Depuis qu'elle est partie

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Note de l'auteur (désolée pour la longueur!):

Cette « fanfiction » est la première que je termine et peut-être aussi la dernière, tout dépendant des commentaires qu'elle me vaudra et du temps que je trouverai pour en pondre d'autres. Au risque d'exaspérer ceux qui auraient déjà eu leur dose de fics anglaises traitant du même sujet, j'ai choisi d'écrire sur mes deux personnages préférés, Lucy et M. Tumnus, parce que j'ai toujours trouvé leur amitié très touchante. Quand les Pevensie retournent vivre dans leur monde, à la fin de L'armoire magique, on ne voit pas comment les choses se passent à Narnia pendant ce temps et c'est là-dessus que porte mon texte. Je me suis dit qu'après avoir été les meilleurs amis qui soient durant toutes ces années, tous les deux avaient dû être considérablement affectés par cette brusque séparation. Surtout Tumnus, qui a sans doute eu le temps de vieillir sans savoir ce qu'il était advenu des rois et reines disparus. L'auteur ne s'est pas attardé sur des détails de ce genre (peut-être bien parce que son intention n'était pas de faire pleurer ses jeunes lecteurs), alors en tant qu'incurable mélancolique, je n'ai pas pu résister à l'envie de le faire. Il me semblait naturel que le faune se soit beaucoup inquiété au sujet de Lucy et qu'il lui soit arrivé de se demander s'il la reverrait un jour. J'ai donc tenté de décrire, de son point de vue, la solitude qu'il a pu ressentir après la disparition de la personne qui comptait vraisemblablement le plus pour lui.

Ceux qui n'ont pas lu les livres auront peut-être un peu de mal à distinguer les événements qui s'y rapportent de ceux qui proviennent entièrement de ma petite cervelle. Je me suis inspirée du premier film pour certains éléments, mais comme l'idée de base m'était venue un peu avant sa sortie (la date plus récente de mon texte étant due à quelques modifications effectuées plusieurs mois après sa première publication), j'ai décidé de garder le livre comme référence principale, ce qui explique les écarts entre ma version et celle de Disney. Mon intention n'était pas de réinventer la fin de l'histoire, mais plutôt de la regarder sous une perspective différente, en comblant à ma façon des espaces laissés vides. J'ai essayé autant que possible de conserver l'essence des personnages pour donner à l'ensemble un minimum de crédibilité, mais ce sera à vous de me dire si j'y suis plus ou moins arrivée. J'avoue cependant avoir pris des libertés pour ce qui est des sentiments du narrateur, que rien dans les écrits de C.S. Lewis ne laisse vraiment supposer... Je me permets aussi de faire un peu de publicité à l'auteur en recommandant à mes lecteurs de se plonger dans l'œuvre originale, ce qui leur permettra de mieux saisir les allusions aux six autres tomes. (Si des enfants peuvent passer à travers toute la série, vous le pouvez certainement aussi! Ça en vaut la peine.) Et pour ceux qu'un retour sur les événements connus n'intéresserait absolument pas, c'est à partir de la troisième partie que j'ai presque tout inventé. Il n'y a pas vraiment de chapitres, en fait. Il s'agit d'une suite de souvenirs et de réflexions que j'ai simplement divisée en cinq pour en faciliter la lecture.

Pour finir (il est temps, je sais!), j'espère que je n'ai pas fait trop de fautes, étant donné que l'étude des verbes au subjonctif imparfait n'a malheureusement jamais fait partie du programme à mon école, malheureusement. (Voilà que je blâme le Ministère de l'Éducation pour la qualité de mon écriture!) Quoi qu'il en soit, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez! Avis toutefois aux amateurs de scènes de bataille ou de péripéties bourrées d'action: vous n'en trouverez pas ici. En fait, si vous ne raffolez pas particulièrement des longues descriptions dignes des plus exaspérants romans à l'eau de rose et des histoires exagérément dramatiques dans lesquelles il ne se passe pas grand-chose de palpitant, vous risquez seulement de vous endormir devant votre écran et de vous réveiller de mauvaise humeur à cause du gaspillage d'électricité et/ou du retard au boulot que cette expérience somnifère vous aura occasionné. Mais pour ceux qui voudraient quand même se risquer à jeter un coup d'oeil, vous êtes libres de le faire maintenant que je vous ai avertis!

Copyright et tous ces trucs ennuyeux mais bons à préciser:

Avant de commencer, même si tout le monde s'en doute fortement vu la catégorie dans laquelle se trouve cette pièce de fiction, spécifions que les personnages de cette histoire sont tirés de l'œuvre du génial Clive Staples Lewis, Les Chroniques de Narnia, et non de mon incroyable imagination. J'ai inventé la plupart des événements qui se déroulent ici et revisité les autres à ma façon, mais l'idée de base n'est absolument pas la mienne, hélas, au risque de scandaliser ceux qui auraient voulu m'attribuer tout le mérite pour des idées que j'ai seulement empruntées au vrai créateur de Narnia. Les éditeurs qui pourraient avoir l'idée farfelue de se ruiner en publiant ce qui suit sont prévenus. Et maintenant, je vous laisse!

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Il pleut encore. Assis près de la fenêtre, insouciant des longues heures qui s'écoulent, je regarde toute cette eau ruisseler sur les branches dénudées des arbres. Avant son arrivée ici, tout ce que je pouvais voir, à travers l'épaisse couche de givre qui recouvrait la vitre, c'était un paysage d'un blanc immaculé. Il y a longtemps maintenant que la neige a fondu, mais depuis qu'elle est partie, il me semble que la chaleur de l'été s'en est allée avec elle. Il ne me servirait toutefois à rien d'allumer un feu, car c'est au fond de mon cœur que l'hiver est revenu souffler son vent glacial.

Rien ne pourrait me rendre la gaieté que j'avais autrefois, si ce n'est qu'elle revienne, mais à chaque jour qui passe, cet espoir m'abandonne un peu plus. Il y a aujourd'hui trois ans qu'elle a disparu, mais j'ai l'impression que le temps s'est arrêté. Les jours durant son règne s'envolaient si vite qu'elle paraissait grandir à vue d'œil. Je me souvenais du couronnement comme s'il n'avait eu lieu que la veille, et déjà elle était devenue une élégante demoiselle pour qui Narnia n'avait plus aucun mystère.

Ma reine m'a assuré, autrefois, que j'étais toujours le bienvenu au palais et que je pouvais y demeurer aussi longtemps que j'en avais envie. Toutefois, maintenant qu'elle n'y est plus, j'ai préféré revenir vivre dans ma vieille caverne. Je ne me rends plus là-bas qu'occasionnellement, afin d'éviter que tout le royaume se préoccupe de mon état, car bien que j'essaie de ne rien laisser paraître, certains camarades de longue date trouvent que j'ai changé. Ils me reprochent d'avoir perdu mon sens de l'humour et de toujours avoir la tête ailleurs. Je ne voudrais pas qu'ils se mettent à en chercher la cause. Ils ne pourraient pas comprendre...

Mes yeux se posent sur les fauteuils vides, devant la cheminée remplie de cendre. Le souvenir me revient de l'époque où les deux places étaient occupées et où un bon feu crépitant nous réchauffait tous les deux. Je revois la petite fille, confortablement assise avec sa tasse de thé dans une main et une tartine dans l'autre. C'était une créature fascinante. Je n'oublierai jamais la première fois que j'ai été confronté à son regard pétillant de vie et de curiosité. J'avais longtemps cru que les êtres humains n'étaient que des personnages de légendes avides de pouvoir et de combats glorieux. Si j'ai quelquefois espéré qu'il s'en trouvât encore quelque part, pas une seconde je ne me serais attendu à être celui qui en rencontrerait un.

Cependant, la puissante magie de l'Empereur a voulu que je croise le chemin d'une fille d'Ève. Dès l'instant où elle s'est trouvée suffisamment près pour que je distingue bien son visage, j'ai compris que je m'étais gravement trompé. Les humains existaient réellement, ce qui signifiait que je serais forcé de respecter le serment que j'avais fait sous la menace... mais celle qui se tenait devant moi n'était qu'une enfant sans défense. Elle ne ressemblait en rien aux grands guerriers que j'avais imaginés. Je suis resté étonné qu'elle n'ait pas eu peur de moi, même si mon apparence devait lui paraître très étrange. Pleine d'une gentillesse toute naturelle et d'une confiance qui aurait touché même le cœur le plus dur, elle m'a immédiatement accepté tel que j'étais et m'a considéré sans le moindre doute comme un être bienveillant. C'est peut-être d'ailleurs ce qui m'a empêché de commettre la plus grave erreur de ma vie.

Je me rappelle si bien cet après-midi où je l'ai invitée à venir prendre le thé chez moi. Loin de se douter de mes intentions malhonnêtes, elle a insisté pour m'aider à porter quelques-uns des paquets que je portais, même si elle enfonçait dans la neige jusqu'aux chevilles. C'est ainsi que nous nous sommes mis en route, sa petite main délicatement posée sur mon bras qui tenait le parapluie. Au cours des heures qui ont suivi, mes craintes se sont complètement dissipées et mes préjugés ont cédé la place à une affection grandissante. Je savais bien que je ne pouvais me permettre de m'y attacher, mais comment aurais-je pu faire autrement? Son sourire était un véritable enchantement; elle parlait avec une simplicité désarmante et l'intérêt qu'elle portait à mes histoires me touchait profondément. Quelqu'un s'intéressait réellement à ces vieux contes de faunes! Moi qui craignais d'ennuyer les gens dès que je me mettais à parler de mes bouquins, j'étais ravi de pouvoir les partager avec une personne qui ne se lassait pas de les entendre.

Il m'aurait fait grand plaisir de l'inviter à revenir me rendre visite aussi souvent qu'elle en avait envie, si ce n'avait été du danger que nous courions tous les deux, mais si sa présence risquait de causer ma perte, elle me libérait en même temps de l'état de torpeur auquel m'avait trop longtemps contraint l'interminable saison morte. Rien depuis des lustres n'avait pu me réchauffer le cœur comme elle l'a fait. Elle a été pour moi comme un lever de soleil à la fin d'une longue nuit sans étoiles.

Pourtant, je formais toujours le dessein de la livrer à celle qui s'était autoproclamée souveraine de tout le pays une centaine d'année auparavant, comme l'exigeait l'engagement solennel que j'avais été forcé de prendre. Le cœur lourd, mais tâchant de paraître détendu afin de ne pas éveiller de soupçons, j'ai préparé le thé pour la petite fille d'Ève tout en lui faisant la conversation. Je lui ai raconté comment le chant du Grand Lion avait donné vie à tout ce qui respire en ce monde, puis j'ai joué sur ma flûte une berceuse qui l'a plongée dans un profond sommeil. Cela avait été beaucoup plus facile que je ne l'avais cru. Il ne me restait plus qu'à aller prévenir la Sorcière Blanche et tout risque d'être exécuté serait écarté. Pourtant, cette simple tâche dont j'aurais dû pouvoir m'acquitter sans aucune difficulté me paraissait tout à coup insurmontable. Tandis que je regardais cette frêle créature assoupie dans mon fauteuil, en m'efforçant de croire qu'elle devait forcément être plus dangereuse qu'elle en avait l'air pour que notre dictatrice la craigne autant, les minutes s'écoulaient jusqu'à devenir des heures, et bien que le temps pressât, quelque chose me retenait de quitter ma caverne.

À ce moment-là, en fait, j'étais envahi par une émotion indescriptible, infiniment plus puissante que la terreur que m'inspirait la Sorcière Blanche. Après avoir vécu seul si longtemps, j'avais à nouveau le sentiment d'avoir une famille. Conscient que la vie de cette enfant reposait entre mes mains, je me sentais tout à coup responsable de veiller à ce que personne ne lui fasse de mal. Je réalisais soudain avec horreur la gravité de ce que j'étais en train de faire et je me sentais submergé par une culpabilité de plus en plus insoutenable.

À la tombée de la nuit, je pleurais encore de honte et de désespoir lorsque la jeune fille d'Ève s'est réveillée. Après que je lui eusse avoué ce qui m'accablait, la peur et la déception que je pouvais lire dans ses yeux ont fait redoubler l'intensité de mes sanglots. Ma lâcheté avait fait de moi un monstre. Mon pauvre père aurait certainement été très attristé par ma conduite, lui qui avait vécu en défendant bravement les idéaux des Narniens restés fidèles à notre Roi. En mon for intérieur, je ne pouvais tout simplement pas me résoudre à trahir ainsi une victime innocente. J'étais conscient qu'en refusant de le faire, je signais sans doute mon arrêt de mort, mais il était trop tard. Maintenant que je la connaissais, il m'était impossible de faire abstraction de mes sentiments. Si Aslan voulait que je vive, ce ne serait certainement pas en tant que traître de ses loyaux sujets et de mes propres alliés.

Aslan... Depuis longtemps, j'avais cessé d'espérer son retour. Les prophéties annonçaient sa victoire prochaine, mais j'avais renié mon allégeance alors que j'aurais dû lui rester fidèle jusqu'à la fin, comme tous ceux qui avaient choisi d'affronter le courroux de son ennemie. Après avoir ainsi abandonné mon Roi, j'avais laissé la culpabilité m'abattre et l'incrédulité me gagner peu à peu. Toutefois, en pensant à Lucy Pevensie et à sa foi d'enfant, le courage m'est revenu. Quel que fût le prix à payer, cela n'avait plus d'importance, car je savais désormais que pour elle, j'étais prêt à courir ce risque. Même si je devais subir le châtiment qui était réservé aux traîtres, j'étais convaincu que c'était la moindre des choses que je pusse souffrir pour elle, après qu'elle m'eût apporté tant de réconfort et de joie. J'avais à présent la ferme intention de me racheter pour le mal que j'avais fait. À présent, je réalisais que j'avais eu tort de désespérer. Notre souverain légitime était vivant, j'en étais à nouveau convaincu, et dans sa grande bonté, il l'avait envoyée vers moi pour me rendre l'espoir. Prenant la petite main de Lucy dans la mienne, j'ai finalement franchi le seuil, mais dans un but différent de ce que j'aurais cru à peine quelques heures plus tôt. J'allais la raccompagner jusqu'à l'endroit d'où elle était venue et m'assurer qu'elle se trouve hors de danger, puis m'en remettre à Aslan pour la suite des événements.