Titre : Une presqu'amitié
Disclaimer : Les personnages de X de Clamp ne m'appartiennent pas, je le constate tous les jours en me réveillant seule dans mon lit le matin… De plus, cette fanfic est pour mon plaisir personnel et n'est pas faite dans un but lucratif.
Rating : T quand même pour quelques situations suggestives par la suite… J'ai dit suggestives ! Rien de plus !
Genre : Euh… délire, humour (douteux) et un soupçon de romance.
Note 1 : Cette fanfic est un recueil de drabbles mettant en scène Seishirô et Fûma. Les reviews sont les bienvenues!
Note 2 : Je dédicace cette fanfiction à un de mes meilleurs amis, Fabrice, qui m'a beaucoup inspiré sur ce coup-là (alors qu'il n'a jamais lu un traître mot de ce manga, il est fort!) et m'a donné certaines idées que je reprendrai ici. J'espère de tout cœur qu'il appréciera mon cadeau ! Merci de ton soutien !
--
Prologue : Une (presque) dernière entrevue
Je jette nonchalamment ma cigarette sur le trottoir. Il est en retard, ce qui n'est pas dans ses habitudes. Mais nul besoin de s'inquiéter : on s'inquiète lorsqu'une petite fille est seule le soir dans la rue ; pas pour le Kamui Dragon de la Terre... Enfin, il est vrai que quand il est dehors, certaines personnes devraient se faire du souci, mais… certainement pas moi.
Trouvé… Mon shiki, un bel aigle royal noir, invisible pour le commun des mortels, vient de le localiser… Que fait-il dans un parc ? Je lui avais donné rendez-vous près d'un salon de thé afin de discuter et lui… Je lève la tête et passe en soupirant une main dans mes cheveux. Je vois mon aigle revenir à travers mes verres sombres. Mon bras se tend imperceptiblement et l'animal disparaît de ma vue comme par enchantement. Rectifions : par enchantement. Un faible sourire étire mes lèvres à la pensée de ce qui m'attend tout à l'heure… Mettons-nous en route…
Trouvé, effectivement, en chair et en os. En train de jouer au foot avec des gamins. Dans un parc. Il lève la tête à mon arrivée, mais il ne paraît pas surpris pour un sou de me voir. Il m'illumine de son sourire angélique. Un sourire qui le quitte rarement, à vrai dire… Sauf parfois face à une certaine personne… Il est vêtu d'une chemise mi-blanche mi-noire, et d'un jean blanc… Toujours classe, il a de qui tenir, je suis toujours impeccable. Il a bien retenu la leçon…
Je le regarde parler aux gamins avec lui, leur laisser le ballon et leur dire au revoir, comme un grand frère. Dire que ce beau jeune homme est le Dragon de la Terre, celui qui est destiné à détruire l'espèce humaine sous peu afin d'exaucer le voeu de cette Terre nourricière corrompue par ses enfants… Un faiseur de souhait, un génie entravé malgré tout par des chaînes qu'il ne peut défaire. Il peut connaître et réaliser le vœu de chacun, sauf le sien. Que c'est pathétique… Mais tout cela m'importe peu en réalité, je suis juste venu passer un dernier moment avec celui qui m'a bien distrait ces derniers mois…
-« Seishirô ! C'est cool que tu sois venu ! Me lance-t-il d'un air joyeux.
-Comme d'habitude, tu as glandé, sachant pertinemment que j'allais partir à ta recherche si tu étais en retard, répliqué-je d'un ton faussement aigri.
-Grand frère ! »
Il fait mine de se jeter dans mes bras, je m'écarte promptement. Il fait la moue, apparemment déçu. Mais je sais qu'il n'en est rien. Comme il est bon comédien ! Comme moi en somme. J'aurais presque pu croire à son manège si ce "Kamui" m'était inconnu… Dénués de sentiments, nous nous montrons pourtant très expressifs, faisons semblant encore et toujours devant la face de ce monde que nous ignorons superbement en réalité. Mais cela ne nous dérange pas, au contraire, c'est un jeu auquel nous nous soumettons avec grand plaisir. Le plaisir du jeu… Voilà notre principal point commun, je pense. Pour nous, la Terre est un vaste parc d'attraction et les humains ne sont que de pitoyables clowns qui ne nous font même plus rire, bien que nous continuions à jouer le jeu. Juste pour le plaisir…
Nous nous sommes mis en route tranquillement, pas en sautant de toit en toit, nous ne sommes pas de service aujourd'hui, nous n'avons pas de kekkai à briser ou de vie à détruire. Nous parlons de tout et de rien, nous taquinons mutuellement, nous amusant, en somme. En passant devant la devanture d'un magasin, je nous regarde dans la glace d'une vitrine. Il est vrai que nous nous ressemblons un peu, à y regarder de près. Mais seulement un peu.
-« Tu te fais beau pour une belle serveuse qui t'attend ? Me dit-il, taquin.
-Je n'ai pas mes habitudes là-bas, tu sais…
-Ne sois pas aussi modeste, voyons ! Me dit-il d'un air de reproche.
-Je suis réaliste, nuance. Mais toi, si tu as une touche…
-Bah, je ne suis pas là pour ça…
-Non, tu es simplement là pour me pourrir la vie, lui dis-je d'un grand sourire.
-Bien sûr ! Me répond-t-il, enjoué. Mais c'est toi qui m'as invité.
-Content que tu en sois conscient. »
Il me sourit à travers la vitre, l'air malicieux. Il ne change pas… Après tout, il n'a que dix-sept ans…
Nous continuons notre marche, puis entrons dans le salon de thé où, dit-on, les gâteaux au chocolat sont de pures merveilles… Une véritable caverne d'Ali Baba pour nous, si friands de sucreries. Nous nous installons près d'une vitre afin de pouvoir regarder la rue et ses passants. Et à une table avec un cendrier, dans le coin des fumeurs. A peine assis, une serveuse vient prendre notre commande. Je souris à mon invité, lui disant qu'il est à mes frais. Pendant que je retire mes lunettes et mon imperméable, nous choisissons, lui une énorme glace à la framboise et au chocolat, le tout garni de chantilly et moi, plus modestement, un thé avec une part de gâteau au chocolat. La serveuse s'en va, ce qui est une bonne chose. Nous pouvons commencer à nous amuser :
-« Bien, Fûma, tu as une touche, lui dis-je en souriant.
-Tu crois ? Me demande-t-il d'un air faussement modeste.
-On parie quoi qu'elle mettra son numéro de téléphone au dos de la note ?
-Heu… Trois beignets à la fraise ! Mais… Tu peux perdre…
-Et pourquoi cela ?
-Et si elle avait craqué sur toi ? Tu n'y as pas pensé, hein ?
-Quel intérêt de sortir avec un vieux comme moi ?
-A t'entendre, on croirait que tu as soixante-dix ans !
-Je n'en suis pas loin !
-Eh bien, depuis que tu as dépassé la trentaine, tu déprimes, on dirait ! S'esclaffe-t-il.
-Oh, détrompe-toi, je le faisais déjà bien avant !
-Ton cas est pire que ce que je croyais », soupire-t-il en baissant la tête afin de cacher son sourire.
Son air apitoyé me fait indiscutablement rire. Qu'il est drôle ! Il n'y a pas à dire, il a été mon meilleur et seul compagnon ces derniers mois. Mais je ne m'y trompe pas : je mourrais devant lui que, sans un regard, il se contenterait négligemment de pousser mon cadavre du pied afin de continuer son chemin. La réciproque est vraie également… Et il le sait.
Mon rire, quand il n'est pas menaçant, est assez communicatif et il m'imite donc également. Comme si j'étais dupe… Je sais à peu près ce qui se cache derrière ces petites lunettes noires, les belles mèches artistiques couvrant partiellement ces yeux marron qui pétillent, ce sourire d'enfant. Je sais qu'en fait, Fûma n'est rien d'autre qu'une coquille vide, tout le monde et personne à la fois, se contentant d'exaucer le souhait de chacun dans une pitoyable tentative d'oublier qu'il ne peut en faire de même pour lui. Je sais qu'il n'éprouve aucun sentiment, malgré le fait qu'il peut savoir la douleur de chaque être de cette Terre, sauf face à un dénommé Shirô Kamui… le seul capable de réaliser son vrai souhait. Le seul qui puisse lui faire ressentir quelque chose…
-« Aurais-tu rencontré Kamui récemment ? » Lui demandé-je d'un air apparemment anodin.
L'espace d'un instant, son sourire s'évanouit, mais pour revenir plus éclatant que jamais. Je sais que j'ai touché une corde sensible. L'humanité peut bien aller se faire pendre, Kamui est une personne spéciale pour lui. Je n'ai jamais réussi à savoir exactement en quoi, mais il faut dire aussi que cela m'intéresse très peu. Je n'attache d'importance à rien, puisque je suis le Sakurazukamori. Et lui en fait de même puisqu'il est le Dragon de la Terre chargé d'exterminer la race humaine jusqu'au dernier.
-« Tu sais ce que tu es ? Me demande-t-il.
-Un salaud qui profite de ta faiblesse ?
-Pas seulement… Mais en partie. Tu sais pourtant ce que Kamui représente à mes yeux…
-Non, pas exactement. Mais je sais qu'il représente quelque chose à tes yeux. Ce qui n'est pas peu dire !
-Tu es comme moi, de toute façon. Ne joue pas au plus malin. »
Il me rappelle des choses qui sont enfouis dans les tréfonds de mon cœur et qu'il est le seul à savoir. Mais j'ai de l'assurance et de la classe. Je ne me laisse pas démonter aussi facilement. Mon sourire à moi ne s'évanouit pas. Et puis, il y quelque chose qui en ce moment nous sépare radicalement, concernant les deux personnes qui signifient le monde pour chacun de nous. Pour moi, cette personne chère va réaliser mon vœu ce soir, sur le Rainbow Bridge, après que j'aurai détruit son kekkai. C'est cette certitude que j'ai acquise lorsque j'ai pris ma décision qui me rend invulnérable. A part ce soir, plus rien ne compte. Fûma, lui, ne connaît pas encore cette joie d'être bientôt exaucé. Kamui refuse de lui accorder son vœu le plus cher et, contrairement à moi, il ne peut pas le réaliser lui-même. Je comprends sa détresse, qui est pourtant à peine perceptible dans son regard lorsqu'il entend ce nom. Je sais que Kamui le fait souffrir atrocement et je pense être le seul à deviner à quel point. Je ne suis pas sûr que Kamui lui-même s'en rende compte. Tant de manque de lucidité chez une personne, qui plus est, le Dragon du Ciel, c'est déplorable. La jeunesse n'est plus ce qu'elle était…Mais enfin, cela ne me regarde pas, après tout, c'est leur histoire. Quant à la mienne, elle sera réglée très bientôt. Ce soir, pour être exact.
Je jette un coup d'œil en sa direction tout en buvant une gorgée de thé. Il me remarque, levant les yeux de sa glace et me sourit gentiment. Avec toute la tendresse dont savait faire preuve Subaru autrefois… A ce moment précis, il lui ressemble. Le même sourire innocent que lui, presque trait pour trait. C'est purement étonnant, ce pouvoir que possède Fûma de ressembler à la personne que son interlocuteur aime le plus. Purement étonnant… Une âme charitable s'y laisse facilement tromper. Et même moi, ma foi, si je ne savais pas… Mais ce n'est pas le cas.
-« Il en faut plus pour m'avoir, tu ne penses pas ?
-Je ne cherchais pas à t'avoir, pourtant, admet-il. Je te souriais juste. Mais je sais qui tu as vu en moi, ton regard t'a trahi, ton sourire aussi.
-Je suis si transparent ? Fais-je avec une petite moue boudeuse. C'est très mauvais pour mon image !
-Eh bien, d'habitude, non, mais… quand il s'agit du Sumeragi, oui. Ton sourire, quand ce Sceau est dans ta tête, est unique, il n'y a qu'à lui que tu l'adresses.
-Tu es très observateur », lui fais-je remarquer.
Il met une cuillère de glace dans sa bouche, qu'il retire ensuite lentement, très lentement.
-« Aurais-tu oublié qui je suis ? Me demande-t-il, ses yeux se faisant plus perçants.
-Tu penses m'effrayer avec si peu ? Lui répliqué-je, l'acuité de mon regard sur lui s'accentuant tandis que je bois mon thé.
-A bien y réfléchir… Non », admet-il après un silence.
La tension qui était montée l'espace de quelques secondes vient de retomber brutalement. C'est normal, Fûma et moi ne prenons pas la mouche facilement. Quoique… Il y a quand même des situations dans lesquelles il m'a mis hors de moi, il faut bien l'avouer. Il y a des sujets auxquels je suis très sensible et lui aussi, quoique moins, sans doute. C'est pratique, d'être le Kamui de la Terre. Mais je ne l'ai jamais envié. Son statut et toutes les contraintes qui vont avec, non merci. Je préfère être de loin le Sakurazukamori. Est-ce plus avantageux ? Je ne sais pas et ne me fatiguerai pas à savoir. C'est inutile, de toute façon.
Une serveuse, différente de celle qui s'est occupée de nous, vient nous saluer gentiment et nous demande si nous avons besoin de quelque chose. Aimablement, Fûma lui répond que nous sommes parfaitement à notre aise ainsi. Sa question suivant nous fait partir dans un fou rire énorme : elle a voulu savoir si Fûma et moi étions frères… Jamais de la vie !
-« Non, nous sommes juste de bons amis, répondé-je à cette jeune servante avec un sourire séducteur qui la fait rougir jusqu'à la racine des cheveux.
-Excusez-moi, mais vous avez un air de famille, alors… je n'ai pas pu m'en empêcher… Pardon… »
Nous la laissons partir, assez précipitamment d'ailleurs, mais qu'importe. Une fois hors de notre vue, nous rigolons en douce comme des adolescents. Nous, frères ?
-« Ce n'est pas la première fois, souligne Fûma. Eh bien, Seishirô, quel succès ! »
Je me contente de hausser les épaules, souriant, l'air blasé, puis retourne dans ma part de gâteau, bien plus importante pour moi que n'importe quelle jeune midinette. Les sucreries ont toujours été mon péché mignon. Il rit, légèrement moqueur.
-« Toi, mon frère ? C'est une idée qui me plait bien ! S'exclame-t-il.
-Ne prends pas tes désirs pour des réalités et tu me feras le plus grand plaisir », répliqué-je.
Le rire le reprend une fois de plus. Ce sale môme, mon frère ? Dans une autre vie, dans un autre monde, dans un univers où nous aurons réellement des sentiments, où nous pourrons aimer et pleurer, où nous ne nous contenterons pas de jouer inlassablement la comédie et de faire semblant, alors oui, pourquoi pas ? Cela ne me déplairait pas le moins du monde…
Xxx
Factice. Tout ici est factice. La joie qu'affiche les clients de ce salon de thé, l'apparence des passants dans la rue, rien ne me berne car après tout, je suis le Dragon de la Terre. Je sais lire dans les cœurs, je connais les désirs et la souffrance de chacun, même inconscients. Mais le plus factice dans tout cela, c'est bien le rire de cet homme qui m'a invité à passer un moment à ses côtés. Je sais. Je sais le plus important chez lui, ce que personne ne sait. Et pourtant il n'a rien eu besoin de me dire. Le Sakurazukamori, Dragon de la Terre comme moi, assassin et maître du Yin et du Yang, rigole tranquillement avec moi, comme si nous nous connaissions depuis toujours, comme si nous étions les meilleurs amis du monde. Alors qu'il n'en est absolument rien. Cependant, j'ai bien quelques affinités avec lui, je dois le reconnaître.
-« Le Sakurazukamori n'a-t-il donc peur de rien ? Lui demandé-je pour le titiller un peu. Un assassin si sombre et froid est friand de gâteaux au chocolat ? Tu trouves ça sérieux ?
-Bien sûr ! Me répond-t-il la bouche pleine. Il faut donner le change et savoir se camoufler, pour être un bon assassin, tu ne penses pas ?
-Certes… Admets-je.
-Quelqu'un n'arrêtait pas de me faire le même reproche, il y a longtemps. »
Il avale ce qu'il mangeait et fait descendre le tout avec un peu de thé.
-« Veux-tu goûter ma glace ? Lui proposé-je.
-Avec plaisir ! »
Il se penche en avant, s'appuyant sur la table avec ses coudes et je tends vers sa bouche ma cuillère remplie de glace et de chantilly. Il l'accepte délicieusement, visiblement très satisfait.
-« J'ai rarement goûté une aussi bonne glace ! Vraiment succulent !
-Tu m'as fait découvrir un chic endroit ! Peut-être y reviendrai-je un de ces jours, qui sait…
-Avec tous les séismes engendrés par les kekkai que tu as détruit ? Ca m'étonnerait qu'il reste encore quelque chose debout dans cette ville dans quelques mois. D'autant plus que…
-Quoi ?
-Ces deux femmes nous regardent depuis tout à l'heure d'un air suspect comme si nous étions repoussants. Pourtant nous sommes plutôt pas mal, non ? »
Le don de changer de sujet… Peut importe après tout, car je sais ce qu'il s'apprêtait à me dire et je sais que la conversation reviendra vers ce sujet. Après tout, c'est sans doute pour cela qu'il m'a fait venir ici. Jouons le jeu…
-« Je pense que c'est parce qu'elles croient que nous sommes ensemble, lui dis-je d'une voix basse.
-Ce n'est pas le cas ? S'écrie-t-il d'un ton faussement étonné. Nous sommes assis ensemble à la même table, non ?
-Tu joues les idiots ?
-Non, je m'interroge juste ! Tu me dis qu'elles nous croient ensemble, c'est pourtant vrai ! »
Je pars d'un éclat de rire qui attire les regards, principalement ceux des deux intéressées… Il semble vraiment me prendre pour le roi des imbéciles ! Mais je le connais, il sait. Il sait que je sais qu'il joue la comédie. Il est comme moi. Donc il joue effectivement les idiots, ce n'est pas une blague. Ayant connaissance de cela, je ne me vexe point. Et puis, quand même, il en faut plus pour me froisser. Celui néanmoins qui y arrive habilement et involontairement n'est autre que… Peu importe.
-« Je t'ai fait goûter ma glace avec ma cuillère, lui fais-je remarquer. C'est sans doute cela.
-Peut-être. Mais je ne regrette rien. Plutôt me faire écharper par ces femmes que de rater ta glace !
-Tu es incorrigible !
-C'est vrai ? Me demande-t-il d'un sourire charmeur.
-Ce n'est pas avec ça que tu me feras atterrir dans ton lit…
-Non, en effet, tu le fais tout seul… »
Je lui souris en me rappelant qu'il n'avait pas tellement tort. On s'est bien amusé ensemble, il n'y a pas à dire…
Ma glace est maintenant finie et son gâteau aussi. Il regarde les passants à travers la vitre. Moi, c'est son reflet à travers la vitre que je regarde. Les babillages alentours sont loin, aussi loin que son esprit.
-« Pourquoi m'as-tu invité ? Lui demandé-je sans détour. Pas besoin, avec lui.
-Pour une chose importante. Je voudrais que tu payes pour ce que tu as fait à Subaru. »
Nous y voilà. Une tension apparaît dans l'air alors qu'il dépose sa tasse et tire son paquet de Mild Seven hors de la poche de son imperméable. Son regard se tourne vers moi. Il n'est pas réellement menaçant, non… Son sourire est toujours le même, mais ses yeux ambres se sont légèrement rétrécis. Un fauve. Il s'approche de sa proie. Mais ladite proie n'est pas effrayée pour un sou. Le leader des Dragons de la Terre n'est pas impressionnable si facilement. Et il le sait.
-« Mais à ta façon », continue-t-il alors qu'il tire sur sa cigarette.
Je le regarde à travers l'épais nuage de fumée qu'il vient de relâcher. Quiconque autre que moi en face de ce spectacle, sachant qui est Seishirô, aurait fui sans demander son reste, c'est certain.
-« Tu m'aideras à exaucer mon souhait, me dit-il. Tu le connais déjà, étant donné ton pouvoir.
-Vivre avec lui pour toujours, c'est ça ? Lui répondé-je, sarcastique.
-Effacer la blessure que tu lui a infligé serait plus exact, réplique-t-il dans un sourire qui, d'affable, était passé à… mordant. Subaru est ma proie et personne d'autre que moi n'a le droit de lui faire une blessure aussi visible.
-C'était son souhait, dis-je tranquillement. Je te l'ai pourtant dit, non ?
-Peu importe. Tu mérites la mort pour ce que tu lui as fait. J'en ai tué pour moins que cela.
-Oh, je n'en doute pas une seconde, répliqué-je dans un sourire.
-Cependant…
-Je t'écoute.
-Je vais me marier, lâche-t-il tranquillement, un nuage de fumée plus tard.
-Et donc ?
-Disons… Post-mortem. Tu feras la cérémonie. Si possible, sous un cerisier en fleurs.
-En cette saison ? Lui demandé-je, plus intéressé par cette question que par son soi-disant mariage. Je n'étais pas dupe.
-Il suffit de chercher, murmure-t-il en souriant.
-Je vois, dis-je simplement en pensant à la propriété des Sakurazukamori, pleine de cerisiers en fleurs quelle que soit la saison.
-Ce soir je serai sur le Rainbow Bridge.
-Tu t'es donc enfin décidé à réaliser ton vœu ? »
Il détourne la tête et regarde la rue. Du moins, « voit » la rue. Bien sûr qu'il ne la regarde pas. Il ne regarde rien quand il pense à lui… Ce qui est à vrai dire presque toujours le cas. Son sourire se métamorphose encore. Il devient tendre, caressant, comme un rayon de soleil qui viendrait délicatement vous effleurer dans votre sommeil. Etonnant venant de la part du Sakurazukamori. Mais moi je sais.
-« Tu as un sourire mutant », lui dis-je, gentiment moqueur.
Son sourire s'élargit alors qu'il pose de nouveau les yeux sur moi, mais il ne répond pas.
-« J'avais entendu dire que les Sakurazukamori n'éprouvaient pas de sentiments, continué-je. Apparemment, si tu désires te marier, cette affirmation est fausse, non ? »
Il me sourit toujours tandis qu'il écrase sa cigarette dans le cendrier, ignorant mes sarcasmes.
-« Je détruirai le kekkai sur le Rainbow Bridge. Subaru viendra et me tuera », dit-il comme si cela était la chose la plus naturelle au monde.
J'oubliais… C'est le cas pour lui.
-« Ensuite, tu trouveras mon cadavre et tu m'arracheras l'œil qu'il me reste. Tu le donneras à Subaru. C'est pour lui. Pour réparer ta bêtise.
-Tu m'en veux, lui fais-je remarquer.
-Tu ne sais pas à quel point. Mais cela n'a plus d'importance.
-Quelque chose en a déjà eu, à tes yeux ? »
Une question à laquelle je connaissais déjà la réponse.
-« Etant le fils du précédent Sakurazukamori et en étant un maintenant… Je sais que tu peux imaginer ma vie jusqu'à présent », me dit-il simplement.
Oui, je savais… Je savais que le monde lui était complètement indifférent, que l'humanité entière pouvait bien périr dans les pires souffrances qu'il n'en aurait rien à faire. Je savais à quel point il se fichait du sort de la Terre et des hommes, combien il se fichait de la guerre qui devait décider de son sort, combien il se moquait éperdument de la bataille que nous menions opposant les Cieux à la Terre. Rien absolument rien ne comptait à ses yeux. Sa vie lui était aussi futile qu'un pétale de cerisier, il se contentait chaque jour de regarder Tôkyô s'enfermer un peu plus dans son arrogance insipide et inutile. Non, rien ne lui importait.
Hormis un certain Sumeragi Subaru, puissant Onmyôji et également Dragon du Ciel. Vivre dans ce monde n'avait pour Seishirô plus aucun intérêt. En revanche, être tué de la main du seul être lui inspirant quelque chose, puis vivre à travers lui, avec lui, en lui et pour lui, là, cela lui paraissait d'un coup bien plus alléchant. Voir le monde à travers ses yeux… bien au chaud en celui qu'il « aime »… Oui, je savais. Je pouvais lire les désirs et les souffrances tapis dans les cœurs, donc oui, je savais.
Seishirô finit sa tasse de thé et pousse un doux soupir de contentement. Comme un enfant. Je lui offre mon plus beau sourire, qu'il me rend fort bien. Nul besoin de se parler, je savais déjà. Pourtant…
-« J'ai si hâte d'être à ce soir, sur le Rainbow Bridge, me confie-t-il. De sentir sa main transpercer mon corps… Et peut-être, s'il ne me déteste pas trop, de mourir dans ses bras, ajoute-t-il doucement d'une voix un peu rauque. S'il ressent ce que je ressens pour lui, alors… Il acceptera ma main. Tu nous marieras sous un cerisier… Et il deviendra Subaru Sakurazukamori. Et il vivra pour moi. Et je serai avec lui.»
Ses yeux noisette se ferment de plaisir et d'émotion en imaginant la scène. Il n'a pas un sourire factice cette fois, non… Il déborde littéralement de joie à cette simple idée.
-« Nous ne serons plus jamais séparés. Rien, ni personne… ne nous séparera », dit-il encore, d'un ton plus ferme, tandis que ses yeux s'ouvrent lentement.
Ma main se pose sur la sienne amicalement, presque tendrement, nos doigts s'entrelacent. Je comprends. Je sais.
-« J'exaucerai ton vœu. Je te le promets. Quoiqu'il advienne. »
Mon regard vient se planter dans le sien à cette affirmation, cette promesse.
-« Je lui expliquerai, continué-je, et il comprendra certainement. Je le sais.
-Eh bien, je suis content de te l'entendre dire, me dit-il avec un sourire. Je crois qu'il est maintenant temps de nous dire au revoir, puisque tout est réglé.
-Déjà ? Tu ne reprends pas une autre part de gâteau ?
-Non, je suis rempli. »
Seishirô lève le doigt et demande l'addition. Ceci fait, il règle, et prend soin de me montrer discrètement le dos du ticket que nous a apporté la serveuse. Il y a bien un numéro griffonné derrière. Nous nous sourions.
-« Donc, me dit-il en se levant, tu as bien une touche. Je ne te dois pas de beignets, donc je m'en vais.
-Eh, attends ! Qu'est-ce qui te fait croire que ce numéro ne t'est pas adressé ?
-Tu crois que c'est intéressant pour moi d'avoir une liaison avec elle alors que je me marie ce soir ? Me demande-t-il d'un sourire.
-Ah, tu es profondément têtu…
-Je sais.
-Enervant, irritant…
-Je sais aussi.
-Et par-dessus tout, égoïste comme pas permis. »
Il range son paquet de cigarettes et prend son pardessus noir, le sourire n'ayant toujours pas décidé de déserter son visage.
-« Je sais », me dit-il simplement en me regardant.
Nous nous en allons d'un pas tranquille, comme de bons vieux amis. Puis, arrivés au bout de la rue, nous nous séparons simplement d'un signe de la main et d'un sourire. Le dernier échangé entre nous. Le Sakurazukamori mourra ce soir, de la manière dont il l'a décidé. Son véritable souhait sera alors exaucé, j'y veillerai personnellement comme il me l'a demandé. Je ne sais pas si je suis plus attaché à Seishirô qu'aux autres Anges et en fait, je m'en moque royalement. Cependant, nous avons passé pas mal de temps ensemble. Et nous nous sommes bien amusé.
D'un bond, je me retrouve au sommet de l'immeuble à côté duquel j'étais debout il y a deux secondes encore. Je cesse d'être Fûma, je redeviens Kamui, le Dragon de la Terre. Deux entités, un même cœur. Lui, il l'a compris. Et c'est sans doute la raison pour laquelle je me suis autant amusé avec lui…
