The price of perfect is always too high.
J'ai creusé un piège pour mes ennemis et j'y suis tombé moi-même - Bible
Might makes right.
L'enfer c'est les autres - Huis-Close, J.-P. Sartre
Car la chair est faible et j'ai lu tous les livres - Faust
Je n'aime pas me salir les mains. Je n'ai jamais aimé ça. J'ai toujours quelqu'un pour faire le sale boulot.
Objectivement, on ne peut pas dire que je l'ai tuée. Le reste - les indices, les indices d'indice - sera oublié. L'ai déjà. Ça s'appelle "l'Histoire". Vous pouvez la trouver dans n'importe quel livre, holo ou autre, rubrique "T" comme TechnoCentre.
Mais l'histoire - la vérité - vous ne la trouverez nulle part. Nulle part sauf ici. Enfin je suppose que personne, jamais, ne lira ce que j'écris. Tant mieux, en fait. Il n'y a vraiment pas de quoi être fier.
La première fois où je l'ai vu, c'était à une soirée suivant un meeting politique, sur Tau Ceti Central. C'était juste avant la guerre de l'hégémonie contre les Extros, je m'en souviens comme si c'était hier. Mieux, même. Je sais même la date: 29 juillet 2852.
C'était une brune aux yeux bleus qui portait une robe rouge Vuitton-Chanel-Dior, la grande mode du moment (même la Présidente Gladstone en avait une, je crois !). En la regardant mieux, je ne pu que remarquer qu'elle était grande (facilement 1m78 virgule), ce qu'il est convenu d'appeler des "formes avantageuses", très blanche et surtout très jeune.
Consultant rapidement l'infosphère, j'ai appris qu'elle s'appelait Leelee Aspic, qu'elle avait 19 ans, que son père descendait du célèbre navigant Merin Aspic, et que sa mère - ô surprise - était la petite-fille du général Glennon-Height. Avec de tels ancêtres, ai-je pensé sur le moment, elle ne devait pas avoir beaucoup d'amis à l'école. De toute façon les filles devaient la haïr au premier regard.
Ce soir-là il ne s'est rien passé, croyez-le ou non. J'ai discuté peut-être deux minutes avec elle, l'air de rien. Quand elle a compris que j'étais du Technocentre, elle a immédiatement cessé de me faire du charme et s'est arrangée à abréger. Je ne sais pas si ça m'a donné envie de la baiser ou de la tuer. Probablement les deux. Mais cette nuit-là je ne pouvais rien faire, le gouvernement ne me ficher pas la paix. C'était monsieur albedo par ici conseillé par là virgule alors je l'ai laissé se perdre, et je n'ai plus rien su d'elle.
Pendant plus de 250 ans j'ai rêvé d'elle chaque nuit. Ça fait presque 100 000 fois, non ? Personne n'en a rien sur, qu'en aurait-on pensé ? Et puis, à qui en aurais-je parlé?
La seconde fois où je l'ai vue, c'était au Vatican, sur Pacem. Je me rappelle de la date: 29 juillet 3112, c'est-à-dire 260 ans après la Chute de l'Hégémonie. Elle s'appelait Amaryllis Aspic, Sœur Amaryllis. C'était une descendante en ligne indirecte de Leelee. Elle avait 19 ans, et était d'une foi et d'une dévotion à toute épreuve. Inutile de préciser qu'elle portait le cruciforme avec une joie sans mélange.
Sur le moment j'ai pensé à l'enlever, tellement sa simple vue avait ranimé en moi une passion jamais éteinte. Mais c'était impossible: sur Pacem, elle était très célèbre et très révérée. On la voyait comme une sorte de sainte, une bienheureuse, dirais-je. Une sainte du sang du consul traître et du navigant dévoré d'orgueil et d'ambition. Une sainte du sang de Glennon-Height… Passons…
Alors je suis descendu aux cuisines et j'ai récupéré le verre dans lequel elle avait bu. "Tu ne m'as jamais vu", ai-je dis à la sœur chargée de la vaisselle, et, lui donnant discrètement une petite pièce, je repartais vers le TechnoCentre avec la solution à mon problème.
Avec la technologie de pointe du Technocentre, nous n'avons eu absolument aucun mal à cloner Amaryllis à partir des quelques cellules récupérées sur le verre. Et même à lui apporter quelques améliorations, notamment au niveau du quotient intellectuel. Et le 29 juillet 3113, Leelee "naissait".
Bientôt, je devais m'apercevoir que m'occuper d'un bébé m'ennuyais plus d'écouter un discours de Lourdusamy. Je décidai donc de voir Leelee une fois par an, par exemple le 29 juillet, pour m'assurer de ses progrès. Au fil des ans je vis rapidement que c'était une enfant très intelligente, très précoce, et dont la culture augmentait de façon exponentielle entre chacune de mes visites. Son quotient intellectuel de 200 lui fit commencer sa crise d'adolescence vers 7 ans.
C'était vraiment le petit génie du TechnoCentre.
