CAUCHEMAR
Prologue
Quelque part dans Los AngelesIl commençait à ne plus rien sentir. La douleur avait disparu et même le froid s'atténuait.
Quelques heures plus tôt, il souffrait terriblement : ses poignets, tordus dans le dos, entamés par le métal des menottes, et ses chevilles, dans lesquelles la cordelette de nylon mordait cruellement, le taraudaient. Son épaule gauche, vraisemblablement démise, le lançait douloureusement à chacun de ses gestes et la souffrance provoquée par sa blessure à la tempe et les lacérations de ses jambes ne lui laissait pas de répit. Le bâillon, sauvagement serré, lui blessait la commissure des lèvres et il sentait le goût du sang dans sa bouche. Ils lui avaient pris sa veste, ses chaussures et ses chaussettes, le laissant vêtu d'une simple chemise de coton et de son jean qui ne lui étaient pas d'une très grande protection contre le froid qui augmentait d'heure en heure s'insinuait dans tout son être, le mordait, le fouaillait, le tenaillait, sans qu'il puisse rien faire pour y échapper. Il n'aurait jamais cru possible qu'on puisse autant souffrir : l'impression qu'on lui plantait mille aiguilles sous la peau. Son ventre était tordu par des spasmes terribles. Il aurait tout donné pour sombrer dans l'inconscience, mais cela même lui était refusé.
Depuis combien de temps ce calvaire durait-il ? Il avait totalement perdu la notion du temps. Il avait l'impression d'être étendu là, sur ce sol glacial, depuis des jours et des jours. Il restait assez lucide cependant pour comprendre que, vraisemblablement, il ne s'était guère écoulé plus de quarante-huit ou soixante-douze heures depuis son enlèvement.
Au départ, il avait géré la souffrance. La température était fraîche, mais presque agréable finalement par rapport à la canicule extérieure. La douleur provoquée par sa blessure à la tempe était supportable et seule son épaule lui envoyait de longues ondes de souffrances durant lesquelles il serrait les dents, attendant qu'elles passent. Et puis, petit à petit, les autres douleurs s'étaient ajoutées : les menottes, la corde, le sang qui n'irriguait plus assez ses mains et ses pieds qui s'étaient mis à le torturer, les coups reçus qui avaient aggravé son état, les élancements de son épaule qui ne lui laissaient plus de répit et surtout le froid, augmentant à mesure que le temps passait.
La soif enfin s'était mise de la partie : depuis sa capture on ne lui avait donné ni à manger ni à boire. Sa bouche, desséchée déjà par le bâillon, lui donnait l'impression d'être remplie d'étoupe. Et puis il lui semblait respirer de plus en plus difficilement aussi : avaient-ils coupé l'arrivée d'air ? Il avait essayé de bouger, de se rouler par terre, malgré ses liens, pour tenter de conserver une certaine température corporelle. Mais il avait dû y renoncer à cause de la souffrance que le mouvement engendrait à son épaule. Il savait pourtant que l'immobilité c'était la mort, mais il n'avait plus la force de lutter.
Maintenant, il se sentait bien : la douleur et le froid avaient disparu. Son cerveau s'apaisait : il lui semblait qu'il s'assoupissait. Quelque part en lui, une petite lueur de conscience essayait bien de lui faire comprendre qu'il devait se battre encore, que s'il s'endormait il ne se réveillerait pas, mais il n'avait plus le courage de l'écouter. Il savait qu'il abandonnait, il savait qu'il n'en avait pas le droit mais il n'y pouvait rien ; il était allé au-delà de ses forces, au-delà de sa volonté et il n'avait plus qu'une envie : dormir et tout oublier.
Avant de sombrer dans l'inconscience il murmura : « Désolé, papa, Charlie. Je suis désolé, j'ai essayé, mais je n'en peux plus ! ».
