- Et … tu as pensé à tout lui avouer ?

- T'es folle ?! Tu crois que la nouvelle va avoir quel effet ? Je ne peux le dire à personne !

- Pourtant, je suis certaine que ça sera beaucoup plus facile pour toi. Tu dois tout lui révéler.

- Je te dis que non. Sa réaction va forcément être mauvaise. Je suis dans ses pensées depuis tellement longtemps que je le sais.

- Et pourtant, c'est le meilleur des choix … Je crois quand même que tu devrais. Tu ne peux pas continuer comme tu le fais ! Tu t'enfermes dans une vie qui ne te plaît plus. La vie que tu mènes n'est pas pour toi. Ta vie te tient à l'étroit, t'étouffe. Elle ne te ressemble plus. Bats-toi pour ce que tu es, bon sang ! Tu dois lui dire !

- C'est trop dur …

- Et ton fils ?! Tu as pensé à ton fils ? Ta femme et ton enfant doivent être au courant, tu ne peux pas fuir la réalité. Ça va te détruire !

La jeune femme se tenait maintenant debout, un poing sur chacune de ses hanches. Elle était visiblement inquiète, mais aussi légèrement en colère. Elle scrutait chaque trait du visage de son interlocuteur, comme si la vérité s'y trouvait. Celui-ci était resté assis sur le lit de la chambre d'hôtel, se courbant même un peu plus sous le poids de l'accusation. Il ne savait pas comment il allait faire. La vie venait de lui jouer un sale tour. Pourquoi avait-il fallu qu'elle s'en rende compte ? Pourquoi son sens de l'observation avait jeté son dévolu sur lui ? Il soupira, essayant une dernière fois de retenir ses larmes. Ce qui ne marcha pas. Il releva alors complètement la tête pour la dévisager. Elle attendait une réponse.

- Tu as peut-être raison … céda-t-il finalement, des soubresauts dans la voix.

- Je sais que j'ai raison. Crois-moi, ta vie deviendra plus simple. Au début, c'est vrai que ça sera le contraire. Mais à long terme, je te promets que tous tes problèmes vont s'arranger.

- Tu essais de me protéger, mais tu sais comme moi que l'issu ne sera pas forcément des plus belles.

- Tu ne peux pas garder ce secret pour toi, conclut-elle avant de se radoucir quelque peu.

- Non … bien sûr que non … Mais maintenant, tu es au courant.

L'espoir naissait dans ses prunelles. Il la regarda droit dans les yeux, ce qu'il n'avait pas osé faire depuis le début de la conversation. La douceur se lisait sur le visage de la jeune femme. Elle était belle, aussi. Il se dit brièvement que s'il ne s'était pas passé ce qui venait d'arriver, il aurait pu en tomber amoureux. Mais il était marié, avait eu un enfant. Pour finir, son cœur s'était tourné vers une autre personne. La jeune femme était une amie, une sœur, mais pas une maîtresse. Il se prit à regretter qu'elle ne le soit pas. Tout aurait été tellement plus simple s'il s'était épris d'elle, et pas de quelqu'un d'autre. Les larmes dévalèrent ses joues, creusant à nouveau un sillon derrière les précédentes. Elle se rassit à ses côtés pour passer son bras sur son épaule, dans le but de le réconforter.

- Je te le répète pour la dernière fois, ajouta-t-elle doucement, pour ne pas le brusquer. Tu dois en parler. Tu dois lui en parler. Elle mérite au moins ça, si tu l'aimes encore un peu.

- Très bien. Merci de ton soutien, j'ai encore besoin de toi, tu sais …

Elle le saisit dans ses bras fins. Les muscles du jeune homme se crispèrent à ce contact mais il finit par se détendre. Il s'abandonna complètement, les sanglots étouffant chacune de ses tentatives pour parler à nouveau. Elle essaya de le calmer, en lui susurrant des « chut » et des « c'est fini », mais rien ne marcha. Il continuait de pleurer, l'agrippant de toutes ses forces pour l'empêcher de s'échapper. Elle le comprenait. Sa situation était des plus délicates. S'ils avaient regardé un feuilleton dont le héros se trouvait dans le même cas, ils en auraient rigolé. Mais c'était plus que différent. C'était la réalité. Une mauvaise réalité. Une réalité des plus tristes, des plus moches. Ils n'avaient plus le choix. Il devait faire face. Elle devait lui venir en aide. Et attendre que l'orage passe. Que la nouvelle se tasse, une fois que le secret serait révélé. Et tenter de vivre. En entrant dans la pièce, elle avait pris un engagement. Celui d'avoir une conversation avec lui, pour le soulager de ce poids. Mais surtout, celui de le protéger, de le garder auprès d'elle, de le faire vivre du mieux possible. Elle brisa l'étreinte pour poser ses mains sur ses épaules et le regarder dans les yeux.

- Merwan … tenta-t-elle lentement. Ça va mieux ?

- Oui, je … je crois.

Cette fois-ci, il se maîtrisa. Et il cessa de pleurer, au prix d'innombrables efforts. Elle lui offrit une dernière étreinte chaleureuse avant de se lever encore une fois. Elle lui sourit tendrement comme pour l'encourager, et lui faire comprendre qu'elle serait toujours là, peu importe ce qu'il adviendrait. Elle entourait son cœur, tentant de former une armure impénétrable à toute attaque, pour le sauver. Elle espérait que ses démons ne soient pas plus forts qu'elle. Mais elle n'en savait rien.

- Je vais me coucher, nous avons une représentation demain. Tu devrais en faire autant, ça te ferait le plus grand bien.

- Oui, je crois. Euh … Maeva ? demanda-t-il alors qu'elle commençait à faire demi-tour. Tu viendras me réveiller tôt demain ? Je voudrais descendre avant les autres … pour être seul … tu vois ?

- Je comprends. Mais tu ne devrais pas t'isoler. Ils le verraient. Et alors, ils tenteraient de savoir ce que tu as. Passe une bonne nuit.

Elle fit quelques pas vers lui pour déposer un doux baiser sur son front brûlant. Un contact bref, exprimant la tendresse qu'elle avait pour lui. Elle sortit sans s'attarder, consciente de la fragilité de son ami. Elle fit le tour de toutes les chambres pour dire au revoir à tout le monde. Solal était au téléphone avec sa femme pour prendre des nouvelles de son foyer. Tout semblait aller pour le mieux de son côté. Diane s'apprêtait à se coucher, elle aussi, et elle venait de se mettre en pyjama. Florent répondait aux mails de ses nombreux fans. Mikelangelo composait, pour ne pas déroger à son habitude. Mélissa lisait un livre, blottie au fond de son lit. Tout allait pour le mieux au sain de la troupe. Mais elle savait que Merwan, de son côté, était plongé dans un puits de détresse. Elle savait que dès que le battant de la porte s'était refermé derrière elle, il était retombé dans la tristesse. Elle savait que cette nuit, soit il ne dormirait pas, soit il aurait besoin de l'aide de médicaments pour se reposer. Elle entra dans sa chambre, un nœud dans le cœur. Elle aurait tant voulu retourner le voir, mais elle savait que ça ne servirait à rien. Elle devait se contenter du contact qu'il lui offrait. Il l'avait déjà laissée l'aborder, continuer à lui parler de sa découverte. Il aurait pu se braquer complètement dès l'évocation de son secret, mais il l'avait laissée parler sans rien dire. Il lui avait juste offert ses larmes, en signe de confirmation.

- Allez, espérons que demain aille mieux pour tout le monde …

Elle soupira une dernière fois, fatiguée de sa journée. Elle se déshabilla, restant en sous-vêtements et se glissa sous les couvertures. La suite était luxueuse, et elle ne se sentait pas très à l'aise parmi tout ça. Le seul avantage était qu'elle était assez grande pour que chaque membre de la troupe puisse occuper une chambre à lui seul. De ce fait, Merwan pourrait faire le point tranquillement, sans être dérangé par la curiosité de son compagnon de chambre habituelle. Solal était gentil et compréhensif, mais il était curieux et obsédé par les problèmes des autres. Il tentait d'aider les gens autour de lui, provoquant parfois des catastrophes involontaires.

De son côté, le jeune homme brun était resté assis sur son lit un bon moment, au bord des larmes. Il lutta de toutes ses forces pour ne pas succomber à la tentation. Celle de se laisser aller, d'exprimer son malheur, de passer la nuit baigné dans ses larmes et de se faire doubler le lendemain, pour pouvoir s'éloigner des autres. Il ne se laissa pas avoir. Et gagna le combat. Toujours triste, il passa dans la salle de bain pour un dernier brin de toilette et se déshabilla, ne gardant aucun vêtement. Il s'allongea sous les couvertures et ferma les yeux pour accueillir le sommeil. Un visage le rappela à l'ordre, comme pour lui faire passer un message. Les traits gracieux, cette personne le regardait méchamment, sur une note accusatrice. Non, il n'avait pas le droit de se reposer. Il ne devait pas se sentir bien ne serait-ce qu'une minute. Il devait souffrir pour l'affront qu'il lui faisait. Las de la situation, Merwan se releva et avala un somnifère. Il en gardait dans sa valise depuis qu'il avait compris ses sentiments et que ça l'empêchait de dormir. Le cachet fit effet rapidement, et il tomba dans les bras de Morphée, n'ayant aucunement peur de sa chute.

- Merwan … murmura une voix douce. Merwan, c'est l'heure. Tu dois te lever.

- Huuum … Déjà … ?

- Oui, allez, viens. Tu as une heure avant que le premier d'entre eux ne se lève …

Il ouvrit un œil pour apercevoir la jeune femme penchée au-dessus de lui. Elle était encore dans sa tenue de nuit, c'est-à-dire en sous-vêtements. Elle n'avait même pas mis un peignoir pour se cacher un peu, n'étant pas complexée. Il ouvrit le second œil et la regarda mieux qu'auparavant. Elle paraissait anxieuse, plongeant ses prunelles dans les siennes. La veille encore, à cette même heure, elle était radieuse dans sa robe de saison, sourire aux lèvres, dans le Mozart Bus. Mais maintenant, elle s'était un peu éteinte, inquiète pour son ami. Du moins, c'est l'impression qu'elle donnait au jeune homme. Il se redressa un peu et elle se recula pour ne pas se prendre un coup. Elle le regarda et tenta un sourire très faible.

- Tu attends quoi pour te lever ?

Elle était attendrie à la vue de l'homme encore à moitié endormi et commença à rire doucement pour détendre l'atmosphère. Comme pour effacer la soirée d'avant et lui faire oublier ses soucis. Il réalisa ce qu'elle lui demandait et se mit à rougir. Si elle n'avait pas de problème avec sa tenue, lui, il en avait un. Sous les draps, il était complètement nu, n'aimant pas sentir de tissu dans son sommeil. Il hésita sur les mots à employer et finit pas se lancer.

- Euh … je peux te demander un service ?

- Déjà ? Il est à peine sept heures du matin ! Tu perds pas ton temps !

- C'est pas ça, mais … tenta-t-il timidement. Tu peux aller dans la petite salle de bain et me ramener un caleçon ? S'il te plaît … ?

- Quoi ?! Ne me dis pas que …

Incapable de retenir son fou-rire plus longtemps, elle se retourna vivement pour pénétrer dans la petite pièce. Elle ramassa ce qu'elle prit pour le caleçon de Merwan et retourna dans la chambre, rouge comme une tomate. Rouge de rire. Mais aussi rouge de gêne. Elle le lui tendit et se retourna, comprenant le message. Il enfila le vêtement en vitesse et s'approcha d'elle. Maeva n'avait pas entendu ses pas et fut surprise par les deux mains qu'il posa sur ses épaules. Elle poussa un léger cri et se retourna. Il se jeta sur ses joues pour lui faire la bise et lui dire bonjour. Il tentait à tout prix de détendre l'atmosphère, à l'instar de la jeune femme quelques minutes plus tôt.

- Désolé … s'excusa-t-il. J'ai l'habitude de dormir comme ça … Tu manges en bas ou tu prends un truc dans la suite ?

- Je ne sais pas encore. Et toi ? S'enquit-elle.

- Tu veux bien prendre ton petit déjeuner avec moi ? J'ai envie de descendre, mais j'ai peur d'être seul …

- Si je ne te dérange pas …

Il la serra dans ses bras et se recula. Il la contempla un instant et vit qu'il la mettait mal à l'aise par ce geste.

- Bon, je te propose de nous rejoindre dans vingt minutes dans le salon de la suite, lança-t-il d'un ton joyeux.

- Très bien. A tout à l'heure.

D'elle-même, elle lui déposa un baiser sonore sur la joue et s'éclipsa aussitôt. Elle prit une douche, tout comme lui. Elle laissa ses cheveux libres, afin de les faire sécher naturellement, mais Merwan préféra les attacher, comme à son habitude. C'est ainsi qu'ils se rejoignirent au milieu de la suite, pièce menant à toutes les chambres. Ils ne s'attardèrent pas plus longtemps, conscients qu'ils pouvaient réveiller quelqu'un. Ils descendirent ensembles, et s'engagèrent dans la salle prévue pour les petits-déjeuners. Merwan tenait Maeva par le bras, se forçant à sourire. En réalité, il était terrifié par la journée à venir. Et il s'efforçait de se rassurer et de rester rationnel. Le fait que Maeva devine ce qui n'allait pas pour lui l'avait rendu vulnérable. Humain. Faible. Mortel. S'asseyant l'un en face de l'autre, ils commencèrent à discuter avant de se servir de quoi manger.

- Tu as bien dormi ? Demanda la jeune femme.

- Ça va à peu près, et toi ?

- Oui, je me suis bien reposée. Tu viens, on va chercher de quoi se rassasier ?

Ils se levèrent suite à son hochement de tête. L'hôtel offrait un buffet à volonté à tous ses clients. Le choix des aliments était très large, réunissant la nourriture matinale de tous les pays d'Europe et même des États-Unis. Pour ne pas inquiéter son amie, Merwan se servi un petit-déjeuner habituel pour lui, avec des œufs et du bacon. Il n'en prit pas trop, il n'avait pas très faim. Quand à la jeune femme, elle se tourna vers du pain et de la confiture. Elle prit un thé, lui un café. Ils étaient si différents et pareils à la fois. Fragiles tout les deux. Mais de deux manières distinctes. Semblables en tous points et contraires en tout. Ils se sourirent, s'installant de nouveau devant la table en même temps. Et commencèrent à manger dans le silence le plus complet. Ils n'avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. Tout ce dont avait besoin Merwan, c'était de la présence de Maeva. S'ils ne se disaient rien, ce n'était pas un problème. Ils se dépêchèrent et remontèrent. Elle resta dans sa chambre, pour attendre les autres. Mais lui, il récupéra ses affaires pour partir le plus tôt possible. Il en laissa dans sa chambre, sachant qu'il reviendrait le soir même, après la représentation. Mais il préféra garder ses papiers et une tenue de rechange sur lui, juste au cas où … Il tenta d'être rapide, mais il ne le fut pas assez. Lorsqu'il s'engouffra dans le salon, il n'était pas le seul, et il se retrouva nez à nez avec Mikelangelo. Il se sentit mal à l'aise et feinta de ne pas le voir.

- Bon … entama l'Italien.

Il sortit en trombe, baissant la tête, pour paraître crédible. Au pire, il mentirait, prétextant une urgence quelconque.

- … jour ! Finit l'autre homme, resté dans la pièce. Que quelqu'un m'explique, ajouta-t-il pour lui-même. Il est dur à cerner ce matin …

L'étranger retourna dans sa chambre pour s'habiller, avant de descendre déjeuner. Il n'était pas le seul, tous les autres venaient de se lever également. Il avait juste été un peu plus vite qu'eux. Maeva était déjà prête, aussi les accompagna-t-elle, pour discuter. Il leur restait une heure et demi avant que la limousine ne passe les chercher pour aller répéter. La journée, à partir de ce moment-là, promettait d'être des plus chargée. Dans la salle de restaurant, les six amis se posèrent autour d'une table, discutant gaiement. Tout le monde avait remarqué l'absence de l'un des membres de la troupe. Mais personne n'avait rien dit, par habitude de ça. Récemment, Merwan ne participait plus trop à leur vie en communauté, distant. Aucun d'eux n'avait compris pourquoi, aussi s'étaient-ils tu en attendant que ça lui passe. De son côté, Maeva était impatiente de recevoir le message qui lui confirmerait qu'il allait bien. Ce qui ne tarda pas. « Désolé d'être parti sans te dire au revoir, mais tu comprends, quand je suis sorti de ma chambre, je me suis retrouvé face à Mikele … Dur dur dès le début de la matinée. S'il te demande quelque chose, je m'excuse, je ne l'ai pas vu, d'accord ? Sinon, ne m'attendez pas pour le trajet, je me rends là-bas tout seul, par mes propres moyens. Bisous, on se voit tout à l'heure. Et surtout, je compte sur toi pour ne rien leur dire à propos d'hier soir. » Elle eut un large sourire et regarda les autres, hésitante. Elle décida d'attendre un peu avant de le leur dire, tout le monde n'étant plus assis devant la table. Elle lui répondit. « T'inquiète, je comprends. Il ne m'en a pas parlé, je ne sais pas ce qu'il en pense. Je ne dirai rien aux autres, c'est à toi de gérer tout seul. Mais si tu as besoin d'aide, je suis là. Ne fais pas de bêtises sans moi, c'est compris ? Love You 3 ». Voyant que les manquants à l'appel étaient revenus, elle s'éclaircit la gorge et prit la parole.

- Au fait … tenta-t-elle timidement. Merwan m'a envoyé un message. Il se promène dans la ville. On ne doit pas l'attendre, il se rend à la salle « par ses propres moyens. »

- En parlant de lui, lança Mikelangelo à la dérobé, tu sais ce qu'il a ? Ce matin, il m'a ignoré, c'était grandiose …

- Ah bon ?! Il vient de me dire qu'il n'avait vu personne et que du coup, il était parti … Peut-être qu'il ne t'a pas vu ?

- Oui, peut-être.

L'homme blond resta silencieux, regardant pensivement son assiette pleine. Et s'y attaqua. Son ami était plus que bizarre ces derniers temps. Il pensait qu'il lui en voulait de quelque chose. Mais de quoi ? Il ne savait pas ce qu'il avait fait, lui ! Il n'avait pas eu l'impression de le vexer. Ce qui le rassurait, c'était qu'il semblait avoir ce comportement étrange avec tout le monde. Sauf peut-être avec Maeva. La jeune femme était comme une Maman protectrice pour tout le monde. Pas besoin de lui dire ce qui n'allait pas, elle le devinait toute seule. Comme si elle pouvait lire dans leur tête à travers leur regard. Cette jeune femme était très douée pour réconforter et tirer chaque être du mauvais pas dans lequel il était. Solal tentait de faire de même, mais il n'avait pas autant de succès, et semblait attirer des ennuis sans précédant. Il se dépêcha de manger et prit congé rapidement auprès des autres.

A peine sorti de l'hôtel, Merwan avait été obligé de mettre ses lunettes de soleil. La principale raison était qu'il ne voulait pas être reconnu. Mais surtout, c'était pour cacher ses larmes. Il avait perdu tous ses moyens face à Mikelangelo. Ses bonnes résolutions de la nuit passée, visant à ne plus souffrir à cause de ça, s'étaient envolées à la vue de cet homme. D'un seul geste, celui de sortir de sa chambre, il avait brisé le peu de défenses qu'il s'était imposées dans son sommeil. Il ne pouvait pas s'en sortir de cette manière. Si ses amis devinaient ce qui le tracassait, il n'osait même plus imaginer leurs réactions. Il s'emmancha dans les rues de la ville, cherchant un moyen de penser à autre chose. Il trouva un court d'eau et s'assit à son bord, fermant les yeux pour mieux profiter du clapotis du liquide coulant le long des rochers. Repensant à la douce Maeva, il sortit son portable pour lui envoyer un message. Il reçut sa réponse rapidement et en fut un peu soulagé. Ne plus repenser à ça. Oublier son secret. Effacer ce qui lui pesait depuis quelques semaines déjà. Il sortit sa guitare de son étui et sécha ses dernières larmes de panique. D'eux-mêmes, les accords s'imposèrent à ses doigts, et ils ne pu lutter contre ça. Il commença à chanter Vivre à en Crever, l'une de ses chansons préférées. Il enchaîna sur Si je Défaille, une chanson qu'il aimait également. Ce qu'il appréciait surtout, c'était la fraîcheur de Diane quand elle l'interprétait. Il fut coupé par la sonnerie de son portable et réprima une grimace en reconnaissant le numéro. Les larmes se logèrent encore une fois dans ses yeux, mais il décrocha quand même.

- Oui, allô ?

- Merwan, c'est bien toi ?

- C'est bien mon portable, non ? Alors pourquoi ce serait quelqu'un d'autre que moi ?

- Je sais pas trop me servir de mon nouveau portable, il m'arrive d'appeler des gens sans le vouloir, ou les mauvaises personnes. Bref, t'es où, là ?

- Dans la ville, quelque part. Dis-moi, Mikele, se reprit-il, pourquoi tu veux savoir ça ?

- Je voulais te parler en face à face, mais si tu sais pas où t'es, ça va être plus dur.

Les sanglots se firent plus pressants dans sa gorge et Merwan laissa échapper un gémissement plaintif, bien malgré lui. La douleur s'insinua dans sa poitrine. S'il lui parlait, et s'ils se regardaient droit dans les yeux, c'était fini. Il ne pouvait se le permettre avec personne. Déjà Maeva savait tout, c'était beaucoup trop. Deux personnes au courant en si peu de temps, c'était énorme. Il devait d'abord réfléchir au problème, encore une fois. Puis parler à sa femme. Et enfin, arrêter de fuir ses responsabilités. Il devait au moins faire ça pour son fils. Il se ressaisit et tenta de répondre, le plus platement possible. Sans vrai succès.

- Je … euh … je … On se verra … pour les … les … répétitions …

- Merwan ? S'inquiéta la voix à l'autre bout du fil. Tu es sûr que tout va bien ? On dirait que tu pleures …

- C'est rien … rien. Je viens juste de … de me faire mal ! On se voit tout à l'heure … !

- Attends, je voulais …

Le jeune homme brun coupa la connexion. Son ami rappela, mais il ne décrocha pas. Il voulait être seul. Il reprit la chanson au début, chassant ses peurs et ses doutes. S'abandonner dans la musique. C'était là son seul moyen de survie. Tout ce qui comptait. S'il s'arrêtait, il retomberait dans une folie sans fond, un gouffre froid et lugubre. Il n'en avait pas envie. Il devait se battre pour ses convictions et ses croyances en la vie. Mais pour ça, il avait besoin de la musique. Et dire que c'était elle qui l'avait attiré dans ce piège. Et c'était là son unique salue. Il ne cessa qu'une heure après, et entreprit de trouver un taxi. Ce dernier l'amena à la salle de spectacle et il s'engouffra dans la bâtisse sans dire bonjour à personne. Il avait dix minutes avant que les autres n'arrivent. Dis minutes pour se convaincre qu'il allait bien, pour que son visage affiche ce sentiment. C'était court et interminable à la fois. Un énorme défi. Il s'assit dans un des fauteuils de sa loge et ferma les yeux. Il s'appliqua à respirer le plus calmement possible et à rester stoïque. Ils ne feraient pas les répétitions en costumes, cette fois-ci, mais ils enchaîneraient les scènes normalement, comme s'ils jouaient le spectacle. Le temps passa bien trop vite à son goût et il sursauta quand Solal fit irruption dans la salle, très bruyamment.

- Salut, vieux ! Alors, cette balade ? Interrogea-t-il, joyeux.

- C'était calme et reposant. Rien de mieux pour se changer les idées avant les répèt' !

Merwan faisait semblant d'être heureux. Il se força à sourire. Il était dix heures du matin. Et il allait devoir jouer la comédie par-dessus la comédie pour le reste de la journée. Il en avait l'habitude. Mais ça devenait de plus en plus dur. Surtout que si Maeva avait pu deviner aussi facilement, les autres en étaient tout autant capables. Il soupira et sortit de la pièce, à la suite de son collègue. Ils se rendirent tous deux sur la scène, là où les attendaient les autres comédiens, les danseurs, les chanteurs, ainsi que Dove et Albert. C'était une répétition générale. Tout le monde était présent. Parce que la représentation du soir même était exceptionnelle. Une partie des familles de l'équipe, de la troupe, était en visite. La femme de Solal, ses enfants. La femme de Merwan. Le fiancé de Diane. Claire et son compagnon. Oui, ce soir, le spectacle serait hors du commun.

Le rideau se ferma pour la dernière fois et les artistes poussèrent un soupir unanime. Ils étaient crevés ! Ils avaient quelques minutes pour se changer avant de faire les dédicaces. Ensuite, ils pourraient prendre une bonne douche et rentrer à l'hôtel. Chacun passerait une bonne nuit et le lendemain matin, ils se diraient au revoir pour ne plus se voir pendant une semaine. Merwan sourit faiblement en entrant dans sa loge. Il avait réussi à éviter Mikelangelo toute la journée et ils n'avaient toujours pas discuté seul à seul. Ça le rassurait. Il pourrait garder son secret encore un peu. Il se changea et fut enfin prêt pour signer des autographes. Ils y restèrent presque une heure, faisant durer le moment, conscients qu'ils n'en profiteraient pas pendant sept jours. Solal resta avec sa femme, laissant la loge libre à Merwan. Comme ça, le jeune homme avait le temps de prendre une douche et de rejoindre la sienne. Ils échangeraient les rôles l'espace d'une demi-heure et ils pourraient retourner passer la nuit dans l'établissement prévu à cet effet. En moins de dix minutes, le brun avait fini de se laver et s'habillait tranquillement quand on frappa à sa porte. Il pensa que c'était son ami, aussi lui intima-t-il d'ouvrir. Il pâlit quand il s'aperçut que c'était Mikele, déterminé à avoir une discussion.

- Excuse-moi, je pensais que tu avais terminé de te préparer … commença l'Italien.

- C'est pas grave, il me reste que mon T-shirt à mettre.

Il fit semblant. Comme si tout allait bien. Il fouilla dans son sac un moment, incapable de faire un geste correct sans trembler. Surtout, ne pas se retourner. Ne pas le regarder dans les yeux. C'était ce qui lui avait été fatal face à Maeva. Elle avait attendu d'être sûre, certes, mais elle avait mis le doigt sur le nœud du problème trop rapidement. Toujours dos à son ami, Merwan enfila son T-shirt. La porte de la loge n'était pas entièrement fermée. Très bien, il avait un moyen d'y échapper. Il ne savait pas encore lequel, mais il trouverait un truc. Il ne reprit pas la parole, paralysé par la peur.

- Il faut qu'on parle.

Cette phrase, si banale. Tout le monde, au moins une fois dans sa vie, était amené à la prononcer. Dans chaque feuilleton sentimental, les héros se la répétaient sans cesse, obligés d'avoir des discutions avec tout le monde. Mais là, c'était plus dur. Parce que ces cinq mots étalaient une vérité. Une vérité qu'il ne voulait pas admettre.

- Dis-moi, implora Mikelangelo, dis-moi ce qui ne va pas. Pourquoi tu nous fuis ? Tu ne nous supportes plus ?

Son ami posa sa main sur son bras nu et il sursauta à ce contact. Il exerça une pression, pour lui faire comprendre qu'il voulait qu'il se retourne. Ils restèrent ainsi une minute, deux, peut-être. Mais Merwan ne céda pas. Il ne pouvait pas se permettre de se retourner. Pas maintenant. C'était trop tôt. Il devait se dégager tout en douceur de cette étreinte. Mais comment ? Il ne bougeait toujours pas, son ami non plus. Aucun des deux ne prenait les devants. Mikele attendait une réponse.

- Je ne vous fuis pas, laissa-t-il tomber platement.

C'était là un pur mensonge. En réalité, il ne fuyait qu'un seul d'entre eux. Pas tous. L'effort qu'il venait de fournir était trop grand pour lui. Pour la énième fois de la journée, des larmes se frayèrent un chemin jusqu'à ses yeux. Il les contint, comme à son habitude. Décidément, il allait passer le reste de sa vie à pleurer … Mais merde ! Il était un homme ! Pas une poupée de chiffon qui s'effondre et se déchire à chaque brise ! Il ne devait pas se laisser faire ! Sa rébellion intérieure ne dura que quelques secondes, temps que mit son collègue à lui répondre.

- Je te connais par cœur, je sais que quelque chose n'est pas normal, affirma-t-il.

- Je suis juste fatigué ! Ces dernières semaines ont été dures et je n'arrive pas à récupérer. C'est aussi simple que ça.

Ne pas se laisser distraire. Continuer à contrôler sa voix même s'il était proche de la crise de panique. C'étaient là les seules pensées qu'il s'autorisait à avoir. Ne penser à rien d'autre. Faire diversion. Solal allait bientôt réapparaître et Mikelangelo serait forcé de s'en aller. Lui aussi, mais il rejoindrait sa femme et pourrait alors se reprendre. En attendant, il devait juste l'empêcher de le regarder en face, de voir son visage. Sinon, il comprendrait une bonne partie des choses. Ses yeux bouffis, ses joues rouges, ses traits tirés le trahissaient au plus haut point.

- Arrête, je ne te crois plus ! Tu passes ton temps à nous mentir ! Tu peux nier, je sais que tu ne nous fais plus confiance. Que tu ne ME fais plus confiance ! Mais BORDEL, on ne devrait rien se cacher, on est amis ! J'en ai marre que tu te payes notre tête dès que nous nous inquiétons !

Il resserra sa main autour de son bras et d'un mouvement vif, il l'obligea à se retourner. Il plongea ses prunelles dans les siennes, incapable d'éviter son regard perçant. Les perles salées dévalèrent ses joues, il était las de lutter. Il gémit faiblement sous le poids de la douleur qui s'insinuait dans sa poitrine, dans chaque cellule de son corps. C'était trop dur. Il ne pouvait plus tenir. Il allait lui dire toute la vérité. Mais il était loin d'être prêt à affronter les regards dégoûtés et accusateurs. Il voyait déjà les reproches arriver « Et ta femme ? Ton fils ? Tu as pensé à eux ? » ou encore « Tu rigoles ?! Tu me fais pitié ! ». Leurs yeux ne se quittaient désormais plus.

- Maintenant, reprit Mikele, presque menaçant, dis-moi ce qui ne va pas. Tu me dois au moins ça, tu le dois à notre amitié.

Comment dire les choses quand il n'existe pas de mot pour les exprimer ? Comment mettre des phrases sur un sentiment qui ne s'exprime que par des gestes ? Comment avouer que depuis plusieurs semaines, il était tombé amoureux de lui ? Toutes ses questions ne trouvèrent qu'une réponse. Qu'il repoussa, tout d'abord. Puis il céda à la tentation, conscient de plonger dans une abîme sans fond. Il dégagea son bras, que son ami ne tenait presque plus et remonta ses mains au niveau de leurs visages. Il s'approcha dangereusement de lui. Puis doucement, lentement, il déposa ses lèvres sur les siennes. Ce fut un contact bref, plein de tendresse. Il passa ses mains de chaque côté de la tête de l'Italien pour le presser contre lui et s'éloigna finalement de son visage. Il recula d'un pas et baissa la tête. Les larmes coulèrent de nouveau.

- Tu as raison, tu as un lien direct avec mon état. Mais ce n'est pas toi que je fuis, ce n'est pas toi que je ne supporte plus. C'est moi … !

Sa voix était emplie de désespoir. Il avait réussi à s'exprimer, mais déjà, il repartait, noyé par ses sanglots. Mikele prit les devants et fit le pas qui les séparait. Il passa sa main sous son menton et releva la tête de Merwan, pour le regarder droit dans les yeux. Puis sans le prévenir, il l'embrassa à son tour. Cette fois, le baiser se fit plus long et plus sensuel. C'était une réponse à ce que venait de lui révéler son ami. Il dura plusieurs secondes, sans pour autant qu'ils n'aillent trop vite et que leurs langues ne partent pour une danse effrénée. Ils venaient tous les deux d'oublier leurs soucis. Plus rien autour d'eux n'existait. L'Italien se détacha du Français et replongea avec délectation dans ses yeux. Une lueur, étincelle d'espoir, venait de naître dans son regard. Et Merwan le ré-embrassa, y ajoutant même la langue. Un baiser langoureux, faisant monter la passion entre les deux hommes. Qui dura encore plus longtemps. Mais ils durent se rendre à l'évidence. Solal pouvait entrer d'un moment à l'autre. Les autres aussi, d'ailleurs. Et la femme de Merwan l'attendait. Ils cessèrent définitivement et le blond déposa un bref baiser sur les lèvres du brun avant que celui-ci ne passe le pas de la porte. Il resta dans la loge durant plusieurs minutes, ne sachant comment faire. Pourquoi avait-il réagit comme ça ? Il n'avait pourtant pas eu la sensation d'en être amoureux, avant que tout ça ne se passe. Chassant ses idées noires, il sortit de la pièce et retourna voir Florent, qui devait avoir fini sa douche. Il était habillé et pianotait sur son portable, patientant afin que tout le monde soit prêt.

- Alors, cette conversation ? Demanda-t-il, levant les yeux sur l'interprète de Mozart.

- Je dirais … intéressant … J'ai compris des choses. Je pense que tout devrait s'arranger d'ici peu.

- C'était quoi, le problème ?

- Rien de grave, crois-moi. J'ai pas envie d'en parler, tu me pardonnes ? Allez, viens, les autres nous attendent peut-être …

- Je te suis !

Il se leva pour suivre son ami et tous deux sortirent de la loge. Devant le bâtiment se trouvaient déjà Maeva et Mélissa. Partageant une loge à trois, Diane n'avait pas encore eu le temps de prendre une douche. Merwan était avec sa femme, l'entourant de ses bras, leurs doigts entrelacés. A la vue de Mikele, il rougit un peu et lâcha la main de sa compagne, honteux. Mais l'Italien ne semblait pas gêné par la situation. Au fond de lui-même, il n'avait pas mal, il n'était pas jaloux. Même s'il n'aurait pas refusé d'être à la place de la jeune femme. Il leur sourit et fit la bise à cette dernière. Il lança un sourire timide à son ami, n'osant trop le lorgner devant témoin. Il ne savait toujours pas comment interpréter le geste d'auparavant, ni ce qu'il ressentait. Il n'avait jamais embrassé un homme avant ce jour-là. Jamais aimé, non plus. Quoi qu'il n'était pas certain d'en être amoureux. Il s'assit sur une des marches pour attendre les derniers à arriver et ils ne patientèrent qu'un quart d'heure. Ils embarquèrent dans trois voitures différentes. Le lendemain, il repartirait très tôt, trop pour pouvoir dire au revoir aux autres.

- Lydie ramène ton fils dans une demi-heure, indiqua la femme de Merwan, à peine entrés dans leur maison. En attendant, tu récupères une valise dans le débarras et tu fais tes bagages.

Son ton était catégorique, n'appelant à aucune sorte de défense. Le jeune homme fut désarçonné, restant sur le perron. Il ferma enfin la porte et suivit sa compagne dans la cuisine. Elle se servit une tasse de café.

- Pourquoi je dois faire mes bagages ? Demanda-t-il, inquiet.

- Parce que je ne veux plus de toi ici. J'ai déjà appelé une avocate pour le divorce. A partir de maintenant, je ne veux plus entendre parler de toi, c'est bien clair ?

- Quoi ?! Mais … mais pourquoi ?

- Ne joues pas au plus malin avec moi, Merwan, menaça-t-elle. Je t'ai vu, hier soir. Solal m'a envoyée te chercher, il en avait marre de t'attendre. Je pensais trouver mon mari en train de finir sa toilette et au lieu de ça, je trouve un moins que rien en train d'embrasser un pauvre mec. Tu ne vaux plus rien pour moi !

- Attends, je ne comprends plus rien …

- La porte était ouverte. Il s'est approché de toi et t'a embrassé. Tu ne l'as pas repoussé. Je pensais que tu étais juste choqué. Et après, tu t'es jeté sur lui comme un homme désespéré ! Alors maintenant, dégage de chez moi !

Elle posa sa tasse et le poussa violemment en dehors de la pièce. Il n'eut pas d'autre choix que de se résoudra à obéir. Il monta à l'étage avec la plus grosse valise qu'il eut trouvé et y entassa ses affaires les plus précieuses. Des vêtements, des photos, des souvenirs. Il pleurait à chaudes larmes. Lui qui espérait lui annoncer la chose en douceur, son effet était complètement raté. Il ne sût pas combien de temps cela lui prit, mais son enfant n'était toujours pas rentré quand il redescendit, bagages en main.

- Et tu ne reverras ton fils que quand tu te seras fait soigner. Je ne veux pas qu'il sache que son père est amoureux d'un homme. Tu me fais honte, Merwan !

Elle fumait une cigarette, accoudée à l'évier. Elle avait un regard mauvais. Le jeune homme ne reconnaissait plus la femme qu'il avait épousée. Jamais il n'aurait pensé qu'elle puisse réagir de cette façon. Qu'elle soit triste et en colère, c'était compréhensible. Mais pas qu'elle soit homophobe. Pour autant, il ne se jugeait pas homosexuel. Les circonstances avaient juste chamboulé ses habitudes. Il traîna derrière lui sa valise, ses sacs, et toute sa peine. Arrivé dehors, il appela un taxi. Mais une autre voiture arriva avant celui-ci. Son fils venait de rentrer à la maison. Sa belle-sœur se gara dans l'allée et dès que l'enfant vit son père, il esquissa un geste pour le rejoindre, dans les bras de sa tante. Le bambin ne pouvait pas bouger, mais il gesticulait pour faire comprendre ce qu'il voulait De la cuisine, fenêtre ouverte, sa mère cria, emportée par la rage.

- Ne t'approche pas de lui, il est malade ! Viens plutôt ici !

Le gamin ne comprit rien, si ce n'est que sa mère était en colère. Il s'arrêta et la jeune femme qui le tenait se dirigea vers la maison. Le regard peiné de Merwan ne l'atteint même pas, mais sa compagne afficha un sourire satisfait quand elle le remarqua. Elle ne lui laisserait rien. Il allait payer ! Comment avait-il pu cesser de l'aimer pour tomber amoureux de cet énergumène ? Cet Italien trop expressif et étrange à son goût ? Elle soupira d'aise en le voyant monter dans le véhicule noir qui venait de se garer devant le portail. De son côté, Merwan avait calmé ses larmes. Où aller maintenant qu'il n'avait plus de foyer ? Il composa le numéro de la douce Maeva et elle décrocha dès la première sonnerie.

- Merwan, qu'est-ce qu'il se passe ?

- Je … je sais pas. Elle vient de me mettre à la porte … Je n'ai nulle part où aller.

- Viens chez moi, j'ai de la place. Tu me raconteras tout, d'accord ? En attendant, tu réfléchis à ce que tu vas faire, tu dois te remettre en scène tout de suite.

- Merci Maeva …

Il coupa la conversation et respira calmement, puis il donna l'adresse de la jeune femme au conducteur. Celui-ci acquiesça et accéléra. Moins d'une heure lui suffirait pour rejoindre l'appartement demandé.

Merwan et Maeva se trouvaient dans le canapé, en train de regarder la télévision. Ils n'étaient levés que depuis quelques minutes. La jeune femme tenait un croissant dans sa main et le jeune homme buvait un café. Il avait entouré Maeva de ses bras, elle était allongée contre lui. On aurait pu croire à un couple, mais la vérité en était loin. Il avait simplement besoin d'un contact rassurant pour se sentir mieux. Il était installé là depuis trois jours, déjà. La première nuit avait été très difficile. Il n'avait pu raconter ce qu'il s'était passé à son amie qu'à la tombée de la nuit. Ensuite, il avait pleuré. Beaucoup. Il s'était endormi dans ses bras et avait fait des cauchemars toute la nuit. Il soupira en passant sa main dans ses cheveux. Heureusement qu'elle était là, il n'imaginait même pas comment il aurait fait sans elle. Il déposa un baiser sur l'arrière de sa tête, comme pour la remercier de tout. Elle tourna son visage vers lui et lui sourit. Le lien entre eux s'était resserré depuis ces quelques jours. Mais au fond du cœur de Merwan, un orage se profilait. Parce qu'un jour, il devrait bien affronter ses démons. Il ne savait juste pas de quelle manière. Il ne se sentait plus maître de lui-même. Comme ces petites figurines dans les boîtes à musique. Quand on les ouvre, elles sortent, se mettent à tourner sur elles-mêmes et à jouer des notes. Elles font sourire, elles font pleurer, elles transmettent une émotion. Mais seulement quand on les appelle à le faire. Le reste du temps, elles sont enfermées dans leur boîte, seules, sans lumières, avec seulement le remord de ne pas être parties à la dernière occasion. De ne pas s'être échappées. Puis quand on ouvre la boîte à nouveau, elles rejouent de la musique. C'est ce qu'on leur demande. Elles n'ont plus de libre arbitre. Elles ne pensent à rien d'autre. Merwan avait l'impression d'être l'une d'entre elle. Il se perdait dans le cheminement de ses pensées quand la sonnette de l'appartement retentit. Maeva se redressa un peu, étonnée.

- Laisse, je vais y aller, lui intima le jeune homme. Je peux au moins faire ça.

- Je n'attends pas de visite. L'informa-t-elle.

- Finis de manger.

Il se détacha d'elle et se leva pour aller ouvrir la porte. Lorsqu'il le fit, il lâcha un hoquet de surprise. Il ne s'attendait pas à ça.

- Merwan ?

- Mikele ?

- Je reviens plus tard, décida ce dernier, en apercevant la tenue de l'homme en face de lui.

- Non, tu rentres.

Il ouvrit la porte un peu plus grande et le regarda droit dans les yeux pour lui faire comprendre que c'était un ordre. L'Italien fit ce qu'on lui avait demandé et pénétra dans la pièce. Il se sentit mal à l'aise quand il vit la jeune femme lever un regard sur lui par-dessus le haut du canapé. Elle se leva pour lui faire la bise.

- Toi aussi tu es en sous-vêtements en dessous de ton peignoir ? Laissa-t-il échapper, bien malgré lui.

Elle fit une grimace et son regard glissa du premier homme au deuxième. Merwan avait rougi et Mikele semblait … choqué ? En effet, le peignoir entrouvert de son ami laissait apparaître un caleçon gris. Et il avait raison, elle n'était pas plus habillée que lui en-dessous du sien. Elle détacha la boucle de son vêtement et l'ouvrit, pour répondre à sa question. Elle était bien en sous-vêtements. Une ombre se propagea dans son regard et il commença à faire demi-tour. Elle décida d'aller droit au but. Ses amis la remercieraient. Plus tard. S'ils ne la tuaient pas avant.

- On vient de se lever, Mikele ! Asséna-t-elle. On regardait la télé avant d'aller se laver. Tu es juste trop matinal …

- Vous venez de vous lever ?! lança-t-il, menaçant. Parce qu'il a passé la nuit ici ? Je m'en vais, je n'ai rien à faire là !

Merwan devint livide, Mikelangelo avança d'un pas.

- Oui, ça fait déjà trois nuits, continua la jeune femme, un sourire se dessinant sur ses lèvres.

La curiosité prit le pas sur la colère de l'Italien. Il se retourna de nouveau pour faire face au « couple » qui se trouvait devant lui. Il voyait bien que Merwan était mal à l'aise, et il avait de quoi ! Trois jours auparavant, il l'embrassait, lui dévoilant son amour, et maintenant, voilà qu'il se jetait dans les bras de Maeva. Il avait décidé de tous les séduire ou quoi ?

- Et pourquoi est-il chez toi depuis tout ce temps ? Tu voulais changer de proie, c'est ça ? S'adressa-t-il directement à l'autre homme. Ta femme ne te suffit plus, il faut que tu sautes sur elle aussi ?!

Il ne pouvait pas dire ce qu'il s'était passé dans la loge, pas devant Maeva. Elle n'était pas au courant, du moins ne s'en doutait-il pas. Il réglerait ses comptes plus tard. Perdant patience, Merwan s'avança d'un pas pour prendre la parole. Il était ferme.

- En parlant de ma femme, c'est elle qui m'a mis à la porte dès que nous sommes rentrés, il y a quelques jours. Je n'avais nulle part où aller, c'est elle qui m'a accueilli. Alors avant de te mettre à hurler, essai de te renseigner. Maeva est une amie qui m'aide.

Le visage de leur ami se radouci. La jeune femme ouvrit la bouche pour parler mais la referma aussitôt. Elle laissa quelques secondes passer sans que personne ne brise le silence.

- Et puis, reprit-elle, il a raison, informe-toi avant de nous faire une crise de jalousie. Je ne l'ai pas touché, l'idée ne m'est même pas venue à l'esprit.

Ce fut au tour de Mikelangelo de devenir livide. La jolie femme rit légèrement et mangea une bouchée de son croissant, coupée dans son petit-déjeuner.

- De quoi tu parles ?

- Elle est au courant, laissa tomber Merwan. Je lui dis pas mal de choses depuis qu'elle a découvert ce qui me tracassait. Et si tu veux tout savoir, si ma femme m'a viré de chez moi, c'est parce qu'elle nous a vu, la porte n'était pas complètement fermée. Elle me rejette.

- T'inquiète pas, intervint Maeva, elle est juste blessée. Elle se rendra compte de sa bêtise bien assez vite. Allez les gars, je vous laisse, je vais prendre une douche. Mettez les choses au point avant que je ne revienne.

Dans un geste impeccable, elle se retourna et se dirigea vers sa chambre pour récupérer ses affaires. En une poignée de secondes, elle trouva tout ce dont elle avait besoin et ils ne tardèrent pas à entendre l'eau couler. Ils se tenaient toujours debout l'un en face de l'autre, se dévisageant. Puis ils se décidèrent à se dire bonjour. Ils s'embrassèrent doucement, pour ne pas se brusquer.

- Tu m'as manqué, Monsieur le jaloux, avoua Merwan une fois l'étreinte brisée.

- Je ne suis pas jaloux ! Se défendit Mikele.

- D'accord, je te crois. Aller, viens là, j'ai pas finis de te dire bonjour.

Leurs lèvres entrèrent de nouveau en contact et ils ne se quittèrent que lorsqu'ils manquèrent d'oxygène. Prenant son nouvel amant par la main, le jeune homme brun lui demanda de le suivre dans la cuisine, pour lui proposer de quoi manger. Ils discutèrent et ils finirent par rire tous les deux, heureux de s'être trouvés l'un l'autre.

- Attends, je ne suis … je ne suis pas encore prêt.

- Pas encore prêt ? Mais tu viens de me dire que …

Merwan se détacha de son petit-ami. Il enfila sa chemise, qu'il venait d'enlever à l'instant. Il se remit debout, laissant Mikelangelo allongé sur le lit, sans plus personne à califourchon au-dessus de lui. Il lui jeta un regard peiné avant de reprendre la parole.

- Oui, je croyais, admit l'Italien. Mais … mais … je suis désolé … je n'y arrive pas.

- Mais bon sang, comment ça se fait ? C'est la quatrième fois qu'on essai de faire l'amour et que tu me repousses ! C'est quoi le problème ?

- Je ne sais pas …

Le blondinet réfléchit un instant. Il devait peut-être lui dire la vérité ? De toute façon, il savait que cette relation était vouée à l'échec. Ça faisait deux mois qu'ils étaient ensembles et qu'ils tentaient d'être plus intimes. Mais rien n'y faisait. Au début, il avait pensé que le blocage venait du fait qu'ils soient tous les deux des hommes. Mais il comprit vraiment ce qui n'allait pas deux semaines auparavant. Ce jour-là, Merwan avait reçu les papiers du divorce. Il les avait parcourus, et les avait signés sans rien redire dessus. Il s'était retourné vers l'homme qu'il aimait et avait déclaré « Elle veut me retirer mon fils complètement. Mais je vais porter plainte. A deux, nous sommes forts, mon Amour ». C'était la première fois qu'il lui avait donné un surnom. Et ça l'avait chamboulé. Il avait alors compris qu'il ne l'aimait pas d'amour, mais d'amitié. Et que leur relation était bancale. Il s'était conduit comme ça parce qu'il avait été touché par la détresse de Merwan lorsqu'il lui avait avoué ses sentiments. Mais les preuves étaient là. Il cachait cette relation à tout le monde, même aux autres membres de la troupe. Florent n'était pas au courant, lui non plus. Seule Maeva s'en doutait, sans en avoir eu la confirmation officielle. Lorsqu'ils étaient tous les trois seuls, jamais l'un des deux hommes ne débordait de tendresse pour l'autre. Ils ne se prouvaient leur affection que quand ils n'étaient que tous les deux, sans regards étrangers. L'Italien prit une grande inspiration et décida de dire toute la vérité.

- J'ai … j'ai quelque chose à te dire.

- Oui ? demanda Merwan, soudainement inquiet à cause du ton employé par son compagnon.

- Peut-être que nous devrions arrêter … ? Si ça ne marche pas … c'est qu'il y a une raison, non ?

- Comment ça ? Je comprends mal où tu veux en venir, là …

- Merwan, je pense que je ne t'aime pas assez pour que ça colle entre nous.

Il était direct, le regardant droit dans les yeux. Il avait mal de le faire souffrir autant. Mais mieux valait le faire maintenant. Ça ferait encore plus mal dans quelques semaines. De plus, il ne devait pas se forcer à vivre de cette façon si ça ne le rendait pas heureux.

- Ça veut dire quoi, ça ?

- Ça veut dire que je ne suis pas amoureux de toi comme tu le voudrais tant. Ecoute, je ne dis pas ça pour te détruire, mais pour t'aider. Je crois que je ne t'ai jamais aimé d'amour. Pardonne-moi, j'ai juste cru que …

Le Français éclata en sanglot et dût se rasseoir pour se contrôler. Mikele se redressa pour le prendre dans ses bras et le consoler. Quitte à arracher le pansement, autant le faire d'un seul coup, et ne plus avoir à en parler après.

- Je n'ai jamais voulu te blesser, continua l'Italien. Tu es un ami, et j'ai pensé t'aider. Je n'aurais jamais du te faire croire que nous pourrions être un vrai couple. Je me suis fait croire que je t'aimais de cette manière. Désolé, Merwan, je ne voulais pas. Mais tu comprends, c'est juste de l'amitié …

Il ne le lâcha pas, conscient que s'il le faisait, il le perdrait complètement. Il devait le soutenir un peu avant de le laisser seul. Il passa sa main sur son front, dans ses cheveux, pour le rassurer. C'était dur pour lui de voir son ami comme ça. Mais il savait qu'il le faisait souffrir. Il s'en voulait. Jamais il n'aurait du répondre à son tout premier baiser. Il aurait du y réfléchir avant, se rendre compte qu'il ne s'agissait pas d'amour dans son cœur, mais de compassion. C'était trop tard. Il venait de lui donner un énorme coup.

- Tu me quittes ? Réussit à articuler Merwan, calmant ses pleurs. Tu ne veux plus de moi ?

- Je ne veux plus sortir avec toi, en effet. Mais je te le répète, tu es un ami, je ne te laisserai pas tomber. Si tu préfères, tu peux retourner habiter chez Maeva.

- Non, non ! Je suis bien chez toi. Si je ne te dérange pas.

- Ne t'en fais pas, assura Mikelangelo. Je te dois au moins ça, après ce que je viens de te faire subir.

- On efface tout ?

- Oui, on efface tout.

Mikele entra dans son appartement. Il portait les deux sacs de courses, qu'il ne tarda pas à déposer sur la table de la cuisine. Ce soir-là, il avait organisé un grand dîner, avec tous les chanteurs de la troupe, pour fêter une bonne nouvelle. A cette heure, Merwan devait déjà être rentré du tribunal. Même s'il n'en avait pas eu la confirmation, l'Italien savait qu'il était censé en être sorti victorieux. Ses deux avocats étaient confiants depuis le début : la femme de Merwan n'avait pas le droit de lui retirer la garde partagée de son fils si celui-ci s'en occupait correctement. Il changea de pièce, le cherchant des yeux.

- Merwan ? Appela-t-il. T'es où ? Merwan, je suis rentré ! Tu m'aides à la cuisine ?

Il s'avança dans le salon, mais ne vit personne. Il passa rapidement d'une pièce à une autre, soucieux. Son ami n'était peut-être pas rentré ? Il ne lui restait que sa chambre, seul pièce dont la porte était fermée. C'était inhabituel. Il poussa le battant de bois et laissa un cri horrifié lui échapper. Sur le bord de la fenêtre, au-dessus du vide, se tenait son ami. Il lui faisait dos et sursauta quand il comprit qu'il n'était plus seul. Mais il ne se retourna pas. Il pleurait à chaudes larmes, ça s'entendait. La chambre de l'Italien était la seule pièce qui donnait sur l'un des nombreux parcs de Paris. Les autres débouchaient généralement sur des ruelles sombres. Il avait soigneusement choisi le dernier paysage qu'il verrait. Mikele s'avança d'un pas, tremblant.

- Merwan … implora-t-il. Qu'est-ce que tu t'apprêtes à faire … ?

Ce n'était pas réellement une question, il connaissait la réponse. Mais il voulait le faire réagir un tout petit peu. Doucement, entre deux sanglots, il entendit une voix s'élever du corps devant lui.

- Trop de bruit pour trop de nuits qui pensent

Quand valse l'absence, dans ce bal

Ton silence est un cri qui fait mal

Je devine ton visage sur les ombres

Les souvenirs sombrent

M'assassinent …

Le blond se reprit, auparavant pétrifié par la tournure des choses. Il coupa son ami dans sa chanson, tentant de le résonner du mieux possible.

- Merwan, arrête tout de suite ! Qu'est-ce qui ne va pas, confie-toi à moi …

- Je dors sur des roses, qui signent ma croix

La douleur s'impose, mais je n'ose pas

Manquer de toi

Dans mes nuits

Dans la pluie

Dans les rires

Dans le pire de ma vie

- Je t'en supplie, regarde-moi. Ne me dis pas que c'est ce que tu souhaites …

Le corps immobile, il respira calmement, luttant contre les larmes. Il n'y croyait pas. Cet homme, devant lui, qui lui paraissait pourtant bien quelques heures auparavant. Avait-il vraiment l'intention de se jeter dans le vide ? Il devait prévenir les secours et l'occuper le plus possible en attendant qu'ils arrivent. S'il sautait réellement, c'était là la seule et unique chance de voir l'espoir de le sauver. Mais le mieux était encore qu'il ne saute pas.

- Trop de bruit pour mon esprit qui tangue

Sur mes rêves exsangues, drôle danse

La mémoire est un puits de souffrance

Au-dessus de ton corps défendu

Mon amour pendu

Se balance …

- Merwan ! Descends de cette fenêtre et parle-moi calmement, paniqua-t-il. S'il te plaît.

- Je dors sur des roses, qui signent ma croix

La douleur s'impose, mais je n'ose pas

Effleurer les choses écloses sans toi

Oh ma rose, ne fane pas

Je manque de toi

Dans mes nuits

Dans la pluie

Dans les rires

Dans le pire de ma vie

Il ne put se retenir plus longtemps. Il pleura vraiment, ne se battant plus contre les larmes. L'incompréhension ainsi que la colère l'envahirent.

- Alors c'est ça ?! Tu veux crever de cette manière ? Tu veux tous nous faire souffrir ? Penses à tes amis, à ta famille, à ton fils.

- Mon fils !? Hurla Merwan en se retournant vers son ami. Je ne reverrais plus jamais mon fils parce que cette garce, la femme avec qui j'ai bâti ma vie, elle me l'enlève. Le juge a pris son parti, Mikele ! Je n'ai plus le droit de m'en approcher jusqu'à nouvel ordre. Ma vie entière est bousillée !

- Alors si tu ne descends pas de cette fenêtre pour toi, fais-le pour moi ! Je ne veux pas te voir partir … !

- Comment ?! Comment oses-tu me demander une telle chose ? Hein ?! Comment, au nom de l'amour que je porte pour toi, tu me réclames de vivre malheureux pour le restant de ma vie ? On m'a enlevé mon enfant, et toi, tu ne me considères que comme un ami ! J'ai beau faire semblant d'aller bien, c'est faux ! Je crève d'amour pour toi, tu entends ?! J'en meurs chaque jour ! Si je suis resté, c'était pour te garder auprès de moi, pour te voir sourire tous les jours. Et parce qu'un infime espoir subsistait en moi. Celui de pouvoir te séduire à nouveau. Mais je sais que c'est trop tard ! Jamais je ne pourrai trouver le bonheur, je l'ai perdu quand je suis tombé amoureux de toi ! Alors tu n'as pas le droit de me demander un tel sacrifice !

- Mais … Je ne peux pas te voir mourir maintenant ! J'ai encore besoin de toi, comme un ami, certes, mais j'ai besoin de toi. Je t'en supplie …

- Trop tard …

Je hais les roses autant que mes sanglots

La vie s'impose, je crois à nouveau

A mes rêves défunts

Je veux enfin

Oser la fièvre du parfum

Des roses …

Merwan s'arrêta de chanter. Il pleurait toujours, aveuglé par le chagrin. Il avait raison, c'était trop tard. Mikele se précipita vers lui pour l'attraper alors que le brun tendait la main pour implorer pardon. Ils se frôlèrent mais ne se touchèrent pas réellement. Merwan bascula en arrière.

- Je t'Aime … ! Hurla-t-il, tombant dans le vide.

L'Italien n'approcha pas de la fenêtre, continuant de crier le prénom de son ami. Il s'écroula au sol, abattu par le chagrin. Il entendit l'agitation en bas de l'immeuble, la sirène des pompiers. Ceux-ci montèrent même dans son appartement, ayant déduis que l'autre homme était tombé de là. Ils tentèrent de lui demander leurs noms, leurs identités, mais il restait là, les yeux dans le vide, à répéter en boucle « Ne saute pas, fais-le pour nous ». Une seule phrase le fit sortir de son état, rallumant une flamme féroce dans son regard.

- Monsieur, lui indiqua doucement l'un des pompiers, monsieur ? On vous emmène à l'hôpital, votre ami n'est pas mort. Le premier camion vient de l'emporter.

Mikele se laissa faire, vidé de toute énergie. C'est seulement arrivé dans la chambre du blessé qu'il comprit que ce n'était pas forcément une bonne nouvelle. Il était défiguré, les os brisés, des plaies ouvertes sur tout son corps. Un médecin l'approcha.

- Vous êtes de sa famille ?

- Il n'a plus de famille, je suis son petit-ami, répondit Mikelangelo, ne sachant trop quoi dire.

- Il est dans le coma, mais nous savons qu'il ne passera pas la nuit. Nous pouvons le réveiller pour que vous lui disiez au revoir.

- Je … je ne sais pas. Est-ce qu'il va souffrir ?

- Il souffre déjà.

Le blond accepta l'offre. Il voulait lui parler une dernière fois. Il pleurait autant que lui permettait son corps, effondré sur le bord du lit d'hôpital. Il n'avait pas appelé les autres, trop malheureux pour penser à eux. Il serait seul pour dire adieu à Merwan. Quand celui-ci ouvrit un œil, le seul qui n'était pas bandé, il poussa un hurlement de douleur. Mikele lui saisit la main pour le rassurer. Il y déposa un baiser, se courbant la tête pour éviter de lui faire encore plus mal. De son autre main, il lui caressa les cheveux, poisseux de sang et de transpiration. Il plongea ses prunelles dans la sienne.

- Pardon, pardon … gémit-il. Je t'aime, Merwan, je ne veux pas te perdre. Qu'est-ce que je dois faire … ?

- Laisse-moi mourir, répondit le souffrant. Si tu m'aimes, laisse-moi partir …

Il avait la vois rauque, abîmée, et avait beaucoup de mal à parler. Des larmes de douleur perlèrent dans son œil. Il fournissait un effort surhumain pour articuler correctement. Fou de chagrin, Mikelangelo mit du temps à lui répondre.

- D'accord, mais pardonne-moi avant. Je suis tellement désolé. Tout est de ma faute … Je t'Aime …

L'unique œil de Merwan se referma. Pour ne plus se rouvrir. Sous le regard meurtri de son amant, son cœur cessa de battre. Alors le vivant hurla toute sa douleur. Il ne s'arrêta que quand Florent le saisit dans ses bras, deux heures plus tard, pour l'emprisonner dans une étreinte de fer. Il venait de tuer Merwan Rim. Il était responsable de son suicide.

Il ne restait plus grand monde dans la petite chapelle. Seulement les plus proches de Merwan. Son ex-femme n'avait pas voulu se rendre à la cérémonie, encore drapée dans son amour-propre. Elle semblait ne rien ressentir, comme si elle s'en fichait complètement. Quelques personnes étaient restées, pour parler, pour décrire leur ami. Le peu de famille qui lui restait, ainsi que les six chanteurs de la troupe. Ils prirent tous la parole, émus, les larmes aux yeux. Enfin, ce fut au tour de Mikele de clôturer, avant que le cercueil ne soit emporté. Plus affecté par les autres, il était bercé par les sanglots et dût se calmer avant de déclamer son discours.

- Je n'ai rien écris à l'avance, déclara-t-il entre deux pleurs. La spontanéité vaut mieux que toutes les préparations du monde. Toute ma vie, je porterai cette mort sur la conscience. Parce que je n'étais que son ami. Je n'ai pas su être l'amant qu'il voyait en moi. Par ma faute, sa femme l'a quitté, lui enlevant son fils injustement. Et moi, je n'ai pas su l'aimer comme j'aurais dû le faire. Il a sauté de la fenêtre de ma chambre, sans que je sache le retenir. Je mentirais si je disais que je ne pouvais rien y faire, si j'affirmais que je n'aurais pas pu le sauver. Je suis certain que je le pouvais. Je n'ai, encore une fois, pas su trouver les bons mots pour le faire revivre. Alors Pardon, Pardon pour vous, Pardon pour lui. Sachez une dernière chose. Avant de mourir, avant de faire le saut de l'Ange, Merwan nous a écrit une lettre. Un Adieu, un testament.

Dans ses lignes, il disait :

« A tous ceux que j'ai aimé,

Ce n'est pas de votre faute, seulement de la mienne. Je m'adresse à vous pour vous faire comprendre à quel point je vous Aime, mais je ne peux plus vivre de cette manière, c'est au-dessus de mes forces. Pardonnez-moi, je ne veux pas vous faire souffrir, mais je sais que c'est inévitable.

A ma femme, celle que j'ai aimée. Notre mariage n'était pas une erreur, loin de là. Tu m'as donné un enfant, mélange de toi et moi. Une célébration de nos sentiments. J'ai vécu avec toi les plus beaux moments de ma vie. Je ne t'en veux pas. Je sais que je t'ai blessée, et que je t'ai rendue malheureuse. Tu étais juste aveuglée par la tristesse et le désir de vengeance. Mais je sais aussi qu'en restant vivant, jamais tu n'aurais pu t'en rendre compte. Alors excuse-moi pour tout ce que je t'ai fait, je n'ai jamais espéré de tels événements. Mais je n'ai pas choisi. On ne choisi pas l'amour, ce n'est pas une maladie. Ça ne se soigne pas. Ça se subit. Crois-moi, je n'ai pourtant jamais cessé de t'aimer, même en écrivant ces lignes. Peut-on un jour arrêter de ressentir de l'amour à l'égard de la personne qui nous a donné un enfant ? Je ne pense pas.

A Maeva, je voulais te dire un grand Merci. Tu as vu quand j'allais mal, tu as découvert ce qui n'allait pas. Tu ne m'as pas jugé, tu ne m'as pas rejeté, tu m'as toujours soutenu. Tu es restée avec moi et tu m'as aidé à prendre de bonnes décisions. Tu avais raison, cet homme, ce n'était pas moi. Oui, ça m'a poussé au suicide, c'est pour ça que je suis là, mais j'ai réussi à être complet pendant deux mois. Grâce à toi. Alors Merci. Les mots sont trop faibles pour te dire à quel point j'ai eu besoin de toi, et à quel point ton aide m'a été précieuse. Sois heureuse et ne garde que le meilleur de moi, je t'en supplie. Je devais le faire, tu le sais.

Aux autres, je sais que vous n'y comprenez pas grand-chose. Je ne doute pas qu'on vous ait un peu expliqué la situation, mais je vais quand même vous éclairer. Il y a déjà quelques mois de ça, j'ai du remplacer Florent au pied levé pour une représentation. Il est tombé malade à la dernière minute. Mais cette fois, ce n'était pas comme d'habitude. C'était la première fois que je jouais cette nouvelle scène, après les modifications. Et j'ai pu comprendre mes sentiments pour Mikelangelo. J'en ai beaucoup souffert. De savoir que j'aimais un homme. Mais j'ai accepté. J'ai du me résoudre à me taire, de peur de choquer mon entourage, ou d'être rejeté par l'homme que j'aimais. Mais Maeva a deviné ce qui n'allait pas. D'ailleurs, je ne sais pas comment elle a bien pu faire … Je crois bien que cette femme pratique la sorcellerie ! Nous avons discuté, elle m'a conseillé d'en parler au moins à ma femme. Elle avait raison. Mais je n'ai pas eu le temps. Un soir, Mikele est venu me parler, me demander pourquoi j'allais mal. Et je n'ai pas réussi à me retenir. Je l'ai embrassé. Ma femme nous a vus à ce moment-là. Et le lendemain, elle me virait de chez nous. Vous qui n'avez jamais connu les raisons de mon divorce, les voilà. Je l'ai trompée avec un homme. Mais Mikele et moi ne sommes pas allés très loin, il n'était pas amoureux de moi. Je ne lui reproche rien, on ne peut pas se forcer à avoir des sentiments pour les autres. Il m'a simplement ouvert les yeux. Il m'a quitté, et j'ai perdu mon procès contre ma femme. A cela s'ajoutent la fatigue, le stress, le poids du spectacle sur mes épaules. Et ma faiblesse. Vous n'avez jamais rien su, nous avons voulu vous préserver, nous voulions vous en parler quand nous serions sûrs. Pardon de vous avoir mis à l'écart de cette histoire. Je vous Aime tous, sans exception.

Et enfin, à Mikele, le seul homme que j'ai Aimé. Ce n'est pas de ta faute, c'est de la mienne. J'ai succombé à ton charme, parce que je suis faible. Tu n'as rien fait pour que nous en arrivions là. Au contraire, je te Remercie de ta franchise. Je te Remercie de m'avoir révélé tes pensées. Tu as bien fait. J'ai refusé de vivre comme un esclave, à faire ce que je n'aimais pas. Toi aussi. Nous sommes bien plus proches que nous le pensions. Je t'Aime, n'en doute jamais. C'est peut-être ce qui m'a poussé à cet acte. N'aie pas de regrets ni de remords, ne t'accuses pas de ma mort. J'ai fait ce choix tout seul. Profite de la Vie. J'ai une dernière faveur à te demander. Quand mon fils pourra comprendre, explique-lui qui était son père. Si nécessaire, fais-lui lire cette lettre. Fais lui comprendre que ce n'est pas de ta faute, ni de la sienne, ni celle de personne. Dis-lui que je l'Aime, et que je t'Aime. Il doit savoir qui j'étais réellement.

Vous restez dans mon cœur, j'espère que je reste dans le votre, malgré mes erreurs. Je vous Aime tant, mes amis. Prenez soin de vous. Le Monde sans Vous perd la Raison. Adieu. »