Bonjour, voici une nouvelle déraison... pas encore totalement élaborée dans mon esprit gentiment embrouillé... Cela commence plutôt légèrement mais cela ne saurait durer, vous voilà prévenu(e)s.

je vous souhaite de gentils moments d'amusement si vous décidez de vous arrêter ici et vous remercie par avance de votre (éventuel)intérêt.

Bien amicalement,

Calazzi.

Pour rappel : Octobre 1794: 1re rencontre à Meryton.

« Miserere nobis » *

« Les bonnes manières d'un gentleman en campagne.

N'est-il pas commun que de considérer le théâtre comme l'art le plus éphémère? Ne pourrait-on pas élargir cette assertion au spectacle que nous offre l'élite londonienne? Ainsi, la moindre scène de bal saurait bien nous distraire de la monotonie qu'imposent ces petits provinciaux, si prompts à singer les grands… ceux qui donnent le ton, depuis la ville de toutes les lumières.

Imaginez l'un d'eux au beau milieu d'une assemblée échevelée, flot dérisoire et béat de joie ignorante de tous les raffinements de la capitale… Voyez- vous ce regard de pure épouvante découvrant cette vie dépouillée des codes de bonne conduite? Imaginez l'angoisse que peut éprouver cette créature pleine de grâce face à ce naufrage du bon goût! Voici la scène : la foule de villageois s'évertue à s'amuser sans aucun discernement sur un fond musical insignifiant quand subitement, l'orchestre se tait, privant la masse de son feu sacré. Tous les regards se tournent alors vers un petit groupe dont l'impeccable retenue tranchait sur l'atmosphère bouillonnante alentours. Ah! L'on eût dit que la lumière perçait les Ténèbres… Une sombre silhouette domine de toute sa hauteur aristocratique l'aréopage de simples campagnards. Superbe spécimen aux allures d'Apollon fait homme, si parfait qu'il semble inaccessible à notre finitude. Imaginez qu'un maléfice ait attaché ce fils de Zeus aux adorateurs de Dionysos, le temps d'un bal… dans un petit comté comme le Hertfortshire. D'essence divine, il est comme dépouillé de sa singularité en se trouvant métamorphosé en simple participant d'une comédie grotesque, identique à tous les autres hommes. A moins qu'il ne s'agisse d'une tragi-comédie?

Il semble ne rien voir ne rien entendre qui puissent obtenir grâce à ses yeux, rien qui ne soit digne d'intérêt. Il parait ignorer que le monde est bien plus vaste que son carré de ciel gris, que la vie est si brève et que d'autres gens existent…

Encore une fois, voyez le désarroi dans lequel il est plongé quand tous attendent qu'il invite l'une des leurs à danser. Son orgueil se manifeste par le mépris qu'il affiche pour le bonheur de ce public si petit qu'il n'est même pas capable de l'admirer, pas même soucieux de l'impressionner. Alors que croyez- vous que fit ce parangon de toutes les vertus lorsqu'un membre de sa communauté l'incitait à se mêler aux festivités? Il ne se contenta pas de décliner l'offre, non, sa nature vindicative le conduisit à insulter en toute bonne foi la jeune oie qu'on lui avait si complaisamment désignée par « Pas mal; mais pas assez belle pour me tenter; en plus, aujourd'hui, je ne suis pas d'humeur à accorder de l'importance à des jeunes filles que délaissent les autres hommes. Mieux vaut revenir auprès de ta partenaire et jouir de ses sourires, car tu perds ton temps avec moi. » Décidément, nous ne pouvons qu'acquiescer : c'est bien une perte de temps. »

« Miséricorde! M. Bennet! Sont-ce vraiment les mots exacts retranscrits par M. Gardiner? Ne serait- ce pas là encore un de vos tours pour vous gausser de ma naïveté? Je ne peux croire que cela ait fait le tour de Londres… C'est absolument incroyable! Prodigieux! La raillerie ne fait partie de mes vices, c'est là une tournure d'esprit que je n'ai d'ailleurs jamais encouragée chez aucune de mes filles - Son regard soupçonneux se tourna vers la seconde comme hésitant, avant de reprendre - mais je dois avouer qu'il ne l'a pas volé… et que cela reste entre nous - Cette fois-ci, c'étaient ses deux cadettes qu'elle désignait d'une voix qui ne laissait place à aucun doute sur les sanctions qui ne manqueraient pas de s'abattre sur elles si jamais … - Oh, je dois en avertir ma chère Mme Philips avant quiconque! Quelle histoire! Mais quelle histoire! Lydia, Kitty, vous n'êtes pas encore prêtes? Mais enfin qu'attendez-vous? Que quelqu'un d'autre répande ces nouvelles dans tout Meryton? Oh, mes pauvres nerfs! Mme Hill, où sont donc mes gants? Voyons, je ne peux sortir sans mes gants… »

La pauvre femme en perdait tout son bon sens et tournait sur elle-même comme si cela pouvait résoudre quoi que ce soit, ses filles en profitèrent pour terminer leurs propres préparatifs.

« Ma chère, il me semble que vous avez déjà enfilé une paire de gants, à moins que vous ne souhaitiez en changer, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de mettre la maisonnée sens dessus dessous - M. Bennet ne s'était pas départi du calme olympien qui le caractérisait depuis toujours, comme un contrepoint à la nervosité légendaire de son épouse - Et dans le cas où vous poseriez la question : vous portez déjà un chapeau, Mme Bennet. »

Kitty et Lydia ne purent s'empêcher de ricaner, de façon tout à fait inconvenante, même pour de si jeunes filles. Élisabeth détourna alors l'attention familiale vers le sujet initial qui semblait l'intéresser au plus haut point. La seconde fille de M. et Mme Bennet était bien connue pour son sens de l'humour, qu'elle cultivait avec délectation chaque fois qu'une occasion se présentait. Elle brûlait visiblement d'en savoir davantage sur le plaisir que son père et elle-même pourraient retirer de ce brûlot paru dans un journal londonien.

« Papa, que pensez-vous de tout cela?

-Lizzie, à quoi servons-nous si ce n'est à fournir à nos voisins de quoi les amuser, tandis que nous faisons de même avec leurs petites manies? Les retombées « politiques » éventuelles de cette caricature ne semblaient pas ternir la bonne humeur de ce grand contempteur des travers de ses contemporains.

-Mais, voyons, il s'agit d'une situation bien plus sérieuse! Cette caricature risque de donner à notre comté une bien mauvaise réputation! La douce voix de Jane Bennet laissait entendre sa désapprobation, qui s'étendait généralement à toute action commise à l'encontre de ses semblables, même les plus éloignés de sa nature si pressée de pardonner les offenses. Tous les gentlemen ne craindront-ils pas de se montrer parmi nous? Non, ces mots me paraissent si cruels en vérité. Même si ce gentleman s'est montré si incorrect envers cette jeune fille, il n'est pas très convenable de l'exposer ainsi à la vindicte populaire. Peut-être avait-il ses raisons pour ne pas participer à notre bal. Après tout, il appartient à un cercle différent du nôtre et son plaisir exige des raffinements qu'il n'a pas trouvés dans notre assemblée.

-Jane, tu es si prompte à défendre les causes perdues… Élisabeth jetait à sa sœur aînée un regard empli de tendresse. Puis elle se lança avec animation dans l'un de ses sujets favoris : Quant à moi, j'aime que les vilains soient démasqués, ma mesquinerie me fait applaudir la scène finale, lorsque le méchant est rendu inoffensif à coups de vérités. Par ailleurs, je crois aussi aux vertus de l'exemplarité et les bonnes manières s'acquièrent en imitant ceux qui nous les inculquent. Croyez-vous réellement que cette amusante illustration des travers de notre élite pourrait provoquer de tels remous? Je n'y vois que la volonté de sourire de l'attitude hautaine d'un mufle qui semble ignorer qu'il en est un. L'auteur de cet article fait œuvre de bienfaisance en pointant ce terrible défaut qu'est l'orgueil. Ne s'agit-il pas de prendre conscience de ses erreurs afin de les corriger? Certains ont besoin d'être guidés plus longtemps que d'autres…

-Lizzie! Nous ne parlons pas d'aspects théoriques, mais de l'ami de M. Bingley! La personne qui s'est livrée à une telle action… ne me paraît pas plus respectueuse que celui qu'elle dénonce! Pauvre M. Darcy, que peut-il ressentir à la lecture d'un tel portrait!

-Allons donc, Jane, si je comprends bien, ce charmant M. Bingley ne peut s'être lié à un personnage imbu de lui-même? Simillis simili gaudet… « Les semblables s'attirent ». Et ce pauvre M. Darcy, s'est-il interrogé sur ce que pourrait éprouver les personnes qui l'avaient accueilli si chaleureusement à la vue de son dédain tout aristocratique? Elle s'était levée et dirigée vers la fenêtre qui s'ouvrait sur le jardin de taille modeste mais tout de même respectable. Elle semblait plongée dans ses pensées. Et cette jeune fille, si elle l'avait entendu? D'ailleurs, je me demande bien qui cela peut être…

-Pour ma part, je ne crois pas que se moquer des autres amène qui que ce soit à la raison, ni l'auteur, ni sa cible. C'est là l'œuvre d'un esprit tourmenté qui manque certainement de charité.

-Merci infiniment Marie pour ces paroles si éclairantes, je saurai m'en souvenir la prochaine fois que j'aurai envie de rire de ma propre bêtise. Ceci dit, je n'ai pas souvenir d'avoir appris que rire conduisait au bûcher. Élisabeth s'était rapprochée de son père, son visage ne conserva pas longtemps l'expression sérieuse pour le moins inhabituelle qui s'y était affichée. Papa, puis- je recopier ce passage de la lettre que notre oncle vous a envoyée? La pécheresse que je suis nécessite de s'y pencher à nouveau calmement. »

Ainsi donc le Hertfortshire (et son héraut) devint un sujet de choix dans les salons et clubs londoniens où chacun devait prendre parti pour ou contre dans le conflit qu'un journal en mal de lecteurs avait allumé au sein d'un empire déjà en butte avec un ennemi extérieur. Certains dissertaient sur les bienfaits de l'autodérision quand d'autres s'acharnaient à percer le secret de l'identité du malotru qui avait si mal représenté la supériorité des gens de haute naissance. Car l'histoire ne s'arrêta pas là…

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Fitzwilliam Darcy lisait tous les journaux sérieux que Londres pouvait fournir, et ce ne fut pas en vain que son ami Charles Bingley se rendit séance tenante chez ce dernier, l'infâme gazette camouflée sous son épais manteau. Si le ténébreux maître des lieux avait coutume d'observer une fébrilité certaine chez son jeune ami bouillonnant par nature, il n'en fut pas moins surpris ce matin-là par l'extrême confusion qui régnait dans sa tenue, habituellement impeccable. C'était bien tête nue et dans un grand désordre de cheveux que Bingley se présenta à Darcy house à une heure plus que précoce pour les visites amicales.

Les politesses d'usage dûment et rapidement présentées, ils entrèrent dans le vif du sujet, le plus exubérant des deux dépliant sous les yeux médusés de son hôte un journal où potins et rumeurs s'étalaient grassement :

« Darcy, vous devez absolument lire ceci … Il pointait d'un doigt tremblant un article en première page - Je crois que cela vous concerne personnellement et je vous avoue ne pas savoir moi-même qu'en faire ».Ses joues abandonnaient peu à peu la couleur rose vif qu'elles arboraient à son arrivée, son souffle se faisait moins rapide, sous l'effet rassurant des lieux mais aussi probablement du calme qu'affichait son ami.

En revanche, son interlocuteur blêmissait au fur et à mesure qu'il parcourait l'énoncé en question et ce ne fut que lorsqu'il jeta son regard furieux dans celui de son visiteur qui comprit immédiatement combien cet homme se maîtrisait.

« Bingley, je ne sais si je dois vous remercier d'avoir porté… ceci… à ma connaissance mais les choses étant ce qu'elles sont… Il était rare d'observer la moindre hésitation de la part de ce gentleman dont la rigidité allait de pair avec une détermination sans faille – Il se reprit, sa voix redevint celle du maître autoritaire qui régnait sur de vastes terres - Je me dois dorénavant d'agir en toute conscience. Vous aviez parfaitement raison, cela me concerne personnellement. Mon nom n'est pas encore dévoilé mais qui pourrait m'assurer que cela n'arrivera pas ?

-Darcy, la seule information réellement compromettante dans ce… cette attaque réside dans les propos rapportés au sujet de Miss Elisabeth. Le jeune homme eût le bon goût de rougir à cette évocation - Il suffira de ne pas avouer avoir prononcé ces mots, enfin, il sera nécessaire d'arranger légèrement la réalité… Il s'empourprait, dans le même temps qu'il s'embourbait dans ce naufrage verbal.

-Non, Charles ! J'abhorre tous les masques et les mensonges qui les accompagnent, vous le savez. Darcy restait parfaitement immobile, accroché à sa nature vindicative comme Prométhée à son rocher - Non, je préfère me défendre loyalement plutôt que d'user de stratagèmes dont la fausseté me révulse. Pardonnez-moi, mon ami mais je vais devoir prendre congé de vous car j'ai une affaire de la plus extrême importance à traiter…

-Qu'avez-vous l'intention de faire Darcy ? Découvrir l'identité de votre délateur ? Charles Bingley était sur son départ, prêt à passer le seuil de la porte.

-En effet, cela fait partie de mes intentions… Une ombre passa sur son visage, difficile à interpréter pour son vis-à-vis, entre sourire glacial et rictus, exprimant le danger qui guettait son adversaire - mais je pense également utiliser mon droit de réponse, enfin par personne interposée bien évidemment : il est hors de question que je m'expose directement.

-Oh… rétorqua non sans à propos le jeune Bingley, une pointe de regret perceptible dans sa voix - voici un duel qui ne manquera pas d'intérêt. Je vous prie de présenter mes plus sincères salutations à Miss Darcy. »

Ce ne fut pas sans peine que le maître de Pemberley avait réussi à maintenir une impression de contrôle, digne d'un gentleman. Seules les longues années d'expérience que sa vie lui avait infligée le lui avaient permis. Ce ne fut que lorsqu'il fut seul, qu'il libéra un peu de la tension qu'il ressentait, d'une manière que le code de bonne conduite n'autorise pas à rapporter ici. Il se mit ensuite en quête de la personne qu'il allait charger de sa riposte. La réputation des Darcy ne pouvant souffrir le moindre accroc, il passa par un intermédiaire à qui il confia deux missions : enquêter sur la mystérieuse identité de son ennemi déclaré et offrir une réponse.

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Un nouveau feuilleton était né en première page d'un journal hebdomadaire londonien… Du moins pouvait-on le croire lorsque parut la dernière édition :

« La personne visée par la rubrique (Les bonnes manières d'un gentleman en campagne) publiée la semaine dernière répond à son critique!

L'orgueil attaqué par les préjugés :

Il est entendu que nous limiterons nos échanges à la plus extrême cordialité, comme l'exige le bon usage et les règles de la conversation. Cependant, je m'autorise à vous répondre, cher esprit vengeur, car au vu de ce que vous avez rapporté de mon attitude, il ne me semble pas que l'on puisse utiliser à mon endroit (comme vous l'avez fait) l'expression « parangon de toutes les vertus »… qui vous conviendrait bien mieux.

J'emprunterai les mots d'un écrivain et moraliste français pour relever ce qui s'apparentent à mes yeux à des erreurs de raisonnement. Ces deux citations sont tirées de l'ouvrage « Les Caractères ou les mœurs de ce siècle », dont je vous recommande chaleureusement la lecture, ou du moins la relecture, dans la rubrique « Des jugements » (ce qui paraît de prime abord approprié) :

« Nous n'approuvons les autres que par les rapports que nous sentons qu'ils ont avec nous- mêmes; et il semble qu'estimer quelqu'un, c'est l'égaler soi. » Votre analyse de mon comportement pourrait avoir été quelque peu hâtive et partiale, voire soumise à votre propre orgueil, ou préjugé à l'encontre d'un parfait étranger.

« Le commun des hommes est si enclin au dérèglement et à la bagatelle, et le monde est si plein d'exemples ou pernicieux ou ridicules, que je croirais assez que l'esprit de singularité, s'il pouvait avoir ses bornes et ne pas aller trop loin, approcherait fort de la droite raison et d'une conduite régulière. » Cela ne me semble pas nécessiter d'annotation ou commentaire particulier.

Ceci donne matière à réflexion et nous permettra peut-être d'envisager cette affaire sous une lumière plus juste,

Mes hommages. »

A suivre

* Ayez pitié de nous.