Dis-moi les voix, les envies qui te mènent
Dis-moi les vents, les courants qui t'entraînent
Les idées fixes et les clous qui te rivent
En quelles errances, immobiles dérives
Dis-moi les songes qui frappent à ta porte
Les illusions, les diables qui t'emportent
Vers quel ailleurs, mirage sans angoisse
Sans temps perdu, sans seconde qui passe
A quoi tu penses quand revient le soir ?
Tes quatre murs renferment quels espoirs ?

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Ton autre chemin (Goldman)

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COMME UN FEU SECRET

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PARTIE I : VESTIGES.

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A force d'aller de l'avant, il parvint au point où le brouillard de la fusillade devenait transparent.

Si bien que les tirailleurs de la ligne rangés et à l'affût derrière leur levée de pavés, et les tirailleurs de la banlieue massés à l'angle de la rue, se montrèrent soudainement quelque chose qui remuait dans la fumée.

Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d'une borne, une balle frappa le cadavre.

"fichtre !" fit Gavroche. "Voilà qu'on me tue mes morts."

Une deuxième balle fit étinceler le pavé à côté de lui. Une troisième renversa son panier. Gavroche regarda, et vit que ça venait de la banlieue.

Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l'œil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta.

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Victor Hugo, Les misérables.

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1. Le monde de Harry.

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Assis à même le sol brûlant, le dos collé à son lit, Harry Potter écoutait les bruits de la nuit.

Certains soirs, ce n'étaient que les murmures mystérieux des oiseaux étranges et de toutes les drôles de

créatures des ténèbres. Mais cette nuit-là était une autre nuit.

Ce soir, les ruelles étaient sombres, plus sombres encore que d'habitude, et désertes. Tous les avaient senti venir, et tous étaient rentré se cacher. Sauf qu'on ne pouvait se cacher nulle part, ils vous trouvaient toujours ; on ne pouvait qu'espérer que ce serait quelqu'un d'autre.

Ce soir, il entendait les flammes, les flammes et les cris. Il entendait la peur et la douleur, dehors. Ca avait toujours été dehors jusqu'à présent ; mais un jour, un jour ce serait ici, là, chez eux, et tout serait fini. Il avait entendu sa mère le dire à Rémus.

Malgré la chaleur, il avait ramené sa vieille couverture sur sa tête, serrant convulsivement les pans du tissu rugueux contre son ventre. Dehors, la foudre s'abattait, et lui priait pour que ce ne soit pas sur la tête de son ami Ron Weasley ou de la petite Emily, ni même de la vieille Mme Milson qui était pourtant si laide.

Un nouveau cri s'éleva dans les ténèbres et il plongea son visage entre ses genoux, se forçant à imaginer qu'il était ailleurs, quelque part où l'on ne criait pas, quelque part où il ne faisait jamais nuit et où son père l'emmenait se promener dans le parc tout les week-ends.

Après de longues minutes, le vacarme s'apaisa lentement. Dehors quelque part, un nuage vert flottait sans doutes dans le ciel. Le nuage de la mort. Et les monstres ricanants aux invisibles visages s'éloignaient d'un pas souverain, leur sinistre tâche achevée.

Le calme était revenu. Demain, quand les gens oseraient enfin sortir de chez eux et que l'on saurait "sur qui c'était tombé cette fois" il y aurait d'autres cris, des cris et des larmes. Mais, pour l'instant, les monstres s'effaçaient et le silence reprenait ses droits sur les ténèbres.

Tremblant, Harry écarta doucement la couverture, essuya ses yeux humides avec son poing et se leva. Ses pieds nus sur le parquet, il traversa silencieusement la grande pièce mansardée, et sortit par la petite trappe.

En bas, il fit un arrêt devant la porte de la chambre de sa mère, tendant l'oreille, cherchant l'habituel bruit des sanglots qui suivaient généralement ce genre d'attaques. Mais rien. Même pleurer, elle ne pouvait plus, ces derniers temps.

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Avant même de pénétrer dans la pièce que sa mère appelait salle de vie - parce qu'elle leur servait à la fois de cuisine, de salon et de salle à manger - Harry sut que Jude serait là.

Jude le savait toujours, quand son grand frère ne dormait pas, tout comme il savait toujours quand il était malheureux. Alors, il l'attendait dans la cuisine, parce qu'il avait peur du grenier, et il l'écoutait pleurer, posant l'une de ses petites mains chaudes sur son front, pour l'apaiser.

Jude, lui, ne pleurait jamais. Et il ne parlait à personne d'autre qu'à Harry : même à maman, il ne disait jamais rien. Leur mère ne se formalisait jamais de ce silence, elle avait expliqué à Harry qu'à cause de ce qui était arrivé deux ans auparavant, il était resté très choqué.

Mais avec Harry, Jude ne semblait pas choqué. Il lui parlait souvent comme s'ils avaient tous deux ressenti la même chose. Peut-être était-ce effectivement le cas, comment savoir ?

Et Jude était bien là, quand il entra. Vêtu en tout et pour tout d'un vieux short déchiré, il semblait tout petit perché sur sa chaise ; ses pieds nus ne touchaient pas le sol.

Son visage s'éclaira quand il vit Harry.

"Je t'ai servi un verre de lait," lui dit-il "je me suis dit que tu en aurais envie."

Harry prit le verre en silence, remerciant d'un sourire le petit garçon. Il avala une gorgée, le liquide frais et doux apaisa sa gorge douloureuse.

Il se disait parfois que son petit frère avait la faculté de lire dans ses pensées. Tout comme leur mère, avant. D'ailleurs, Jude ressemblait beaucoup à leur mère, il avait le même visage aux traits doux et purs, le même sourire lumineux. Mais c'était Harry qui avait hérité de ses grands yeux verts, ceux de Jude étaient sombres, presque noirs.

"Est ce qu'ils t'ont réveillé ?" demanda t'il finalement.

Jude acquiesça gravement.

"C'est sans doutes pour ça qu'ils viennent toujours la nuit." soupira Harry "Ils savent qu'on les attend et qu'on les craint. Ils doivent se dire qu'on aura encore plus peur."

Il se pencha par dessus la table, scrutant la nuit par la petite fenêtre.

"C'était les Emmerson." murmura Jude, répondant à sa question silencieuse.

Harry sursauta, les Emmerson ?

"Comment tu le sais ?"

Jude haussa les épaules et Harry se tourna vers lui.

Sans doutes qu'il le savait de la même façon qu'il avait su que Harry descendrait ce soir. Comme il ne parlait pas, les gens qui les connaissaient disaient souvent que Jude était idiot ; mais Harry, lui, entendait souvent son frère parler de choses dont la plupart des enfants de cinq ans, et même parfois les adultes, ignoraient tout.

Sans doutes valait-il mieux qu'il se taise, finalement, sinon on ne l'aurait pas crû idiot ; on l'aurait crû fou.

Jude redressa brusquement la tête et Harry rencontra son regard sombre.

"Maman arrive, n'est-ce pas ?"

Jude hocha la tête.

Harry se retourna juste à temps pour voir la silhouette de Lily apparaître dans l'embrasure de la porte.

"Il me semblait bien avoir entendu des voix." dit-elle d'une voix douce.

Elle contourna la table et alla déposer un baiser dans les boucles cuivrées de Jude, effleurant l'épaule de Harry au passage. Les deux garçons lui renvoyèrent des sourires un peu tremblants et Jude, redevenu silencieux, lui tendit un verre de lait.

"Merci, mon ange." lui dit Lily.

Harry les observait, réalisant, la gorge nouée, que sa mère semblait encore plus pâle dans cette pénombre blafarde.

"Harry chéri, tu ne viens pas t'asseoir ?"

Docile, il s'installa sur l'une des chaises, aussi près d'elle que possible. Elle reposa son verre sur la table et les entoura de ses bras frêles.

"Vous voulez que je vous raconte une histoire ?" murmura Lily.

Jude acquiesça avec enthousiasme tandis que Harry, oubliant pour un temps qu'il venait d'avoir onze ans, enfouissait son visage dans les cheveux de sa mère.

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Le soleil se levait à peine et l'air gris sentait la poussière. Plusieurs morceaux de parchemin serrés dans son poing et son petit frère sur ses talons, Harry contournait lentement ce qu'il restait de la maison des Emmerson.

Le nuage vert était toujours là, au dessus de la maison, il aurait suffi que Harry fasse un pas de plus pour se retrouver sous les sinistres volutes. La maison était morte, restes d'une coquille désormais vide, qui n'abriterait jamais plus que des fantômes.

Jude attrapa la main libre de Harry.

"La dame venait d'avoir un bébé." murmura t'il.

Harry se tourna vers lui.

"Une petite fille qui s'appelait Julia."

Harry sentit les larmes lui brûler les yeux. Sans un mot, il tira sur la main de son frère et tous deux regagnèrent le chemin de terre, s'éloignant des ruines.

Le large sentier rejoignait le village de Pré-au-lard, serpentant entre les petites maisons. Certaines d'entre elles étaient en bon état : celles-là même qui restaient inhabitées, les maisons-leurres ; toutes les autres semblaient à l'abandon, le lierre envahissait les vieux murs de briques et les volets pendaient tristement. Dérisoires tentatives des riverains pour détourner l'attention des mangemorts.

Plus haut, derrière eux, le château de Poudlard les dominait du sommet de la petite colline, rayonnant d'obscurité et de mystère, entouré de son éternel brouillard sombre. Plusieurs fois les mangemorts avaient tenté de reprendre cette forteresse, mais jamais ils n'avaient pu passer les grilles, pas depuis la Chute. A ce qu'on racontait, le Seigneur des Ténèbres lui-même ne pouvait l'atteindre. Pourtant, personne n'aurait songé à s'y réfugier : les créatures qui peuplaient l'endroit étaient, disait-on, plus terrifiantes que le pire des mangemorts.

Le cœur du village n'était guère animé. Les quelques passants-ombres que croisèrent les deux enfants remontaient d'un pas de somnambule en direction de la maison détruite des Emmerson. L'établissement des Trois balais, la seule auberge qui restait ouverte jusqu'au couvre-feu, était vide et les longues ruelles bordées de boutiques poussiéreuses étaient désertes.

Pourtant, quand Harry se glissa le long des balcons de pierre, il entendit des voix qui venaient de l'épicerie. Quelqu'un criait à l'intérieur, quelqu'un qui semblait très fâché.

"Mais enfin, pour qui vous vous prenez ? Vous avez l'intention de nous laisser crever de faim ?"

Prenant appui sur le montant de bois, Harry enjamba la rambarde d'un bond souple. Jude se glissa en dessous.

"Ne dites pas n'importe quoi." répondit une voix calme "Mais vous n'êtes pas seul ici, il y a des femmes et des enfants qui ont faim, le ravitaillement est de plus en plus…"

La vieille Mme Milson aux cheveux gris se tut en apercevant les deux enfants devant le comptoir. L'homme qui lui faisait face se retourna, il avait des joues très rouges et un regard plein de colère. A côté de lui, une autre femme, qui examinait les journaux, ne daigna pas lever les yeux.

"Vous avez vos cartes ?" s'enquit Mme Milson d'un ton morne.

Harry brandit les morceaux de parchemins.

"Parfait," soupira t'elle "servez-vous."

Le regard de l'homme s'attarda sur Harry une seconde de plus, puis revint sur Mme Milson.

"Alors les gosses ont droit à tout ce qu'ils veulent, c'est ça ?"

Mme Milson se raidit.

"Vous savez bien que non ! Il n'y a personne ici qui puisse obtenir tout ce qu'il veut. Si vous avez utilisé toutes vos cartes, c'est votre problème, vous êtes adulte, vous devez savoir -"

"Mais j'ai du fric !" coupa l'homme "Je peux vous payer ! Ne me dîtes pas que ces mioches peuvent le faire ?"

Les joues de Mme Milson devinrent aussi rouges que celles de l'homme, et Harry recula prudemment, tirant Jude par l'épaule. Il l'entraîna vers l'un des présentoirs du fond, où reposaient quelques illustrés, tous vieux de plusieurs années.

"Tu n'as qu'à rester là pendant que je fais les courses." souffla t'il "Tu peux les regarder, je crois que si tu fais bien attention, Mme Milson ne te dira rien."

Jude hocha la tête et posa respectueusement sa paume sur l'une des couvertures colorées. Harry s'éloigna, observant du coin de l'œil sa tête aux cheveux bouclés.

Il fit rapidement le tour des rayonnages, le magasin n'était pas bien grand. Il ne prit presque que de la nourriture, les directives de sa mère fermement ancrées dans sa mémoire. Ne prends rien d'inutile ! Les boîtes métallique étaient lourdes dans ses bras Ne prends rien qui puisse se perdre ! il avait oublié le panier à la maison.

Il ne cessait de compter et de recompter, vérifiant les produits et les cartes. C'était la première fois que Lily l'envoyait faire les courses. Elle disait toujours qu'un enfant, même aussi brillant que l'était Harry, ne pouvait pas penser à tout, qu'il pouvait être distrait. En fait, ça ne lui ressemblait pas d'envoyer Harry à sa place. Mais encore, elle semblait faire de plus en plus de choses qui ne lui ressemblaient pas, ces derniers temps.

Après quelques instants de réflexion, il ajouta quelques fruits à ses commission, puis revint vers les albums, où il avait laissé Jude.

"Hé, regarde ça, c'est le môme de Lily Potter !"

"Cette femme qui est malade ?"

Harry s'immobilisa devant les légumes. L'homme aux yeux sombres et la femme qui l'accompagnait avaient abandonné le comptoir de Mme Milson et se penchaient maintenant sur Jude, parlant à voix haute comme s'il avait été sourd.

"Ouais, c'est bien le petit attardé. Si c'est pas malheureux, un gosse de résistant qui nous vole nos rations !"

Jude qui ne répondait pas, ses petits poings crispés sous les manches de son tee-shirt trop grand, Jude qui ne pouvait pas répondre. Le sang de Harry ne fit qu'un tour. Il reposa brutalement les boîtes sur l'étagère la plus proche, le métal heurta l'établis avec un clang ! sonore.

"Fichez-lui la paix !"

"Et lui, c'est sûrement son frère." grogna l'homme "Dis donc, gamin, on ne t'a pas appris la politesse ?"

"Vous n'avez pas le droit de lui parler comme ça !" répliqua Harry.

"Qu'est ce que ça peut te foutre, à toi ? Et puis si ça se trouve, il ne comprend même pas ce qu'on dit."

"Bien sûr, qu'il comprend !" siffla Harry.

L'homme fit quelques pas en sa direction, ses poings lourds formant deux masses rondes, ses joues encore plus rouge.

"Et après ? Tu ne veux pas qu'il sache ? Tu ne veux pas qu'il sache quel genre d'ordure était son père ?"

"Mon père n'a rien fait de mal !" s'écria Harry.

"Tu te fous de moi ? Foutus résistants ! Ce sont ces oiseaux de malheur qui ont attiré la misère chez nous ! Il n'a rien fait de mal, qu'il me dit… Et qu'est ce qu'il a fait de bien, hein ? A part abandonner ses enfants et attirer les ténèbres sur sa femme, dis-moi, gamin ?"

"Ce n'est pas de sa faute si maman est malade !" rugit Harry, surtout, surtout ne pas mettre cette idée dans la tête de Jude "Il s'est battu pour nous délivrer ! Lui au moins il a fait quelque chose, vous, vous avez trop la trouille !"

La grosse patte de l'homme s'abattit sur son épaule, agrippant le tissu de son tee-shirt, l'attirant à lui, le regard étrangement brillant. Quelques boîtes échappèrent à Harry.

"Victor…" souffla la femme, l'air inquiet.

"Qu'est ce que tu viens de dire ? Sale petite peste, sais-tu seulement de quoi tu parles ? Je ne me laisserais pas traiter de froussard par un foutu rejeton de résistant !"

"Mais qu'est-ce qu'il se passe là-bas ?" lança soudain la voix de Mme Milson.

Elle contourna le rayonnage et poussa un soupir las en découvrant la scène.

"Victor, lâchez ce petit ! Vous n'allez quand même pas vous en prendre à un gosse ?"

"Il mériterait pourtant une bonne raclée…" grogna l'homme, pressant plus fort l'épaule de Harry, jusqu'à ce qu'il pousse un gémissement de douleur.

"Victor !" implora la femme.

A regret, l'homme recula, ses pupilles sombres vrillant les yeux de Harry qui soutint son regard.

"Viens…" souffla t'il à la femme "Autant se tirer d'ici, il n'en sortira rien de bon."

Et il repartit vers la porte, l'entraînant derrière lui.

Harry les regarda disparaître, figé. Ce fut le regard interrogateur de Mme Milson qui le ramena sur terre. Rapidement, il rassembla les articles qu'il avait laissés tomber, Jude l'aida en silence.

Mme Milson ne fit aucune remarque alors qu'elle vérifiait les boîtes et recomptait les morceaux de parchemins. Ce ne fut que lorsque le tout fut fermement calé dans les bras de Harry qu'elle prit la parole.

"Ce type n'est pas pire qu'un autre, tu sais… Ce n'était pas très malin, ce que tu as fait là, mon gars." son regard s'arrêta sur Jude "Mais je te comprends, va, et j'aurais sans doute fait pareil."

Elle se pencha et plongea la main sous le comptoir.

"J'ignore ce que tu penses de ton père, Harry," reprit-elle "mais je suis sûre que lui serait fier de toi."

Et, sans sourire, elle glissa dans la main de Jude une poignée de dragées colorées.

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