L'âge auquel il était arrivé au Sanctuaire, il l'avait oublié. Ca remontait à bien trop loin, il était si jeune à cette époque...
Mais il se rappelait quand il l'avait rencontré pour la première fois.
Quand « il » avait cessé d'être une silhouette lointaine dans les temples silencieux, quand il avait cessé d'être un nom mumuré avec crainte et admiration par les apprentis chevaliers.
Oui, ça, il s'en rappelait.
C'était l'époque où lui, et huit autres jeunes garçons s'étaient distingués parmi les autres, par un cosmos particulièrement puissant, par un force particulièrement élevée, et par une volonté qui surpassaient toutes les autres. Ils avaient été choisis pour suivre un entraînement spécial, plus dur, un entraînement pour devenir Chevaliers d'Or.
Oui. C'était à cette époque qu'il l'avait en effet rencontré. Et encore aujourd'hui, il se rappelait de cette époque et de ce moment avec une nostalgie qu'il peinait à taire.
Il avait alors huit ans.
-Ha !
Le rocher explosa.
Il faisait froid ce jour là, et même la chaleur provoquée par l'exercice intense se parvenait pas à empêcher les frissons de parcourir la peau nue des bras du jeune élève, dont le souffle saccadé se condensait dans l'air.
-Il a encore explosé.
La voix grave qui s'éleva derrière le jeune garçon était le fait d'une grande et massive silhouette, d'un homme en armure d'entraînement dont les longs cheveux claquaient au vent. Il avait une position décontractée, une main sur une hanche, un genou relâché, mais son regard était droit et sévère, et son aura même inspirait le respect, le respect qu'on devait à une personne possédant une grande expérience.
« Tu maîtrise mal ta puissance, je te l'ai déjà dit. Tu dois concentrer ta force, Shura, la concentrer en une seule et unique lame. Couper le rocher. Pas l'exploser.
Le dénommé Shura leva un regard vert sombre sur son maître, reprenant lentement son souffle. Si ses grands yeux étaient certes teintés d'agacement, ils étaient surtout sérieux, trop sérieux pour un garçon si jeune.
-Je... je ne comprends pas, où est la différence ? Il demanda entre deux inspirations.
Son maître poussa un soupir, et croisa des bras musclés sur son large torse.
-Tu frappera plus fort si tu concentre ta force en un point. Réfléchis, Shura. Qu'est ce qui est plus lourd entre un petit caillou de plomb et un gros de roche poreuse ?
Le jeune espagnol haussa un sourcil devant la question, mais répondit sans protester :
-Le petit caillou de plomb ?
-Donc si je te lance l'un des deux, lequel te fera le plus mal ?
-Le... caillou de plomb.
-Exactement. C'est la même chose pour tes attaques. Plus tu les concentrera en un point précis, plus elles seront puissantes. Tu fera bien plus de dégat en frappant un adversaire à un point faible bien précis avec toute ta puissance qu'en répartissant toute ta force sur son corps entier. Réessaye.
Shura acquiesça lentement, frottant son bras douloureux. Puis il se tourna vers un rocher encore intact, inspirant, et leva son membre pour la énième fois.
Il regarda la pierre avec des sourcils froncés, concentré.
Condenser sa puissance. Ne quittant pas du regard sa cible, il éleva doucement son cosmos, s'investissant de sa chaleur. Couper le rocher. Couper le rocher.
-Haaaa !
Une onde de choc dorée quitta son bras quand il l'abaissa brusquement, et fila à une vitesse incroyable sur le rocher qui...se brisa encore.
Quelque peu dépité, Shura mit un genoux un terre et tenta de retrouver un souffle qui lui manquait cruellement. Ses membres étaient glacés et douloureux, comme vidés de toute force. Il tenta de se relever sur des jambes tremblantes, mais une main large se posa sur son épaule.
-C'est assez, Shura. Tu t'entraîne depuis ce matin, et ton cosmos est épuisé. Tu dois te reposer.
L'espagnol serra les dents, mais se releva tout de même sans aide.
-Je ne comprends pas... J'essaye, et je réessaye, pourquoi je n'y arrive pas ?
Son maître le regarda gravement, retirant sa main.
-Parce qu'il ne suffit pas d'essayer et de s'entraîner sans relâche, Shura. Tu dois comprendre ton attaque. Son essence. L'essence d'Excalibur.
-Excalibur...
L'élève releva la tête. Oui, Excalibur, l'épée sacrée. L'honneur attribué aux chevaliers du Capricone depuis des générations, celle qu'on dit pouvoir trancher n'importe quoi et vaincre n'importe quel adversaire...
-Oui Shura.
L'homme se baissa à la hauteur de Shura et lui serra doucement le bras.
« La force ne se limite pas qu'à cet endroit.
Il posa son autre main à plat sur le cœur de son jeune élève.
« Elle est aussi, et surtout ici.
Puis il se releva, laissant un Shura surpris porter sa propre main à sa poitrine.
« Etre capable de ressentir le cosmos est déjà un exploit en soi. Mais faut il déjà aussi le comprendre, être non seulement capable de le puiser mais aussi de l'augmenter, de le pousser à son paroxysme, et de le faire exploser... Mais tu n'en es pas encore là.
Il termina avec un sourire confiant.
« Je te fais confiance Shura. Ne me déçois pas.
Réchauffé par ces dernière paroles, l'espagnol acquiesça vivement.
-Oui ! Comptez sur moi !
Son maître éclata de rire, et ébouriffa les cheveux sombres de Shura.
-Bien, bien. Allez, vas te reposer maintenant. Tu l'as bien mérité.
Le futur Capricorne hocha la tête, puis fit volte face et courut jusqu'où il se reposait.
Les paroles de son maître furent les dernières qu'il entendit de la journée, car à peine couché, il s'endormit, plongeant dans un profond sommeil réparateur...
En Grèce, au Sanctuaire.
Il était tard.
Les premières étoiles pointaient dans le ciel de Grèce, teinté d'un sublime dégradé de couleurs dont la subtilité échappait même aux plus grands peintres de l'époque. Le crépusclue faisait couler de longues rivières écarlates entre les colonnes des temples du Sanctuaire, où le silence régnait en maître incontestable.
C'était un endroit bien vide, songeait alors l'homme qui se tenait à sa tête.
Il avait des cheveux longs et verts, que recouvrait un masque bleu et rouge aussi impersonnel et inexpressif que la pierre du sol sur lequel il se trouvait.
Il s'agissait du Grand Pope lui même, homme solitaire dans le treizième temple du zodiaque, responsable de tous les chevaliers, second d'Athéna elle même, qui n'était même pas encore née.
Et c'était en baladant un regard invisible sur le Sancutaire qu'il pensait distraitement à la nouvelle génération des Chevaliers d'Or qui s'apprêtait à arriver, souffrant de ce fameux stress du dernier instant.
N'allaient ils pas être trop jeunes ? Pourraient ils être à la hauteur de leur tâche ?
Seraient ils même en sécurité... ?
Le trajet des étoiles inquiétait le Grand Pope depuis peu. Sans être alarmant, le message était annonciateur de mauvaises choses, et le vieil homme craignait pour les évènements à venir. Il aurait aimé que les tout nouveaux Chevaliers d'Or aient le temps de maturer un peu avant de faire face au danger...
Et puis, il y avait cet homme.
-Grand Pope ?
Une voix le sortit brusquement de ses pensées. Il ne montra cependant aucun trouble et se retourna simplement vers le serviteur qui s'était agenouillé derrière lui.
-Mmh ?
-Aioros du Sagittaire et Saga des Gémeaux sont arrivés.
-Bien. J'arrive...
Le serviteur inclina la tête, puis prit congé. Le Grand Pope le regarda aller, calme, puis s'éloigna à son tour, faisant résonner dans le silence des bruits de pas réguliers.
Ses cheveux bleus volèrent derrière lui quand il s'agenouilla à côté de son compagnon d'armes. Il jeta un discret coup d'oeil à ce dernier, dont les cheveux châtains étaient ceints par un bandeau rouge, et dont le regard était un exemple de sérieux et de noblesse, un regard d'un adolescent d'à peine 12 ans...
-Merci d'être venus.
Saga des Gémeaux reporta immédiatemment son attention sur le Grand Pope qui venait d'arriver dans la salle, et inclina la tête.
-Aioros et Saga au rapport, il déclara simplement.
Le Grand Pope marcha jusqu'à son trône, où il se laissa tomber calmement.
-Vous n'êtes pas sans savoir que l'entraînement des prochains Gold Saints à commencé, je me trompe ?
D'un seul geste, les deux chevaliers d'Or lui donnèrent raison. Leur interlocuteur eut un « mmh » satisfait et continua :
« J'aimerai avoir un retour quant à leur compétences actuelles. C'est pourquoi, au vu de leur nombre, j'aimerai vous charger d'aller évaluer chacun d'eux chacun de votre côté et de me rapporter vos impressions.
Saga tiqua, et releva brièvement la tête pour protester, avant de fermer la bouche, gêné par sa réaction quelque peu le Grand Pope ne sembla pas offensé le moins du monde.
-Qu'y a t-il, Saga ?
Le Chevalier des Gémeaux s'éclaircit discrètement la gorge.
-N'est ce pas... exagéré d'envoyer deux Chevaliers d'Or pour évaluer quelques apprentis ? Le Sanctuaire a besoin de protection...
Au bruit qu'il fit, le vieil homme sembla rire.
-Ca ne l'est pas, ne te fais pas de souci. Personne d'autre qu'un Chevalier d'Or ne peut juger un futur Chevalier d'Or. J'aimerai qu'ils savent à quoi s'attendre, et qu'ils puissent s'appuyer sur des conseils venus de leurs aînés.
-Oui... Je comprends.
Le Pope hocha la tête.
-Bien. Aioros, je te chargerai donc d'aller voir Aldébaran au Brésil, Shaka en Inde dans la vallée du Gange, Camus en Sibérie et Aphrodite au Groënland. Saga, j'aimerai que tu aille voir mon propre élève à Jamir, Mû, Deathmask en Sicile, Aiolia ici même, Milo à l'île de Milos et enfin Shura, dans les pyrénnées en Espagne.
-Compris. S'écrièrent en choeur les deux compagnons, n'ayant pas besoin de plus d'informations. De fait, ils savaient déjà où se trouvaient en gros les camps d'entraînement du Sanctuaire, si bien qu'ils se contentèrent de se lever et de partir en silence.
Sur le chemin, Saga se tourna vers Aioros :
-Tu aurais aimé être chargé d'Aiolia ?
Le Sagittaire eut un soupir léger, mais esquissa un sourire ensuite.
-Haha, bien sûr, c'est mon petit frère après tout. Mais j'imagine que le Pope craignait que je ne sois pas assez objectif avec lui.
-Hm, probablement...
Son petit frère, hein...
Saga eut une pensée pour son propre frère, l'irrécupérable Kanon dont les actes dépassaient de loin la simple impolitesse ou insubordination, et qui donnait littéralement des nuits blanches au Chevaliers des Gémeaux qui se demandait quoi faire de lui.
-Tu comptes aller où en premier ? Demanda alors un Aioros curieux, sortant son compagnon de ses pensées désagréables. « Je pense aller en Inde d'abord, c'est plus près.
Saga eut un instant de réflexion, où il passait dans son esprit les différents lieux à visiter, cherchant celui qui lui semblait le plus intéressant en premier.
-Sûrement en Espagne... Shura, c'est ça, hein...?
Le cœur du futur Capricorne avait fait un bond dans sa poitrine quand son maître lui avait annoncé la venue d'un Chevalier d'Or, un vrai, juste là, rien que pour le voir lui. Rien que ça.
Aujourd'hui.
Assis sur un rocher miraculeusement épargné des dures leçons du jeune garçon, Shura tapotait sa cuisse du bout des doigts, mal à l'aise. Il était venu l'évaluer, sans aucun doute possible. Mais il ne se sentait pas prêt. Il n'avait toujours pas maîtrisé sa technique et craignait d'avoir l'air ridicule.
… Il ne devait pas avoir peur.
Il devait se reprendre. Montrer au Chevalier d'Or sa détermination et son sérieux. Oui. Sa technique passerait après. Shura avait promis à son maître qu'il réussirait à maîtriser Excalibur, quoi qu'ne fussent les sacrifices.
Pourtant sa résolution s'ébranla quand l'espagnol entendit son prénom.
-Shura.
Il déglutit, et sauta de son caillou, se retournant brusquement, aussi droit qu'un piquet.
Son maître était juste en face de lui, et se trouvait accompagné d'un homme inconnu.
Et ce que vit Shura le surprena profondément.
Car le Chevalier d'Or était jeune. Beaucoup plus jeune que tout ce que le futur Capricorne avait pu imaginer.
Mais son armure étincelante, et son cosmos pur ne laissaient aucun doute sur le statut de cet adolescent.
Il avait des cheveux longs et grâcieux, d'une profonde couleur bleue que venaient rehausser ses yeux de la même couleur. Il souriait. Et de ce sourire, et de son regard émanaient une douceur et une gentilesse infinie, une véritable pureté qui semblaient comparables aux Dieux eux mêmes. Et cette impression était intense, si intense qu'elle entraîna chez Shura un respect et une admiration immédiats. Il resta bouche bée, silencieux, devant ce Chevalier d'Or, cette apparition divine qui allait pourtant devenir son compagnon d'arme, son égal.
-Bien le bonjour, Shura. Je suis Saga, Chevalier d'Or des Gémeaux. Ravi de te rencontrer.
Impressionné, l'espagnol construisit une phrase comme on tente de faire un puzzle avec des mains tremblantes. Il s'inclina respectueusement, en profitant pour cacher son trouble.
-R...Ravi de vous rencontrer.
-Alors c'est toi qui est destiné à porter Excalibur, l'épée sacrée des dieux.
Shura releva la tête pour voir que le Chevalier s'était approché. Manquant de sursauter, il dut se faire violence pour ne pas reculer. Son regard, pourtant si calme et si doux, avait l'étrange don de perturber le jeune garçon qui dut se mettre une bonne dizaine de gifles mentales pour reprendre contrôle de lui même. Il déglutit à nouveau, puis réussit à reprendre l'air sérieux qui le caractérisait si bien.
-Oui.
Saga sourit.
-C'est un grand honneur que de porter Excalibur, Shura. Seuls ceux qui en sont dignes peuvent la porter, l'aiguiser, l'amener au combat. Et seuls les Chevaliers du Capricorne se sont vus attribuer cet honneur, depuis bien des générations déjà.
Il parlait d'un ton gentil, loin d'être inquisiteur ou autoritaire.
« Sais tu à quoi servent les Chevaliers ?
Surpris de cette question, Shura eut besoin d'un instant de réflexion.
-A... protéger Athéna ?
-Pourquoi cela ?
-Parce qu'elle protège la paix et l'amour sur terre.
Le Gémeaux s'agenouilla, plantant son regard enivrant dans les grands yeux du jeune garçon. Celui ci ne ce sentit dès lors plus gêné par ce regard, plus intimidé. Il lui inspirait confiance. Une grande, une sublime, une extrême confiance, et à ce moment même, Shura savait que rien ne pourrait ébranler cette confiance, car rien ne pourrait ébranler la pureté des yeux de ce Chevalier d'Or. Les mots du futur Capricorne, il les avaient sortis car on lui les avaient appris. Mais devant cet homme, ils avaient pris une dimension différente.
-Comprends tu ce que ça veut dire, Shura ?
Il acquiesça lentement. Tous ses doutes étaient retombés. Il n'avait plus peur de son jugement, car il savait qu'il ne serait jamais à son niveau. Mais il comptait bien tout donner pour aller le plus haut possible, le plus loin possible, pour perfectionner son épée, car jamais elle ne sera assez aiguisée pour cet homme qui venit d'arriver dans sa vie, pour Athéna elle même, pour la paix et l'amour dans le monde. Shura était determiné. Déterminé à devenir un vrai Chevalier d'Or.
Excalibur devait être droite.
Droite comme la morale.
Droite comme la justice.
Droite comme ce Chevalier d'Or qui avait posé ses yeux sur lui.
C'était ça, l'essence d'Excalibur.
Ce jour là fut le premier où Shura parvint à couper le rocher en deux.
Le Chevalier d'Or revint à plusieurs reprises. Ses visites étaient régulières au début, il venait une fois tous les deux mois, et Shura les attendait avec impatience pour montrer ses progrès et écouter les conseils de son aîné. Ses journées, la plupart du temps, se résumaient à un entraînement intense, du matin jusqu'au soir, et à dormir, le moins possible, sachant qu'il ne s'arrêtait que lorsque ses jmabes ne pouvaient plus le soutenir, ou quand ses bras se mettaient à saigner. Ou avant, quand son maître parvenait à le convaincre d'aller se reposer.
Il avait acquis un grand sérieux et une maturité prépubère, que venait renforcer sa grande détermination, et même quand Saga commença à venir de moins en moins souvent, il ne changeait pas d'un poil l'objectif qu'il s'était donné. L'échec était interdit. Il devait progresser. Aiguiser Excalibur sans relâche.
Les mois s'écoulaient ainsi, la monotonie des journées disparaissant derrière la fatigue qu'elles entraînaient, formant bientôt une année...
Une année depuis qu'il avait rencontré Saga.
Parfois, il avait l'impression qu'il était né ce jour là, tant ses souvenirs et sa conscience du temps devenaient flous quand il tentait de remonter plus loin.
…
Six mois passèrent ensuite.
Et personne ne vint pendant ces six mois.
Personne.
Ce ne fut que cette nuit que tout commença réellement.
Il faisait nuit noire.
Le ciel de juillet était alors d'une rare clarté, les étoiles brillants comme de véritables flammes blanches, et la voie lactée traversant le ciel comme une longue et calme rivière.
Shura s'entraînait encore.
Il faisait face à un rocher ridiculement grand, devant cumuler un nombre encore plus énorme d'années d'existence. Son relief fier était tailladé d'un peu partout, de profondes entailles causées par la célèbre Excalibur, dont la force pourtant commencer à descendre, proportionnelement à la fatigue de son porteur, dont les jambes tremblaient.
Shura serrait les dents si fort qu'il se sentait plus sa mâchoire. Il avait décidé de réduire en pièce cet énorme rocher le matin même et ne semblait pas décidé à se reposer avant d'en avoir fini.
-E...
Il fit un pas en avant, levant un bras engourdi.
-Excalibur !
L'onde de choc parut bien ridicule par rapport aux précédentes, mais s'enfonça tout de même de plusieurs centimètres dans le rocher qui ne vacilla pourtant pas.
Shura voulut faire un pas de plus, mais son corps refusa plus d'excerice et il s'étala sur le sol, trop épuisé pour se rattraper.
« Tsk...
Au prix d'un grand effort, il parvint à se retourner sur le dos, et plongea ses yeux verts dans l'immense ciel au dessus de lui.
Le soulagement que lui procurait cette position fut bien plus fort que la frustration de n'avoir pas réussi à briser la pierre, si bien qu'il resta ainsi sans bouger, les bras en croix, reprenant son souffle tranquillement, trouvant le repos aussi bien physique que mental dans la contemplation du ciel étoilé.
Il connaissait presque chacune des constellations qui s'étendaient devant lui. Cela faisait partie de l'entraînement d'un chevalier, car la connaissance des constellations apportait la connaissance des points vitaux d'un chevalier, connaissance plus que nécessaire, aussi bien pour sauver la vie que pour l'ôter.
Grande et Petite Ourse, Cygne, Aigle, Dauphin, Andromède, Lyre...
Le futur Capricorne récitait ainsi les noms, et il le fit pendant un bon moment, jusqu'à ce que sa vue se floute, que ses yeux se ferment, et qu'il sombre dans un profond et réparateur sommeil...
-Shura.
Il se réveilla en sursaut.
Il faisait grand jour.
Le soleil éclairait la pièce, passant à travers la fenêtre grande ouverte, accompagné d'une brise aussi frîche qu'agéable, et...
Une fenêtre ?
Shura se redressa brusquement. Que faisait il à l'intérieur ? Il était pourtant sûr de s'être endormi dehors...
« Calme toi, Shura, c'est moi qui t'es ramené ici.
Le jeune espagnol se tourna vers sa droite, où il vit son maître, debout, les bras croisés. Gêné, il passa ses jambes en dehors du lit et s'inclina légèrement.
-Excusez moi, maître...
Le grand homme eut un claquement de langue agacé, et poussa un soupir.
-Je croyais t'avoir dit d'aller te coucher tôt hier soir. Et pourtant tu es sorti de ta chambre et tu es retourné t'entraîner, alors que j'étais parti pour différentes occupations. Quand je t'ai retrouvé, ton cosmos était quasiment épuisé et tes bras saignaient à cause de l'effort. Ce rocher, c'est la montagne elle même, et la force de le briser ne te viendra pas en un seul jour. Te rends tu seulement compte du danger dans lequel tu te met en t'entraînant ainsi Shura ? Je t'ai déjà dit que l'entraînement ne faisait pas tout, et que ta force devait aussi...
-Etre dans mon cœur, je sais maître. Le coupa le futur Capricorne, fatigué d'entendre toujours la même rengaine. Mais j'ai compris cette force. Je la sens faire résonner mon cosmos. Et elle me dit de m'entraîner. Je ne peux pas être un vrai Chevalier si mon corps ne peut pas supporter l'entraînement nécessaire...
Son interlocuteur haussa un sourcil, et poussa un nouveau soupir, avant de poser une main dans les cheveux sombres de son élève.
-Tu es irrécupérable, Shura.
Puis il retira sa main, le jaugea un instant, avant de reprendre.
« De toute façon, tu n'as plus rien à faire ici.
L'espagnol le regarda d'un air quelque peu hébété qui fit sourire son maître.
« Tu retourne au Sanctuaire, Shura. Il semblerait que ton entraînement soit fini.
Revoir le Sancutaire fut particulièrement étrange pour Shura.
Même maintenant qu'il avait grandi, les douzes temples lui semblaient démesurés. Ils n'avaient pas changé pendant toutes ces années, éternelle pierre sur éternelle terre.
Plus étrange encore que de revenir en Grèce, fut de revoir les autres futurs Chevaliers d'Or, à la fois anciens et nouveaux camarades.
Ça ne faisait qu'un an et demi qu'il ne les avaient pas vu, et pourtant tous avaient énormément changé. L'entraînement avait était dur pour tout le monde, et en même temps source d'intense détermination.
Avec le décalage horaire, Shura arriva le matin avec l'impression d'être en pleine nuit. Le stress l'avait empêché de dormir dans l'avion, et c'était avec des yeux fatigués que le jeune espagnol redécouvrait ce qui allait devenir son environnement quotidien.
-Tiens, mais c'est Shura !
Il se retourna, surpris par la présence qu'il n'avait d'abord pas sentie par pur épuisement.
Ce qu'il remarqua d'abord, c'est la tignasse défiant toute loi de la gravité -et toute loi de coiffure apparemment- qui décorait le haut de la tête du garçon derrière lui. Shura le recconut immédiatemment à son sourire arrogant que les années passées n'avaient réussi qu'à rendre plus provocateur.
-Deathmask...
Le garçon ainsi nommé élargit son sourire, marchant dans une position décontractée dégoulinant de confiance en soi.
-Ben quoi, pas content de me revoir ?
Content ?
Shura se posa sérieusement la question. Est ce que ses compagnons lui avaient manqué ? A vrai dire... il n'avait même pas vraiment eu le temps de se lier à eux. L'entraînement prévalait sur les jeux, sur les discussions, sur les amitiés. Le temps et la maturité manquaient à la construction de liens entre les garçons et Shura se rendit compte qu'il n'avait presque pas pensé à eux alors qu'il était dans les Pyrénnées.
Certes, il s'était un peu mieux entendu avec Deathmask qu'avec les autres mais...
Il y avait eu une autre personne qui l'avait obnubilé pendant cet an et demi, une autre personne qui avait bien plus compté que les autres...
« Hé, Shura, toujours là ?
Le jeune espagnol eut un sursaut quand l'italien le tira de ses pensées en lui faisant une pichenette sur le front. La soudaine proximité du futur Cancer le surprit, et il recula.
-O...oui, oui, pardon.
Deathmask fit une moue ennuyée puis lâcha un soupir exagéremment agacé.
-'tain, pas bavard comme toujours hein.
-Par rapport à toi c'est plutôt supportable, Deathmask.
Shura se tourna vers le nouveau venu à la voix mélodieuse.
Il n'y avait qu'Aphrodite pour avoir une voix si jolie qu'elle en était féminine. Le suédois avançait avec une grâce naturelle qui n'avait rien à envier aux plus grands spécialistes, faisant danser des boucles aussi légères que soyeuses, d'un bleu clair plus pur que le ciel, couleur que partagaient ses yeux envoûtants encadrés de longs et souples cils.
Deathmask tiqua et le foudroya du regard, sans arriver pourtant à faire fi de la beauté immense du futur Poisson, et se contentant de le fixer sans répondre. Aphrodite, qui portait bien son nom, se tourna vers Shura.
-Bonjour, Shura. Tu es aussi en retard à ce que je vois.
-En r... hein ?
Aphrodite passa sa main dans ses boucles, dans un geste trop beau pour être dédaigneux.
-En retard, oui. Il n'y a pas à douter que nos autres compagnons sont déjà dans la salle du Grand Pope, et que nous sommes attendus...
Il avait parlé en continuant d'avancer, ne semblant nullement se presser.
Deathmask et Shura le regardèrent un instant, sidérés, puis, ne pouvant rien faire d'autre, le suivirent.
-Vous voilà enfin.
Shura s'inclina face au Grand Pope quelques mètres plus loin, grandement gêné.
-D...désolé.
-Ce n'est pas si grave. Redresse toi, ne perdons pas plus de temps.
Shura acquiesça, et lui obéit, se trouvant une place dans la file de jeunes garçons qui faisait face au trône du Grand Pope, et mieux, des Pandora Box dorées qui les attendaient, des armures d'or...
Tout le monde était là.
Il y avait Mû, petit, un regard sérieux mais pur et innocent surmonté par deux mystérieux points. Il y avait Aldébaran, qui dépassait tout le monde avec une taille déjà surprenante pour son âge, un sourire sympathique crispé par le stress sur le visage.
Deathmask, déjà impatient, tapant du bout du pied sans aucun souci de retenue. Aiolia, trépignant lui aussi, autant d'excitation que de peur de ne pas être à la hauteur de son frère adoré, et puis Shaka, enfermé dans un calme dont personne ne pouvait le sortir, ses yeux bleus éternellement fermés. Puis il y avait Milo, le regard droit, le sourire fier, une cascade de boucles indigo comme cheveux, et plus loin Camus, la froideur même, des yeux où le sérieux ne laissait place à aucun autres sentiment.
C'est entre ces deux là que Shura vint se placer, baladant inconsciemment son regard à la recherche du Chevalier des Gémeaux qui, apparemment, ne prenait pas part à la cérémonie. Il y avait juste le Chevalier du Sagittaire, Aioros...
Il se tenait contre un mur, les bras croisés, et en suivant son regard Shura vit qu'il regardait son jeune frère, Aiolia.
La ressemblance était frappante entre les deux, aussi frappante que la profonde affection qu'ils semblaient partager.
L'espagnol s'apprêtait à reporter son regard sur un autre de ses compagnons, mais la voix du Grand Pope coupa court à ses pensées :
-Si vous êtes tous là, aujourd'hui, en ce lieu, c'est parce que vous avez survécu à un entraînement spécial. Un entraînement que peu de jeunes garçons tels que vous auraient supporté, et votre jeune âge est la preuve de la valeur qui sommeille en vous, de la puissance de votre cosmos qui attends encore le combat pour s'éveiller complètement. Car vous allez devoir combattre. Combattre, non pas pour vous même, non pas pour vos vies. Vous allez combattre pour les vies de tous ces humains sur terre qui ne peuvent pas se défendre face aux forces du mal, combattre pour la paix et la justice, combattre au delà de vos limites, au delà de votre cosmos et de votre vie même. Combattre au nom de celle qui combattra pour vous et pour ce monde, pour Athéna !
En choeur, les jeunes garçons exprimèrent leur assentiment, certains avec bien plus d'enthousiasme que d'autres, mais tous vibrant d'une même énergie.
« Ces armures d'or que vous voyez seront le symbole de votre rang et vous prêteront leur forces tant que vous combattrez pour le bien, elles sont les douze plus puissantes armures de toute la chevalerie, mais elles ne seront pas tout, car seuls vous, seul votre cosmos peut s'embraser, s'élever assez haut pour accomplir des miracles !
Nouveau cri d'assentiment, et le Grand Pope se tut. Il se rassit, simplement, et son mouvement de tête invita les jeunes garçons à s'avancer. Une hésitation sembla régner, d'abord, puis un à un, Deathmask d'abord, ils s'avancèrent, posèrent leur petite main sur la poignée de la Pandora Box...
Il y eut un éclat de lumière dorée, et d'un seul coup Shura se sentit irradié d'une puissance surhumaine, incomensurable, un une puissance qui vibrait et battait au rythme de son cœur comme si elle était vivante, et les parties de l'armure l'une après l'autre se fixaient sur les membres de l'espagnol, qui devinrent plus forts, qui se virent d'un seul coup attribuer la si légendaire puissance des chevaliers d'or, la puissance qui pouvait fendre le sol et briser les montagnes.
Shura ne pouvait rien faire, à part accepter cette soudaine puissance, à part laisser monter en lui un sentiment d'ivresse, le sentiment que plus rien ne pouvait l'arrêter à présent, qu'il tenait entre ses mains le pouvoir d'accomplir n'importe quoi, et il se dit que rien, rien ne l'empêcherait jamais de se battre et de vaincre, pour la justice, la justice d'Athéna, la justice d'Excalibur...
Il ferma momentanément les yeux, et ses pensées dérivèrent, à nouveau, vers Saga, le Chevalier des Gémeaux, et il se dit que peut être, oui, peut être, maintenant il détenait la puissance de se hisser à son niveau... La possibilité de se battre côte à côte avec lui, de devenir plus que son cadet, devenir son compagnon d'arme, son égal...
