Chapitre 1 : Joyeux Anniversaire !

C'était l'une de ces journées où le smog qui recouvrait Londres ne faisait que s'épaissir sans disparaître. Personne n'aurait voulu mettre le nez dehors. Dans la plupart des maisons on avait allumé un feu pour se réchauffer et éclairer la pièce. Dans l'un des petits manoirs du quartier – enfin petit est un mot comme un autre – plusieurs domestiques s'affairaient. Ils couraient dans tous les sens, sans interruption et ce depuis six heures du matin. Ils l'avaient d'abord fait sans bruit, se communiquant les ordres par billets, pour ne pas réveiller les maîtres de maison, mais maintenant que la journée était bien avancée, ils ne se donnaient plus cette peine et criaient les ordres, qu'ils soient dispersés d'un bout à l'autre de la demeure ou non. Tout ce petit monde organisé comme une fourmilière obéissait à la femme qui se tenait en haut de l'escalier. Elle les dominait de sa petite taille et les regardait d'un air hautain. Cette femme - comme on aurait pu le croire - n'était pas la maîtresse de maison mais exerçait le même pouvoir. Elle s'était en réalité imposée aux maîtres de maison. Elle ne leur avait pas demandé leur avis et organisait la maisonnée de manière impeccable. Elle rehaussa ses lunettes qui encadraient deux yeux dont la pupille était encerclée d'un rayon de couleur jaune puis verte, typique des Shinigami. Son allure sévère assortie à sa robe marron très sobre intimait - sans que la femme eût besoin de parler - l'ordre de ne pas s'opposer à ses paroles. Ce qu'aucun domestique ne se risquait à faire, car même si les véritables maîtres de maison étaient des gens tout à fait charmants, cette femme, elle, ne l'était pas et pouvait tout à fait décider de faire renvoyer un domestique sous prétexte qu'il ne lui avait pas plu, sans que les maîtres de maison ne soient au courant. Après plusieurs minutes à les observer la femme au sommet de l'escalier interpella l'une des domestiques : « Emily !

- Oui, madame ? » s'empressa de répondre la dite Emily. Son interlocutrice prit le temps de la regarder. Il s'agissait d'une humaine, blonde aux yeux verts. Plutôt grande, elle rendait presque une tête à son interlocutrice, ce qui ne lui plaisait guère. Elle finit par reprendre d'une voix glaciale et cassante : « Va faire réveiller ma petite-fille.

- Je suis navrée madame, mais... votre ... votre fille m'a expliqué qu'elle allait s'en char... charger, bafouilla la domestique, intimidée par le regard de son interlocutrice et inquiétée par la réponse qu'elle-même venait de donner.

- Oh... Très bien, si Adèle s'en charge tu peux retourner à tes activités » déclara son vis-à-vis s'en avoir l'air de s'être vexée, au grand soulagement de l'humaine qui s'apprêtait à descendre les escaliers quand on toqua alors à la porte, et la femme ajouta : « Va ouvrir !

- Bien Madame », approuva Emily. Elle ouvrit la porte et se retrouva face à un jeune homme, Shinigami pour sa part, qui tenait un paquet dans les mains. La domestique lui demanda : « Pour qui est-ce monsieur ?

- Euh... est ce que Madame Juliette Grant est ici, Mademoiselle ? répondit le coursier.

- Oui, je dois me charger de prendre le paquet pour elle, répondit la domestique.

- Voici le paquet que Madame avait demandé signez là, s'il vous plaît… », il tendit une feuille à Emily, qu'elle signa. Le shinigami lui donna le paquet et elle referma la porte derrière lui. Elle se dirigea vers la femme du sommet de l'escalier et lui tendit le paquet. « Merci bien, juste à temps » déclara Juliette. Emily hocha la tête, et repartit à ses activités. La journée d'aujourd'hui se devait d'être parfaite. C'étaient les ordres et pas question d'y déroger.

Pendant ce temps, dans l'une des chambres du manoir, sans aucun bruit, dormait une jeune fille qui d'allure devait avoir quinze ans tout au plus. Ses cheveux noirs en bataille et la tête enfouie dans son oreiller, rien ne semblait troubler son profond sommeil. Et pourtant. La porte de la chambre s'ouvrit et une femme relativement jolie ressemblant trait pour trait à la jeune fille se trouvant dans le lit, se pencha et secoua très légèrement l'épaule de la jeune fille tout en lui parlant : « Artémis, ma chérie, il est temps de te lever, tu ne crois pas ? Cela vaudrait mieux…

- Mmh ! répondit Artémis dans son oreiller, étouffant un « non ».

- Allez ma chérie ! C'est ton anniversaire ! essaya sa mère en s'asseyant sur le lit de sa fille.

- Mon anniversaire !? hurla Artémis en se redressant d'un coup et en manquant de fracasser le nez de sa mère comme ses lunettes.

- Eh oui, ma puce, sourit Adèle. Ne me dis pas que tu avais oublié ?

- Si... J'avais oublié, avoua la jeune shinigami, oh la la la ! Je ne serai jamais prête à temps, Grand-mère va m'en vouloir… elle qui a tout préparé…

- Comment es-tu au courant que c'est elle qui prépare tout ?

- J'ai simplement demandé… poliment je te rassure, oh… je n'aurais pas dû demander en fait…

- Oui c'est cela, mais nous allons faire comme si tu n'étais pas au courant…

- Que vais-je me mettre ! Il faut que ce soit quelque chose d'élégant et rapide à mettre… je ne serai jamais prête !

- Mais si, il faut juste que tu arrêtes de te plaindre, déclara sa mère, et pour information, ton père est rentré et ton frère arrivera dans l'après-midi, ta grand-mère s'est quelque peu plainte mais elle s'y est faite, le travail passe avant tout… allez, va te préparer…

- Très bien… ». Artémis embrassa sa mère et se dirigea vers sa salle de bain, fit une toilette rapide et prit la direction de sa coiffeuse.

Elle se regarda un instant dans le miroir. Son reflet était trouble, ce qui était tout à fait normal au vue de sa condition de shinigami. Mais, au grand désarroi de son père, elle ne portait des lunettes qu'en de rares occasions : pour lire et écrire. Autrement elle n'en portait pas, elle s'était toujours débrouillée sans et cela n'allait pas changer le jour de son anniversaire. Après qu'elle eut tenté d'enfiler son corsage sans pour autant y parvenir, sa mère arriva dans la chambre. « Tu n'as pas l'air de t'en sortir Artémis, as-tu besoin d'aide ?

- Je pense que oui… en fait je ne le pense pas j'en suis persuadée…

- Tourne–toi, je vais te nouer ton corsage correctement, déclara sa mère.

- Merci, répondit Artémis, et… Grand-Mère n'est toujours pas au courant que je sais ?

- Non elle ne l'est pas… Mais figure-toi que tu vas devoir jouer celle qui est surprise ! Sinon elle sera au courant du fait que tu savais !

- Je sais, je sais… vers quelle heure m'as-tu dit que William allait rentrer ?

- Connaissant ton frère je doute qu'il arrive après l'heure convenue, expliqua sa mère qui commençait à coiffer les cheveux de sa fille.

- Cela ne fait aucun doute qu'il sera à l'heure, soupira Artémis, parfois j'aimerais qu'il soit un peu moins strict… surtout qu'aujourd'hui il n'a que des papiers à remplir ! Il pourrait le faire demain…

- Tu connais ton frère, il est consciencieux, alors il fera ses papiers même si je sais qu'il préférerait mille fois être ici avec nous.

- Tu as sans doute raison Maman, dis... quelle robe pourrais–je bien mettre à ton avis ?

- Pourquoi pas la bleue ? suggéra sa mère, elle est jolie et elle te va tellement bien !

- Oui tu as raison, en plus cela fait longtemps que je ne l'ai pas mise… tu peux m'aider ?

- Bien sûr Artémis » acquiesça sa mère. Au bout de quelques minutes, les deux shinigami finirent par nouer le dernier ruban de la robe. « Eh voilà ! Tu es magnifique !

- Merci maman ! ». Adèle embrassa sa fille et quitta la pièce seule, mais s'arrêta sur le seuil de la porte et lui dit : « Et au fait, joyeux anniversaire ! ». Artémis lui fit un grand sourire qu'Adèle lui rendit et elle se dirigea pour de bon vers sa chambre.

Alors qu'elle sortait de la chambre de sa fille, Adèle Spears fut interpellée par sa propre mère, Juliette, qui la regardait d'un air méprisant, ce qui n'étonna guère Adèle, étant habituée à cela venant de sa mère : « Adèle, ta fille est-elle prête ?

- Bien évidemment !

- Très bien, c'est très bien » acquiesça sa mère avant de partir. Adèle, quant à elle ouvrit la porte de sa chambre et la referma. Elle se dirigea vers une commande blanche aux poignées de bronze et ouvrit le premier tiroir où se trouvait une boîte de médicaments qu'elle prit avec un grand verre d'eau. A chaque fois qu'elle prenait ses médicaments elle veillait à ce qu'aucun de ses enfants ne la voie, c'était primordial, jamais ils ne devaient la voir, jamais. Si un jour il venait à découvrir l'existence de sa maladie, tout le monde en souffrirait. Ses enfants, puisqu'elle leur avait menti, et la réputation de son mari ensuite. Adèle s'assit devant son miroir et commença à se préparer à son tour, il ne restait que peu de temps avant la fête.

Au quartier général des Shinigamis, William T. Spears vérifiait qu'il avait bien rempli tous ses dossiers, il retint un soupir devant la pile de paperasse qui l'attendait. Un bon employé de manifestait jamais de mécontentement lors de son travail. Il attrapa le premier dossier qui lui vint en main et regarda l'heure. « Au revoir Spears, lança Alan Humphries, ayant mon rendez-vous chez le médecin…

- Oui Humphries allez-y je ne vous retiens pas ! soupira William.

- Éric ? appela Alan qui constata que ce dernier dormait, Éric ! Tu viens ?

- Ah euh oui… navré je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit… Vous restez, Spears ?

- Oui, Slingby, c'est l'anniversaire de ma sœur, et même si je ne veux pas rater cela, j'ai des obligations ici… répondit William.

- La petite Artémis ? demanda Éric.

- Plus si petite que ça maintenant, répondit Alan.

- En effet Slingby, approuva William, sur ce, au revoir !

- Au revoir Spears ! lança Alan, et souhaitez à Artémis un joyeux anniversaire !

- Je n'y manquerai pas ! » affirma le shinigami. Il rehaussa ses verres de lunettes et se remit au travail.

Artémis courait dans les couloirs du manoir sans faire attention à ce qu'elle faisait, et finit obligatoirement par rentrer dans quelqu'un. Ce « quelqu'un » n'était autre que sa grand-mère Juliette qui affichait une expression de franc étonnement avant de reprendre un air stoïque afin de réprimander sa petite-fille : « Si tu portais tes lunettes cela ne serait jamais arrivé ! Ce n'est pas comme cela que tes parents t'ont éduquée ! Comment veux-tu pouvoir faire comptable ou bibliothécaire si tu ne portes pas tes lunettes ? » Artémis se garda bien de répondre quoi que se soit. Si elle commençait à dire que travailler derrière un bureau ne lui plaisait pas la journée allait être gâchée. Elle aussi savait très bien qu'il était dans son intérêt de ne pas contredire Juliette. Pour sa santé cela valait mieux, s'énerver pour elle n'était pas la meilleure des solutions. Elle s'excusa, continua son chemin et toqua à la porte de la chambre de sa mère. « Entrez ! ordonna Adèle qui referma précipitamment le tiroir où elle gardait ses médicaments.

- Maman ? demanda la jeune shinigami.

- Oh ! Ma chérie qui y a-t-il ? demanda Adèle.

- Est-ce que je peux rendre visite à Lizzy ? Même si c'est mon anniversaire, comme William arrivera plus tard… je me dis qu'en l'attendant je pourrais…

- Lizzy ? s'étonna sa mère, de qui me parles-tu ?

- Lizzy Sutcliff, Maman, répondit Artémis, la sœur de Grell.

- Lizzy Sutcli... Ah oui ! Mais pourquoi veux-tu aller chez elle, Artémis ? Puisque c'est elle qui vient pour ton anniversaire avec Grell ?

- Elle vient pour mon anniversaire ? demanda la brune abasourdie, en pensant à son frère qui ne serait guère ravi de voir la sœur de Lizzy.

- Oui, confirma sa mère en regardant par la fenêtre, d'ailleurs Lizzy est au portail, avec sa sœur.

- Merci maman ! » s'écria Artémis, en sortant de la chambre. Dans le hall son père, qui veillait au grain concernant les préparatifs de la fête, aperçut sa fille et s'approcha d'elle : « Artémis ! Joyeux anniversaire ! s'exclama George L. Spears, le père d'Artémis, en embrassant sa fille et en la prenant dans ses bras.

- Merci Papa ! répondit Artémis en lui rendant son étreinte, dis, est-ce que ma tante viendra ?

- Ta tante ? Non, elle ne peut pas, soupira George, elle a beaucoup de travail… Mais elle te souhaite un bon anniversaire !

- Si tu la croises de nouveau dans les jours prochains tu lui diras merci de ma part, s'il te plaît ?

- Je n'y manquerai pas ! ». Artémis remercia son père et partit ouvrir les portes du manoir à ses deux amies. Le froid entra dans le manoir et une chaise roulante apparut sur le seuil. Assise dedans, une jeune shinigami de l'âge d'Artémis. Les mains posées sur ses genoux, elle regardait tout autour d'elle de ses grands yeux verts et jaunes, encadrées par des lunettes noires et cachés partiellement par des mèches rouges. Derrière elle, sa sœur Grell Sutcliff qui portait une robe rouge flamboyante. Les mêmes cheveux et les mêmes yeux. Mais pas les mêmes traits. Artémis s'approcha de son amie : « Lizzy ! Je suis si contente que tu aies pu venir !

- Moi aussi figure-toi, je suis heureuse que tu aies aussi accepté de faire venir Grell, malgré les relations quelque peu hostiles qu'elle a avec ta grand-mère…

- Je sais… Mais c'est normal après tout ! Si vous demandez à ma mère vous faites quasiment partie de la famille !

- C'est gentil en tous les cas… commenta Grell, et joyeux anniversaire !

- Ah là, là, combien de fois vais-je l'entendre aujourd'hui ! rit Artémis, en tous les cas je te remercie ! Venez, avancez, ne restez pas là ! Mon père ne va pas vous manger !

- Non ! Pour le moment je mange encore à ma faim ! sourit George en saluant les deux nouvelles venues.

- Ce qui veut dire ? demanda Adèle en souriant.

- Ce qui veut dire que ta mère daigne encore me donner de quoi manger !

- George ! Pas ici, elle est en haut de l'escalier !

- Et ?

- Et ? Si elle t'entend elle pourrait vraiment ordonner de te rationner !

- Bien ! s'exclama Juliette en arrivant, puisque… (elle s'interrompit en voyant Grell et sa sœur) tout le monde est là… nous allons pouvoir commencer ! Bon anniversaire Artémis.

- Merci… Grand-mère…

- De rien, tiens, (elle lui tendit un paquet), ceci est de ma part c'est aussi moi qui avait offert le sien à William, qui n'est malheureusement pas présent pour le moment… ». Artémis ouvrit le paquet et y découvrit une cage. Avec un pigeon à l'intérieur. Elle regarda par la fenêtre un instant, et décida de l'appeler Brume, en raison du smog qui empêchait toute visibilité au dehors. Ensuite elle attendit son frère pour ouvrir le reste de ses cadeaux et la journée se passa au mieux, malgré les accrochages entre Juliette et Grell, calmées par Adèle.