Un bruit assourdissant, terriblement répétitif. Cela ressemblait à des cris alarmés, ou plutôt à des hurlements. D'autres sons vinrent s'y mêler, créant une confusion plus grande qu'elle ne l'était déjà dans son esprit. Il retrouvait doucement connaissance, et lorsqu'il fut à moitié conscient, une douleur lancinante le prit aux côtes et aux jambes. Son corps venait d'être tiré de sa torpeur. Il n'eut pas la force de la manifester à travers des plaintes. C'était une souffrance singulière, une souffrance qu'il n'avait jamais ressenti auparavant. C'était bien plus douloureux que les chutes soudaines lorsqu'il patinait sur la glace, ou bien lorsqu'il heurtait un objet, un meuble par inattention.
Il finit vite par en faire abstraction, tentant tant bien que mal d'analyser l'environnement où il se trouvait. Sa vision floue commençait à s'éclaircir, et il put distinguer des formes confuses. Les voix qui l'entouraient se firent plus distinctes. Elles étaient couvertes par les cris stridents d'une alarme. Voilà, c'était une alarme. Bientôt, il put reconnaître chaque timbre de voix et les associer. Trois personnes se trouvaient à ses côtés dans un espace confiné. Quelqu'un était penché sur lui, glissa sa main dans la sienne. Ce geste lui était familier. C'était un endroit qui ne lui était pas inconnu, où plusieurs odeurs se confondaient : celle des matériaux stériles, du sang et celle de Viktor. C'était une curieuse association.
« Yūri, tu m'entends ? hasarda-t-il. Tu te souviens de ce qu'il s'est passé ? »
On lui parlait, il l'entendait bien mais il était épuisé. La douleur l'assommait. Il voulait se reposer encore quelques heures. Il devait être en forme pour les prochains entraînements, il avait une compétition dans plusieurs jours.
« J'ai mal, dit-il d'une voix pâteuse. »
Ah, il a parlé. Où était-il ? Il était dans son lit ou bien en route pour sa compétition ? Impossible, le temps ne pouvait pas passer aussi vite. Cela ne pouvait pas être le jour-J, pas déjà ! Parfois, les jours défilaient si vite qu'il ne s'en rendait même plus compte. Peut-être était-ce cela et dans ce cas-là, la situation était terrible. Il ne se sentait pas prêt à patiner, à affronter le jury. Sa confiance en lui était au plus bas, il ne pouvait pas se présenter dans ces conditions. Personne ne l'avait encouragé encore. Alors quoi ? Il devait s'encourager lui-même, désormais ?
« Maintiens-le sous assistance respiratoire. »
D'autres voix se manifestèrent. Une femme et un homme. Ils se mirent à lui parler, eux aussi mais il ne voulait pas leur répondre. Ils se pressèrent autour de lui, lui saisirent le bras gauche. La femme cherchait quelque chose sur celui-ci, donnant des instructions à son collègue. Du moins, c'était ce qu'il en déduisait.
« Je sais, Yūri, répondit l'autre. Nous sommes presque arrivés, tiens bon.
- Ça risque de piquer un peu, poursuivit l'inconnue. Vous serez soulagé ensuite. »
Une aiguille s'enfonça dans sa peau, ou plutôt dans une veine. Ce n'était pas plus douloureux que ses côtes et ses jambes, alors cette piqûre était tout à fait supportable. Elle passa une compresse sur la peau. Pourquoi avait-il aussi mal ? Que s'était-il passé ? Il ne parvenait pas à puiser dans ses souvenirs.
Il sentait quelque chose couler le long de ses jambes : un liquide poisseux et épais. Du sang ? Il aurait voulu se redresser pour vérifier, mais les forces lui manquaient. Son corps refusait de bouger de toute manière.
« Tu te souviens de quelque chose ? demanda à nouveau la personne qui portait l'odeur de Viktor. »
Sûrement parce que c'était Viktor. Ce devait être lui. Malgré sa vision confuse, il arrivait à distinguer la chevelure grise de son entraîneur russe. Ses yeux bleus traduisaient son inquiétude. Cette main, c'était celle de Viktor. Sa prise se resserra. Il put sentir la bague. Yūri hocha la tête, lui indiquant qu'il ne se souvenait de rien. Celui-ci lui caressa les cheveux.
« Ce n'est rien. Reste calme, tu n'as pas à paniquer.
- Où suis-je ? articula-t-il.
- Tu es en direction pour le centre hospitalier. Tu as eu un accident. C'est Yurio qui m'a prévenu. Tu ne peux pas savoir à quel point j'ai eu peur... (il marqua une pause) J'ai foncé dans toute la ville, le pied sur l'accélérateur pour te rejoindre avant l'arrivée des secours.
- Que... Quel accident ? J-Je vais mourir... ?
- Tu ne vas pas mourir, ne t'inquiète pas. Repose-toi, d'accord ? Nous en parlerons plus tard. »
"En parler plus tard", hm ? Le jeune homme voulait en parler maintenant mais il n'eut pas la force d'insister. La douleur reprit de plus belle dans ses jambes. Insoutenable. Il poussa une plainte, la même que tout à l'heure de cette même voix engourdie. Viktor poursuivit ses caresses, chercha à le soulager par les mots. Cela n'avait aucun effet, évidemment. Les médecins trafiquèrent de nouveau dans leur matériel, à la recherche du médicament qu'ils devaient administrer pour calmer la douleur. Très vite, Yūri sentit la fatigue le gagner. Quoique, cela ne ressemblait pas à de la fatigue.
Le jeune japonais bailla à s'en décrocher la mâchoire, avant de se laisser tomber sur le lit. Les draps venaient d'être lavés, ils sentaient divinement bons. De plus, ils portaient l'odeur de Viktor qui s'y était reposé il y a quelques heures de cela. Il s'y blottit, désireux d'aller se coucher. Il devait se déshabiller avant d'aller se mettre sous les draps, mais la paresse venait de le saisir.
Demain, ils allaient devoir poursuivre leurs recherches sur le nouveau programme. Même si patiner avec Viktor n'avait rien de déplaisant, la motivation lui manquait. Cela faisait plusieurs semaines qu'ils travaillaient sur ce programme qui semblait interminable, il était donc normal que Yūri ait envie de l'oublier pendant un moment. Le jeune homme poussa une plainte, s'étira de tout son long puis extirpa son téléphone de son pantalon. Il le déverrouilla, ouvrit Instagram et fit défiler les publications. Les photos de Phichit occupaient toute la page. Il était dans un restaurant modeste, devant du pad thaï et affichait un adorable sourire. Un plat classique, connu à travers le monde mais délicieux. Le commentaire disait : "อร่อย!"*. Tout simplement incompréhensible.
Yūri sentit l'eau lui monter à la bouche, tandis qu'il faisait défiler la page. La vue de ce plat lui avait creusé l'appétit à vingt-trois heures. Une photo de Yurio, une autre de Chris. Rien de bien intéressant, ils profitaient tous de belles soirées. Yūri laissa glisser son téléphone de sa main. Il atterrit lourdement sur le matelas. Son ventre se manifesta au travers de gargouillis. Il avait faim, mais il savait que ce n'était que de la pure gourmandise. Il devait ignorer cette envie irrépressible de manger et aller se changer pour dormir. Le jeune homme se redressa, entreprit de se déshabiller.
C'étaient ses derniers jours à Hasetsu. Viktor, lui et Yurio repartiraient ensuite pour Saint-Pétersbourg. Ils passaient deux semaines au Japon, Viktor s'étant attaché à ce pays qu'il chérissait de plus en plus. Il affirmait que Makkachin adorait les parcs japonais, même s'ils n'avaient rien de très différents des parcs russes. Viktor et lui poursuivraient les entraînements là-bas et le jour venu, ils se présenteraient sur la glace. Ensemble. Ils allaient patiner ensemble.
Rien qu'à cette pensée, Yūri sentit son cœur bondir dans sa poitrine. C'était une agréable sensation, chaude et douce. Il était excité et angoissé à la fois. Comment cela se passerait ? Yūri n'avait jamais réellement patiné avec quelqu'un auparavant, et encore moins avec un homme comme partenaire.
« Otlichno! s'écria Viktor d'une voix enjouée. Les onsen sont tellement agréables, je ne m'en lasserai jamais !
- Nous devrions aller nous coucher, répondit le japonais dans un sourire. Je veux être en forme pour mes derniers jours au Japon, je ne reverrais pas ma famille avant longtemps alors je veux profiter d'elle un maximum.
- Je comprends. (il vint s'installer à ses côtés, plia le haut que le jeune homme venait de retirer) Si tu préfères te consacrer à ta famille, nous pouvons nous reposer demain.
- Mais il faut qu'on boucle le programme ! Nous n'avons même pas terminé, nous ne pouvons pas prendre de retard. »
Le russe s'écroula sur le lit dans un soupir. Lui aussi était épuisé par ses journées. Il se mit sous les draps après s'être déshabillé mollement, puis s'y blottit. Le japonais s'empressa d'aller ranger ses affaires et vint le rejoindre. C'était le meilleur moment de la soirée, assurément. Viktor le prit dans ses bras. Il l'embrassa tendrement dans le cou.
« Quel retard ? Dans trois jours, nous avons terminé. »
Ils demeurèrent silencieux deux bonnes minutes. Le sommeil commençait à gagner le jeune patineur, mais il ne voulait pas couper court à la conversation.
« Qu'est-ce que tu penserais d'un triple axel en première partie ?
- Tu comptes ajouter un saut de plus ?
- Tu veux embrasser cette médaille d'or ou non ? »
Son partenaire reprit ses baisers. Yūri émit un rire. Il prit cela pour une approbation. Le jeune homme voulut répliquer, ayant deviné les intentions de son compagnon mais celui-ci ne le laissa pas s'exprimer. Il poursuivit ses baisers, quittant bientôt ses lèvres pour sa nuque. Son cœur s'emballa, il en eut des frissons. Il en perdit presque ses moyens. Viktor souffla, amusé puis continua sur sa lancée. Yūri se détendit, ferma les yeux pour profiter de cet instant.
« Hoi, le porcelet ! Tu te traînes !
- J'arrive, j'arrive... répondit-il, essoufflé. »
Ils couraient sur plusieurs kilomètres, en plein cœur de la ville. La circulation était dense à cette heure-ci. En effet : il était bientôt dix-neuf heures, et les gens qui venaient de débaucher se pressaient sur la route pour retrouver leur famille. Quelques uns klaxonnaient de manière intempestive, agacés par la circulation lente. D'autres affichaient un air exténué, le visage décomposé par la fatigue. Ils étaient appuyés contre leur volant, le téléphone à la main et s'occupaient du mieux qu'ils pouvaient.
Yurio était à plusieurs mètres devant, trottinant sur place sur le trottoir. Il s'impatientait de plus en plus, hurlant après Yūri pour que celui-ci se dépêche. Ils avaient couru longtemps, près de deux heures et l'adolescent avait encore de l'énergie à revendre. Comment était-ce possible ? C'était presque surhumain ! Cela contrastait avec sa figure d'ange. Son caractère même contrastait avec sa figure d'ange.
« Zhalkiy*... Tu ne peux pas aller plus vite ? On a encore un kilomètre à faire avant d'arriver à la patinoire d'Hasetsu ! cria le jeune russe.
- Gomen mais je n'en peux plus, hasarda le japonais, les mains sur ses genoux. On ne peut pas faire une pause ? Juste vingt minutes, le temps que je retrouve mon souffle.
- C'est comme ça que tu comptes battre ton record à la prochaine compétition ?
- J'étais censé me reposer aujourd'hui. »
Yūri poussa un soupir, fit quelques exercices pour détendre ses muscles. Il passa son bras sur son front en sueur et but plusieurs gorgées d'eau fraîche. Yurio vint le rejoindre, les bras croisés. L'adolescent sortit un élastique, remonta sa chevelure blanche en une queue de cheval. Il suait, lui aussi.
« On a qu'à en rester là pour aujourd'hui, dans ce cas, proposa le jeune garçon. Mais demain, ce sera course à pied intensive, le cochon pané. »
Le japonais opina. Ils se prirent la main amicalement, comme s'ils effectuaient un serment. Yurio sourit. Leurs estomacs crièrent famine au même moment. Yūri se sentit honteux. Ils échangèrent de brèves remarques moqueuses, tenant plus de l'humour que de la moquerie.
Le russe invita le patineur à manger des ramens, rien qu'eux deux, avant de retrouver Viktor. Le japonais accepta, ne pensant qu'à combler le vide dans son estomac. Ce ramen, il l'avait bien mérité après tant d'efforts. Peut-être devrait-il aller prendre une douche avant d'aller dîner ? Il en fit part à l'adolescent qui lui répondit que lui aussi devait le faire. Ils décidèrent donc de rentrer pour une trentaine de minutes (le temps de se doucher), et repartiraient ensuite pour le restaurant le plus proche. Cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas partagé un repas, depuis la finale du Grand Prix ISU à Barcelone. Ils reprirent la route vers le Yu-topia Katsuki à marche normale cette fois-ci, au grand soulagement de Yūri qui ne sentait plus ses jambes.
A la moitié du chemin, le téléphone de Plisetsky se manifesta dans sa veste. Intrigué, il le consulta puis le porta à son oreille. Ce devait être un de ses proches russes. Il s'arrêta un instant, le temps de répondre. Il fit signe à Yūri que ce ne serait pas long. Celui-ci acquiesça.
« Алло? Ah. Как поживаете? Да!* »
C'était très handicapant de ne pas savoir parler une autre langue. Il adorerait pouvoir communiquer avec Viktor dans sa langue natale, ce devait être agréable. Sa voix devait être encore plus plaisante à écouter en russe, qu'en japonais. De plus, son accent était assez médiocre mais le jeune patineur l'appréciait beaucoup. Cela valait surtout les railleries de Yurachka, et d'autres proches du domaine du patinage artistique japonais.
« Как это?* »
La circulation s'était soudainement calmée. Les embouteillages avaient cessé, la circulation devenait plus fluide. De l'autre côté du trottoir, les gens promenaient leurs chiens. Certains jappaient joyeusement, d'autres tiraient sur leur laisse, impatients de se dépenser. Makkachin était peut-être dehors avec Viktor, en ce moment ? Son entraîneur l'emmenait souvent se promener, il disait que le bien-être de son animal était une priorité et par conséquent, il devait le sortir régulièrement. Yūri fut tiré de ses pensées futiles par les éclats de rire de Yurio, surpris. Il reporta son attention sur la route, les mains dans les poches de sa veste.
L'une des voitures roulait à une vitesse affolante. Curieux. Elle se rapprochait. Encore et encore. Elle n'était plus la route. Elle déviait. Le conducteur avait perdu le contrôle de son véhicule ? Il se rapprochait dangereusement, toujours plus. Yurio. Il était sur sa trajectoire. Le jeune garçon n'eut pas le temps de réagir, absorbé par sa conversation. Il va mourir ! Il devait réagir maintenant, ou il serait trop tard. Tout s'enchaînait. Yuri se précipita jusqu'à lui, le poussa violemment sur la chaussée. Noir. Des cris fusèrent, dont celui de Yurachka. Il comprit vaguement que le conducteur s'était enfui, que les témoins essayaient de le rattraper. On lui parlait, on essayait de le maintenir conscient. En vain.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, il était toujours couché sur ce brancard, immobile. Les secouristes le faisaient descendre prudemment. Ils étaient arrivés au centre hospitalier, enfin. Les secouristes communiquaient précipitamment entre eux, jusqu'à l'arrivée des médecins qui se pressèrent autour de lui et prirent la relève. Ils lui parlèrent, mais il s'en moquait. Viktor. Où était Viktor ?
« V-Viktor, articula-t-il faiblement. »
Il n'arrivait pas à crier. Il devait le prévenir maintenant, il se souvenait de ce qu'il s'était passé désormais. Une fois de plus, il l'appela. Sans succès. L'un des médecins prêta attention à son appel, fit un signe au concerné qui ne tarda pas à rejoindre le blessé. Il devait lui en informer rapidement. Ils allaient vite, ils devaient le transférer au bloc de toute urgence. Le russe posa un regard inquiet sur lui, trottinant pour rester auprès de lui jusqu'aux derniers mètres.
« Tout va bien, Yūri. Tout va bien, ne panique pas. Je serai là une fois que tu seras sorti du bloc, d'accord ?
- Ce n'était pas accidentel... »
Vu que je m'ennuie pendant les vacances et que ça fait quatre fois que je regarde la saison une de Yuri on Ice, je me suis dit... Pourquoi ne pas écrire dessus ? Ce sera une fiction courte, seulement quelques chapitres je pense ! Le début n'a rien de très original, mais j'espère que ça vous plaît !
Les traductions (bon, y a rien écrit de bien folichon. Je ne parle pas le russe, ni le thaï !) :
* อร่อย! : Délicieux!
Zhalkiy... : Pathétique...
Allô? Ah. Comment vas-tu? Oui! / Comment ça?
