Je n'ai bien sûr aucun droit sur cet univers ou sur ces personnages. Ils resteront à jamais les trésors de Pierre Bottero...
En une seconde, son monde s'était écroulé.
Alors que la lutte redoublait de férocité et de confusion, il avait vu du coin de l'œil un Légionnaire surprendre sa compagne. Il le vit lever son sabre mais ne put que crier. Déjà elle s'effondrait. Il hurla. Pris d'une rage indicible, il se rua sur le traître en bête sauvage, oubliant son arme, mains nues. Il le jeta au sol et enserra sa gorge dans un étau mortel. Aveuglé par la haine, il martela le crâne inerte contre une pierre, comme pour le broyer. Soudain, éperdu, il lâcha prise. Les mains couvertes de sang, les doigts encore crispés de s'être acharné sur le meurtrier, il s'élança vers le corps allongé de sa compagne.
Ses traits gardaient un air surpris. Sa chevelure blanche était plus éclatante que jamais et sa peau sombre semblait refuser de ternir. Même figée, sa beauté restait éblouissante. Elle ne bougeait plus, lèvres entrouvertes, lorsqu'il se laissa tomber à genoux à ses côtés. Elle n'ouvrit pas un œil lorsqu'il la prit contre lui, ne frémit pas d'un cil lorsqu'il lui caressa la joue, n'émit pas un son lorsqu'il gémit, anxieux. Inexorablement, la tache pourpre s'élargissait sur son flanc.
Il l'appela, la supplia de se réveiller, l'implora de respirer. Sa voix étranglée par l'inquiétude ne rencontra qu'un mur de silence. Après avoir porté une main à son front déjà froid, après avoir tâté de deux doigts son poignet immobile, après avoir palpé délicatement la profonde entaille sous sa tunique noyée de sang, il se tut. Le flot de supplications vibrantes d'angoisse finit par laisser place à des sanglots lourds de désespoir.
Longtemps, il la tint serrée contre son cœur battant pour eux deux à grands coups douloureux, les étoiles de ses larmes s'accrochant dans sa chevelure, le visage enfoui au creux de son cou.
Dans un éclair de lucidité, il regarda autour de lui. Ses amis étaient saufs. Les Légionnaires morts jonchaient le sol. Il ne restait qu'un unique survivant. Qui prenait la fuite au triple galop.
Il ne le permettrait pas.
Il se redressa, ne sentit pas la présence ni la sollicitude de ses compagnons. Il s'empara lentement de l'arc de sa compagne, l'empoigna avec une douceur et un respect infinis, choisit avec soin une flèche de son carquois à l'empennage sombre. Il ne tenta pas de chasser la rancœur qui montait de nouveau en lui, mais la mêla à sa tristesse. Il se contenta d'inspirer. De jeter un coup d'œil au traître déjà loin, fuyant à bride abattue. D'expirer en bandant l'arc de toute la force de sa souffrance. Le bois émit un craquement de protestation. Il lâcha la corde. Le trait noir fila vers les nuages, telle une promesse de vengeance. Il ne prit pas la peine de le suivre du regard, convaincu au plus profond de lui de la justesse de son tir.
Au loin, le cavalier, comme frappé par la foudre, avait chuté.
Il revint à sa compagne, ne put retenir de nouvelles larmes, la souleva tout en la serrant contre lui. Il ne s'entendit pas parler à ses amis et ne sut jamais si on lui avait répondu. Plus rien n'importait puisque l'univers était vide désormais. Il monta à cheval, sa conjointe dans les bras, et partit sans se retourner.
Chiam Vite, en l'honneur de la mémoire d'Erylis, ne s'octroya le droit de mourir qu'après s'être assuré qu'elle recevrait de son peuple les égards auxquels elle avait droit.
Après s'être assuré qu'elle recevrait les plus belles funérailles que puisse recevoir la plus précieuse des perles faëlles.
