terreur. Comme un enfant se rendant compte que le monstre est bel est bien sous son lit, et qu'il est encore plus horrible que dans les livres. Puis, il fit demi-tour et parti en courant. Draco demeura choqué la main sur son bureau afin de se persuadé qu'il était toujours ancré dans la pleine réalité. Harry Potter avait fuit devant lui comme s'il avait été face au Mage Noir lui-même.
Ça alors.
Harry s'était jeté dans le local destiné aux toilettes avec la force du naufragé, et agrippait au lavabo comme s'il s'agissait du dernier radeau sur Terre. Il serrait le marbre si fort que ses poings arborait la couleur de la vasque. Ses cheveux blonds... Ses yeux aciers... « … je m'enfonce peu à peu dans un profond dégoût de cette vie superficielle et qui ne m'a jamais comblée. » Son visage, son visage qui n'avait pas changé si ce n'était pour prendre les courbes masculines de la presque quarantaine. Ce n'était pas possible ! Lui ! Dans ses pires cauchemars, il n'aurait pu imaginer une telle punition. Tous les Dieux de la Terre semblaient se pencher sur lui avec un sourire sardonique. Il entendait presque leurs rires cruels résonner à ses oreilles. Le voir tous les jours. « Je ne suis qu'une ombre dans tes pensées... » Tous les jours, le côtoyer dans ce maigre bureau de trois mètres sur deux, être constamment immergé dans son odeur... « Je pensais qu'après dix années de vie commune et trois enfants les choses changeraient. » Se noyer tous les jours dans l'acier de ses yeux, dans le timbre de sa voix... « Je préfère m'en aller avant de te haïr... » Il commençait à hyperventiler. Comment vivre ? Sa faute, son péché fatal tous les jours rappelé à sa mémoire. « ...ou pire, de me mettre à haïr mes enfants. » Après la corde, c'était sa dernière vengeance. Le mettre face à sa plus grande erreur, sa plus grande honte, et savoir que l'ombre de son défunt sourire flotterait toujours entre eux. « … je ne supporte plus de te voir fermer les yeux sur un autre visage lorsque tu m'embrasses. » Des tâches de couleur commençaient à danser devant ses yeux alors que les souvenirs et les mots se jetaient en une mêlée infernal aux creux de son crâne, en une effroyable synesthésie. Un long hurlement remontait lentement dans son abdomen, dans sa gorge, s'accouplant avec une nausée abominable. Ce n'était pas possible. Ce n'était pas possible. « … de cette vie superficielle et qui ne m'a jamais comblée. » Il n'arrivait plus à respirer. « … de cette vie vaine et sans autre avenir » Le sourire de Ginny penchée sur ses enfants. Le visage de Ginny déformée par la mort. « Je ne suis qu'une ombre dans tes pensées... » Draco Malfoy. Draco Malfoy après dix ans de comédie. Après un an de remords et de culpabilité. « ... te voir fermer les yeux sur un autre visage lorsque tu m'embrasses. » Il pouvait presque entendre sa voix brisée lui réciter ses mots qui l'empoisonnaient depuis trois cents soixante cinq jours. « … une éternité de jours identiques les uns les autres. » Lui, tous les jours. Son assassinat gravé au couteau dans sa pupille. « ... dix années de vie commune et trois enfants » Son regard d'acier et de tempête... Sa grimace grotesque dans la mort... « J'aimerai conclure sur un « je t'aime », mais cela n'est plus de mise entre nous. Adieu. » Il s'effondra.
« - Nous n'arrivons pas à le réveiller monsieur Malfoy. » Ce fut dit avec hésitation et de la part de la madame café de l'étage, Rosemina de son prénom.
- Poussez vous pauvre gourde. »
C'était sur que quelques gouttes d'eau n'allaient pas sortir Potter de sa tétanie. Surtout s'il avait heurté la vasque de marbre dans sa chute. Draco s'agenouilla à côté de celui qu'il regrettait déjà d'avoir embauché par jeu et lui asséna la gifle la plus magistrale de l'histoire de l'humanité. Mais au moins, il eut la satisfaction de voir Potter revenir à lui dans un grand soubresaut. Calant son bras sur son genoux, il lui adressa d'une voix sarcastique :
« Et bien Potter, je ne pensais pas que me revoir te mettrais dans un état pareil. Il fallait me le dire si je te manquais. »
Mais au fond, il était perplexe, voire un peu inquiet. Il ne comprenais pas pourquoi Potter s'était mis dans un tel état en le voyant. La dernière fois qu'ils s'étaient vus, c'était sur le quai de King's Cross en emmenant leurs enfants respectifs à Poudlard et cela avait été cordial. Ou peut être avait-il était saisi en comprenant que celui qui avait révélé les derniers mots de sa défunte épouse était sa nemesis. Mais au fond, il devait se douter que ces mots ne pourraient demeurer enfouis à jamais, et malgré leurs rapports cordiaux en apparence, ils demeuraient les rivaux de toujours. Cela ne pouvait expliquer cette crise de panique.
« - Monsieur Potter, vous allez mieux ? Avez-vous besoin d'un guérisseur ?
- Non merci madame. Lui adressa-t-il d'une voix neutre, en se félicitant intérieurement d'être encore capable de se comporter comme un être humain. C'est mon premier jour de sortie, je ne suis pas encore réhabitué au monde, et l'encombrement des lieux a du m'étouffer. »
Draco demeurait sceptique, mais fit comme si de rien n'était. Après avoir renvoyé tout le personnel interloqué, exceptée Rosemina, il guida Potter dans son bureau. Et le fit s'asseoir.
« Rosemina, soyez aimable, allez chercher une boisson chaude pour monsieur Potter. Un chocolat de préférence. Et un thé à la bergamote pour ma part. »
Il s'assit à son tour derrière son large bureau. Pour le coup, il était plutôt désemparé. Il en perdait même ses mots, ce qui était le comble pour un Malfoy ! Un long silence s'installa, seulement brisé par le retour de Rosemina et des boissons chaudes. Draco avait camouflé son visage derrière un une note dont il simulait la lecture. Ils semblaient être deux à ne pas savoir par où commencer, quels mots prononcer. Finalement, Draco reposa sa feuille et tenta une approche.
« - Tu ne savais donc pas que c'était moi qui me cachait derrière le nom de La Fouine.
- Non, en effet.
- Ah.
Il marqua un temps et demanda :
« - Désires-tu conserver ce poste malgré tout ?
- Je suis bien obligé. »
Draco darda un regard froid sur lui. Il analysa méthodiquement le nouvel aspect du prince des Gryffondor. Ses cheveux étaient toujours autant en bataille, son visage s'était émacié accentuant l'éclat de ses yeux émeraudes, tout son corps s'était grandement affiné au point qu'il avait désormais l'air fragile. Et il semblait émaner une grande fatigue, un dégoût profond ainsi qu'un détachement du réel qui pouvait mettre mal à l'aise. Son regard était mort. Son thérapeute l'avait prévenu, mais il n'avait pas imaginé une telle ampleur des dégâts. Le Docteur Millepertuis, si sa mémoire était bonne, semblait penser que retrouver une personne repère de son passé pourrait lui faire du bien. Il avait également insisté sur le fait que c'était la dernière chance du patient, que si cela ne fonctionnait pas, ce serait l'internement à vie. Il avait accepté par jeu. Il le regrettait presque. Cela lui faisait presque mal de constater à quel point l'âme peut s'auto-détruire.
« - Bien. Tes fonctions seront relativement simples. Tu devras me suivre dans certains déplacements, écrire ce que je te dicterais, trier mes notes etc. Tu seras ici à huit heures et tu seras libre à dix-neuf heures. »
Harry hocha la tête. Il s'était partiellement remis de sa crise d'angoisse, mais s'était emmuré derrière un brouillard apaisant, enfermant ses pensées et ses sentiments dans de solides malles au fond de sa psyché. Il avait la vague impression d'être dans le coma, et que quelqu'un d'autre guidait son corps et parlait à sa place. Il ne pouvait en vouloir à son thérapeute, même lors de ses profondes mises à nu, il avait toujours caché l'identité de sa faute. C'était un moyen de se préserver, il n'avait jamais pu le nommer. Cela aurait rendu la chose trop réel, trop crue.
« Nous n'allons pas perdre plus de temps, voici ton bureau. Prends une plume et du papier. Écris. Monsieur le ministre, suite à votre dernier courrier... »
Voici le premier chapitre de cet OS plus long que prévu qui s'achève. N'hésitez pas à me faire part de vos réactions en laissant une review,
et je vous dis à mardi prochain !
