C'était une fin d'après-midi pluvieuse. Le ciel, lourd de nuages, embrassait presque la terre. A Pré-au-lard, l'été avait vidé les rues des étudiants de Poudlard, et les habitants s'étaient réfugiés dans le silence de leur maison. Personne ne remarqua l'homme qui avait transplané aux abords du village. Emmitouflé dans sa cape, Harry Potter marchait lentement en direction du château, l'air morose. Le matin, il avait reçu un hibou du directeur de l'école, qui désirait s'entretenir avec lui. Harry n'avait pas réussi à deviner quel motif poussait Tiberius Desmond à demander sa présence. Finalement, sa curiosité l'avait emporté, et il s'était décidé à revenir à l'endroit où il avait connu tant de joie et de peine, l'endroit où, pour la première fois, il s'était senti chez lui.
Mais à peine avait-il fait quelques pas, que déjà les souvenirs l'assaillaient. Il n'avait pas remis les pieds à Poudlard depuis des lustres. Depuis la Grande Bataille, en fait. Dix ans, déjà. Que le temps passait vite. Ses blessures, pourtant, ne s'étaient toujours pas refermées. Au loin, Harry aperçut la silhouette fantomatique de la cabane hurlante. Il pensa à son père, qu'il n'avait jamais connu, à Remus Lupin qui avait trouvé la mort avec Tonks, laissant derrière eux un nourrisson. Il pensa à Sirius, son unique parent digne de ce nom, qui était mort en venant à son secours. Et puis, ses pensées se tournèrent vers Severus Rogue. La poussière et les craquements sinistres de la cabane hurlante avaient été les dernières choses qu'il avait vues et entendues avant que la mort ne le prenne à son tour. Son cœur se serra à cette pensée. La culpabilité de s'être acharné à mal juger son ancien professeur pendant sept ans de suite étreignit encore une fois Harry. Il avait toujours été si lent à comprendre. Tout ce temps perdu en vaines rancœurs…
Tandis qu'il se rapprochait des grilles de Poudlard, Harry eu une fois de plus l'impression que la mort marchait à ses côtés. Rien, en dix ans, n'avait pu le départir de ce sentiment. Ni les moments heureux qu'il passait avec Hermione et Ron, ni les paroles rassurantes que lui chuchotait Ginny. De tous, elle était certainement celle qui avait le plus souffert des ressentiments d'Harry, bien qu'elle ne s'en soit jamais plainte. Elle avait partagé ses peines, ses nuits où il n'arrivait pas à trouver le sommeil. Mais elle lui avait également apporté tant de chaleur et d'amour. En elle, il puisait la force de continuer.
Un homme d'âge mûr vint lui ouvrir les grilles de l'entrée. Harry s'étonna brièvement de ne pas voir Hagrid à sa place, mais il se rappela que son vieil ami avait décidé de retourner dans les montagnes, en compagnie de son demi-frère, Graup. Harry sourit au souvenir de toutes les créatures étranges que l'ancien gardien des clés de Poudlard avait fait entrer dans sa vie et celle de ses amis. Alors qu'il parcourait le parc en direction du château, Il trouva que le paysage n'avait plus la même saveur sans l'immense silhouette de Hagrid occupé à son potager, où revenant de la forêt interdite.
Harry arriva au château. Les portes d'entrée lui parurent moins impressionnantes que dans son souvenir. A l'intérieur, le hall renvoyait l'écho de ses pas solitaires. Il risqua un coup d'œil dans la grande salle. Les quatre tables de Gryffondor, Serdaigle, Poufsouffle et Serpentard se tenaient toujours sous la voûte du plafond enchanté. A l'autre bout de la salle, il voyait encore Dumbledore trôner de toute sa prestance dans l'immense siège de la table des professeurs. Harry soupira avant de poursuivre son chemin vers le bureau du directeur.
Au détour d'un couloir, un caquètement sonore le fit sursauter.
- Mais c'est le petit pote Potter !
- Laisse-moi passer, Peeves.
L'esprit frappeur fit une cabriole, et s'éloigna dans un rire. Harry souriait. Dans un monde où il n'arrivait plus à trouver sa place, voir que certaines choses ne changeraient jamais était réconfortant.
Devant la statue qui menait au bureau directorial, Harry souffla le mot de passe que lui avait donné le gardien, et monta sur l'escalier en colimaçon qui tournait sur lui-même en repensant à toutes les fois où il avait gravi ces marches durant sa scolarité. Il devait certainement être l'élève qui connaissait le mieux cette partie du château. Il frappa à la porte.
Un sorcier aux cheveux grisés par l'âge et à la carrure robuste lui ouvrit.
- Ah ! Monsieur Potter ! Je suis ravi de vous voir. Mais je vous en prie, entrez, entrez, s'exclama-t-il en lui cédant le passage. Asseyez-vous, asseyez-vous.
Harry sourit poliment et prit un siège tout en évitant de trop détailler la pièce ronde, qui lui rappelait trop son ancien propriétaire.
- Bonjour, Harry.
Son coeur manqua un battement au son de cette voix qu'il connaissait bien. Ce n'était pas celle de Desmond. Il leva les yeux et en comprit la source. Accrochés au mur, les portraits de tous les anciens directeurs de Poudlard l'entouraient. Dans un cadre qu'Harry trouva minuscule, le regard électrique de Dumbledore était fixé sur lui, et malgré la longue barbe argentée qui le cachait à moitié, Harry sentit la chaleur de son sourire.
- Professeur Dumbledore, murmura Harry, par habitude.
Les yeux du vieil homme pétillaient encore derrière ses lunettes en demi- lune. Harry lui sourit plus largement encore.
- Comme c'est touchant, fit une voix sèche.
Rogue venait de rejoindre Dumbledore dans son cadre. Harry laissa échapper un rire. Les voir tous les deux, même si ce n'était qu'à travers la peinture qui commençait à se craqueler, lui réchauffait le cœur. Pendant quelques secondes, il eût l'impression que rien n'avait changé, et qu'il était encore ce petit garçon qui entrainait ses amis dans des aventures éprouvantes, au mépris de toutes les règles. Un raclement de gorge le fit revenir au présent. Il avait totalement oublié la présence de Desmond.
- Je suis navré d'interrompre ces retrouvailles, mais monsieur Potter et moi-même avons une affaire à discuter.
- Mais bien sûr, Tiberius, pardonnez-nous, fit le portrait de Dumbledore sans se départir de son sourire.
Harry reporta son attention sur le directeur de l'école.
- Bien, monsieur Potter, vous devez certainement vous demander pourquoi vous êtes ici ?
- J'avoue être intrigué, monsieur, répondit Harry.
- Eh bien voilà, hum… J'ai appris que vous aviez démissionné de votre poste d'auror au ministère de la magie.
Desmond fit une pause le temps qu'Harry confirme la nouvelle.
- Bien. Voyez-vous, notre professeur de défense contre les forces du mal vient de prendre sa retraite, et j'ai pensé, qu'étant donné votre parcours et votre expérience, vous seriez tout indiqué pour prendre sa suite, monsieur Potter, continua-t-il sans se préoccuper du regard étonné de Harry. Et c'est pourquoi, j'aimerais vous proposer ce poste.
Harry ne savait quoi dire. Il ne s'attendait pas du tout à une telle proposition. En vérité, il trouvait l'idée qu'on pense à lui pour être professeur inquiétante. Quel piètre exemple il donnerait aux élèves ! Il n'avait jamais respecté le règlement, il n'avait pas vraiment été brillant ou persévérant dans son travail, et surtout, il n'avait même pas terminé sa scolarité. Et puis... Harry imaginait trop les élèves friands d'entendre l'histoire complète de ses aventures plutôt qu'un cours sur les strangulots. Non, il n'avait clairement rien à faire dans l'enseignement.
- Monsieur Desmond, répondit-il après quelques minutes de réflexion, je crains ne pas être la personne qu'il vous faut.
- Voyons, voyons, monsieur Potter ! Qui peut mieux que vous connaître la défense contre les forces du mal ? Ce n'est pas comme si je vous proposais un poste de professeur de potions !
Rogue ricana dans le cadre de Dumbledore. Harry lui renvoya un regard amusé. Il cherchait comment exprimer son refus poliment.
- Monsieur, commença-t-il après avoir bien choisi ses mots, j'ai peut-être combattu les forces du mal à de nombreuses reprises dans ma vie, mais une salle de classe me paraît plus effrayante encore.
Desmond rit de la plaisanterie.
- Je ne pense pas être assez pédagogue, et du reste, ma connaissance de cette matière se limite à l'expérience que j'en ai faite. Je ne saurais vraiment pas quoi dire à vos élèves.
Devant la mine dépitée du directeur, il poursuivit :
- Je suis plutôt un homme d'action, vous devez vous en douter.
- Oui, bien sûr, bien sûr, répondit Desmond en agitant la main comme pour éloigner l'idée qu'il pensait le contraire. Je vais être franc avec vous, poursuivit-il. L'école aurait besoin… d'une image positive, si je puis dire.
C'était donc ça, pensa Harry. Tout ce qu'il lui fallait, c'était un moyen de redorer le blason de l'école, qui s'était un peu terni depuis qu'une des batailles les plus violentes du siècle s'était déroulée entre ses murs. Poudlard ne semblait plus être l'endroit le plus sûr au monde. Mais si le célèbre Harry Potter y enseignait…
- Je suis navré, mais je ne suis pas la personne qu'il vous faut, répéta Harry, avec plus de conviction.
Après quelques instants de silence, le directeur poussa un soupir.
- Oui, bien sûr, je comprends, je comprends, fit-il. Dumbledore et Rogue m'avaient prévenu que vous refuseriez, bien sûr. J'aurais au moins essayé !
Harry adressa encore un sourire au cadre de Dumbledore. Décidément, ces deux-la le connaissaient par cœur. Desmond s'était levé de sa chaise, et Harry l'imita. Tandis qu'il le raccompagnait à la porte, il lui demanda :
- Mais, si je puis me permettre, une question m'intrigue.
- Laquelle ? demanda Harry alors qu'il s'apprêtait à sortir.
- Eh bien, je me demandais, voyez-vous, pourquoi vous aviez décidé d'arrêter vos activités d'auror.
Harry ne comptait plus le nombre de fois où on le lui avait demandé depuis qu'il avait apporté sa démission à Kingsley Shackelbolt, qui, après avoir rempli ses fonctions de premier ministre provisoire, avait exprimé le souhait de diriger l'équipe des aurors du ministère.
- C'est très simple, en vérité, répondit-il. Je désire juste passer un peu plus de temps auprès de ma femme, et peut-être, qui sait, fonder une famille.
- Je vois, répondit Desmond dans un sourire. Eh bien, bonne chance, monsieur Potter, conclut-il en lui serrant la main.
Le jeune sorcier regarda une dernière fois les tableaux accrochés aux murs. Albus Dumbledore souriait toujours, et Harry savait que le visage dur qu'arborait Rogue n'était que le masque qu'il avait eu trop longtemps à porter. S'il avait eu l'air si renfrogné durant les trois quarts de sa vie, il y avait en effet eu peu de chance que la mort le lui retire. En guise de salut, Harry fit un signe de tête à ces deux hommes qu'il respectait tant, et sortit du bureau.
Harry transplana aux abords de Londres. La nuit était tombée depuis peu de temps, et déjà, les lumières artificielles de la ville illuminaient le ciel. Il avait envie de marcher un peu avant de rentrer chez lui, au 12, Grimmauld Place, et de réfléchir à l'entretien qu'il venait d'avoir.
L'air était frais, et les rues luisaient encore de la pluie qui s'était abattue dans la journée.
Fonder une famille avec Ginny. Il s'était surpris à prononcer ces paroles. En vérité, l'idée d'être père lui faisait peur. Il ne savait pas ce qu'était être père. Quel étrange sentiment était que d'être orphelin. Harry se disait souvent que ses parents lui manquaient, mais en fin de compte, était-ce vraiment possible ? Il ne les avait, pour ainsi dire, jamais connu. Et pour que quelque chose vous manque, il fallait l'avoir connu. Qu'avait-il à transmettre à un enfant, à part l'absence de ses propres parents ? Mais Ginny, elle, saurait. Elle avait eu la chance de grandir dans une famille nombreuse et avait des parents aimants. Bien sûr, le quotidien des Weasley avait été quelque peu assombri par la mort de Fred. Et bien qu'ils aient mis du temps (en particulier Molly et George), ils avaient réussi à surmonter leur chagrin.
Harry, lui, semblait avoir du mal à vivre dans son temps. Son regard était constamment tourné vers le passé. Il comptait encore les morts. La liste lui paraissait aussi pesante qu'au premier jour. Son malaise à l'idée d'avoir des enfants en était une preuve flagrante. Harry n'arrivait tout simplement pas à aller de l'avant. Il ne trouvait plus de sens à sa vie. Parfois, il avait l'étrange impression qu'il n'avait servi à rien d'autre que tuer Voldemort. Après tout, sa vie était une prophétie. A quoi bon donner naissance à des vies qui promettaient d'être aussi gaspillées ? L'espoir, lui souffla une petite voix dans sa tête.
Occupé à ruminer ces pensées, Harry, qui longeait alors un parc cerné par de lourdes grilles ouvragées, mit un certain temps avant d'entendre les éclats de voix qui déchiraient la nuit. Arraché à son sombre monde intérieur, il tendit l'oreille. Le silence était revenu dans la rue déserte. Un moldu avait dû un peu trop pousser le volume de sa télévision. Aussitôt après qu'il eut pensé à cette explication, des rires euphoriques se firent entendre. De toute évidence, cela venait du parc. Peut-être des jeunes qui avaient décidé de passer une soirée au clair de lune, se dit-il en pensant à Dudley et sa bande, qui, de leur temps, terrorisaient les gamins de Little Whinging. Harry n'y prêta plus attention et poursuivit sa marche. Mais une phrase le glaça, l'obligeant à s'arrêter une nouvelle fois.
- On dirait bien que le Doloris le laisse indifférent, Adéric, commentait un homme.
- Je suis bien d'accord avec toi. Il est temps de passer à la bonne vieille méthode ! répondait un autre homme dans un rire sinistre.
Le bruit d'un coup, suivit d'une plainte étouffée parvinrent aux oreilles de Harry. Sans plus réfléchir à ce qu'il faisait, il se précipita en avant, cherchant l'entrée du parc. Après ce qui lui parut une éternité, il trouva enfin une ouverture dans la grille. Au loin, la rumeur des coups sourdait toujours. Harry força l'allure, se guidant à son oreille pour trouver l'endroit où les sorciers s'amusaient avec leur malheureuse victime. Bien que Voldemort ait définitivement quitté la surface de la terre, certains « sang-purs » étaient restés fidèles aux vieilles pratiques, et il n'était pas rare de voir des moldus se faire malmener avec brutalité. Hors d'haleine, Harry revoyait la famille moldue suspendue en l'air par les mangemorts lors de la première coupe du monde de Quidditch à laquelle il avait assisté. Il accéléra encore. Plus il se rapprochait, et mieux il distinguait les échos de l'agression. La victime devait être en sang, maintenant. Les coups semblaient de plus en plus violents, et paradoxalement, plus aucune plainte de douleur ne se faisait entendre. Le cœur d'Harry fit une embardée. Peut-être que la victime s'était évanouie… ou pire. Ce parc était si grand ! Quand allait-il enfin les atteindre ?
Harry donna le maximum de sa force physique et poussa une nouvelle fois sur ses jambes en saisissant sa baguette magique. Enfin, il les vit. Les arbres laissaient place à un petit square, au milieu duquel trônait une fontaine aux allures tranquilles. A ses pieds, deux sorciers enveloppés dans de longues capes noires donnaient de violents coups de pieds à un homme étendu sur le sol.
- HEY ! hurla Harry de toutes ses forces.
Les deux hommes se retournèrent d'un même mouvement. Harry eu juste le temps d'apercevoir le reflet d'un pendentif en argent serti de deux pierres rouges avant qu'ils ne transplanent. A bout de souffle, il se précipita sur la victime qui gisait sur le sol inégal. Mais, alors qu'il allait l'atteindre, l'homme se souleva sur un coude et poussa un juron. Harry, blême, le laissa faire. Ce n'était pas possible. Lui ? Il n'en croyait pas ses yeux. L'homme tourna la tête vers Harry. Aucun doute n'était plus possible, c'était bien lui.
Dans un dernier effort, Drago Malefoy lui lança un regard haineux avant de retomber sur le sol, inconscient.
