Une paire d'yeux verts regardaient avec avidité la charrette de fruits face à eux. Le soleil commençait à décliner à l'horizon et les derniers rayons se reflétaient dans les profondeurs de l'océan, tandis que les marchands rangeaient leurs étalages pour la nuit.
La petite fille fit quelques pas en avant, alors que le commerçant disparaissait un instant. Juste le temps pour lui de ranger une partie de sa marchandise dans l'arrière-boutique. Les boucles sombres de la petite rebondirent sur ses épaules quand elle se précipita vers la belle pomme verte qui — par sa seule présence dans la charrette à moitié vide — semblait vouloir la taquiner.
À l'instant où elle n'était plus qu'à quelques pas du mets tant désiré, elle heurta une femme qui la réprimanda d'une voix aiguë :
- Eh ! Regarde où tu vas petite sotte !
Son souffle s'accéléra et son regard oscilla entre l'entrée de la boutique et la pomme, avant de la saisir d'une main tremblante. Ses yeux s'écarquillèrent de joie et elle porta le fruit à son nez pour en respirer l'odeur alléchante.
- Hey ! s'écria une voix rugueuse.
La petite fille sursauta et son regard rencontra celui du commerçant qui la pointait d'un doigt accusateur :
- Repose ça à sa place et fiche le camp tout de suite !
La frêle enfant soutint un instant le regard de l'homme avant de faire quelques pas en arrière. Puis, sans même songer à lui obéir, elle se détourna et courut en direction des docks.
La voix de l'homme ainsi que ses pas lourds résonnaient derrière elle alors qu'elle fuyait, portée par la force du désespoir et de son ventre tristement vide depuis si longtemps. Elle espérait pouvoir semer son assaillant au milieu des navires amarrés. Sur son chemin, elle bouscula des passants — pour la plupart, des pirates — sans prêter attention aux insultes qu'ils lui adressaient.
Soudain, elle fut forcée de mettre un terme à sa course lorsqu'elle arriva au bout du quai. Devant elle se dressait maintenant la mer dans toute son immensité et sa splendeur. Ses yeux balayèrent frénétiquement les environs à la recherche d'une cachette et elle poussa une exclamation de stupeur lorsqu'elle remarqua le navire à quelques pas d'elle.
Elle détailla l'imposant vaisseau avec fascination. Il était d'une beauté à couper le souffle. Jamais de sa vie elle n'avait vu un bateau aussi beau. Elle dut pourtant s'arracher à sa contemplation quand la voix de l'homme lui rappela qu'elle n'avait guère le temps de s'attarder. Elle se remit à courir et, sans même s'en rendre compte, ses pieds la menèrent jusqu'à la planche qui permettait d'accéder au navire qu'elle avait admiré quelques secondes plus tôt.
La voix de son assaillant lui parvint alors qu'elle venait de monter à bord.
- Hey ! Arrête-toi !
L'endroit paraissait désert et elle se mit à la recherche d'une cachette, mais, avant qu'elle y parvienne, une porte s'ouvrit, laissant apparaître le bas d'une longue robe avec à ses côtés une paire de bottes.
N'ayant en tête que d'échapper à son poursuivant, la petite fille se faufila entre les jupons soyeux et les bottes. Ainsi dissimulée derrière les deux inconnus, elle retint son souffle alors que l'homme venait à son tour de mettre un pied sur le navire.
L'enfant releva la tête et rencontra le spectacle le plus singulier qu'elle ait vu : un homme au regard chocolat qui la dévisageait avec amusement avant qu'un sourire vienne lentement étirer ses lèvres.
Elle hoqueta de frayeur en songeant que l'homme pourrait la trahir en révélant sa présence, et ses doigts se contractèrent autour du fruit qu'elle maintenait toujours fermement contre sa poitrine.
C'était la première fois de sa vie qu'elle désirait si ardemment pouvoir parler.
- Hey ! Mais qu'est ce que c'est que ça ? demanda la femme drapée dans sa robe en dévisageant la petite fille avec moins d'amusement que son compagnon.
- Un petit voleur, sans le moindre doute chérie, répondit l'homme en adressant un clin d'œil à l'enfant.
- Hey, Sparrow, tu n'aurais pas vu un môme dans le coin ? demanda le commerçant à bout de souffle.
- Un môme ? J'ai pas pour habitude d'avoir des mômes sur mon navire, à moins que tu fasses référence à Marie ?
La femme à ses côtés hoqueta visiblement vexée de sa réponse.
- Maintenant si vous voulez bien m'excuser tous les deux, j'ai bien d'autres choses à faire.
- Quoi ?! Mais tu m'as promis toute la nuit ! s'indigna la femme avec colère.
L'homme leva les deux mains en signe de reddition :
- Désolé ma colombe, mais tes tarifs sont au-dessus de mes moyens pour une nuit. Ce soir, je me contenterais de la compagnie du rhum.
Il repéra du coin de l'œil le jeune visiteur en train de se faufiler dans sa cabine et s'amusa de la discrétion de ce petit chenapan.
- Très bien, donne-moi l'argent que tu me dois pour la soirée alors.
L'homme plongea une main dans la bourse accrochée à sa ceinture et en sortit plusieurs pièces d'argent.
- Alors ? Tu n'as pas vu le gamin ? lui demanda une nouvelle fois le marchand irrité.
- Oh, pour l'amour des sept mers ! ... Non ! ... Je n'ai pas vu ce gamin dont tu parles, l'ami ! lui répondit Sparrow alors qu'il déposait trois petites pièces dans la main que lui tendait la dénommée Marie.
Celle-ci se retourna prête à quitter le navire, précédé du marchand qui jurait dans sa barbe.
- Attends ma jolie !
Sparrow attrapa le poignet de la femme et l'attira contre lui :
- Est-ce que je n'ai pas le droit à un baiser d'adieu ?
- J'imagine que tu le mérites, Jack, ronronna-t-elle alors qu'il se penchait jusqu'à ce qu'il puisse capturer ses lèvres qu'il embrassa avec avidité.
Devant ce spectacle, la petite fille, toujours cachée dans la cabine, enfouit son visage juvénile dans ses petites mains. Puis, le bruit de pas s'approchant de la porte la fit sursauter et elle alla se réfugier sous le bureau. Recroquevillée sur elle-même, elle contempla un instant la pomme qu'elle avait si farouchement protégée. N'osant faire un mouvement, elle entraperçut les bottes de l'homme qui s'approchaient dangereusement de sa cachette.
La porte de la cabine refermée, ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle comprit que la seule issue était désormais bloquée.
- Tu peux sortir de là, Trésor ! Je t'ai vu, dit l'homme dont elle pouvait percevoir le sourire, rien qu'à l'intonation de sa voix.
Lentement, elle s'extirpa de sa cachette et leva les yeux vers l'inconnu qui se dressait devant elle, les mains sur les hanches.
- Bon, maintenant, commença-t-il en prenant le temps d'observer le corps maigrichon qui lui faisait face. J'aimerais savoir qui tu es et ce que tu fiches sur mon navire ?
Pour seule réponse, il n'eut qu'un regard effrayé de la part de l'enfant. Il croisa les bras sur son torse et s'adressa à elle d'une voix plus sévère :
- Je t'ai posé une question et j'apprécierais beaucoup que tu y répondes, jeune fille ! Je viens de t'aider à te débarrasser de l'autre bougre, non ?
Elle acquiesça lentement de sa petite tête et ses boucles brunes vinrent lui chatouiller le nez.
- Très bien, alors qui es-tu ? Et pourquoi as-tu volé cette pomme ?
L'enfant secoua la tête, visiblement paniquée, mais ne dit pas un mot ce qui commença à agacer le pirate :
- Qu'est ce que c'est censé vouloir dire ?
Elle resta silencieuse.
- Puisque tu as ruiné ma soirée... qui s'annonçait fort agréable, j'exige au moins de connaitre ton nom.
Il se pencha jusqu'à mettre un genou à terre pour se retrouver à la même hauteur que la petite fille. L'enfant cligna des yeux et chercha quelque chose du regard avant qu'elle ne rencontre les sombres iris de l'homme.
- Je ne vais pas te faire de mal si c'est cela qui t'inquiète. Trésor, tu as devant toi le capitaine Jack Sparrow et tu es sur mon navire. Bien, maintenant que je t'ai dis mon nom, dis-moi le tien.
Il observa les traits de son visage. Elle ne devait pas avoir plus de huit ou neuf ans et son petit minois était couvert de traces sombres et de crasse. Ses cheveux étaient sales et emmêlés et elle avait un corps bien frêle malgré son jeune âge.
- Le chat aurait-il avalé ta langue ?
Elle baissa la tête, ce qui attira l'attention du capitaine.
- Hey, regarde-moi.
Il lui attrapa le menton pour la forcer à le regarder.
- Est-ce que tu peux parler ?
Elle secoua la tête en signe de négation.
- Oh.
C'est bien ma veine ça ! pensa-t-il. Pourquoi t'ennuies-tu avec cette gamine ? Tu n'as qu'à la virée de ton navire et l'on en parle plus !
Cette idée lui arracha une grimace.
- Sais-tu écrire ?
En la voyant hocher lentement la tête, il se redressa et alla sortir d'un tiroir de son bureau du papier et une plume, puis il lui fit signe de s'approcher.
- Je veux que tu m'écrives ton nom et où se trouve ta mère.
La petite s'approcha lentement et prit place sur la chaise en face du capitaine. Elle se saisit de la plume et rédigea la réponse d'une écriture fine et soignée :
Je m'appelle Felicity. Je n'ai pas de maman.
Jack fronça les sourcils et regarda la jeune fille avec suspicion.
- Hmmm... Felicity, c'est un joli nom Trésor, fut tout ce qu'il trouva à lui dire.
À sa grande surprise, l'enfant se mit à rougir et détourna le regard.
- Où habites-tu ?
Nulle part, écrivit-elle.
- Voilà qui est intéressant, marmonna-t-il alors que son attention tombait sur la pomme qu'elle tenait toujours près d'elle.
- Tu comptes manger ça ? Où tu l'as seulement volée pour la regarder ?
Felicity contempla le fruit avant de rédiger quelque chose :
Si je la mange, elle disparaitra.
En lisant sa réponse, la pitié s'immisça dans les tripes de Jack. Voir un enfant affamé ne lui faisait jamais plaisir, mais cette enfant avait quelque chose de différent. Peut-être était-ce ses yeux qui reflétaient à la fois l'innocence due à son jeune âge, mais aussi les difficultés qu'elle avait traversées jusqu'à présent.
- Très bien, tu sais ce que l'on va faire ? Tu vas garder cette pomme pour demain. Vois-tu, sur mon navire, il y a un grand cuisinier et je suis sûr qu'il sera heureux de te faire goûter à sa cuisine. Tu es d'accord ?
Felicity étudia un instant le pirate, cherchant à deviner s'il était sincère où s'il se moquait d'elle. Ne trouvant aucune trace de malice dans son regard, elle hocha la tête et Jack se leva et tendit une main à l'enfant, qu'elle saisit avec une légère appréhension.
- Viens avec moi à la cuisine Trésor, nous allons te trouver quelque chose à manger.
Voilà, juste une petite note pour vous préciser que ceci est une traduction du Fanfiction. Le titre original est Loving you in silence. Vous pouvez la trouver en VO sur le site « ». J'espère que ce premier chapitre vous aura plu.
