Il était vide.

A l'extérieur, les épaules couvertes de grandes plumes noires et blanches, une salopette dans les mêmes tons, au tissu rêche et abimé, de longues manches rayés, incolores, laissant dépasses ses longs doigts fins aux ongles aiguisés, un nez en pointe, des cheveux sombres comme l'ébène, décoiffés, les yeux marqués par de profondes cernes grises.

Mais des yeux vides.

Un corps filiforme, à la démarche bancale, balançant, tanguant de gauche à droite, sans direction précise, sans but. Un clown sans couleur, un rire sans vie qui raisonnait dans sa tête, un sourire effacé par son air morose.

Un clown vide.

Jack redressa la tête, observant le monde autour de lui, la rue déserte, endormie, alors que le soleil s'était éteint depuis plusieurs heures déjà. Il n'y avait plus rien pour l'amuser ici, personne à poursuivre, pas d'enfants niais et naïfs avec qui jouer. Le bruit de la ville l'agaçait, de toute façon, tout comme le rire innocent de ces pauvres créatures qui gambadaient joyeusement, sous le regard inquiet et protecteur de leur parents, inconscient du danger qu'il représentait, lui, Laughing Jack.

Et pourtant, c'était pour eux qu'il était là, pour les plus malheureux, les plus solitaire. Nait pour les faire rire, pour qu'ils puissent oublier le monde qu'ils ne pouvaient pas encore accepter, la violence, la peur. Comme il l'avait fait avec Isaac, avant que celui-ci ne parte loin, en pension.

Le clown incolore serra les poings à ces pensées. Ses longs doigts, semblables à de fines pattes d'araignées, laissèrent entendre un craquement sinistre, avant qu'il ne se détende, ne trouvant pas même la force d'être en colère contre celui qui l'avait oublié. Isaac n'était plus là, maintenant. Il était mort, disparu pour toujours, comme ses victimes. Et en son souvenir, Jack perpétuait leur jeu malsain, avec autant de proies qu'il en trouvait, autant de bambins inconscients qui lui offraient leur confiance. C'était tout ce qu'il lui restait, après tout, maintenant que son petit compagnon avait disparu. Jouer avec ces créatures, les faire crier, supplier, pleurer. Puis plus rien, juste leur regard vide, l'odeur du sang qui lui brulait les poumons, et le corps sans vie qui ne bougerait plus jamais. Depuis quand perpétuait-il ce rituel macabre ? Et à quel moment le regard emplit de désespoir de ses victimes avait-il cessé de l'amuser ?

Il ne savait pas. Il ne pouvait plus y penser, de toute façon. Tout cela ne le distrayait plus, il voulait juste s'éloigner de ce monde trop vif et vivant pour lui. Il savourait la nuit, tant qu'il le pouvait encore. Pas de bruit, pas de rire, pas de cri, juste ce silence, semblable à celui d'Isaac, alors qu'ils venaient de finir de jouer, pour toujours.

Un tremblement parcouru Laughing Jack, qui se prit immédiatement la tête entre les mains. Il ne voulait plus penser à ça ! Chasser le garçon aux cheveux blond de son esprit, voilà ce qu'il lui fallait pour trouver la paix. Mais malgré ses efforts, les jours qui défilaient sans cesse, le temps qu'il traversait, entité immortel, ses souvenirs restaient toujours ancrés en lui, colorés comme au premier jour. Le petit garçon émerveillé face à lui, alors qu'il sortait de sa boite, les bons moments passés ensembles, cachés aux yeux de sa mère, la joie, pure et sincère … Et il était partit, pour toujours. L'homme qu'il avait ensuite revu, des années plus tard, ne ressemblait en rien à son Isaac, son meilleur ami. C'était juste un fou, un sale ivrogne. Un cinglé, qui l'avait rendu cinglé à son tour.

Secouant la tête, comme pour chasser en vain ces pensées dont il ne voulait plus, le clown inspira longuement, laissa échapper une faible plainte. Il était cinglé, oui, jusqu'à la moelle, et n'arrivait pas même à en être choqué. Mais cette vie le désolait, à présent. Le jeu le lassait, le monde avait depuis longtemps perdu ses couleurs, tout comme son affreuse tenue noire et blanche, délabrée. Que faire, maintenant ? Que faire, oui, pour laisser tout ça derrière lui, une bonne fois pour toute, redonner un sens à ces jours interminables qui se succédaient les uns aux autres ?

« -C'est ta faute, Isaac … C'est toi qui est parti, alors que tu m'avais promis de revenir … Parti pour toujours … Menteur … »

Un menteur, c'était là le seul mot qui lui convenait encore. Ils auraient dû rester ensemble, pour toujours, comme convenu. N'était-ce pas pour cela qu'il était venu au monde ? Pour passer sa vie après de son ami, pour le faire rire et sourire, comme un clown, tout simplement. Oui, au début, c'était son unique but. Mais les choses avaient tellement changées, maintenant, et il ne restait plus rien en lui d'un véritable clown, et il avait perdu jusqu'à ses couleurs, et même sa raison, et … Et quoi, après tout ?

Un cri retenti, soudain. Aigüe, strident, mais bref, si bien que le monstre cru avoir rêvé. Ce cri … Il en avait entendu, des comme ça, bon nombre de fois. Le son d'un animale qu'on égorge, une victime qu'on achève, et qui nous supplie de l'épargner. Un autre tueur, à proximité ? Jack le savait, il n'était pas l'unique entité de ce monde à prendre la vie des autres. Ils étaient nombreux, divers, tous plus affreux et étranges les uns que les autres.

Songeant qu'il tenait peut-être à une occasion de s'amuser un peu, il prit la direction dont émanait le bruit qui l'avait tiré de ses pensées, soit une grande bâtisse non loin. Vieille maison, la façade couverte de lierre. Une fenêtre brisée qui avait dû servir d'entrée. Pas de voiture, la proie était à coup sûr un enfant privé de ses parents – lesquels auraient droit à un macabre surprise à leur retour.

Intrigué, Jack ouvrit la porte, se glissant à l'intérieur, avant de grimper les escaliers.

Il avait recommencé, encore. Etrangement calme, à genoux sur le sol, comme un enfant admirant ses nouvelles découvertes, le garçon releva sa main tachée de rouge, la portant à ses yeux pour observer cette couleur écarlate glisser le long de ses doigts, rondes larmes chaudes qui roulaient sur sa peau avant de venir s'écraser contre le parquet. Un a un, les souvenirs de l'incident défièrent devant ses yeux, aussi détaillées et limpides qu'ils l'étaient quelques secondes auparavant.

Comme chaques fois, il avait repéré la famille peu après le coucher du soleil, une fois l'astre dissimulé derrière la mer d'habitation. Un petit garçon, ses deux parents le tenaient par la main, leur ainé marchait non loin. Sans qu'il ne puisse se rappeler pourquoi, cette vision l'avait frappée, éveillant en lui cette envie folle et inexplicable d'éteindre la vie. Cette pulsion le guidait depuis si longtemps maintenant, il ne se posait plus de question. Elle était là, comme la faim, la soif, et il se devait de l'assouvir avant qu'elle ne devienne insoutenable. L'être humain marchait ainsi, après tout, guidé par ses envies, jours après jours.

D'abord, il avait suivi le petit groupe jusqu'à la vieille bâtisse, une maison peu banale, plutôt grande, aux façades couvertes de lierre. Mais, lorsque la mère avait ouvert la porte, laissant les deux bambins se glisser à l'intérieur, elle ne les avait pas suivis. D'un pas pressé, elle avait grimpée, à l'instar de son mari, dans leur voiture, avant de filer. Un rendez-vous amoureux entre adultes, sûrement. Sans plus se poser de question, le gamin avait frappé la vitre de verre pour entrer, quelques minutes après le départ des parents. A son tour, il pénétrait dans la maison, lieu paisible, tout du moins pour l'instant. Pas un bruit, d'abord, celui des éclats de verre avait certainement inquiété les occupants. Et, en effet, il ne fallut pas attendre longtemps pour qu'un jeune homme de son âge se présente alors face à lui, un couteau de cuisine à la main, le regard glacial. Grossière erreur, même ainsi armé, personne ne pouvait lui faire face.

Amusé, Jeff avait sorti son arme, semblable à celle de son opposant, si ce n'était les traces de sang sec qui ornait le tranchant de la lame. Il avait hésité, un instant. Il était encore temps de partir, d'oublier tout ça, de fuir loin. La police ne le retrouverait pas, il serait tranquille. Rien ne l'obligeait à prendre la vie d'un autre, même la pulsion qui l'animait, il pouvait la contenir un temps. Puis il croisa le regard effaré de l'adolescent. Le même que celui des autres. Ces prunelles vacillantes, cette lueur de peur qui tremblait, et il sut ce qu'il allait dire, avant même que les mots ne lui viennent à l'esprit.

« - T-ton visage … »

C'était la même chose, toujours. Avec sa mère, son père, ceux qui avaient croisé sa route depuis. Et, chaque fois, il sentant le sang battre violement à ses tempes, ses doigts se resserrer autour de son arme, son cœur s'emballer, alors qu'une colère malsaine le gagnait. Ses prunelles sombres ne purent de détacher de l'auteur de ses mots, lequel ne se doutait certainement pas de la rage qu'il venait d'éveiller chez son agresseur. Il les haïssait tous, ceux qui le regardaient ainsi, qu'il dégoutait. C'était ces mêmes garçons qui avaient fait souffrir Liu, et lui, part la même occasion. Les mauvaises personnes, celles qu'il se devait de supprimer.

« -Va dormir … » Murmura l'intrus.

Le jeune homme n'eut pas le temps de comprendre ce qui se passait, que déjà la lame s'était enfoncée dans son ventre. Son corps – duquel se déversait une quantité inquiétante de sang – glissa au sol, sous le regard sans compassion de son bourreau. Jeff sourit faiblement, dans un état second, admirant son travail, avant d'être soudain prit d'un rire saccadé, d'abord quelques gloussement, puis des éclats à s'en tenir les cotes.

Il les enverrait tous dormir, ceux qui avaient fait du mal à son frère, qui l'avait fait bruler vif, hurler. Cette douleur le hantait encore, au simple souvenir de l'incident qui lui valait désormais ce visage. Le monde grouillait de ce genre de monstre, ceux qui jugeaient, qui blessaient, simplement par leur regard. Mais maintenant, il était là, prêt à faire le nettoyage. Et, lorsque cette terre serait nettoyée de tous ces vers, il pourrait enfin aller chercher Liu. Son petit frère ne craindrait plus aucun danger.

Sur cette pensée, il était monté à l'étage, son couteau bien en main. De ce dernier coulaient encore les mêmes perles pourpres, de quoi inquiéter le petit garçon caché sous son lit, dans la chambre.

Encore une fois, la même phrase, murmurée, avant de tirer la pauvre proie hors de sa tanière.

Encore une fois, la douleur au creux du ventre, la lame glacée, et un cri aigu pour seule mélodie.

Une fois sa macabre cérémonie achevée, Jeff – surnommé Jeff the Killer, à juste titre, par la rumeur qui courrait à son sujet – se tourna vers le miroir face à lui. Son corps tremblait encore sous son cocon de vêtement, malmené par les soubresauts de sa crise de fou rire, qui menaçait de le prendre à tout moment. D'ici, il pouvait voir son visage, étiré de ce large sourire taillé au couteau, qui horrifiait tant, et qu'il admirait. Elle était belle, non, cette immense cicatrice rouge vif qui contrastait avec le teint exagérément pâle de sa peau ? Et ces yeux, noirs, profonds, insondables, dont les paupières brulées ne clignaient jamais. Ces mêmes brulures, d'ailleurs, dessinaient autour de son regard un cercle noir, presque aussi sombre que les longues mèches d'ébènes qui encadrait ce tableau. Le reste de son corps disparaissait sous un sweet blanc, piqué çà et là de tâches, certaines sèches et brunes, d'autres encore vives et écarlates.

C'est là qu'un détail le frappa. Non loin de ce visage parfait, une autre silhouette se dessinait, longiligne et incolore.

« -T'es qui ? » Lança-t-il, se redressant, abandonnant le cadavre encore chaud qu'il tenait entre ses bras.

Il n'avait jamais croisé cet homme – qui n'en était certainement pas un. Trop grand, trop maigre, trop excentrique, et ces yeux, ce n'était pas ceux du commun des mortels. Celui qui se tenait là ne pouvait être qu'un monstre, au même titre que lui. Sans lui parler, il le sentait. La mort l'entourait, le couvait, elle était partout dans cette pièce, mais plus présente encore au fond de son regard.

« -Pas quelqu'un qui t'attirera des ennuis. »

Ca, le gamin l'avait compris. Il n'avait rien à craindre de cet étranger, il n'était ni humain, ni différent de sa propre personne, tout du moins en ce qui concernait les meurtres. Pour autant, sa réponse ne l'éclairait pas plus quant à son identité, et cette manière d'éviter la question l'agaçait.

Jack observa le spectacle face à lui, la mare de sang, et le tueur au milieu, sans éprouver le moindre dégout. Si le garçon ne semblait pas le connaitre – il n'avait pas encore eu l'occasion de croiser les autres monstres de son espèce, apparemment – lui, il avait à de nombreuses reprises entendu son nom. Après tout, Jeff the Killer s'était rapidement imposé dans leur monde, en tant que tueur en série, mais avant tout comme anomalie de cet univers. Il était de ceux que cette terre ne pouvait pas comprendre, les enfants difformes et maudits, inhumains de par leurs actes, mais aussi leur nature. Le clown en croisait de temps en temps, notamment le Slenderman, qui avait, à plusieurs reprises, volé les enfants qu'il traquait. Mais ce jeune homme, il le voyait pour la première fois, et il lui inspirait un étrange sentiment.

Pour ce qu'il savait à son sujet, son vis-à-vis était autrefois un humain des plus banals, jusqu'à ce qu'un malencontreux accident, conséquence d'une multitude d'événements, ne le défigure. Il avait alors tué sa famille, ses deux parents comme son petit frère, dont le nom lui avait échappé. Puis, sa légende s'était répandue, et au prix du sang, il avait inscrit son nom sur la liste de ceux qui ne comprennent plus le monde qui les entourent. Ceux qui n'y appartenaient pas, ou plus.

Jack connaissais bien ce monde-là, trop, même.

« - C'est ton nom que je demande.

-Jack. Laughing Jack, plus précisément.

« -Laughing ? » Son opposé lui jeta un regard surprit. « Tu te fous de moi ?

« -Non, Jeff. »

Aussitôt, l'assassin pointa son couteau vers le clown, menaçant, sur ses gardes. Comprenant, Jack secoua faiblement la tête, soupirant, avant de s'approcher, suffisamment pour sentir la pointe de l'arme titiller la peau de son cou, nullement effrayé. Bien sûr, si le sauvage ne le connaissait pas, il ne se doutait alors aucunement de l'impact de sa légende dans leur univers.

« -Tu peux tailler, si tu veux. Tu penses vraiment pouvoir me blesser ? »

Contemplant la lame, encore écarlate de son crime, contrastant avec la peau pâle de son interlocuteur, l'auteur de la menace sembla hésiter, puis se rétracta. L'incolore sourit faiblement, sourire sans vie, sans rire, à peine amusé. Evidemment, il avait compris qu'il n'avait rien d'humain, lui aussi. Après tout, rien de ce corps long et maigre, de ce regard grisâtre et vide, las, de ces ongles noirs, ne le rapprochait des hommes. Lui, il n'était qu'une farce du destin, un clown enfermé dans une boite, à qui la vie avait arraché ses couleurs.

« -D'où tu connais mon nom ? » Demanda Jeff, toujours tendu.

« -On connait tous ton nom, dans notre milieu. Jeff the Killer, celui qui va de famille en famille, qui tue, comme il l'a fait avec la sienne. »

Le concerné se crispa davantage à ses mots, prêt à brandir à nouveau son arme. Il n'avait pas eu le choix ! Ses parents aussi étaient de mauvaises personnes, il l'avait lu dans leurs yeux, lorsque sa mère l'avait surpris dans la salle de bain, son couteau à la main, les joues taillées en un large sourire dont la cicatrice ornait encore son visage. Cette horreur, cette peur … Oui, ils jugeaient, ils se rangeaient du côté de ceux qui enlaidissaient ce monde, qui rabaissaient les autres chaques fois qu'ils posaient les yeux sur eux. Alors, pour Liu, il l'avait fait, il les avait envoyés dormir, pour toujours.

« -Votre monde ? » Cracha le tueur en série. « C'est quoi, ces conneries ?

-Tu n'as jamais entendu parler de nous ? Slender, le rake, Eyeless Jack …"

Le garçon plissa les yeux, suspicieux. Si, il avait déjà entendu ces noms, dans la bouche des enfants qui couraient dans la rue, non loin de chez lui, du temps où il vivait encore avec sa famille. Des histoires sordides pour effrayer les gosses, c'était ce qu'il pensait, à l'époque. Il savait, maintenant, combien le monde que l'humanité s'était érigé sonnait faux. On casait parmi les légendes ce que l'on ne pouvait accepter, ce que l'on refusait de voir. Mais la vérité, celle qu'il se tenait debout face à lui, divergeait bien de la rationalité de sa petite vie d'avant. Il ne doutait pas, alors des propos de son interlocuteur, bien qu'une part de son esprit s'étonna encore de ce genre de récit.

« -Et t'en fait partie, de ça ?

-Tout comme toi. Tu t'es vite imposé, dans le milieu. »

Cette découverte étonna le jeune homme, sans plus l'accaparer. Il lui suffisait de se tourner vers le miroir pour comprendre qu'il n'appartenait plus à l'humanité depuis longtemps déjà. Son visage, si étrange, beau pour lui, terrifiant aux yeux des autres, son sweet taché de sang, et le cadavre à ses pieds, qui ne lui inspirait pas la moindre pitié, alors même qu'il savait la douleur qui frappait lorsqu'on voyait souffrir ceux qu'on aimait, comme Liu avait souffert … Oui, finalement, il ressemblait plus au clown face à lui qu'à ceux à qui il avait hotté la vie.

« -Jeff the Killer … Ca a le mérite d'être explicite. » Murmura-t-il, sans détacher son regard du spectacle macabre que lui offrait le reflet.

« -On peut dire ça.

« -Et toi, c'est Laughing pour le coté clown ?

-Il faut croire. »

Jack se crispa à ses mots. Laughing, le rire, l'amusement, les journées passées à jouer avec Isaac. Soudain, ce nom sans signification lui inspira une haine profonde et sans mesure, un dégout comme peu de chose pouvait en éveiller chez lui. C'était affreux, laid, et insensé, de surcroit. Y avait-il plus triste sur cette terre que l'être incolore qu'il était, le fantôme sans vie ? Un tueur, par ailleurs. Non, décidément, ce mot là ne lui convenait en rien.

« -Toi aussi, tu tues, comme les autres. » Affirma Jeff, alors qu'il essuyait son arme, à l'aide de l'une des vestes du petit garçon, trouvée dans une armoire. « Pourquoi ?

-C'est un jeu entre lui et moi. »

Le garçon, tiré de son état second, se redressa sans comprendre. De qui parlait Jack ? Il n'avait jusque-là pas évoqué quelqu'un à qui pouvait s'apparenter ce « moi ». Un ami ? Peut-être l'un des autres monstres de leur univers, un de ces meurtriers. Mais alors, à quel type de jeu faisait-il allusion ? Un concours, un pari ? Et quel intérêt, de tuer pour ça ? Oh, bien sûr, l'adolescent ne prétendait aucunement que ses propres motivations rachetaient son crime, pas plus qu'elles ne le justifiaient. Mais il avait un objectif, un but à atteindre, pour Liu. Et ses pulsions, aussi, ces envies dévorantes qu'il lui fallait calmer, bon gré mal gré. L'idée du jeu ne lui serait jamais venu à l'esprit.

« -Un jeu ? Vous faites des concours entre vous ?

-Non. » Rétorqua Jack, pensif.

Un silence pesant s'installa, l'un songeant encore une fois combien son passé lui pesait, l'autre curieux des propos de son semblable. Puis, sans prévenir, l'étrange entité se retourna, glissant ses doigts le long de l'encadrement de la porte. Il n'avait plus rien à faire ici, sa curiosité désormais satisfaite. Autant filer maintenant. S'il retenait l'auteur du crime trop longtemps, la famille reviendrait, l'apercevrait. Il risquait gros, aux mains de la police, après tous les crimes qu'il avait commis.

« -Ravis d'avoir fait ta connaissance, l'ami. Au plaisir de te revoir. »

Et c'est après avoir expédié ainsi leur conversation, pour le moins particulière, qu'il fila, se glissant dans les couloirs, noyé par l'ombre pesante de la nuit. La sienne décora encore quelques secondes les murs, tache noire, profonde et longiligne, avant de disparaitre complètement, s'effaçant au regard du gamin.

« -Eh ! Attend ! » S'exclama se dernier, nullement satisfait de leur entrevue.

Peu importe les questions qu'il avait pu poser, chacune des réponses de son mystérieux invité appelait à de nouvelles interrogations, toujours plus prenantes, presque obsédante. Et ce monde dont il lui parlait, celui auquel il appartenait, et dont il ne savait presque rien ? Et ce jeu, qui ressemblait à tout sauf à un jeu ? Et, au-delà de ça, qui était-il lui, ce Laughing Jack, cette créature aux allures fantomatiques qui était apparue tout aussi vite qu'il avait disparu ? Pour la première fois depuis longtemps, Jeff ne se souciait plus de sa prochaine victime, ou de Liu, et de ce but pour le moins bancale qu'il s'était fixé pour seul objectif.

Mais c'était déjà trop tard. Il courut dans le couloir, hors de la maison, et même dans la rue, mais le clown s'était volatilisé.