Chapitre 1

Chaque jour de leur période de vacances, ils passaient leur temps à jouer en extérieur. C'était la même chose chaque été : ils n'allaient pas à la plage, ni à la montagne, ou quoi que ce soit de ce genre-là. Ils restaient là, chez eux. Ils vivaient tout simplement dans cette campagne nommée Shinganshina, et n'ayant pas suffisamment d'argent à dédier à un quelconque voyage, ils n'avaient pas d'autre endroit où aller que…Chez eux.

Chaque jour passant, le garçon devait se réveiller là. Dans cette petite chambre qu'il partageait avec son amie. En réalité, il aurait presque pu dire qu'ils étaient frère et sœur, étant donné qu'il ne pouvait pas penser à elle différemment. Une jolie fille, de son âge ou presque, prénommée Mikasa. Quand ils étaient plus jeunes encore, presque des bébés, il avait demandé où ses parents étaient partis et n'avait jamais compris son long silence. D'après ses propres parents, ils étaient « partis ». D'accord, partis. Mais encore ?

Mikasa était restée avec eux depuis leur plus tendre enfance –et ils y étaient toujours, peu importait de quelle façon vous y regardiez. Etre un enfant de sept ans ne signifiait pas dire que vous étiez mature. Cela ne signifiait pas que vous ne l'étiez pas pour autant, et Eren avait pris cette dernière idée pour lui : il tâcherait d'être suffisamment mature. Et d'être capable de protéger sa jolie sœur.

Enfin. C'était en tout cas ce qu'il pensait en tant que garçon, et en tant que combattant, toujours à la recherche de nouveaux combats afin de faire montre de ses nouvelles capacités –qui consistaient principalement à montrer ses poings et menacer les autres garçons afin qu'aucun d'entre eux n'approchât Mikasa.

Enfin bref.

Il ne pouvait jamais s'en empêcher et finissait toujours par se battre avec quelqu'un, surtout cet autre garçon de leur voisinage, Jean Kirshtein. Ce garçon était un abruti et rien d'autre, et même son délicat camarade –il lui semblait que son nom était Marco ?- ne parvenait à les empêcher de se battre. Encore et encore.

Mais pas ce jour-là.

Ce jour-là était spécial, et quand Eren ouvrit les yeux, il lui fut difficile de comprendre ce qui se passait. En particulier la réponse à la question « quelle est cette odeur ? » lorsque quelque chose de particulièrement alléchant vint lui lécher les narines.

C'était l'anniversaire de sa mère.

Il s'agissait du jour où son père allait passer tout son temps en cuisine, à cuisiner et se réprimander lui-même pour ne pas être capable de faire quelque chose de parfait.

Il s'agissait du jour où sa mère les autoriserait à sortir sans elle : elle serait trop occupée à seconder son mari.

Il s'agissait d'une belle journée, chaude et ensoleillée.

Les portes et fenêtres étaient déjà toutes ouvertes en grand dans toute la maison afin que la fraîcheur du matin se répande pour la journée.

Sans prendre le temps de faire son lit –sa mère allait le faire après tout-, Eren se rua hors de la chambre. Il dévala les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée, avec très certainement le même bruit qu'un éléphant sur les marches de bois. Il sauta la dernière afin de l'éviter –il détestait celle-ci particulièrement à cause du bruit qu'elle émettait à chaque fois qu'il posait le pied dessus.

Et enfin, après tous ces avertissements sonores, il s'arrêta à l'entrée du salon. Elle était là, assise dans le canapé, droite et douce comme elle l'était chaque jour qui s'écoulait. Les longs cheveux bruns tombaient sur ses épaules, ses yeux presque mi-clos tandis qu'elle lisait les informations avant de remonter ses lunettes sur son petit nez.

Il n'y avait plus besoin de se presser, et Eren s'avança vers elle. Il savait que son propre sourire devait probablement faire le tour de sa tête mais peu lui importait. Sa mère était sa mère.

« Bon anniversaire 'man ! hurla-t-il brusquement, tentant de l'avoir par surprise dans son dos.

Quand elle tourna les yeux vers lui, un petit sourire éclairait déjà son visage. Assise à ses côtés, Mikasa lui dédia un regard agacé, tout en demandant comment il réussissait à être aussi bruyant dès le matin.

-Je suis pas bruyant !

-Tu l'es. Mais j'aime ça, je n'arrive pas à faire pareil. C'est cool.

A chaque fois que Mikasa parlait ainsi, Eren prenait une jolie couleur rose et sa mère riait légèrement. Et plutôt que de la laisser prendre le contrôle de ses réactions, le garçon s'éclaircit la gorge et sourit de nouveau.

-Bien sûr que je suis cool !

C'était un jour assez typique. Petit déjeuner. Rire –s'étouffer en riant alors qu'il était en train de manger en même temps. Ensuite, une douche. Finalement, il dut faire son lit lui-même –après tout, c'était l'anniversaire de sa mère, il était hors de question qu'il la laissât faire ça. S'habiller –ce tee-shirt et ce short. Une paire de basket. Juste parce qu'elles étaient chouettes avec les vêtements qu'il portait en ce jour.

Il faisait déjà chaud au dehors, et toutes les fenêtres étaient fermées depuis un moment, laissant l'intérieur de la maison dans une semi-pénombre.

De la lumière. Du soleil. Tout ce qu'il aimait.

L'herbe était sèche malgré la nuit froide qui était passée. Il pouvait se rouler dedans, ses vêtements n'en ressortiraient pas repeints d'une couleur étrangement verdâtre.

Dans le voisinnage, il y avait beaucoup d'autres maisons. Ils se connaissaient presque tous entre eux, et la plupart des enfants utilisaient la même aire de jeux, proche. Grâce à cette proximité, ses parents les autorisaient à jouer seuls. Ils savaient que les parents des autres enfants veilleraient d'un bon œil sur eux.

Une fois par an –en fait, le jour de l'anniversaire de sa mère-, Eren faisait un « voyage découverte » comme il l'appelait lui-même. C'était en tout cas ce qu'il avait décidé l'année précédente.

Enfin, il était seul –Mikasa n'était pas sortie pour une fois, ce jour-là.De plus, personne n'était à l'extérieur pour le surveiller. Il était encore trop tôt dans la matinée.

Liberté.

L'année précédente, il était déjà allé dans cette rue ainsi que dans la suivante. Des maisons, partout. Mais il savait qu'après cette rue, il y avait un petit jardin où n'importe qui pouvait pénétrer. Alors il s'y rendit. L'herbe verte était incroyablement colorée, et une grande quantité de fleurs se pavanaient en montrant leurs douces couleurs à tout va.

Quelque chose de beau et doux. Ou plutôt devrait-il dire : l'endroit était bien tenu par ses propriétaires.

-Le ballon !

Eren sursauta. C'était une petite voix, juste un peu haut perchée. Il lança plusieurs coup d'œil partout où il le put, jusqu'à ce qu'il trouvât. Une fillette, pas vraiment beaucoup plus jeune que lui, à une fenêtre. Levant les yeux sur elle, il se trouva incapable de produire un son au premier abord.

-Tu me comprends ?

Des yeux couleur caramel. Un peu très légèrement hâlée. Des cheveux sombres, presque noirs, qui tombaient sur des épaules étroites dans une charmante ondulation. Ce petit nez légèrement en trompette et, juste en dessous, cette petite bouche à la moue boudeuse.

Il s'agissait de la plus mignonne petite fille qu'il eut jamais vu de toute sa vie –et Dieu en était témoin, sept ans étaient tellement longs à vivre !

Elle poitait quelque chose du doigt par la fenêtre ouverte, et il leva les yeux dans la direction indiquée. Dans un petit arbre, il y avait un petit ballon de baudruche coincé entre les branches. Plutôt fière d'avoir été choisi pour cette tâche, Eren la regarda.

-C'est le tien ?

Elle hocha la tête, pressant ses lèvres ensemble en une fine ligne, à la manière d'un bébé.

-Bon, qu'est-ce que tu me donnes si je le ramène ?

Il ne pouvait pas voir son corps. Elle semblait en fait trop petite pour atteindre le bord de la fenêtre avec plus que la ligne de ses épaules. Lui-même était trop petit pour atteindre la fenêtre depuis l'extérieur. Le sol à l'intérieur de la maison devait certainement être plus en hauteur que l'herbe.

A ce moment-là, elle cligna des yeux en le fixant, semblant hésitante. Juste un peu. La seconde d'après, un grand sourire illumina son visage et elle fit claquer ses mains dans un élan joyeux.

-Je te raconterai une jolie histoire !

-Pas intéressant, j'suis pas une fille !

Plutôt offensée, elle ouvrit sa bouche en un large O et fit claquer ses mains, cette fois sur le rebord de la fenêtre, devant elle. Presque au même niveau que son visage. Plutôt mignon. Il sentit une grande bouffée de fierté grandir dans sa poitrine à l'idée de lui montrer quel homme il était, mais ne put s'empêcher de la taquiner un petit peu.

-S'il te plaaiiiiiit, couina-t-elle, faisant la moue.

Le ballon ne bougeait pas du tout. Il n'y avait pas le moindre vent alors il avait une chance de l'attraper. Ce n'était pas très haut et beaucoup de branches pouvaient l'aider à grimper.

Et il était incapable de résister à son expression.

-Ok, regarde-moi bien, je vais devenir ton nouveau dieu ! Encourage-moi !

-Oui !

Il pouvait entendre ses petits mains frapper dans son dos, soutenu par sa petite voix aiguë. Il n'était pas habitué à ce genre de situation : Mikasa n'était pas une fille qui avait besoin d'aide quand bien même il gérait la situation. Elle le laissait toujours agir de cette façon, probablement pour ne pas heurter sa virilité. Ou son honneur. Mais à cet âge-là, ca ne faisait pas une grande différence.

Lebois blessa ses doigts alors qu'il commença à grimper à l'arbre, mais le sons derrière lui étaient en réalité plus encourageant que ce qu'il avait pensé au premier abord. Il faillit tomber, plusieurs fois. Et plusieurs fois, en entendant les petits cris dans son dis, il réussit à reprendre son équilibre et grimper plus haut.

-C'était facile ! dit-il fièrement une fois que ses pieds eurent touché le sol, le ballon dans ses main et essayant d'empêcher ses jambes de trembler aussi fort.

-Tu es un héros ! Applaudit-elle.

Elle avait un rire cristalin, et un souire lumineux. Puis elle sembla un brin songeuse et secoua la tête doucement avant de le pointer du doigt. Dans son autre main, elle tenait étroitement la base du ballon.

-Non, c'est pas ca ! dit-elle finalement.

-Eh, je t'ai ramené ton ballon !

-Oui ! Et c'est génial ! On aurait dit que tu volais dans l'arbre comme un oiseau !

-Alors je suis un héros !

-Non, tu es un oiseau !

Eren cligna des yeux plusieurs fois, essayant de comprendre ce qu'elle disait. Pas moyen !

-Non ! bouda-t-il. Les oiseaux, c'est pour les filles ! C'est toi l'oiseau !

Encore une fois, elle secoua la tête.

-Non ! Je suis un vers ! répliqua-t-elle avec ferveur.

Il ouvrit grand les yeux, la dévisageant.

-Qu-quoi ?

Il était difficile de ne pas en rire. Elle avait l'air si sûre d'elle ! La seconde d'après, elle regardait le ballon tout juste récupéré.

-Tu peux voler, expliqua-t-elle. Alors tu es un oiseau !

Il hocha la tête, patientant pour la seconde –la plus bizarre- partie de son petit discours.

-Les vers vivent dans les pommes et ne peuvent pas voler ! Alors je suis le vers !

-Je suis sûr que tu peux voler, dit-il avec un rire.

-Nan !

C'était une histoire à la fois étrange et amusante. Mais elle la lui racontait, comme promis. Elle continua.

-Tu sais ce qui arrive entre un oiseau et un vers ?

Eren haussa un sourcil et s'assit sous la fenêtre, son regard toujours levé vers le visage de la petite fille. De cette façon, il pouvait seulement voir ses grands yeux bruns et le bout de son nez.

-Les oiseaux mangent les vers ! dit-il.

Et Dieu qu'il savait avoir raison !

Mais les yeux de la fillette tombèrent sur lui, avec cette expression…Celle qui signifiait qu'il venait de dire quelque chose d'effroyable.

-Tu es horrible ! cria-t-elle.

-Attends, je… !

-Ils tombent amoureux !

Une peau hâlée. Mais des yeux bleus.

Des cheveux longs, mais roux

Un sourire charmant, mais pas ce petit nez légèrement en trompette qu'elle aurait eu.

En ville, vous pouvez observer une grande quantité de personnes. Ils ont tous au moins un élément similaire, mais demeurent définitivement…Différents les uns des autres. Le même nez, mais des yeux différents, les mêmes oreilles, mais des lèvres différentes, la même couleur de peau mais des cheveux différents.

« Eh, qu'est-ce que tu regardes ?

Eren sursauta quand les mots atteignirent son oreille et lança un regard à son ami. Le petit blond était assis à ses côtés, attendant de trouver un moyen de se sortir de cette situation.

-Des culs, répondit-il sans même avoir besoin d'y penser.

-Bon sang, soupira Armin. Quand donc cesseras-tu de te comporter comme un connard ?

Eren grogna un peu, puis dédia un petit sourire à son ami. Ils se trouvaient tous deux à son bureau, en pleine recherche pour leur prochain travail.

Eren Jeagger aurait bientôt vingt-trois ans.

Après avoir terminé l'école primaire, il était entré dans un collège plutôt simple de Shinganshina sans trop penser à son futur. Etudier et jouer avec ses camarades furent sûrement ses seules motivations durant plusieurs années.

Ou plutôt, il avait fait en sorte que ce soit ses activités principales.

A l'âge de sept ans, il avait rencontré quelqu'un. Cette petite fille, avec ces cheveux noirs et ondulé, ces yeux caramel et cette petite bouche boudeuse. Il pouvait se souvenir du premier jour où il l'avait vu, quand il avait dû grimper à un arbre pour récupérer son ballon. Il ne se souvenait ni de la couleur dudit ballon ni de sa taille. Il savait juste qu'elle était là, à l'encourager avec son adorable petite voix.

Ce jour-là, Eren était resté plusieurs heures, assis sous cette fenêtre où la fillette se penchait (ou plutôt, elle essayait visiblement, étant donné qu'elle était trop petite pour laisser dépasser plus que son cou). Il n'apprit pas beaucoup sur elle. Elle n'avait pas même pris la peine de lui dire son prénom : il entendit juste sa mère l'appeler en entrant dans la pièce en même temps.

Elle s'appelait Connie, et sa mère la surnommait 'Conn'. La femme avait un air dur et gentil à la fois, et d'une certaine manière c'était un peu étrange. Lui-même était habitué à sa propre mère, qui était un concentré d'amour et de douceur pour Mikasa et lui.

La mère de Connie ne le vit pas les premières fois. La plupart du temps, il tirait avantage de l'heure tardive à laquelle les autres parents autorisaient leurs enfants à sortir et n'avait jamais dit à ses parents qu'il serait seul. Même s'il s'y habituait (il essayait en fait d'agir de lui-même afin que Connie soit fière de lui), ils n'auraient jamais accepté à cause de son âge. Il était trop jeune. Encore et encore, trop jeune.

Il ne pouvait pas aller aussi souvent chez elle que ce qu'il aurait voulu et passa l'été entier à essayer d'échapper à l'emprise de sa propre famille. Chaque jour ensolleilé, elle était là, probablement assise de l'autre côté de la fenêtre. Et à chaque fois qu'elle le voyait, elle souriait tellement.

Et il aimait ce sourire.

Un sourire adorable, étincelant. C'était à lui qu'elle le dédiait. A personne d'autre.

L'automne et l'hiver s'installèrent lentement. Quand le vent commença à devenir trop froid pour ouvrir les fenêtres toute la journée, il essaya encore d'aller la voir. Avec son gros manteau d'hiver, son écharpe de laine et ses gants épais. A travers la vitre, elle était là, le regardant quand il venait directement en revenant de l'école, laissant Mikasa avec quelques excuses bidons.

Pas de mots.

Juste des gestes idiots. Des sourires. Des rires silencieux l'un pour l'autre.

Elle ne sortit jamais de la maison, coincée chaque jour dans cette chambre. Mais elle ne s'en plaignait jamais.

-Pourquoi devrais-je arrêter de matter ? Sourit Eren pour taquiner Armin.

Le blond soupira doucement avant de sourire à son tour, et posa son gobelet de plastique sur le bureau, vide de café.

-tu devrais vraiment penser à trouver une petite amie plutôt que, euh…dévisager toutes les filles qui passent ?

Eren rit un peu, hochant la tête avec un « oui oui, tu as raison ! » puis attrapa les document qu'ils regardaient. Ils ne s'y étaient même pas sérieusement intéressés.

-Bon sang, dit-il finalement. Qu'est-ce que le chef veut dire par « livres d'enfants » ?

-Livres pour enfants, je suppose ?

-Merveilleux. Saloperie.

A dix ans, la famille d'Eren déménagea. Ou plutôt, il s'agissait de son père, Mikasa et lui-même.

Sa mère était décédée dans un accident d'avion l'année précédente. Son père, à présent un homme brisé, ne supportait plus de vivre dans la même maison dorénavant. Ni la même ville. Ils déménagèrent, loin de Shinganshina, pour une autre vie qui aiderait le pauvre homme à oublier et construire quelque chose de nouveau avec les deux enfants.

A dix ans, Eren eut une nouvelle maison, une nouvelle ville à découvrir et de nouveaux amis.

A dix ans, Eren perdit la mignonne petite fille qu'il parvenait toujours à voir et n'avait jamais rien de nouveau la concernant durant ces deux années passées, puisqu'il était persuadé d'avoir autant de temps qu'il lui fallait pour la connaître et découvrir sa vie, ses goûts et toutes ces petites choses sur elle.

Il avait tort.

Il savait à peine plus que son prénom et quand il fut capable de lire plus facilement, il essaya de comprendre l'écriture (affreuse) de la boite aux lettres. Springer.

Son nom de famille ressemblait au nom des crackers que son père achetait pour certaines occasions, quand leur grands-parents venaient pour le dîner. Il aimait énormément les Pringles.

-Les livres d'enfants sont faciles à lire et à comprendre, répliqua Armin.

-Ils sont débiles, c'est pour les mioches qui apprennent à lire, soupira Eren. C'est chiant !

Armin ne répondit pas de suite, mais finit par attraper le dernier magazine de littérature. Leur magazine, celui pour lequel ils travaillaient : The Daily Reader.

La seule chose qu'Eren savait sur Connie Springer, c'était son amour pour les histoires. Raconter des histoires, créer des histoires, écrire des histoires. Elle en avait toujours eu de nouvelles à lui narrer. C'était ce qu'elle faisait quand ils étaient ensemble. Elle se penchait à la fenêtre. Il était sur le sol, assis sous la fenêtre, dos contre le mur.

Dans cette nouvelle ville, la grande Trost, Eren lui écrivit. Beaucoup.

Elle répondit. Beaucoup.

De longues lettres d'enfants, où il lui racontait sa nouvelle vie et où elle lui racontait d'adorables histoires qu'elle inventait toujours. Les abeilles jaunes. Les chiens blancs. Les papillons bleus. Les arbres bruns. L'herbe verte. Le ciel n'était pas bleu. C'était une nuance d'azur. Un monde coloré qu'elle regardait par cette petite fenêtre.

La réalité arriva rapidement, le blessant. A la fin de sa première année passée à Trost, elle cessa de répondre. Elle arrêta de lui écrire. Et il se trouva seul, lui écrivant en sachant qu'il n'obtiendrait plus de réponse à ses lettres, et lui racontait toujours chaque petit détail de sa vie à Trost.

A la fin de l'année suivante, ses propres lettres revinrent dans sa boite. Elle avait déménagé, sans un mot.

A vingt ans, Eren décida de suivre cette voie. L'écriture. Ce n'était pas tant comme s'il pouvait la retrouver en travaillant dans quelque chose qu'elle aimait. Non, c'était différent. Il ne savait juste pas ce qu'il pouvait faire d'autre. Il pouvait devenir critique, travailler pour un magazine, lire ses livres, écrire de merveilleux articles sur le travail qu'elle aurait fait, la rendre heureuse.

Mais là encore, la réalité lui démontra de quoi elle était faite : son nom n'était jamais apparu sur quel que livre que ce soit quand il arpentait la liste des nouveaux auteurs et de leurs livres récemment publiés.

Son nom ne vint jamais.

Il supposa même qu'elle avait pris un pseudonyme ou quelque chose de ce genre pour se cacher.

Mais peut-être avait-elle simplement abandonné les histoire en grandissant.

-Mais pourquoi le chef veut-il que je bosse sur ce type de lecture ? marmonna Eren.

-Je me souviens qu'il…

Ils sursautèrent de concert quand deux mains apparurent sur leurs épaules respectives. Les doigts longs et fins pincèrent fortement sans considération pour la douleur occasionnée et la voix, légèrement nasillarde, se fit entendre. Aussi ennuyée qu'à l'habitude.

-Je te l'ai dit, gamin. Tes artibles sont ignobles personne ne veut que tu écrives sur leurs livres.

-Ce…C'est faux ! s'exclama Eren en se tournant vers l'homme.

Son chef.

-Arlet !

La voix s'éleva fort et l'épaule d'Eren devint plus douloureuse.

-O-oui chef ?

-Rappelle-lui le dernier article.

Armin déglutit. Tout le monde dans le petit bâtiment du magazine se souvenait du dernier incident qui était arrivé à Eren juste à cause de son dernier article.

-Eh…Eh bien, Eren…, hésita-t-il.

Le jeune homme ouvrit la bouche sous le regard sombre de son superieur. L'homme était tellement plus petit que lui, même plus petit qu'Armin, qu'il était toujours étrange de se trouver dans ce type de situation.

Eren secoua la tête.

-Je ne suis pas idiot, je me souviens très bien du poing d'Ymir dans ma gueule !

-Bien. Et de celui de Hoover aussi ? L'article encore avant.

Ce fut au tour d'Eren de déglutir avec difficulté.

-J-je m'en souviens…

-Et les autres encore avant ?

-Je…

La douleur dans son épaule augmentait affreusement.

-Je suis désolé chef ! Je suis désolé !

Un soupir.

-Ne sois pas seulement désolé, gamin. Fais quelque chose de ta grande gueule.

-J-je peux mieux le faire, je suis sûr que je le peux !

A vingt-deux ans, Eren parvint à se faire embaucher par le Daily Reader et écrivit des articles sur les travaux de différents auteurs. Ses impressions, ses sentiments, ce qu'il pensait de l'histoire, de quel façon les choses tournaient et retournaient dans son esprit.

Il foirait tout à chaque fois.

Une petite claque à l'arrière de son crâne le ramena à la réalité et il entendit l'lhomme marmonner derrière lui.

-Ce n'est pas que tu sois mauvais, tu es même plutôt bon pour l'écriture. Mais t'es vraiment une merde quand tu dois t'exprimer.

Un petit élan d'espoir traevrsa Eren et il tourna son visage vers l'homme de petite taille. D'aussi près, celui-ci semblait un peu moins jeune que ce qu'il paraissait en temps normal. Il était impossible de saisir l'âge réel qu'il avait, même en sachant toute l'expérience qu'il avait autant dans la vie que sur le plan professionnel.

-C-chef… !

Espoir-espoir-espoir-espoir. Il ne voulait pas lire ni écrire sur des histoires débiles faites pour les enfants. Il s'en foutait. C'était incroyablement chiant.

-Trouve un bouquin. Il y a quelques nouveaux auteurs qui se sont lancés là-dedans dernièrement.

-Là-dedans ?

-Les enfants.

Bordel de merde.

Merde merde merde mer-

Armin tourna quelques pages de leur propre magazine, cherchant pour la partie sur laquelle ils n'avaient pas encore travaillé. Les nouveaux auteurs. Et, plus particulièrement, la page dédiée aux livres pour enfants.

-On y est, Eren, dit-il avec un petit sourire.

Le jeune homme fit une moue boudeuse. Bon. Il n'avait pas le choix,, songea-t-il en prenant le magazine. Plusieurs noms étaient écrits. Les titres avec, à côté, le nom de leur auteur.

Comment lire ma vie, de Wagner T.

J'aime mon chien, de Mina C.

Le ver et l'oiseau, de Springer C.

Le jouroù j'ai traversé la rue, de…

Eren sursauta.

Regarda une deuxième fois.

Déglutit.

Oh bon sang.

La réalité avait disparu. Son enfance était là, sous ses yeux.

Le ver et l'oiseau.

Par Springer C.

-Oh putain, bordel…

C'était à peu près tout ce qu'Eren fut capable de dire correctement durant la journée qui suivit la découverte des différents noms d'auteurs et celui de Connie parmi eux. Ca ne se pouvait pas. Ce n'était pas possible.

Mais son collègue, Armin, avait dû les relire, de façon claire et à haute voix, pour qu'il réagisse enfin. Eren se frotta e visage de ses paumes, soupirant et inspirant profondément.

C'était réel.

Ca l'était vraiment.

-Oh putain-putain-putain-putain-putain-pu—

-Arrête de dire 'putain', Eren, marmonna Armin avant de lancer les papiers au brun. Ce n'est pas très professionnel…D'ailleurs, c'est quoi ton problème avec ces bouquins ? La dernière fois tu étais complètement déprimé à l'idée de travailler sur ce type de bouquin et aujourd'hui…Oh bon sang, qu'est-ce qu'il y a dans ta tête ? Tu—

Quand bien même Eren tentait de rester calme, quelque chose coupa brusquement Armin dans sa phrase. Le bruit sourd d'une boîte (qui n'était pas seulement grosse mais tout aussi lourde) emplit l'air et ils tournèrent tous leur attention vers l'origine du son. Chacun était encore dans son propre bureau ouvert. Ils pouvaient entendre le bruit discret des touches de clavier venant du bureau de leurs chefs, le seul espace qui était séparé par un mur de la grande salle où ils étaient tous confinés dans ces espèces de bureaux-boîtes.

Au centre de la grande pièce, il y avait cette grande table circulaire, où ils se réunissaient souvent lorsqu'il s'agissait de parler et d'échanger ensemble plutôt que de hurler de bureau à bureau.

Et c'est là qu'ils se trouvaient à présent.

-Nouveaux arrivages, les mecs !

Eren sentit un frisson de dégoût vibrer le long de sa colonne quand il put mettre un nom sur la voix. Aussitôt, il rentra la tête dans les épaules en marmonnant de façon inintelligible. Armin cligna des yeux plusieurs fois en le regardant, et comprit enfin : un énorme carton était placé sur la table, et le jeune homme qui venait de l'amenait n'était autre que…

Jean Kirshtein.

-Doux Jesus, Eren…, soupira-t-il. Qu'est-ce que c'est que cette tête, à chaque fois que tu vois ou entends ce type ?

-Il est naze ! Siffla Eren.

-Tu sais très bien que non. Tu le hais tant que ca ?

-Non, je…Oh, et puis merde : SI !

Se penchant sur sa chaise, Armin eut un petit rire en voyant l'expression d'Eren. Les joues du jeune homme arboraient à présent une jolie nuance de rouge pas le rougissement typique d'un homme-qui-en-aime-un-autre mais quelque chose de plus proche de la rivalité.

-Je ne comprends toujours pas, d'ailleurs, tu as été embauché l'an dernier et il était déjà un membre de l'équipe…Je me souviens que tu ne l'appréciais déjà pas bien avant de le voir !

-Je te l'ai déjà dit, Armin, on se connait de Shinganshina !

-Ah, euh, peut-être… ?

Eren roula des yeux. Enfin, ce n'était pas comme s'il avait expliqué les choses à maintes reprises au blond. Et pourtant c'était le cas et il devait de nouveau le faire, acceptant la mauvaise mémoire d'Armin. Il se souvenait clairement de Jean à l'époque où il vivait à Shinganshina, quand bien même le blond n'était pas originaire de la petite ville. Jean venait l'été seulement, suivant sa famille qui prenaient des vacances chez leur grand-mère. Il n'était présent que deux mois dans l'année et c'était plus que suffisant : Eren ne supportait pas ce garçon, ses manières, sa façon de s'exprimer. Jean était un con. Point.

Des années après qu'il ait déménagé à Trost, Eren n'entendait pas parler de Jean. Plus encore, il oublia jusqu'à son existence et vécut sans même y penser. Puis la magie de la vie et de la réalité refit son apparition.

Jean travaillait à l'endroit même où il avait demandé un travail et avait pu se faire embaucher.

Il se sentait incroyablement (mal)chanceux.

Armin haussa légèrement les épaules avec de se lever de sa chaise.

-Eh bien, si tu ne l'aimes pas, au moins ne laisse pas tes sentiments gâcher ton travail !

Ils étaient déjà assis autour de la table, attendant de récupérer la base de leur prochain travaux. Le nouvel arrivage consistait en énorme carton rempli de livres précommandés, en fonction de ce qu'ils avaient décidé.

-'Kay, vous tous, commença Jean comme il attrapait les premières ouvrages qu'il pouvait dans la grande boîte. Section 'Horreur' !

Deux personnes se levèrent et c omme pour chaque distribution, Eren haussa un sourcil, essayant d'imaginer pour quelle raison cette section ne comptait que deux personnes, soit ces deux femmes. La plus petite portait de petites lunettes, un peu camoufflées sous ses cheveux blancs (il ne pouvait pas vraiment discerner si elle s'était fait faire une teinture ou autre, ou si c'était une couleur naturelle malgré son jeune âge), et elle lança un regard dur à Jean quand elle prit le livre qu'elle avait demandé. L'autre était incroyablement douce. Ou plutôt, elle semblait tellement plus jeune et douce que les autres qu'il ne comprenait pas comment elle pouvait lire ce type de livres. Avec ses cheveux noirs séparés en deux grosses couettes, elle ne semblait définitivement pas de ce genre.

Il avait toujours trouvé ces deux-là assez étrange, à lire et s'extasier sur ces lectures. SURTOUT AVEC CE PUTAIN D'ENORME SOURIRE !

-Allez, suivant…'Amour', c'par là…, Jean appela.

Armin ne resta pas assis bien longtemps et Eren s'attarda sur le jeune homme alors qu'il marchait vers Jean pour prendre ses livres. Plusieurs livres d'ailleurs. En fait, tout le monde le savait : Armin était plutôt intelligent. Trop, même. Aussi la direction avait-elle conclut un accord avec lui, l'autorisant à travailler plus que les autres. Exactement, ils l'AUTORISAIENT. Armin avait ce besoin de travailler beaucoup, toujours plus, d'utiliser son cerveau jusqu'à ce qu'il oubliât tout autour de lui. C'était probablement la raison pour laquelle tout le monde devait lui rappeler certaines petites choses de temps en temps.

-Un…Deux…Trois…Tiens, le huitième, Armin !

Jean laissa échapper un sourire quand il posa le dernière livre dans les bras du jeune homme, essayant de l'aider à équilibrer la pile. « C'est bon ? » rit-il légèrement. Armin hocha la tête avec un petit sourire, visiblement déjà perdu dans son plan de lecture et la façon dont il allait gérer tout ce travail. Puis il revint s'asseoir aux côtés d'Eren, son sourire toujours ancré sur son visage.

-Uh, tu…Tu vas pouvoir lire et rédiger sur tous ces bouquins pour le mois prochain ? demanda Eren à voix basse.

Armin le regarda avec une certaine surprise.

-Le mois prochain ? J'aurais terminé dans deux semaines. Peut-être la semaine prochaine si je m'ennuie.

Eren grinça un peu à la réponse, peu sûre de savoir comment il devait le prendre. Lui-même était plutôt lent à la lecture, prenant son temps et essayant de penser à tout ce qu'il pourrait prendre du lire.

-T'es incroyable…, murmura-t-il.

Armin rougit légèrement à la remarque, portant son attention sur les livres alors que Jean continuait d'appeler les différentes sections qui attendaient chacune leur tour.

-J-je ne le suis pas, vraiment… !

-Tu veux rire, tu l'es ! T'es le seul capable de bosser avec un tel délais, ici !

Armin secoua la tête, rougissant d'autant plus jusqu'à ce qu'il prenne une jolie teinte cramoisie.

-Ce-c'est faux, dit-il. Notre patron est meilleur que moi…

-Tu parles de M. Smith ?

-Non, le chef Levi !

-Quoooo—

-'Enfants' ! appela Jean.

Le jeune homme avait probablement appelé plusieurs fois : sa voix s'était élevée plus fortement qu'à l'habitude et il avait l'air profondément agacé. Plus que d'habitude.

Marmonnant pour lui-même, Eren se leva pour se diriger vers Jean, et sortit une main pour prendre ses livres. Mais Jean ne l'entendit pas de cette oreille, jetant un coup d'œil aux deux livres qu'il avait entre les mains, et il haussa un sourcil dédié à Eren.

-Des livres d'enfants ? demanda-t-il avant d'étirer un sourire. Je ne savais pas que tu étais de ce genre ! Les romans policiers étaient trop complexes pour toi ?

-Ta gueule Kirshtein !

Jean ricana un peu, puis se tut brusquement quand il vit la couverture du deuxième livre.

-Attend, tu lis du Springer ?

Snas trop savoir pourquoi, Eren sentit ses joues virer au rouge tomate, jusqu'à ses oreilles qui devinrent brûlantes.

-Ce-ça ne te regarde pas !

Et avec un nouveau sourire, Jean haussa les épaules calmement.

-Du calme. Pas de ta faute si t'as jamais entendu parler de ces bouquins. On sait tous que t'es un peu limité.

Et Eren commença à voir rouge.

Cependant, avant qu'il puisse ne serait-ce que penser à frapper Jean, deux mains l'avaient déjà attrapé par les bras pour l'immobiliser. Il n'y avait plus un seul bruit. Eren ne pouvait plus bouger, stoppé par une force pour le moins impressionnante. Personne ne parlait. Et tous les yeux étaient tournés vers lui. Ou plutôt vers la personne derrière lui.

Et il savait de qui il s'agissait.

Mais la voix qui s'éleva ne fit que confirmer ses doutes.

-Eh, t'as pas fini, Kirshtein ? On ne te paie pas pour t'amuser avec tes copains.

-L-Levi ! J-je suis désolé, J'étais juste s-surpris par son choix…

D'une certaine manière, l'homme dans son dos avait réussi à faire asseoir Eren sur la chaise la plus proche sans même lui demander son avis. En sentant la pression sur ses pauvres bras, sa rage soudaine s'était évanouie, et il frotta son membre meurtri, serrant finement les lèvres.

-J'ai décidé de lui faire changer son type de lecture, continua Levi avant de croiser les bras. Quelque chose à y redire ?

-Ah, hum, je vois, je vois, eh bien, ce-c'est sûrment mieux comme ca !

-Dégage gamin, t'as une tonne de boulot !

-Oui monsieur !

Sur la table, Jean avait posé les deux livres commandés pour Eren. Le premier…En fait, Eren s'en moquait éperdument. Un bouquin pour enfant comme un autre, qui s'appelait « Je suis rentré » et ne lui semblait pas le moins du monde intéressant. C'était pour les enfants. Et il détestait ce genre de bouquins.

Mais l'autre était différent. La première de couverture était plutôt simple : le titre « Le ver et L'oiseau », et juste en dessous le nom de l'auteur 'Connie Springer' étaient écrits. Un gros titre en lettre rondes. Le 'o' de 'oiseau' était tracé avec le corps d'un petit ver souriant au lecteur. 'Connie Springer' était écrit si finement, si petit.

Juste en dessous, il y avait une pomme. Quelque chose de simple.

Une pomme rouge.

Il pouvait se souvenir d'elle, souriant et montrant du doigts le pommier dans joli petit jardin. « Je veux une pomme ! » disait-elle.

Elle aimait les pommes. Parce que pour elle, les pommes étaient le liens entre les oiseaux et les vers. Une maison commune. Une nourriture commune.

Elle en aimait la saveur, quand le fruit était sucré et encore tiède à cause de la chaleur du soleil.

Elle aimait les pommes rouges.

Sur la couverture, il y avait cette pomme rouge. Une énorme, avec un petit trou au sommet, et il savait d'avance qu'il s'agissait de la maison du ver. Celui qui formait un 'o' au-dessus de la pomme.

Il reconnaissait ça.

Ce dessin.

C'était le sien. Quand il allait la voir, elle dessinait beaucoup sur cette histoire. Sa préférée.

C'était elle. Elle était encore quelque part. Elle était encore fidèle à elle-même, comme avant. Il tourna les premières pages, reniflant un peu en regardant les illustrations. Chaque page en avait.

Une main toucha son épaule et il frémit, levant les yeux sur l'homme aux cheveux corbeau qui était toujours debout devant lui. « Eh, pas la peine de pleurer gamin. Je te l'ai déjà dit, ce n'est pas une mise à pied !

-Je ne pleure pas !

Un soupir.

-Si. Essuie toi les yeux.

Merde.

Le café était plutôt bondé. Parfois, l'odeur d'une cigarette parvenait de l'extérieur, avec le petit bruit de la clochette s'agitant furieusement. Là, encore une fois. Eren soupira un peu, baissant les yeux sur le livre qui trônait sur la table. Ce qui était censé être 'le livre d'enfant de Connie', en fait. Pensif, il ouvrit la première page. Il avait effectué ce mouvement tellement de fois déjà durant la semaine, qu'il n'était plus très sûr de ce qu'il voulait vraiment vérifier dedans à chaque fois qu'il l'ouvrait. Encore et encore.

Des dessins. Des dessins d'enfant. Il les avait vu quand lui-même en était un. Quand elle lui montrait chaque étape de cette adorable histoire qu'elle avait créée. Sur le première page, un mignon petit ver glissait sur le sol, se battant contre l'herbe. C'était quelque chose de terriblement haut et dur pour une si petite créature. Et chaque fois qu'il se souvenait de son visage si sérieux quand elle narrait les aventures du pauvre petit ver perdu dans les hautes herbes, il ne pouvait s'empêcher de sourire. Le ver était à la recherche de quelque chose. Il pleuvait des cordes. Connie avait dessiné des lignes bleues verticales pour l'illustrer. Et le ver cherchait une maison. Un endroit confortable pour se poser et vivre.

Et le ver trouva un arbre, y grimpa et trouva une pomme. Une belle pomme, si sucrée et juteuse. Elle devint bientôt une mignonne petite maison. Connie avait dessiné quelque chose comme un halo chaleureux, et Eren se souvenait très bien à qel point il avait pu se moquer d'elle et de ces lignes courbes de couleur orange et rouge qui courraient partout dans le petit appartement qu'il y avait dans la pomme. Elle voulait qu'il se sente « comme à la maison ». Eren sourit à la petite ligne incurvée qu'elle avait dessinée pour faire un sourire au ver. « Le ver est heureux ! » avait-elle dit.

Il soupira, tournant les pages. La pluie s'était arrêtée. Le ver vivait toujours dans la pomme. Et par une petite fenêtre (« Oh bon sang Connie, une fenêtre dans une pomme ? » « Il veut voir l'extérieur ! »), il pouvait voir un oiseau. Il était petit, mais omparé au ver, il était incroyablement gros. Et l'oiseau volait, sautait de branche en branche, mangeant de pomme en pomme dans le pommier. Ou en tout cas, c'était ce qui était écrit : il parvenait à peine à distinguer un oiseau dans ce gribouillis et cela l'avait fait rire la première fois qu'il l'avait vu. Elle avait boudé. Comme d'habitude. Et c'était adorable.

-Ah, Eren ! Désolé pour le retard, je devais finir quelques petites choses !

Le jeune homme sursauta un peu alors qu'il fixait la multitude de petits cœurs rouges qui volaient autour de la tête du ver (pouvait-on seulement appeler cela une tête ? c'était juste un putain de ver !) et il dédia un tout petit sourire à Armin qui venait d'entrer dans le café.

-Aucun soucis, dit-il. Tu as fini ton travail ?

Armin se laissa presque tomber sur le tabouret haut, soupirant profondément. « J'espère bien !, rit-il doucement. Plus qu'un et j'en ai fini. » Et il soupira légèrement, commandant un capuccino au serveur qui attendait déjà son choix, puis sourit de nouveau à Eren.

-Mais dis-moi, ajouta Armin, qu'est-ce que c'était que ce SMS ? Je veux dire, tu avais l'air tellement heureux de travailler sur ce livre…

L'expression minée revint derechef sur le visage d'Eren et Armin fronça aussitôt les sourcils.

-Que se passe-t-il ?

Il baissa alors les yeux, remarquant alors seulement le livre grand ouvert sur la petite table ronde.

-Tu veux me montrer ?

Eren secoua la tête lentement avant de tourner une autre page de nouveau.

-Je ne sais pas trop…, murmura-t-il. Il y a quelque chose…Eh bien, je pensais avoir trouvé Connie, c'est vrai, mais tu sais…Et si ce n'était pas du tout ça ?

Un nouveau soupir. Eren haussa un sourcil et leva les yeux sur Armin qui observait le dessin de l'oiseau debout devant la fenêtre de la petite pomme (ou quoi que ca puisse être).

-Tu parles de 'Connie' depuis tellement longtemps, commença Armin. Et maintenant que tu as quelque chose à suivre, je veux dire que c'est peut-être une piste à affiner, tu abandonnes de suite ?

-MAIS ! Ce…Je veux dire, ce n'est pas quelque chose que Connie aurait écrit et…

Armin donna une tape sur la table, effrayant un peu le serveur qui était déjà de retour avec sa boisson. Après quelques petites excuses, Armin revint à Eren avec une expression profondément renfrognée.

-Très bien, dit-il en pointant le livre du doigt. Alors ce n'est pas à Connie ? C'est ca que tu voulais dire dans ton message par 'cette merde ne peut pas être son livre' ?

Eren hésita un peu.

-Eh…Eh bien…En fait c'est assez bizarre…

-Quoi ?

-Il y a ses dessins, c'est…C'est incontestable…, Eren marmonna, tournant une nouvelle page.

Sur celle-ci, le ver tentait de se fabriquer des ailes dans son salon, devenant de plus en plus triste de ne pas être capable de voler. Et oh, bon sang, un ver qui pleurait ? Quelque part, c'était triste. Vraiment triste, et il ne parvenait pas à saisir la raison. Il n'avait jamais vu ce dessin auparavant.

-Mais il y a quelque chose qui n'est pas… 'Elle'…

-Dis-moi ?

Eren eut une expression un peu confuse, voir perdue, Armin aurait pu dire. Il était évident qu'il voulait voir sa 'Connie dans ce livre mais la peur qu'il se soit trompé ou puisse découvrir quelques chose qui différait de ses vieux souvenirs était forte. Armin pouvait comprendre : la vie était faite de moments comme ceux-ci. Pendant un moment, le brun resta silencieux et il attendit patiemment qu'Eren ait fini de réfléchir avant de parler. Ah, son cappuccino allait être un peu froid à force. Il n'aimait pas tellement quand c'était ainsi. Les boissons chaudes étaient meilleures quand le temps était aussi froid dehors.

Eren toucha le coin d'une page du livre du bout des doigts, sur le point de la tourner. Sur celle-ci, le ver faisait face à l'oiseau, souriant de tout son cœur, ses pauvres ailes de papier sur son dos, l'une d'elle déjà en train de tomber.

-Quand elle me racontait cette histoire, tout n'était que…Rire et amusement, commença-t-il avec une petite voix. J'aimais la taquiner avec ses dessins et ce genre de petites choses…

Armin lança un coup d'œil à Eren puis revint à sa tasse, l'écoutant. « Mais ? »

Eren fit une petite moue, dans une expression un peu boudeuse, comme le ferait un enfant.

-Je te l'ai dit, je ne sais pas…Quand je l'ai lu la première fois, je m'attendais à l'histoire que j'avais entendu quand on était gosse…

-Ce n'est pas le cas ?

-Le sujet est le même, similaire…

Eren haussa un peu les épaules.

-Mais l'histoire est…Différente…Ca devrait être quelque chose de mignon, j'aimais quand elle me le racontait…Mais là…Enfin, c'est bizarre, même triste, quand je le lis…Et je ne parle même pas de la fin…

Armin lâcha satasse de nouveau, haussant un sourcil curieux.

-La fin ?

Eren hocha la tête.

-Dis-moi, que penses-tu d'un oiseau et d'un ver ?

Armin cligna des yeux plusieurs fois à la question, essayant de saisir ce que le garçon avait en tête. Mais il finit pas simplement sourire, secouant la tête.

-J'ai déjà lu ce livre, Eren, dit-il. Je sais ce qui arrive.

-Alors…

Eren tourna la dernière page d'un mouvement lent, pinçant les lèvres en une fine ligne. Il détestait ce dessin. Le rouge sur le papier blanc. Les chairs sur le sol, ou quelque chose qui y ressemblait. Des morceaux rosés issus du corps du ver.

L'oiseau avait mangé le ver.

-Alors dis-moi, Armin, murmura-t-il. dis-moi pourquoi l'oiseau n'est pas tombé amoureux du ver… ?

Quelque chose n'allait pas avec ce livre. La dernière page était totalement différente des autres. Le dessin l'étais également. Il pouvait voir la différence notable qu'il pouvait y avoir entre le dessin d'un enfant, celui d'un adolescent et celui d'un adulte. Le dernier n'était pas celui d'un enfant.

Peut-être un adulte.

Et quelque part, Eren se sentait mal. C'était quelque chose qui avait dû se produire durant ces dernières années, quelque chose de suffisamment difficile pour changer une personnalité qu'il avait connu des années auparavant. Quelque chose de suffisamment mauvais pour changer cette histoire d'amour.

-Pourquoi parles-tu d'amour ? entendit-il brusquement. Connie a dû subir beaucoup de choses depuis l'enfance. Je pense que ce livre est juste une interprétation de ce que sa vie a été jusqu'à maintenant…

Cette fois-ci, Eren fixa Armin, essayant de comprendre. Il ne savait pas vraiment comment prendre ses mots et hésita un peu avant de demander.

-Que…Qu'est-ce que tu veux dire, Armin… ?

-Eh bien…

Armin essaya de boire son capuccino avec de continuer. C'était déjà froid. Complètement. Et il grimaça un peu.

-En fait, je connais Connie Springer, l'auteur de ce livre…

Il y eut un blanc dans le cerveau d'Eren. 'QU'EST-CE QUE C'EST QUE CE BORDEL !?' était à peu près la seule chose qui lui traversa l'esprit comme ses yeux s'ouvraient grands.

-M-m-m-m-mais…

-Il fê…

Armin toussota soudain un petit peu avant de se reprendre.

-Elle fête son anniversaire aujourd'hui, il y a une soirée pour l'occasion.

Bon sang, quel jour était-il ? Sentant son cœur accélérer brutalement dans sa poitrine, Eren jeta un coup d'œil à l'écran de son téléphone pour vérifier la date, et sentit un long frisson le long de l'échine.

D'accord.

Du calme.

C'était aussi le jour de son anniversaire. L'anniversaire de la Connie qu'il connaissait.

-B-bien…, réussit-il à dire.

-Cava ? T'as l'air bizarre.

Eren hocha la tête. En une phrase, Armin avait mis ses idées sens dessus dessous. Comment ce type pouvait-il connaître Connie ? Etait-il seulement sérieux ? Pourtant, Armin n'était pas le genre de personne à rire sur le dos des autres. Plutôt l'inverse, en fait. Armin était plutôt naturel quand il parlait de ça. Peut-être ne comprenait-il juste pas l'importance de la situation pour son collègue ? Ah, probablement.

-Je suis d'accord, je suppose…, marmonna-t-il finalement.

Armin poussa un peu sa tasse vers Eren. Il n'allait pas boire ça, après tout, alors Eren le prit. La boisson ne contenait pas autant de café que ce qu'il avait lui-même l'habitude de boire, et il y avait trop de sucre, mais bon, ce n'était pas si mauvais.

Armin gloussa un peu.

-Tu devrais voir ta tête ! Tu as peur ou quoi ?

Tout d'un coup, Eren sentit son visage s'empourprer. Profondément.

-Je n'ai pas peur ! Je suis un adulte !

-Mais…Si je comprends bien tout, maintenant…

Eren déglutit, avant de prendre une nouvelle gorgée.

-Connie était ton premier amour !

Pris de court, Eren recracha la boisson sur le sol, essayant autant que possible d'asperger le livre.

-Qu'est-ce que tu baragouines, idiot !?

Le rire qui lui répondit était plutôt relaxant. Et à ce moment-là seulement, le jeune homme remarqua à quel point il était tendu. Pourquoi ? Vraiment, pourquoi prenait-il tout cela autant à cœur ?

Connie n'était qu'une petite fille qu'il avait rencontré gamin, n'est-ce pas ?

Elle avait seulement été la raison principale de la plupart de ses actions durant le reste de sa vie, rien de plus, n'est-ce pas ?

Et elle n'était que l'auteur de ce livre.

N'est-ce pas ?

-Mais…A-attend un peu…, réalisa soudain Eren. El-elle vit isi ? Je veux dire, à Trost ?

Armin hocha doucement la tête, tout en vérifiant les messages sur son téléphone pendant quelques secondes.

-Oui, il—elle a déménagé il y a quelques années. Enfin, ca fait un moment maintenant, en fait, marmonna Armin, plutôt absent comme il répondait déjà au message de quelqu'un.

-Je ne savais pas…

-T'es tout pâle. Si tu ne veux pas venir, t'es pas obligé…

-NON !

Armin sursauta au ton d'Eren, tout comme plusieurs autres clients autour d'eux, surpris par l'éclat de voix soudain. Eren lui-même se demandait ce qui lui avait pris, et il essaya d'agir comme si de rien n'était.

-J-je veux dire, j'aimerai beaucoup venir et…Et la rencontrer…

-Bien alors. J'ai juste à te prévenir auparavant.

Eren fronça les sourcils.

-Eh, t'avais pas dit qu'il y aurait des conditions !

-Ce n'est pas ça. Seulement, n'agis pas comme un connard. Berthold et d'autres seront là ce soir.

-Qu'est-ce que—

-De vieux amis.

-Mais pourquoi !?

-Même lycée et université.

-Bon sang Armin, arrête avec tes SMS et fais des phrases complètes !

Le blond eut un petit rire en posant son téléphone sur la table.

-D'habitude ca ne te perturbe pas. Je suppose que c'est quelque chose d'important pour toi, alors ?

-Ce n'est pas—

-Tu passes déjà suffisamment pour un enfoiré, admets au moins que tu veux absolument la voir.

-Je crois que je te déteste.

-C'est bien ! Bon, il y aura beaucoup de gens que tu ne connais pas. Je prévenais celui qui prépare la fête, que quelqu'un d'autre m'accompagnerait.

Eren rougit légèrement. Etait-ce si problématique que quelqu'un se rajoutât à la soirée s'il y avait déjà autant de monde à l'origine ?

-C'est mal, que je vienne ?

-Non, seulement…Certains d'entre eux ne sont pas à l'aise avec les inconnus.

-Je…Je vois…

-Tu regrettes ta décision ? Tu restes chez toi ce soir ?

Eren lança un regard sombre à Armin. C'était quoi son problème à la fin ?

-NON ! JE VIENS !