(xxx_xxxx_xxxxxxxxxx_x_x_xxxx) Il ne pouvait l'admettre, il ne pouvait pas le reconnaître. Alors depuis des mois, des mois et des mois que les doutes étaient apparus, il n'avait plus harcelé le sale nerd, il ne l'avait plus intimidé ou frappé, l'avait évité, l'avait fui. Ils s'affrontaient dans l'arène, et dans ce cadre il donnait tout pour gagner, pour être un héros, pour être le héros numéro 1.
Mais en dehors de ce cadre ? En dehors, il n'avait pas toujours été un héros. Il n'était pas un héros, quand il faisait ramper Deku devant lui, quand il le dressait à coups de bottes, à coups de poings. Il n'était pas un héros quand il hurlait sa rage à pleins poumons pour voir la figure pâlir jusqu'à ce que chaque tâche de rousseur se détache comme des cendres répandues sur la neige sous le coup de la terreur. Il n'était pas un héros quand il crachait ses mots rabaissants avec un sourire aux lèvres et qu'il guettait, comme un grondement de tonnerre au lointain, le grand éclat de rire qui grandirait dans les poitrines et exploserait au travers de la classe suspendue à ses lèvres. Tout ce pouvoir, toute cette ivresse, juste en piétinant un moins que rien qui était de toute façon déjà plus bas que terre. Qu'est-ce que ça pouvait changer ? Il n'avait pas à le regarder. Il n'existait pas. Il n'y pensait jamais après coup, il n'en rêvait pas la nuit, pas comme le petit Izuku qui se tournait et se tournait dans ses draps sans trouver le sommeil.
Il n'y pensait donc pas, ne s'en souvenait donc pas. C'était hors champ, cet espace, ces abus. Est-ce que tout le monde ne détournait pas le regard ? Il n'y pensait pas, ne s'en souvenait pas. Mais au fond il savait, qu'en dehors du cadre, tout pouvait arriver. Et il avait senti, derrière la rage folle et aveugle et brûlante, quand l'inexistant avait relevé les yeux, la glaciale ébullition d'un nouveau sentiment dont il ignorait le nom.
Oh, qu'elle le tenait, à son insu, entre ses serres, la grande et terrible peur ! Elle qui sait attendre son heure, qui sait qu'elle aura toujours sa place dans nos ombres, que tôt ou tard, elle nous saisit. Deux petits garçons, l'un qui prend tout, l'autre qui n'a rien. Deux adolescents, l'un tout-puissant, l'autre ruiné, isolé, victimisé. La peur s'était glissée dans ce déséquilibre, ce vide à remplir, creusé par la violence. Une faille d'où sortent des horreurs sans nom. Et ce monstre, ce monstre nourri jour après jour par Bakugou dansait désormais dans les coins de son champ de vision, entre deux clignements de paupières, deux battements de cœur. La peur était prête, cette grande faucheuse qu'il s'était construite lui-même au fil des ans, proportionnée à sa fierté, sa rage et sa haine, elle se dressait là, avide comme l'échafaud !
Un frisson sur son âme, qu'il n'osait encore ressentir, titan-nain, coq de flamme et de fureur, son champ de vision si étroit qu'il pouvait croître et grouiller tant de choses au-delà : il les sentait presser contre les paupières, la nuit – il les sentait se masser, clapoter au coin des murs ; les choses sans nom et sans forme, postées en guet-apens aux portes de sa conscience.
Et comme quelqu'un qui empêche une porte d'être forcée en faisant obstacle de son propre corps, Katsuki Bakugou ne pouvait voir les assaillants, le dos plaqué contre le battant, occupé à lutter, à maintenir la fermeture à tout prix, à toutes forces. Résistant, à sentir les coups de boutoir enfoncer ce support, vibrer dans ses os. Et quelqu'inexorable soit la lutte, en regardant devant lui tel un héros inébranlable, en regardant devant lui comme un héros de papier mâché, il vivait dans l'illusion d'avancer, de viser un sommet, quand, à chaque instant, la porte était derrière lui. Les mêmes actions, la même boucle : se battre, se renforcer, crier, encore, encore, encore. En avant, toujours plus haut. En avant. Et la porte était toujours là. Les coups toujours plus forts. Il pressait plus fort en retour, yeux aveuglément serrés. Pour rien au monde, il ne devait se retourner.
Le garçon qui vivait dans la peur sans connaître son nom frissonnait, frémissait, couvert de sueurs froides, alors que sa main tressautait autour de son sexe tandis que l'autre, poignet tourné à un angle douloureux, se cabrait vers l'arrière dans une vaine tentative de pousser au-delà de deux phalanges le plaisir outrageant qui nouait son bas-ventre. Des petits bruits qui lui échappèrent lorsqu'il vint enfin dans sa paume précipitamment mise en coupe il ne reconnut pas le son de sa propre voix. Mais le vrai déshonneur ne se trouvait pas dans cette substance visqueuse qui lui souillait les doigts : il était dans les pensées, l'obsession qui l'avait irrésistiblement acculé à céder à ce désir. L'image – l'odeur – bordel, comment connaissait-il même son odeur ? Le toucher de Deku semblait s'être incrusté dans son être, comme un sable fin sous ses ongles, une obsession hors de tout contrôle, de toute logique, qui le saisissait chaque fois qu'il croisait le chemin du sale nerd. Brûlant, étouffant, sirupeux, le simple regard du garçon, ces yeux verts tant de fois posés dans son dos explosait en un cocktail de sensations répugnantes qu'il n'avait jamais imaginées. Et comme une preuve, cette bosse, l'érection, qu'il fallait effacer, mais pour la faire disparaître… Et les pensées, intrusives, les fantasmes se ruaient avec le sang en une spirale ascendante, le réduisant à l'état de bête râlante, terrassée par les spasmes de plaisir qui amenaient des larmes dans les yeux si fiers.
Pourquoi. Deku. Ce bon à rien de Deku. Cet asticot sournois, cette merde, cette sous-merde de Deku ! Il hurlait, il hurlait de rage, mordant l'oreiller. Comment était-ce possible, depuis quand, et pourquoi ?! Son corps l'avait trahi, son esprit avait suivi, et voilà qu'il se tordait comme une chienne en chaleur, incapable de se soulager sans imaginer…
Ces scènes contre-nature, ces scènes répugnantes et viles, et si réelles, si vraies qu'il avait l'impression de les avoir vécues…
Comme des flashs d'une lumière stroboscopique, aussi irrésistible que l'impulsion du sang dans ses veines – pour les stopper il aurait fallu demander à son cœur de cesser de battre. Et il voulait qu'il cesse. La bouche sèche et les jambes tremblantes, hagard du contrecoup de l'orgasme, il sentait la nausée lui soulever le cœur. Il n'était pas comme ça. Ce n'était pas lui.
Ah, si Bakugou avait su ce qui se passait une fois les lumières éteintes, une fois son sommeil stable, sa respiration régulière, ce sommeil si profond de princesse endormie… (C'était une expression empruntée aux notes de Midoriya, en marge d'un cahier.) S'il avait pu les lires, les notes de l'étudiant, voir à quel degré de connaissance ses études sur son sujet favori l'avaient mené… Ces pages couvertes de pattes de mouches comptaient plus d'informations que Bakugou n'en connaissait sur lui-même.
Si son pénis avait d'abord intéressé le nerd, curieux de son aspect et de ses mensurations, cela faisait longtemps qu'il ne s'en contentait plus. Bien plus intéressantes étaient ses expériences, testant toutes les méthodes, les zones érogènes, les stratégies les plus avancées pour faire plaisir à Katchan. Il était devenu un expert, tantôt amant, tantôt scientifique, l'explorant et inscrivant sur papier toutes ses réactions, l'évolution de ce corps qui s'abandonnait de plus en plus à lui, victime inconsciente d'une débauche douce et calculée. C'était de la curiosité, un désir de connaître. La première fois qu'il avait joui en lui, il s'était excusé. Mais Katchan était si sensible, si serré, qu'il éjaculait trop vite, aux premiers contacts, et même sans le toucher, à peine s'engouffrait-il à l'intérieur… Il fallait l'aider, l'accoutumer à davantage… Nuit après nuit la petite ombre se glissait dans la chambre et jamais, pas une fois, la princesse endormie n'avait dit non.
Oui, si Katchan avait pu voir la petite araignée tisser ses fils, il l'aurait sûrement tuée. Il aurait été assommé par la nouvelle, submergé par la haine, certainement choqué à vie. Izuku ne voulait pas ça. Il ne lui voulait pas vraiment de mal. Katchan risquait de devenir parano, ou insomniaque, lui qui faisait déjà si peu confiance aux autres. Il ne fallait pas qu'il sache, et jamais il ne saurait. Il laissait des draps d'une propreté immaculée, un corps plus net et rose que lorsqu'il s'était couché. Et parfois, avant de partir, déposait un baiser sur ses lèvres. Cela ne le réveillait pas.
Et chaque matin entachait Bakugou de fragments de rêves enfiévrés, où il s'unissait à la personne qu'il détestait le plus au monde, et ces rêveries le poursuivraient jusqu'à ce qu'il devienne fou, qu'il cède à cette faim inconnue, ce plaisir engorgé de dégoût, de colère et de honte.
Parfois le fantasme était animé et il recherchait lui-même l'étreinte, l'empalement synonyme de jouissance, quand il n'avait que ses doigts et la frustration rugissant dans sa gorge. Parfois il était spectateur, comme paralysé, d'un film qui se déroulait dans sa tête, imaginé par on ne savait quel sicko de réalisateur, où Deku le dégradait, le prenait sans qu'il puisse rien y faire…
Il voyait un viol.
Il se touchait et jouissait de même, incapable de se retenir.
Dans ses illusions, jamais il ne distinguait le visage de Deku. Mais il suffisait qu'il l'aperçoive dans la vraie vie pour qu'aussitôt le cortège de pulsions l'assaille, et il fuyait le regard vert, ces yeux inquisiteurs toujours fixés sur lui.
C'était insoutenable.
