Salut tout le monde! Comment allez-vous? :D
Hé non, je ne suis pas (encore) morte! Je m'excuse pour mon manque d'activité: le mémoire et les cours me prennent tout mon temps ou presque -_- Mais j'espère que ce prologue me fera pardonner ^^ Comme certains le savent déjà, cette nouvelle fic (qui me tient énormément à coeur) est un nouveau grand projet sur lequel je travaille depuis un peu plus d'un an (plans, fiches de personnages, rédaction,...). Beaucoup de travail, beaucoup d'OCs (dont une ici que certains d'entre vous connaissent peut-être déjà ;)), beaucoup de préparation et d'investissement,... Alors voilà, j'espère qu'elle vous plaira et vous motivera autant qu'elle me motive :')
Je tiens à remercier GueparddeFeu (allez voir son DA si vous ne l'avez pas encore vu, c'est une pure merveille *^*) pour sa première lecture, ses conseils et ses encouragements! Merci aussi à XxMiharu, Heleonora, Aquarius-no-Camus, Suzalulufan et Oce-chii pour leur gentillesse, leur attention et leur écoute! Keur sur vous! 3
Sur ce, vous connaissez la chanson!
Enjoy!
Le soleil brillait sur la Grèce et sur le Sanctuaire d'Athéna, désormais dépourvu de ses principaux guerriers. Les temples du zodiaque étaient vides depuis déjà plusieurs heures, même Athéna et les Chevaliers de Bronze avaient disparu, partis pour les Enfers pour détrôner Hadès. Et le soleil brillait malgré tout. Ou plutôt, aurait pu briller si l'énorme planète sombre ne le couvrait pas presque entièrement. On aurait pu penser à une éclipse normale, le commun des mortels ne se rendait sans doute compte de rien. Mais eux, Chevaliers restés au Sanctuaire en attendant le retour des Bronzes et de leur Déesse, eux sentaient l'aura maléfique qui se dégageait de cet événement.
Le coeur battant malgré son attitude détachée et assurée, Marine de l'Aigle passa machinalement les mains sur ses bras pour refouler le frisson glacé qui était remonté le long de sa colonne vertébrale. Quelque chose clochait, elle le sentait. Elle sentait que quelque chose ne tournait pas rond. Elle n'arrivait juste pas à mettre le doigt sur ce qui la dérangeait.
Peut-être était-ce la difficulté avec laquelle elle percevait le cosmos d'Aiolia, lui qui avait disparu pendant une longue seconde, longue seconde pendant laquelle elle avait retenu son souffle avec horreur. Puis, quand enfin le cosmos de son compagnon était ré-apparut, bien que très faible et distant, elle avait dû lutter pour ne pas laisser échapper un soupir rassuré. Après tout, elle était l'ainée des Chevaliers restés présents, elle devait montrer l'exemple.
Parmi les Chevaliers d'Argent encore présents, elle savait qu'elle pouvait particulièrement compter sur Shaina (adversaire devenue amie au fil du temps) ainsi que sur Ariane, le Chevalier de l'Aurore. Bien que légèrement plus jeunes qu'elle, Marine savait que ces deux jeunes femmes pouvaient s'avérer indispensables sur un champ de bataille. Shaina avait prouvé sa valeur de nombreuses fois (plus qu'elle ne pouvait les compter), et Ariane, bien que d'un naturel relativement pacifique, était capable de se montrer redoutable quand il s'agissait de protéger ceux qu'elle aimait ainsi que sa Déesse.
-Vous pensez qu'ils vont bien?
La jeune femme rousse se mordilla la lèvre et répondit distraitement à la question inquiète de Kiki, assis juste devant elle, sans quitter l'éclipse des yeux:
-Je ne sais pas, j'espère.
L'enfant passa une main dans sa nuque en relevant la tête, anxieux de ne pas avoir de nouvelle de son maitre. Comme pour le rassurer, Ariane lança:
-Ne t'en fais pas Kiki, tout ira bien.
-Ne lui dis pas ça, on ne peut pas en être certaines.
Grommela Shaina en croisant résolument les bras, plus inquiète elle-même qu'elle ne voulait le laisser voir. Après tout, toutes trois (et Kiki aussi, au fond) avaient l'esprit dirigé vers un homme qui devait se battre aux Enfers en ce moment même. Marine pensait à Aiolia en priorité (bien que le sort de Seiya l'inquiétait également), les pensées de Shaina étaient orientées vers Seiya, et Ariane se concentrait pour suivre de loin le cosmos de Milo. Peu de gens au Sanctuaire étaient au courant de leurs relations: en tant que femmes Chevaliers, elles se devaient d'être aussi secrètes que possible concernant leur vie sentimentale, dévoilant uniquement leurs visages aux hommes de leurs vies. Mais entre elles, elles savaient. Elles savaient que l'amour et l'attachement avaient fait leur nid dans leurs coeurs endurcis. Qu'elles pouvaient être humaines et ne pas réprimer leurs sentiments.
La gorge nouée par l'appréhension, Ariane déglutit difficilement et s'appuya distraitement contre une colonne, plus angoissée que frustrée de devoir rester sur place plutôt que de se battre à son tour. Ils avaient mis tellement de temps, son compagnon et elle, à avancer l'un vers l'autre, à combler le vide dans le coeur de l'autre, à se guérir l'un l'autre, à accepter leurs sentiments et à s'ouvrir à l'autre. Mais enfin ils s'étaient trouvés, avaient arrêté de se chercher, de se perdre, de se retrouver pour mieux se perdre de vue. Enfin ils avaient formé un couple, enfin ils avaient trouvé un équilibre et une union. Enfin ils s'étaient trouvés. Enfin ils s'étaient aimés sans peur.
Et c'était pourquoi elle avait d'autant plus peur. C'était pour ça qu'elle était d'autant plus en colère contre elle-même que contre les ordres leur disant de surveiller le Sanctuaire en attendant leur retour. Ariane était furieuse contre elle-même d'être aussi « faible », aussi attachée à lui. Et en même temps, elle savait que jamais elle n'aurait pu le repousser. C'était comme une évidence, une certitude. Dès qu'elle l'avait aperçu, elle avait su. Et après en avoir parlé une ou deux fois avec ses soeurs d'armes, elle avait été incroyablement soulagée: elle n'était pas la seule. Elle pouvait être femme, humaine et Chevalier à la fois.
-Pitié, Athéna, faites en sorte qu'il me revienne.
Songea-t-elle égoïstement, certaine que, de leur côté, Shaina et Marine faisaient de même. La jeune femme se secoua mentalement: ils allaient revenir. Ils allaient revenir et Milo serait de nouveau à ses côtés. Il allait revenir triomphant et ils pourraient enfin… Oui, qui savait, depuis qu'ils s'étaient décidés à essayer, à franchir le cap, elle n'avait jamais été aussi heureuse et il n'avait jamais été aussi apaisé. Parfois elle se surprenait à imaginer leur vie plus tard, à rêver à leurs enfants, à leur vie de famille, aux rires de clochettes des petits aux boucles bleutées, au visage lumineux de…
Personne ne le remarqua derrière son masque, mais Ariane pâlit brusquement et sa vue fut parsemée de points verts tant le choc fut violent. Si bien qu'elle eut le souffle coupé pendant une longue seconde et qu'elle dut s'appuyer sur la colonne pour ne pas s'effondrer. Au même moment, preuve que ce qu'elle venait de ressentir était terriblement vrai, Marine porta soudain la main à sa poitrine en poussant un grognement étouffé. Debout à ses côtés, Shaina s'empressa de la soutenir d'un bras rendu raide par l'angoisse qui lui nouait le ventre:
-Marine, est-ce que tout va bien?!
Son ton faussement détendu et réprobateur masquait mal son inquiétude: jamais elle n'avait vu l'Aigle trébucher, jamais elle ne l'avait vue dans un tel état de presque choc. Qu'avait-elle senti? Qu'avait-elle vu? Comme pour répondre à ses questions muettes, un hoquet douloureux la fit se retourner à demi vers la jeune femme aux cheveux blonds qui était adossée à une colonne de marbre. Les sourcils froncés (bien que personne ne puisse le voir au vu de son masque) Shaina l'interpella:
-Ariane, que se passe-t-il, bon sang?!
Presque pliée en deux sous le coup d'une douleur dont Shaina craignait de comprendre la cause, le Chevalier de l'Aurore haleta difficilement, d'une voix rendue rauque par le choc:
-Ils… Ils sont…
Non, elle ne pouvait pas terminer, elle ne pouvait pas accepter ce sentiment de vide soudain qui venait de se faire dans son coeur. Elle refusait d'accepter ce coup qu'elle venait de recevoir, comme si une partie d'elle venait de lui être arrachée. C'était faux, ça ne pouvait tout simplement pas arriver. Si bien que ce fut Kiki qui souffla d'une voix absente, les yeux rivés sur l'éclipse:
-Partis…
Alors qu'elle se serait attendue à fondre en larmes, Ariane se rendit compte que ses yeux restaient complètement secs. Sa gorge lui faisait mal tant elle était serrée, son coeur battait la chamade, mais elle ne pleura pas, ne versa pas une seule larme. Après tout… Oui, c'était impossible. Elle devait avoir mal interprété cette douleur, ce choc, cette séparation, cette déchirure. Ils ne pouvaient pas… Il ne pouvait pas être… Non, elle ne parvenait pas à l'accepter, c'était impossible! Mais comme pour briser cet ultime espoir, celui que Marine et Kiki nourrissaient secrètement, douze éclairs dorés jaillirent dans le ciel et se séparèrent pour atterrir chacun sur un temple, accompagné d'une dernière once de cosmos de leurs porteurs.
Bouche-bée, réalisant quelle perte ils venaient de subir, Shaina souffla:
-Les armures d'Or… Sont revenues au Sanctuaire…
Elle jeta un regard horrifié vers Marine, incapable d'imaginer la douleur que ses soeurs d'armes devaient ressentir. Le regard vide, le coeur battant tellement fort dans sa poitrine qu'elle avait l'impression qu'il allait exploser, la jeune femme rousse s'appuya du mieux qu'elle pouvait contre l'épaule de son amie et haleta, aussi calmement que possible, aussi neutre et forte qu'elle pouvait:
-Ils se sont sacrifiés pour remporter cette Guerre Sainte. Nous devons rester à notre poste et s'assurer que ça n'aura pas été vain.
Marine n'avait jamais été aussi ravie de porter un masque, de pouvoir laisser rouler une simple larme sur sa joue sans que personne ne puisse la voir. Elle ne pouvait pas se permettre de pleurer, de s'effondrer maintenant: elle était leur aînée, elle devait d'abord les guider vers la victoire, puis, plus tard, demain peut-être, elle pleurerait la mort des Golds… Celle d'Aiolia, Aiolia qui n'avait pu se remettre de la mort de son frère qu'au prix de nombreuses années, de discussions, de rapprochements lents mais certains,… Toute sa vie était en train de s'effondrer, tous ces moments passés avec lui, ce moment où il avait simplement pris sa main dans la sienne, sans dire un mot. Et elle avait serré la sienne en retour, le coeur battant et le sourire aux lèvres.
Tout était fini, partait en fumée devant elle. Aiolia ne reviendrait pas, ne passerait plus jamais l'enceinte du Sanctuaire, ne la serrerait plus jamais contre lui,… Elle ne verrait plus jamais son sourire, n'entendrait plus jamais son rire, ne sentirait plus son coeur battre contre sa joue,… Malgré elle, un hoquet lui échappa mais elle se redressa et repoussa Shaina, lui assurant qu'elle pouvait s'en sortir. Le coeur serré, elle jeta un regard vers Ariane, leur cadette, qui devait elle aussi souffrir de sa perte.
Toujours appuyée contre la colonne de marbre, la tête tournée vers le haut du Sanctuaire, sans doute vers le huitième temple, la jeune femme blonde était complètement immobile et silencieuse, le corps tendu comme la corde d'un arc, comme si elle ne parvenait pas à y croire, à réaliser que son compagnon ne reviendrait jamais. Marine se détourna, incapable de lui offrir des paroles de réconfort, consciente qu'elle même n'en voulait pas. Incapable aussi de lui permettre de s'isoler quelques minutes pour pleurer la mort de Milo. Incapable de leur permettre d'être femmes, humaines avant d'avoir remporté cette Guerre. Elles devaient d'abord être Chevaliers et veiller sur le Sanctuaire. Défendre l'héritage de leur compagnons tombés au combat.
Elles pleureraient plus tard. Maintenant, il fallait se battre.
Inconscients de leurs troubles personnels, les autres Chevaliers présents se tournèrent vers Marine, les visages allant du livide au vert comme ils se rendaient compte qu'ils venaient de perdre leur douze meilleurs atouts, leur douze meilleurs guerriers dans cette Guerre. Comprenant petit à petit qu'une défaite était envisageable… Croisant le regard effaré de l'un d'entre eux, Marine se gifla mentalement et se força à faire un pas en avant, à parler d'une voix aussi forte et naturelle que possible:
-Amis, les douze Chevaliers d'Or se sont sacrifiés pour ouvrir la voie à Seiya et aux autres. Nous devons leur faire honneur et protéger le Sanctuaire jusqu'à ce que la Guerre soit terminée et que la Déesse Athéna soit de retour. (Elle sentit que sa gorge se serrait et que sa voix se fêlait) C'est notre devoir: ne craignez rien et restez sur vos positions.
Se secouant le premier, Jabu claqua ses mains l'une contre l'autre en s'exclamant avec un faux enthousiasme:
-Marine a raison! On doit rester concentrés et protéger le Sanctuaire pour Madame Saori!
Reconnaissante malgré tout, Marine fit un pas en arrière et s'empêcha de s'assoir, de craquer, consciente que tous les regards étaient encore dirigés vers elle. Elle jeta un coup d'oeil derrière elle et put presque croiser celui, légèrement inquiet, de Shaina,… Avant de poser les yeux sur le petit garçon roux debout derrière elle, le menton tremblant et les yeux remplis de larmes:
-Maître Mû ne va pas revenir, n'est-ce pas?
La gorge serrée, Marine fut incapable de lui répondre, seulement de baisser la tête et de serrer les poings. Kiki hoqueta et porta les mains à son visage pour essuyer les premières larmes, celles qu'il ne parvenait plus à retenir. Même si elle l'avait voulu, Marine n'aurait pas pu le serrer contre elle, car elle savait que si elle craquait maintenant, c'en serait fini. Elle fut presque reconnaissante qu'Ariane se dirige à grands pas vers le garçon pour s'accroupir et le serrer contre elle, sans dire un mot, sans avoir l'air de verser une larme.
Kiki se jeta à son cou et fondit en larmes désespérées, hoquetant le nom de son maître, son frère, son père, son ami, son monde, sans parvenir à se calmer. Ariane se mordit la lèvre jusqu'au sang avant de souffler, la voix légèrement rauque:
-Je suis désolée, Kiki…
-Je veux… Je veux qu'il revienne! (Sanglota-t-il dans sa gorge, la noyant de larmes et de chagrin) Je veux mon maître! Je veux qu'il… Qu'il soit là!
-Je sais, je sais…
Kiki se dégagea soudain et se dirigea à toute vitesse vers le premier temple avant de se téléporter. Abasourdie, assommée par la douleur, Ariane sursauta quand Shaina gronda:
-Bien joué championne, tu as vraiment arrangé les choses!
-Je voulais bien faire, ce n'est qu'un enfant et il vient de perdre la personne la plus importante de…
Sa voix s'étrangla dans sa gorge et elle se tut, incapable de continuer, réalisant un peu plus à chaque seconde qui passait que c'était fini. Que son stupide rêve idyllique et utopique d'une vie parfaite avec son compagnon venait de voler en éclat. Quelle idiote elle avait été! Quelle idiote elle avait été de s'attacher à ce point, au point d'avoir l'impression qu'elle ne survivrait pas à la mort de Milo. Stupide au point qu'elle se moquait presque du destin de la Terre, de l'issue de cette Guerre. Elle voulait juste être seule, prendre le temps de réaliser,…
-Il n'est pas le seul, et tu n'as clairement pas amélioré la situation!
-Tu peux parler, tu ne peux même pas imaginer ce que ça fait de perdre un être cher.
Feula Ariane en serrant le poing à son tour. Elle put presque imaginer le visage de Shaina se tordre sous le coup de la colère quand elle gronda:
-Attention, Ariane, ne t'aventure pas sur ce chemin-là.
-Ca suffit vous deux. (Marine s'interposa en plaçant un bras devant Shaina) Ce n'est vraiment pas le moment de nous disputer, pas maintenant. Nous devons absolument nous serrer les coudes, pas semer la discorde.
Shaina poussa un grognement frustré mais ne répliqua pas, consciente des efforts que Marine devait faire pour rester aussi forte et directive. La jeune femme rousse hocha la tête et souffla, un ton plus bas:
-Va le chercher, Ariane: nous devons rester ensemble.
Le Chevalier de l'Aurore resta silencieuse une demi seconde avant de répondre d'un léger mouvement de la tête et de se détourner, gravissant les marches du Sanctuaire pour rejoindre le premier temple au plus vite. Comme Marine se détournait, Shaina calqua ses pas sur les siens en demandant doucement, comme pour être sûre que personne ne l'entendrait:
-Qu'est-ce qu'on va faire maintenant?
-Nous allons rester sur nos positions et nous tenir prêts à défendre le Sanctuaire. C'est tout ce que nous pouvons faire pour le moment.
La voix de Marine tremblait à peine, si bien que pendant un instant, le Serpentaire crut que la mort d'Aiolia ne l'avait peut-être pas autant affectée qu'elle le croyait. Mais le léger tremblement de ses épaules, la manière dont ses genoux flageolaient, lui firent bien comprendre à quel point son amie devait souffrir. Egoïstement, elle espéra que rien n'arriverait à Seiya, qu'avec les sacrifices des Chevaliers d'Or, aucun Bronze n'aurait à perdre la vie. Qu'il reviendrait et réaliserait peut-être ses sentiments pour elle…
Shaina hésita à poser une main rassurante sur l'épaule frémissante de Marine mais elle se retint et la précéda:
-Nous n'aurons pas à nous battre: nous allons remporter cette Guerre et le Sanctuaire restera intact.
La réponse de Marine fut si basse qu'elle ne l'entendit pas:
-Je l'espère…
Les marches semblaient encore plus interminables que jamais. Ariane avait l'impression que dès qu'elle faisait un pas, le temple du Bélier s'éloignait d'elle, comme si elle était indigne d'approcher les douze Maisons du Zodiaque avec de tels sentiments éteints. Hagarde, assommée par le choc, elle tentait de se convaincre qu'elle rêvait, que ce n'était qu'un cauchemar et qu'elle allait se réveiller. Que tous seraient encore en vie… Que le sourire de Milo la rassurerait… La douleur fut soudain tellement forte qu'elle crut qu'elle allait devoir s'arrêter pour éviter de défaillir et elle se mordit la lèvre jusqu'au sang pour étouffer un sanglot. Plus par réflexe qu'autre chose, elle porta la main droite au bas de son masque, comme pour cacher le tremblement honteux de ses lèvres aux yeux du monde.
Elle ne parvenait pas à y croire, ça ne pouvait pas être vrai, ça ne pouvait pas arriver, pas maintenant! Sincèrement, Ariane crut qu'elle allait craquer: sa gorge était si nouée qu'elle peinait à respirer, son coeur battait si fort qu'il lui faisait mal, elle avait l'impression que si elle retenait ses larmes plus longtemps, elle allait finir par exploser de chagrin. Mais elle se gifla mentalement, s'empêcha de craquer:
-Pas maintenant. Plus tard, quand tout sera fini. Mais pas maintenant.
Elle devait rester forte, Chevalier avant femme. Et plus tard, quand elle serait enfin seule dans ses appartements, alors seulement elle prendrait le temps de pleurer la disparition de son compagnon. Ariane redressa la tête, refoula ses larmes et son chagrin et reprit son ascension: elle devait rester digne, montrer l'exemple aux Chevaliers plus jeunes qu'elle… Et commencer par ramener Kiki auprès d'eux sans l'effrayer. Sans le peiner plus qu'il ne devait déjà l'être. Respirer, se concentrer, mettre sa douleur de côté pour l'instant.
Il ne lui fut pas difficile de retrouver le petit garçon, roulé en boule sur le lit de son mentor, les épaules secouées de lourds sanglots qu'il n'avait pas réussi à retenir. Une légère grimace ennuyée sur le visage, Ariane leva le poing et frappa doucement à la porte, comme si de rien n'était, comme pour montrer au garçon que personne ne lui en voulait:
-Je peux entrer?
Kiki se redressa vivement et, comme il faisait mine de se lever pour lui échapper de nouveau, la jeune femme leva les mains:
-Attends, ne pars pas. Je suis juste venue te parler.
-Je veux pas parler, je veux… (Un hoquet l'empêcha de finir sa phrase d'une traite) Je veux maître Mû…
-Je sais, je comprends ce que tu ressens. (Soupira Ariane en faisant un pas en avant, puis quand elle fut assez près du lit, elle le désigna de la main) Je peux m'assoir avec toi?
Une longue seconde d'hésitation empêcha Kiki de répondre immédiatement, puis il renifla et hocha lentement la tête, les lèvres tremblantes mais contenant bravement ses larmes. Ariane s'assit délicatement, aussi paisiblement que possible malgré son coeur serré face à la douleur du petit garçon. Elle poussa un léger soupir et fit mine de rien, même quand le garçon, malgré lui, se rapprocha inexorablement d'elle:
-Je sais ce que tu ressens. Je sais ce que c'est de vouloir le retour des gens qui sont partis. Je sais quelle douleur est la tienne. (Léger silence, le temps que Kiki hoche la tête) Mais nous ne pouvons rien faire… Ils sont partis et nous ne pouvons pas les retenir…
-Mais… Mais qu'est-ce que je vais devenir tout seul?
Ariane posa la main sur les cheveux roux du garçon et esquissa un sourire qu'il ne put voir:
-Tu ne seras pas tout seul, tu ne seras jamais seul. Tu nous as nous, nous serons là pour te guider et terminer ton entraînement du mieux que nous le pourrons, pour que tu puisses rendre ton maître fier en portant son armure.
Kiki se mordit la lèvre et Ariane sentit son coeur se serrer quand elle comprit que le garçon s'était emballé dans le long foulard rouge de son maître:
-Mais moi, c'est lui que je veux…
-Il sera toujours avec toi, Kiki, dans ta tête et dans ton coeur. (Elle força sur sa voix pour l'empêcher de trembler) Et il sera toujours là pour te guider, pour veiller sur toi. Alors tu ne dois pas désespérer. Ton maître serait triste de te voir ainsi, non?
Le petit garçon hocha lentement la tête, sans parvenir à ce que ses larmes cessent:
-Alors tu dois être fort et tout faire pour qu'il soit fier de toi, d'accord? Pleure maintenant, pleure puis relève-toi et montre-lui qu'il a eu raison de croire en toi.
Kiki hoqueta légèrement puis fondit littéralement en larmes en la serrant contre lui de toutes ses forces. Le coeur lourd, Ariane passa une main douce dans le dos tremblant du garçon, attendant simplement qu'il se calme. Qu'il termine de verser des larmes pour lui, pour Marine et pour elle-même puisqu'elles ne pouvaient pas se le permettre…
Au bout de longues minutes, les sanglots se tarirent lentement, si bien qu'elle comprit rapidement qu'à force de verser tant de larmes, Kiki risquait de s'endormir d'épuisement. Consciente de la situation précaire dans laquelle ils se trouvaient, elle se dégagea de son étreinte et se leva en lui tendant la main:
-Viens, allons rejoindre les autres.
Les yeux gonflés et rougis par les pleurs, le garçon roux hocha lentement la tête et il serra le foulard rouge de son maître d'une main avant de la suivre sans rechigner, comme éteint, épuisé. Mais pile comme ils faisaient mine de se mettre en route, un grand frisson les secoua tous les deux et Ariane pâlit violemment quand le cosmos de Saori vacilla.
Quand le cosmos d'Athéna disparut.
Quand elle comprit qu'ils avaient perdu.
Elle eut l'impression qu'une véritable décharge électrique la poussait à agir, presque à l'instinct. Elle empoigna la main de Kiki dans la sienne et l'emmena avec elle en courant: elle ne devait pas le laisser là, pas là où il risquait d'être en danger. Elle devait le garder avec elle et protéger son héritage de futur Chevalier d'Or, un de leur dernier espoir:
-Ariane, qu'est-ce qu'il se passe?!
-Ne t'en fais pas, ça va aller, je vais veiller sur toi. Suis-moi et ne me perds pas.
Les sourcils froncés et les lèvres pincées, la jeune femme accéléra le pas sans le lâcher: vite, trouver Marine, lui demander quoi faire, comment protéger le Sanctuaire, quel était le plan de secours,… Un violent bruit la fit légèrement ralentir et elle tourna la tête vers la gauche, vers les premières arènes des apprentis, et vers le nuage de fumée qui s'en échappait. Ariane sentit une goutte de sueur glacée rouler le long de sa tempe et elle entrouvrit les lèvres sous le choc:
-C'est impossible…
Le murmure lui échappa, masqué par les hurlements qui commençaient déjà à s'élever. Des éclairs de lumières colorées jaillirent, frappant des formes sombres qui répliquèrent à coup de lueur mauve sombre. Un frisson secoua les épaules de la jeune femme: ils étaient déjà là. Les Spectres étaient déjà là. C'était impossible, impossible! Et pourtant ils étaient déjà là, à leurs portes! Elle se tourna de nouveau vers Kiki:
-Retourne immédiatement au premier temple. Je reviendrai te chercher quand ça sera fini. Si je ne suis pas là au bout de trente minutes va jusqu'au treizième temple et enfuis-toi le plus loin possible, est-ce que tu comprends?
-Quoi?! Je veux pas être tout seul!
-Kiki, c'est très important, il faut absolument que tu te caches et que tu ne te laisses pas attraper.
-Je vais me télépo-…
-Non! Surtout pas! (S'écria Ariane avec horreur) N'utilise surtout pas ton cosmos, ils pourraient s'en servir pour te retrouver!
Le garçon se mit à trembler et il sursauta violemment quand une nouvelle explosion fit presque trembler les hauts escaliers du Sanctuaire. Le Chevalier de l'Aurore encadra son visage de ses mains, le força à la regarder:
-Tu as compris? Tu dois te cacher et tu dois absolument vivre. Je reviendrai te chercher mais si je ne suis pas là au bout de trente minutes, pas plus, tu dois t'enfuir. D'accord?
-Je ne… Je…
-D'accord?
Kiki déglutit difficilement mais finit par hocher la tête et il fit demi tour pour s'éloigner à toute vitesse. Le coeur étrangement calme malgré le cauchemar de la situation, Ariane dévala les escaliers aussi vite que possible. La situation n'était peut-être pas aussi désespérée qu'elle en avait l'air. Peut-être n'était-ce que quelques Spectres isolés qu'ils n'auraient aucun mal à repousser. Peut-être que tout serait fini au bout de quelques minutes de combat. Oui, après tout, ils avaient toutes leurs chances: tous les Argent et Bronze étaient réunis, ils allaient…
L'odeur du sang la prit à la gorge quand elle arriva au pied des marches et elle pinça les lèvres quand un nuage de fumée souleva ses cheveux dans son dos. S'orientant à l'aveugle, elle repéra enfin ses deux soeurs d'armes et se dirigea vers elles à toute vitesse malgré les flammes qui menaçaient de toutes parts:
-J'espère qu'elles vont bien, il faut absolument qu'elles aillent b-…
Ariane se jeta vivement en avant, évitant ainsi un coup qui l'aurait sans doute tuée, et se redressa aussi vite que possible, les sourcils froncés et les poings serrés. Un rire mauvais s'éleva sur sa gauche et une large silhouette s'avança d'un pas lourd:
-Bien esquivé gamine, pas mal pour une femme!
Elle se mit en garde, tous les sens en alerte, et gronda:
-J'ai un tas d'autres surprises en réserve.
-J'espère bien, (L'homme fit un dernier pas en avant et son surplis sombre fut éclairé par les flammes alentours) les autres ont pas vraiment fait long feu, sauf que j'ai un peu envie de m'amuser.
-Pourquoi êtes vous ici? Vous avez gagné, n'est-ce pas déjà assez?
Le soldat des Enfers (car elle ne sentait pas de cosmos assez puissant se dégager de lui pour qu'il soit un Spectre) éclata franchement de rire:
-Parce qu'il faut abattre l'ennemi quand il est au sol. Ca fait des siècles qu'on attendait cette victoire, normal qu'on en profite pour vous écraser, non?
Ariane fronça les sourcils et fit lentement reculer sa jambe droite:
-Ordure, vous n'avez donc aucun honneur? Que voulez-vous de plus que vous ne nous ayez déjà pris?
Un sourire torve étira les lèvres de l'homme et une lueur orangée éclaira ses yeux:
-La victoire totale: notre seul ordre est de ne faire aucun prisonnier. Notre Seigneur Hadès ne veut pas de survivants!
Il se rua en avant, si vite qu'Ariane faillit ne pas arriver à l'éviter. Le coup la frôla, la poussant à faire un véritable bond en arrière. Elle leva les bras devant son visage, encaissant un nouveau coup direct du mieux qu'elle pouvait, s'empêchant de reculer sous le choc. Non, plutôt que de perdre du terrain, elle attendit que le poing du soldat soit à quelques centimètres d'elle, et elle se jeta en avant. Elle roula sur le sol, glissa sur le côté et asséna un violent coup de pied à son adversaire.
Laissant échapper un grognement rageur et douloureux, l'homme se plia presque en deux et darda deux pupilles rougeoyantes de colère vers elle:
-Saleté!
Les sourcils froncés derrière son masque, la jeune femme sentit une perle de sueur glacée rouler le long de son dos comme le soldat enchaînait les coups sans manifester un seul signe de fatigue. Oh mais elle avait plus d'un tour dans son sac! Elle était un Chevalier d'Athéna et comptait bien faire honneur à son titre. Elle n'avait pas de temps à perdre avec cet homme, elle devait immédiatement mettre fin à ce combat. Ariane tendit le bras droit en avant, implacable. De nouveau, comme un coup manquait de la frapper, elle fit mine de plier les jambes, prête à plonger en avant. L'homme esquissa un sourire mauvais et baissa le poing:
-Tu ne m'auras pas deux fois, sale peste!
C'était stupide, il ne pouvait pas la voir, et pourtant elle ne put s'empêcher de sourire:
-Oh mais je m'en doutais.
Poussant sur ses jambes de toutes ses forces, Ariane ne roula pas sur le sol. Elle bondit. Si haut que cela semblait impossible. Presque comme si elle volait. Elle tendit la jambe droite et retomba directement sur la nuque du Spectre. Un craquement sourd résonna comme l'os se rompait sous le coup, et l'homme tomba en avant, sans un cri. La jeune femme se réceptionna sur le sol et se remit à courir: elle n'avait pas une minute à perdre. Elle devait immédiatement retrouver Marine et Shaina. Il fallait qu'elle sache quel était le plan de secours.
Elle se força à ne pas baisser la tête, à ne pas détailler les corps ensanglantés - amis comme ennemis - qui jonchaient le sol qu'elle foulait. Pas maintenant, plus tard. Plus tard peut-être. La fumée se dégagea un instant et elle aperçut un reflet roux. Marine et Shaina se battaient, dos à dos, luttant contre des Spectres. Un sentiment d'horreur et de révolte la fit frissonner: elles étaient en infériorité numérique! Quatre contre deux, c'était honteux! Sans prendre le temps de réfléchir davantage, elle se rua dans la mêlée.
Ariane leva le bras et frappa, sans aucun état d'âme:
-Aurora Light!
Le pilier de lumière heurta de plein fouet et transperça le corps du Spectre le plus proche qui s'effondra, les yeux révulsés. Marine se tourna à demi vers elle et laissa échapper une exclamation surprise et choquée à la fois:
-Ariane?! Mais qu'est-ce que tu fais là?!
-Je viens vous aider, évidemment!
Elle s'empêcha de s'attarder sur l'état terriblement précaire de ses amies, refusant de s'horrifier face au bras gauche de Marine ou face à la jambe ensanglantée de Shaina. Elle n'avait pas le temps de s'apitoyer sur leur sort, elles s'occuperaient de leur blessures plus tard. Pour l'instant il fallait lutter contre ces Spectres et gagner!
Les poings serrés, elle gronda:
-Quel est le plan?
-Il n'y a plus de plan, Ariane! Retourne immédiatement avec Kiki, emmène autant de survivants que possible et allez-vous en!
Haleta Marine en bloquant un nouveau coup. Shaina renchérit, la voix rendue rauque par la colère et la douleur:
-On va vous ouvrir la voie, partez!
-Quoi?! C'est hors de question! Je reste ici! Je veux me battre avec vous! On va s'en tirer et…
-Ne discute pas mes ordres. (Asséna Marine) Tu es la plus jeune d'entre nous trois, tu dois guider les autres. Dépêche-toi!
Elle avait l'impression que le sol s'effondrait sous ses pieds. Non, non c'était impossible, qu'est-ce qu'elles racontaient?! Elle n'allait tout de même pas fuir et les laisser seules!
-Je refuse! Je reste ici! Toi vas-y Marine, tu as plus d'expérience!
-Ariane, je sais ce que j'ai dit. Dépêche-toi d'obéir, il ne nous reste plus beaucoup de temps avant que…
Une violente secousse fit voler les pavés en éclat non loin d'elles, leur coupant le souffle et les assourdissant presque. Poussées en arrière par le souffle de l'explosion, elles reculèrent de plusieurs pas et se retrouvèrent accroupies sur le sol, le souffle court et le visage livide. Haletante, Shaina parvint à gronder sans arriver à masquer la légère crainte dans sa voix:
-Qu'est-ce que c'était que ça?!
Les jambes flageolantes, Marine laissa échapper un soupir horrifié:
-Ce sont eux.
Un frisson horrifié les secoua toutes les trois et elles se figèrent, soudain incapable de bouger. De lourds pas résonnaient devant elles, et dans la fumée elles perçurent enfin trois hautes silhouettes bardées de noir. Trois silhouettes ailées et dégageant une puissance inimaginable. Trois silhouettes qui s'avançaient vers elle comme au ralenti, comme pour montrer quelle différence il y avait entre eux et elles.
Ariane réalisa en même de temps que Shaina que tout espoir de gagner cette bataille pour le Sanctuaire était perdu. Elles ne faisaient pas le poids face aux trois hommes qui venaient d'arriver. Et pourtant, elles étaient incapable de fuir, incapables de bouger, de quitter les trois énormes silhouettes qui se rapprochaient inexorablement. Si bien que la voix de Marine mit trop de temps à les faire réagir:
-Allez-y, je vais le retenir.
-Je refuse de te laisser.
Parvint à souffler Shaina sans pour autant quitter les trois formes des yeux, comme hypnotisée. Ariane déglutit difficilement, le coeur serré par une véritable peur primitive et sa voix lui sembla si faible qu'elle crut que les autres ne l'entendraient pas:
-Je reste avec vous.
Une décharge sembla secouer la jeune femme rousse et elle se leva bravement devant elles, les poings serrés et la voix emplie de détermination:
-Partez, je vous retrouverai.
-Mais…
-C'est un ordre. Laissez-moi au moins venger la mort d'Aiolia et me montrer digne de cette armure. Je suis votre aînée, et je vous ordonne de m'obéir.
Soufflées par la puissance et la détermination soudaine qui émanaient du Chevalier de l'Aigle, Shaina et Ariane se trouvèrent incapables de refuser une nouvelle fois. Incapables de lui refuser cette ultime requête, à elle qui n'avait jamais rien demandé. A elle qui était en train de tout perdre. Les deux jeunes femmes se jetèrent un regard horrifié derrière leurs masques puis Shaina grinça des dents et agrippa le bras d'Ariane de toutes ses forces pour la remettre debout:
-On y va.
-Shaina…
-T'as intérêt à nous rattraper, Marine. Sinon je ne te le pardonnerai pas.
Elles sentirent toutes les deux que le Chevalier de l'Aigle esquissait un sourire presque amusé:
-Je ferai de mon mieux. Maintenant partez et rassemblez les survivants: l'armée d'Athéna doit absolument survivre.
Les deux jeunes femmes hochèrent douloureusement la tête, conscientes que c'était la dernière fois qu'elles entendaient la voix de Marine. La dernière fois qu'elles avaient un guide. Sans un regard en arrière, tirant Ariane derrière elle pour l'empêcher de faire demi-tour, Shaina se mit à courir vers le Sanctuaire, les lèvres pincées et la gorge serrée par la douleur et la colère. Le Chevalier de l'Aurore déglutit difficilement puis dégagea son bras de la poigne de fer de sa soeur d'armes, courant à ses côtés malgré le sentiment de honte et de haine qui enflait dans son coeur:
-Nous aurions dû rester avec elle, nous aurions pu essayer.
-Ce sont ses ordres, et la situation est bien trop désespérée pour qu'on tente de lutter.
-Mais…
-Je suis aussi enragée que toi. (Feula Shaina en serrant les poings) J'aurais mille fois préféré rester en arrière avec elle pour lutter à ses côtés. Mais nous n'avons pas le choix: l'armée d'Athéna passe avant tout. Nous devons assurer son rôle de guide, et pour ça il faut survivre. Mortes, nous ne lui servirons à rien.
Ariane poussa un soupir de colère contenue, dépassant les corps sans vie de nombreux Chevaliers. Elle s'empêcha de tousser quand un pan de fumée l'aveugla pendant une courte seconde. Soudain, un violent coup dans le plexus solaire l'envoya valser plusieurs mètres sur le côté. Le souffle coupé, les lèvres ouvertes à la recherche d'air et sur un filet de sang, Ariane se redressa du mieux qu'elle pouvait, cherchant son nouvel ennemi du regard. Elle avait perdu Shaina dans la fumée, et elle comptait bien lutter pour lui donner le temps de fuir avec les guerriers survivants.
Un rire ravi résonna autour d'elle, lui donnant des frissons malgré elle, et elle se redressa, cherchant de tous les côtés pour voir d'où venait la voix:
-En plein dans le mille mon vieux! Toujours aussi précis!
Deux silhouettes bardées de noir apparurent vaguement dans son champ de vision et elle crut apercevoir une sorte de liane se dresser aux côtés du plus grand des deux qui asséna en la regardant droit dans les yeux:
-Tu n'iras nulle part, Chevalier: ton chemin s'arrête ici.
Comme hypnotisée par les orbes dorées qui la fixaient, Ariane ne parvint pas immédiatement à répondre, à lutter pour se relever. Mais l'image d'une jeune femme rousse se battant au prix de sa vie la poussa à se redresser, à tendre les poings en avant:
-C'est moi qui vous arrêterai, Spectres.
Un ricanement s'échappa des lèvres du plus petit, dévoilant une rangée de dents aussi acérées que des lames de couteau:
-Que tu crois. Seule, tu fais pas le poids contre nous.
Ariane se jeta en avant, le bras tendu pour frapper directement le plus petit des deux… Et quand une vague de douleur enfla dans sa poitrine, elle baissa les yeux: quatre longues estafilades ensanglantées barraient son sternum. Elle jeta un regard horrifié en arrière, posa les yeux sur les ongles démesurément longs du Spectre trempés de son propre sang, puis tomba à genoux, le souffle court et le front trempé de sueur. Tout allait bien, la blessure n'était pas mortelle, laide mais pas encore grave!
Comme le second Spectre s'avançait vers elle, le plus grand des deux gronda:
-Laisse-moi faire, inutile de prendre des risques.
Ariane se mit en garde, embrasa son cosmos… Et un violent frisson la secoua quand une odeur suffocante la prit à la gorge, comme pour essayer de l'étouffer. Elle porta d'abord une main à sa gorge, puis à sa tête et tomba à genoux, le souffle court et le front soudain trempé de sueur. Les yeux exorbités, elle ne voyait plus ses ennemis, juste les flammes, la fumée… L'avion… Des cadavres qui jonchaient le sol… Un ours en peluche éventré… Les yeux vitreux d'un homme blond… Le visage ensanglanté d'une femme aux cheveux sombres…
Une nausée la secoua presque et elle se prit la tête entre les mains en poussant un gémissement horrifié. C'était comme être emprisonnée dans son pire cauchemar, revivre sans cesse l'enfer qu'avait été ce voyage en avion, la mort de ses parents, la mort de tant de gens, la peur de mourir… Ariane sentit une goutte de sueur dévaler le long de sa tempe, glisser sur son menton, goutter sur le sol, elle entendit vaguement le rire mauvais du Spectre aux cheveux bordeaux… Puis une violente lumière mauve brisa l'illusion:
-Thunder Claws!
Shaina se dressait devant elle, le corps englobé d'un cosmos qui fendait les ténèbres environnants. Encore hébétée à cause de l'illusion qu'elle venait de subir, Ariane ne réagit pas immédiatement quand la jeune femme aux cheveux verts gronda:
-Va-t-en, dépêche-toi! Je les retiens!
Abasourdie, Ariane secoua la tête et se releva péniblement, les jambes encore tremblantes et le coeur battant à tout rompre comme si elle venait de s'éveiller d'un horrible cauchemar pour sombrer dans une réalité plus sombre encore:
-Non! Ca n'arrivera plus, promis! Je reste avec toi!
-Puisque que je te dis de dégager, idiote! Je m'en charge alors va-t-en! C'était ce que Marine voulait, alors maintenant tu obéis!
-Non! J'en ai assez d'obéir à de tels ordres! (Hurla Ariane en se mettant debout, la voix rendue rauque par la colère et la douleur) Je refuse de vous laisser derrière!
-Imbécile! Il faut qu'un aîné veille sur les survivants et les aide à s'organiser! Il faut ordonner la retraite et s'occuper de la survie des forces d'Athéna! Il faut que ce soit toi!
Shaina baissa soudainement d'un ton et se tourna légèrement vers elle, et même sans la voir, Ariane sut qu'elle souriait, qu'elle choisissait elle aussi son destin. De se battre ici:
-Il faut que tu vives, Ariane. Vis et occupe-toi du reste pour nous, la Guerre n'est pas encore terminée et elle ne le sera pas tant qu'il restera des défenseurs de la paix sur cette Terre.
Ariane sentit son coeur s'arrêter, quand une petite voix au fond d'elle lui confirma les paroles de Shaina, lui souffla que vivre était un privilège et qu'elle devait en profiter. Que le combat était fini, que la bataille était perdue mais que la Guerre pouvait encore être gagnée. Et pour cela, il fallait un survivant, une personne qui avait de l'expérience pour guider les plus jeunes, former une nouvelle génération. Mais cela voulait dire abandonner Shaina, abandonner Marine, abandonner le Sanctuaire, tous les souvenirs qu'elle avait ici… Un véritable frisson la secoua et elle fit un pas en arrière, comme poussée par la raison plutôt que par son coeur, coeur qui voulait continuer de se battre aux côtés de ses soeurs d'armes. De perdre la vie s'il le fallait:
-Tu ne peux pas me demander ça, Shaina…
Souffla-t-elle, la voix rendue rauque par la fumée et par l'émotion. Les deux Spectres s'étaient rapprochés, menaçaient de leur couper une éventuelle retraite. Shaina répondit sans les quitter des yeux, déterminée:
-Je suis désolée, Ariane.
-Pas ça, pitié…
-Pense à Kiki, il t'attend encore.
Le visage trempé de larmes du petit garçon lui apparut et elle sentit son coeur flancher. Elle savait que c'était horrible, qu'elle ne pouvait pas laisser ses soeurs et frères d'armes derrière elle. Mais elle ne pouvait pas non plus refuser d'honorer le souhait de ses soeurs. Elle ne pouvait pas abandonner Kiki et tant d'autres à une mort certaine. Elle ne pouvait pas causer l'extinction définitive des troupes d'Athéna simplement par égoïsme, pour rester et combattre aux côtés de ses soeurs. Elle ne pouvait pas rester parce qu'au fond d'elle, elle avait envie de mourir, de cesser de souffrir. Après tout, oui, c'était injuste! Pourquoi devait-elle être la seule à devoir supporter leur perte à tous, le deuil, la douleur de la solitude?!
-Il a besoin d'être guidé, il a besoin de toi.
La phrase, assénée avec une voix étrangement calme, presque douce, agit comme une gifle. Ariane sentit sa gorge se serrer, son coeur s'emballer dans sa poitrine. Puis elle se mordit la lèvre, ravala ses larmes et sa peine et souffla:
-Moi aussi j'ai besoin d'être guidée, j'ai besoin de vous, de toi.
-Tu es trop grande pour avoir besoin d'un guide: Marine m'a passé le flambeau, à mon tour de te le passer pour que tu puisses continuer de le transmettre. Maintenant cours, et rassembles autant de survivants que possible. (Un petit rire légèrement amer lui échappa comme elle se jetait en avant, droit sur les Spectres) Remporte cette Guerre pour moi.
Shaina disparut de sa vue, comme avalée par la fumée, et alors qu'Ariane restait complètement immobile, le coeur battant et les yeux brulant, ce fut comme si ses jambes se mettaient en route d'elles-même. Comme si son corps agissait sans son accord, d'instinct. Elle se mit à courir vers les douze temples du zodiaque, les mains tremblantes et le coeur battant si fort dans sa poitrine qu'elle crut qu'il allait exploser. Le souffle court, elle se mit à crier, espérant qu'un maximum de survivants l'entendraient:
-Retraite! Chevaliers, retraite!
Tous avaient entendus les consignes lorsque Seiya et les autres étaient partis pour les Enfers. Tous savaient que dans ce genre de situation ils devaient se rassembler au plus vite au treizième temple puis se rendre chez leur allié le plus proche. En l'occurence…
Ariane leva les bras et frappa un ennemi qui menaçait d'infliger un coup fatal à un jeune chevalier tombé sur le sol. Le Spectre s'effondra et elle se pencha pour soutenir l'homme blessé, l'aider à courir à ses côtés sans cesser de hurler:
-Retraite!
Elle parvint au pied du premier temple, rejointe par de plus en plus d'hommes et de femmes qui avaient réussi à échapper au massacre. Elle n'avait pas le temps de les compter, pas le temps de les rassurer: il fallait fuir et vite. Malgré leur ascension et leur course endiablée, elle réalisa avec un soulagement certain que toutes les armures d'Or avaient disparu, prêtes à leur servir de nouveau et en sécurité. Hors de portée. Les quelques survivants arrivèrent enfin au treizième temple, talonnés par des Spectres qui n'avaient que quelques temples de retard sur eux. Aussi vite qu'ils le pouvaient, les derniers chevaliers entrés dans la salle du Pope fermèrent et barricadèrent la lourde porte derrière eux.
Plusieurs d'entre eux se laissèrent tomber sur le sol, soit pour panser des plaies, reprendre leur souffle ou même verser des larmes d'horreur et de désespoir. Or ils n'avaient pas le temps pour ça, pas encore. L'ennemi était encore trop proche, il fallait absolument fuir et leur échapper. Ariane aperçut Kiki, caché derrière le haut trône de la pièce, et il se précipita vers elle quand il la reconnut, les traits tirés sous le coup de la douleur combinée à l'angoisse:
-Ariane, tu es revenue!
La jeune femme le serra contre elle et passa une main aussi rassurante que possible dans ses cheveux, la voix légèrement rauque et absente:
-Oui, oui je suis là. Et on va s'en sortir, je te le promets.
-Qu'est-ce qui se passe?! Qu'est-ce qu'on va faire?! (Puis, comme il remarquait les longues taches rouges qui s'étiraient sur le sternum de la jeune femme, il pâlit) Tu es blessée?
-Ce n'est rien, ne t'en fais pas. (Elle se releva et haussa le ton) Chevaliers nous n'avons pas de temps à perdre, il faut partir! Maintenant!
-Où sont Marine et Shaina? On va pas partir sans elles quand même?!
-Elles s'occupent de retenir les Spectres plus puissants, elles m'ont demandé… (Elle força sur sa voix pour l'empêcher de trembler) Elles m'ont demandé de vous amener en sécurité chez notre allié le plus proche, alors il faut partir sans plus tar-…
-Et pourquoi est-ce qu'elles t'auraient confié notre survie?
-C'est qu'elles m'ont…
-Où sont tes preuves?
-Je ne…
-Elle ment, c'est évident! Où sont-elles?
Des cris de colère et de doutes fusèrent dans la salle, des cris de méfiance et de mépris, si bien que pendant une folle seconde, Ariane se dit qu'elle ne parviendrait jamais à les calmer, à les faire partir d'ici. A se faire accepter comme guide provisoire. Mais comme elle pensait que tout était perdu, qu'elle serait incapable d'exaucer le souhait de Marine et Shaina, une voix s'éleva plus haut que les autres quand Jabu se dressa à ses côtés:
-Ca suffit maintenant!
Immédiatement, les voix se turent et le silence se fit dans la salle. Les sourcils froncés et le visage ensanglanté, Jabu gronda:
-Ce n'est absolument pas le moment de paniquer et de s'énerver les uns sur les autres! L'important maintenant, c'est de survivre, alors si Ariane a été désignée par Marine et Shaina pour nous guider, je vais la suivre. Et vous devez tous faire pareil. A moins que vous ne préfériez rester ici à vous enguirlander en attendant que ces saloperies de Spectres viennent vous faire la peau. Donc maintenant vous la fermez et vous l'écoutez, c'est clair?!
Soufflés, quelques chevaliers hochèrent la tête et Ariane s'humecta les lèvres en faisant un pas en avant et en posant avec gratitude la main sur l'épaule de Jabu:
-Je sais que c'est dur, que cette situation correspond à notre pire cauchemar, mais il faut absolument rester forts et soudés. Il le faut pour nos frères et soeurs tombés ici et maintenant.
-Mais il n'y a aucun espoir… Si le Sanctuaire tombe, tout est perdu…
Soupira quelqu'un dans la salle. Jabu fit mine de répondre mais Ariane lui adressa un léger signe de tête: il fallait qu'elle s'en occupe, qu'elle prouve qu'elle était capable de s'occuper d'eux et de les guider vers une nouvelle ère:
-Rien n'est perdu tant que nous sommes en vie. Cette bataille est peut-être perdue, mais la Guerre n'est pas terminée. Elle ne le sera pas tant que nous serons debout, prêts à reprendre le combat, à aller libérer Athéna. Alors maintenant j'attends votre réponse: allons-nous rester ici et mourir? Mourir et priver le futur d'une ère de paix et de prospérité? Non. Non nous n'allons pas être aussi égoïstes et sombrer dans la douleur et l'envie d'abandonner. Non, nous allons reculer pour mieux sauter, nous allons survivre pour mieux les vaincre. Alors dites-moi, êtes-vous prêts à vous battre?
Quelques « oui » résonnèrent dans la salle, encore un peu timides et discrets:
-Êtes-vous prêts à survivre pour venger nos frères et soeurs?
-Oui!
Ariane haussa la voix pour se faire entendre, si bien qu'elle se rendit compte qu'elle criait presque, boostée par l'adrénaline qui la poussait à agir:
-Êtes-vous prêts à vous battre pour offrir un monde meilleur à la nouvelle génération? Au monde entier?
-Oui!
-Êtes-vous prêts à m'accepter comme guide?
-Oui!
Grisée, enhardie par les cris qui s'étaient élevés, Ariane leva le poing:
-Alors suivez-moi, mes frères! Dissimulez vos cosmos si vous savez le faire, et suivez-moi!
Tous poussèrent de véritables cris de guerre et Ariane se détourna, saisit Kiki par la main et se mit à avancer. Elle adressa un hochement de tête reconnaissant à Jabu qui poussa un soupir rieur et esquissa un sourire épuisé:
-Merci, Jabu, sans toi je n'aurais jamais réussi à prendre la parole.
-Je te fais confiance, Ariane. Je sais que nous allons y arriver.
Elle hocha la tête et la lourde tenture rouge retomba derrière le dernier Chevalier. Le coeur lourd, Ariane s'empêcha de se retourner, de jeter un regard rempli de douleur et de nostalgie amère vers le Sanctuaire qui semblait brûler depuis le haut de la montagne. Tout était perdu, mais elle ne pouvait absolument pas se permettre de montrer son désespoir. Elle était le guide de la trentaine de Chevaliers qui la suivaient maintenant. Elle ne pouvait pas montrer son désarroi. Elle ne pouvait compter que sur son masque pour éviter de laisser voir son visage tiré.
D'abord s'en tirer et les mener sains et saufs vers le "refuge", ensuit seulement elle pourrait s'isoler et laisser éclater sa douleur.
Mais d'abord il fallait les sauver.
Le chemin jusqu'à la petite propriété secondaire que Saori avait acheté pour servir de refuge au Sanctuaire leur prit plusieurs jours, des jours épuisants et angoissants. Ils sursautaient au moindre bruit, tremblaient quand un semblant de cosmos émergeait au loin. Si bien que lorsqu'ils aperçurent les murs de la propriété, un soupir commun leur échappa, empli de soulagement et d'épuisement à la fois. Ariane n'avait pas encore réfléchi à la suite du plan. Elle avait décidé de procéder par étapes, de rejoindre le refuge, de se reposer quelques heures puis de décider ensemble de ce qu'il fallait faire.
Mais comme ils se rapprochaient de la petite propriété, ils s'immobilisèrent tous: la lumière était allumée. Quelqu'un était là et les attendait déjà. Ariane déglutit, lâcha la main de Kiki et adressa quelques signes à deux Chevaliers de confiance. Ils hochèrent la tête et tous les trois s'avancèrent discrètement vers la maison. Aucun cosmos n'était perceptible, c'étaient sans doute des simples intrus, des humains qui avaient cru bon de cambrioler cette propriété. Mais il ne fallait prendre aucun risque, hors de question d'y aller naïvement et de risquer de tout perdre en un instant.
Pile comme ils approchaient de la porte d'entrée, elle s'ouvrit. Tous trois firent un bond en arrière, prêts à se défendre s'il le fallait. Une silhouette se dressa dans l'encadrement de la porte et une voix posée s'adressa à eux:
-Nous vous attendions, Chevaliers.
Ariane ne reconnut pas immédiatement l'homme vêtu de pourpre qui leur faisait face. Mais quand une silhouette aux longs cheveux bleus mers se dressa à ses côtés, elle sentit son coeur s'arrêter avant de repartir à toute allure: elle ne parvenait pas à y croire, c'était tout bonnement impossible!
-Vous êtes…
C'était impensable, impossible… Et pourtant c'était bien Julian Solo qui se dressait devant eux, ses yeux d'habitude si brillants semblant éteints, sans doute à cause de la disparition soudaine du cosmos d'Athéna. D'une voix incroyablement calme, le Dieu des Océans s'adressa directement à eux:
-Entrez vite, nous n'avons pas une seconde à perdre.
$s$s$s$
-Je comprends…
Souffla Julian quand Ariane et Jabu eurent terminé de raconter comment le Sanctuaire était tombé. La jeune femme repoussa une mèche de cheveux derrière son oreille, soulagée que son masque dissimule encore la douleur qu'elle éprouvait. Une question lui brulait les lèvres, si bien qu'elle demanda doucement, intriguée:
-J'espère ne pas vous importuner mais pourquoi êtes-vous ici?
Julian jeta un coup d'oeil à Sorrento, assis à ses côtés:
-Quand les Chevaliers renégats sont arrivés au Sanctuaire, Saori m'a contacté, me demandant de vous venir en aide s'il devait lui arriver malheur. (Julian passa une main lasse sur son visage et se redressa légèrement dans le canapé) Je ne pensais pas que ce scénario se produirait, et je ne pense pas que je pourrai vous aider longtemps.
Assise en face de lui et entourée de plusieurs Chevaliers d'Argent et de Bronze, ceux qui avaient le plus d'expérience parmi tous les survivants, Ariane hocha la tête. Tous avaient eu le temps de se rafraichir rapidement, de se charger, et les autres rescapés dormaient à l'étage, profitant enfin d'un repos bien mérité. Seul Kiki avait refusé de la quitter, et il dormait maintenant contre elle, enveloppé dans la longue écharpe rouge de son maître.
Emmitouflée dans un épais pull, incapable de se réchauffer malgré la température de la pièce, Ariane frissonna et inclina le buste:
-Je vous remercie de nous venir en aide, seigneur Poseidon.
-Je vous en prie, Chevalier, Poseidon seul n'aurait jamais accepté cette requête. Appelez-moi donc Julian.
Sorrento hocha la tête, le visage incroyablement sérieux:
-Reposez-vous ici tant que vous le pouvez, l'endroit ne sera pas éternellement sûr. Vous devez tout de suite penser à un plan de secours.
Immédiatement, tous se tournèrent vers Ariane, vers celle que Marine et Shaina avaient désignée comme leur guide. Elle avait l'impression d'étouffer, que le poids du monde pesait sur ses épaules. Elle n'arrivait plus à respirer. Mais elle ne pouvait pas fléchir, pas encore, pas tout de suite, encore un peu de patience:
-Je crois qu'il faut nous séparer… Nous ne serons pas en sécurité si nous restons groupés.
-Mais si nous restons ensemble nous pourrons…
-Nous risquerons alors d'être attaqués et d'être tous décimés. Si nous nous séparons et continuons de cacher notre cosmos, il y aura toujours au moins une personne en sécurité, à l'autre bout du monde. Il faut toujours que quelqu'un puisse reprendre le flambeau et pour cela il faut se disperser dans le monde entier.
Expliqua-t-elle sans parvenir à regarder Jabu dans les yeux. Malgré tout, elle fut soulagée lorsque Julian et Sorrento hochèrent la tête:
-C'est le mieux à faire, vous serez plus facilement aptes à vous occuper de la nouvelle génération et des nouveaux porteurs.
Ariane sentit son coeur se serrer douloureusement dans sa poitrine à ces mots, quand ils lui rappelèrent cruellement les lourdes pertes qu'ils venaient de subir, la personne qu'elle venait de perdre… Elle inspira profondément et se redressa:
-Il faut établir un point de ralliement pour pouvoir facilement nous rassembler lorsque… Lorsque le moment sera venu.
-Vous avez déjà une idée?
Ariane se creusa la tête, chercha un endroit en Grèce, biffa ce pays de sa tête (trop dangereux), repensa à sa terre natale et souffla:
-Il y a un château en Irlande, à Doe, dans la province d'Ulster… Il est éloigné de tout et très peu de touristes s'y rendent, je suis certaine que nous pourrions nous retrouver là-bas pour organiser la résistance. Disons tous les cinq ou dix ans?
Tous hochèrent la tête et Jabu répéta, comme pour valider le lieu:
-Va pour l'Irlande alors.
-Je crois aussi qu'il faut instaurer de nouvelles règles…
-A quoi penses-tu?
Elle hésita, avisa June, debout derrière le canapé dans lequel elle était assise, posa les yeux sur chaque femme chevalier debout dans la salle et souffla:
-Il faut abandonner le port du masque pour l'instant. (Comme tous se tendaient légèrement, elle leva la main) Ce n'est que provisoire, mais si nous nous promenons avec nos visages dissimulés de la sorte, nous serons bien trop facilement reconnaissables.
Elle savait que c'était une décision risquée, que beaucoup restaient attachés à la tradition ou refuseraient d'abandonner ce qui faisait d'elles un Chevalier à part entière. Pour une femme Chevalier, être vue sans son masque était pire que d'être vue nue. C'était un sentiment de honte inimaginable qu'il fallait surmonter. Alors, même si ce geste symbolique lui brisa le coeur, même si elle ne le faisait pas pour l'homme qu'elle avait aimé, elle porta la main à son masque, ultime rempart entre elle et les autres, et l'enleva lentement. Elle sentit Jabu se tendre à côté d'elle, vit Sorrento plisser légèrement les yeux, mais elle refusa de baisser la tête. Au contraire, elle la leva bien haut, montrant avec fierté ce visage censé rester dissimulé:
-Nous allons devoir continuer de faire des sacrifices pour survivre, et celui-ci en fait partie. Je comprendrai celles qui refuseront de suivre cette règle, ce n'est pas à moi de vous dicter votre conduite, j'exprime simplement une idée pour nous préserver.
Un long silence s'installa, puis June porta une main ferme à son propre visage et ôta son masque, posant une main rassurante sur l'épaule d'Ariane:
-Je sais que tu as raison.
Consciente que son masque ne la protégeait plus de ses émotions, Ariane se mordit la joue et lui adressa un signe de remerciement tandis que, une à une, les femmes présentes ôtaient les leurs, dévoilaient leur plus grand secret, surmontaient la plus grande honte de leur sexe en tant que Chevaliers. Elle fut incroyablement reconnaissante envers les hommes Chevaliers qui ne baissèrent pas les yeux sans pour autant en profiter pour les dévisager avec curiosité ou envie. Ils les considéraient déjà comme des soeurs d'armes, et ils comprenaient quel sacrifice elles venaient de réaliser. Prenant son courage à deux mains et les remerciant du regard, Ariane reprit:
-Il faut aussi élire un nouveau Pope, nous ne nous en sortirons pas sans chef spirituel.
Un nouveau long silence plana sur eux, lourd, pesant, et la jeune femme sentit un noeud se serrer dans son ventre quand Jabu esquissa un sourire:
-Je crois qu'un vote ne sera pas nécéssaire: nous sommes tous avec toi, Ariane.
Elle eut l'impression que le ciel lui tombait sur la tête, que le monde s'effondrait autour d'elle. Non, non non non tout sauf ça, pitié! Tout sauf être un personnage aussi important, obligé de rester digne en toute circonstance, responsable des autres, de leur survie mais aussi de leur pertes, de leur sacrifices,… Elle ne pouvait pas, elle ne saurait pas le supporter:
-Je ne peux pas, je suis une…
-Tu as dit toi-même qu'il fallait instaurer de nouvelles règles, je pense que personne n'y voit d'inconvénients. C'est toi qui nous a guidés jusqu'ici, en sécurité. C'est à toi que Marine et Shaina ont fait confiance, c'est à toi de passer le flambeau. (Il lui adressa un sourire encourageant) Nous serons avec toi pour t'aider, alors acceptes-tu de devenir notre Pope?
Tous hochèrent la tête et poussèrent des soupirs d'encouragement. Tous étaient d'accord, tous attendaient qu'elle réponde positivement et leur donne des ordres, des conseils. Tous comptaient sur elle pour les guider à travers ce cauchemar, cette véritable dystopie qu'aucun d'entre eux n'avait jamais réellement envisagé.
Ariane avait l'impression qu'elle ne savait plus respirer, que l'angoisse l'empêchait de répondre, de refuser ou même d'accepter. Elle ne voulait pas, elle ne pouvait pas. Elle était incapable d'être le chef fort et puissant dont ils avaient tous besoin. Elle était incapable de réaliser cette tâche. Elle ne pouvait pas accepter. Inconscient de son trouble, Julian adressa un hochement de la tête à Sorrento qui se leva et quitta la pièce pour revenir un instant après, portant cérémonieusement dans ses mains un lourd casque rouge. Tous retinrent leur souffle en reconnaissant le casque du Pope, le casque qui transmettait tous les savoirs des Popes précédents, les règles à suivre, les choses à faire pour surveiller la nouvelle génération de Chevaliers, repérer les futurs Chevaliers d'Or… Après tout, le casque du Pope se comportait réellement comme une armure, avec une âme, une conscience, des souvenirs et une volonté propre. Mais comment était-il…
-Il était déjà ici lorsque nous sommes arrivés, comme s'il s'était téléporté.
Expliqua Sorrento comme pour répondre à leur question muette. Il tendit le casque à Jabu qui le considéra une courte seconde avant de le tendre lui-même à Ariane:
-Acceptes-tu de nous guider vers la victoire, Chevalier de l'Aurore?
La gorge serrée, contemplant son propre reflet dans le casque rouge qui semblait l'appeler, Ariane sentit un encouragement mental provenir de son armure - sagement rangée dans sa Pandora Box à l'étage - la pousser à accepter. Elle inspira, bloqua sa respiration une seconde et se saisit précautionneusement du casque avant de soupirer doucement. Le casque sembla luire dans ses mains, un murmure jaillit dans sa tête puis disparut, comme s'il attendait qu'elle le pose sur sa tête pour pleinement accepter son rôle. Mais elle n'était pas encore prête, pas tout de suite. Elle ferma les yeux et souffla:
-J'accepte.
Tous poussèrent un soupir soulagé et des sourires ravis étirèrent leurs lèvres épuisées, mais elle fut incapable de les imiter. Dans ses mains, le casque rayonna encore un instant, transmettant quelques consignes à la manière d'une véritable armure, si bien qu'elle ne comprit pas immédiatement que les mots qui sortaient de sa bouche étaient les siens:
-Nous partirons demain. Chacun d'entre nous doit se rendre dans un pays du monde si possible, il nous faut nous disperser et espérer être le plus proche possible des futurs Ors. J'emmènerai Kiki à Jamir, l'armure du Bélier l'y attend déjà. Les autres armures d'Or sont déjà en Irlande, certaines semblent déjà avoir trouvé leurs porteurs. Quand le moment sera venu, j'enverrai douze d'entre vous pour les entrainer, leur ouvrir la porte de notre monde. Il vous faudra les guider, les entrainer, faire d'eux les sauveurs de notre monde. Vous devrez être discrets, n'oubliez pas que nous sommes des fugitifs. Mais le moment n'est pas encore venu. (Ses yeux suivaient un parcours imaginaire, visualisant quelles armures se cachaient déjà dans quels pays) Il nous faudra être patients, prendre notre temps et ne pas se précipiter.
-Mais comment pourrons-nous les entrainer? Personne ne connait le moyen d'apprendre les techniques des Chevaliers d'Or.
-Le casque sait. Moi je sais. Et quand le moment sera venu de choisir un maître pour ces enfants, je transmettrai ce savoir aux douze Chevaliers qui accepteront de les guider.
Un assentiment commun leur fit hocher la tête, puis Ariane ferma les yeux un instant avant de les rouvrir et de se lever, un léger sourire rassurant sur les lèvres:
-Allons nous reposer, nous devrons partir tôt demain.
Ils acquiescèrent, obéissants, respectueux, et Jabu fut le dernier à quitter la pièce, portant Kiki dans ses bras. Ariane se retrouva seule dans la pièce. Seule avec Julian Solo et Sorrento. Le casque toujours serré dans les mains, elle s'inclina longuement, forçant sur sa voix pour l'empêcher de trembler d'émotion:
-Je ne saurai jamais assez vous remercier pour votre aide.
-C'est normal, sachez que c'est sans doute le maximum que je puisse faire: Hadès ne tardera pas à me demander de le rejoindre ou de rester neutre. Il en sera de même pour les guerriers d'Asgard. J'ai eu un contact avec la princesse Hilda et elle pense faire de même, rester neutre.
-Vous nous avez déjà énormément aidé. Je vous en remercie.
Julian lui fit signe de se rassoir de la main mais elle refusa, prétextant qu'une bonne nuit de sommeil lui ferait, à elle aussi, le plus grand bien. Mais comme elle posait la main sur la poignée de la haute porte, la voix soudain grave de Sorrento résonna dans son dos:
-Vous le savez déjà, n'est-ce pas?
Elle eut l'impression que son coeur s'arrêtait, et pourtant elle fut incapable de répondre ou de se retourner. Incapable d'accepter ce qu'elle avait refoulé pendant des semaines:
-Vous ne pouvez pas partir pour Jamir, pas avec les enfants que vous portez.
La phrase résonna comme un coup qu'on lui aurait porté. Tout devint noir autour d'elle, plus aucun son ne lui parvint, juste le froid qui se faisait de plus en plus insistant. Le froid et ces petites flammes de cosmos qui étaient nichées au creux de son ventre. Ariane souffla:
-Je ne vois pas ce que vous voulez dire.
-Ariane, vous ne pouvez nier l'évidence: entreprendre ce voyage serait risquer de les tuer. Et vous ne pouvez pas vous permettre de perdre un seul guerrier.
Elle n'arrivait plus à respirer, elle ne voyait plus que cette poignée de porte en bronze sur laquelle elle avait crispé la main:
-Je n'ai pas le choix. Je ne peux pas laisser Kiki aller seul à Jamir.
-Alors envoyez quelqu'un d'autre pour l'accompagner.
-Impossible, j'ai promis que je veillerais sur lui.
-Vous ne…
Julian se leva, interrompant posément son homme de main:
-Admettons que vous arriviez jusque Jamir sans problèmes, que ferez-vous d'eux une fois le moment venu?
Elle ne pouvait pas se retourner, elle ne pouvait pas supporter le poids de leur regard. Elle ne supporterait pas la légère pitié qu'elle y trouverait, l'inquiétude… Elle savait qu'elle ne pourrait pas les garder, qu'ils la retarderaient, l'empêcheraient d'accomplir son travail… Mais surtout, elle savait qu'en restant avec elles, ils seraient en grand danger, et elle ne pouvait pas se permettre de risquer la vie de ses enfants:
-Je veux les protéger… Les tenir loin de toute cette guerre, de ces horreurs sans noms…
-Leur père ne peut-il pas veiller sur eux?
C'était comme la poignarder à nouveau, lui rappeler qu'il n'était plus là. Qu'elle était seule au monde et qu'elle ne pourrait pas protéger ses enfants:
-Non, il ne peut pas… Il ne peut plus…
Un silence douloureux lui signifia que les deux hommes avaient compris le message, que personne ne pouvait veiller sur ces enfants dont elle ne pouvait s'occuper. Pas avec ce nouveau rôle qu'on venait de lui confier. Chevalier avant femme, Pope avant mère. Elle avait sincèrement pensé à s'en débarrasser, mais elle n'avait pas pu. Ils restaient les enfants de l'homme qu'elle avait aimé, les enfants de... Non, elle n'aurait pas pu supporter de lui faire une chose pareille. En un souffle, elle admit:
-Je ne sais pas encore ce que je ferai pour les protéger…
Julian et Sorrento échangèrent un regard, puis, d'une voix douce, le jeune homme aux yeux roses souffla:
-Et si vous nous les confiiez?
Ariane se retourna, les yeux écarquillés malgré elle:
-Je ne peux pas, je ne voudrais absolument pas vous importuner avec mes problèmes! Je… Je trouverai une solution, des amis de mes parents peut-être.
-Ceux qui vous croient morte dans cet accident d'avion?
Elle tiqua, et Sorrento fusilla son employeur du regard:
-Pardonnez-lui, il manque cruellement de tact.
-Comment…
-Ce n'est pas le moment, il faut absolument décider ce que nous allons faire avec ces enfants. Permettez-moi de vous expliquer: confiez-nous l'un des enfants, et confiez l'autre aux Polaris. Ils seront en sécurité, là où Hadès ne pourra pas les trouver ni les attaquer. De plus ils permettront de sceller cette alliance tacite entre vos troupes, les nôtres et celles d'Asgard. Qu'en pensez-vous?
Ariane s'appuya contre la porte, chercha un échappatoire et se détourna:
-Je vais y réfléchir, je vous remercie pour votre aide.
-Prenez votre temps, vous savez où trouver Hilda de Polaris et où nous trouver après tout, nous saurons bien vite si vous avez une autre solution.
Elle les remercia encore une fois, sans réellement croire à ce qui venait de se passer. Ariane hésita à monter rejoindre les autres mais elle savait qu'elle ne pourrait pas supporter leurs félicitations, leur regards remplis d'admiration et d'espoir. Elle avait besoin d'être seule. Elle sortit dans le jardin, referma la porte derrière elle et se laissa glisser sur le sol. Ariane leva la tête vers la lune qui baignait l'endroit dans une douce lumière féérique, si belle qu'elle crut que tout n'était qu'un rêve. Puis la réalité la rattrapa.
Ariane se mordit la lèvre jusqu'au sang, déposa le casque rouge sur le sol à côté d'elle, referma les bras sur ses jambes et se mit à sangloter douloureusement. A pleurer la perte du Sanctuaire et de ses soeurs d'armes, tellement plus que des amies. A pleurer leur défaite et le poids des responsabilités qui pesaient désormais sur ses épaules:
-Aide-moi… Pitié, aide-moi…
Elle enfouit son visage dans ses genoux et retint un gémissement de douleur quand elle réalisa pleinement qu'elle était seule, que jamais plus Milo ne pourrait l'aider ni la guider.
Qu'il était parti, qu'elle était seule, qu'elle ne saurait pas protéger ses enfants. Et qu'elle devrait s'en séparer pour leur bien.
Elle était seule, désespérément seule.
-Aide-moi…
Mais aucune voix ne lui répondit.
$s$s$s$
Le voyage jusque Jamir dura de nombreux mois: au vu de leur statut de fugitif, il était absolument inenvisageable de prendre le risque de prendre l'avion ou même un train. Non, il fallait absolument tout faire à pied depuis la Grèce. De plus, au vu de la situation compliquée au Tibet toujours sous domination Chinoise, ils devaient passer par des chemins peu pratiqués, connus de quelques rares initiés, qui leur permettrait de traverser la frontière et de séjourner au Tibet sans devoir rendre de comptes à personne. Accompagnés de June qui avait insisté pour leur tenir compagnie et rester avec Kiki une fois le moment venu de le laisser à Jamir, ils marchèrent pendant des semaines, des mois, avant d'enfin parvenir à la tour cachée dans les montagnes de l'Himalaya.
Quand la haute tour apparut dans leur champs de vision, Kiki supplia Ariane du regard, comme pour l'implorer de le laisser se téléporter, mais la jeune femme secoua la tête: ils devaient utiliser leur cosmos le moins possible, éviter de se faire remarquer alors que des Spectres traquaient encore les derniers rescapés du Sanctuaire. Après tout, la tour elle-même n'était peut-être pas sûre. Ils s'avancèrent prudemment puis, quand ils se furent assurés que personne ne les y attendait, les deux jeunes femmes laissèrent Kiki se ruer dans la chambre de son maître. Elles comprenaient son besoin de rester seul avec ses souvenirs, seul avec l'esprit de son mentor.
Prise de vertiges à cause de l'altitude, du manque d'oxygène et de son état, Ariane s'assit péniblement sur le tapis qui couvrait le sol en s'empêchant de grimacer. June fit mine de l'aider, de s'assurer qu'elle ne se blessait pas, mais elle leva la main pour l'arrêter: elle devait se débrouiller seule. Après tout, elle devrait repartir le lendemain matin et quand elle serait seule, il faudrait bien qu'elle puisse s'asseoir seule malgré la gêne évidente que représentait son ventre, désormais bien trop gonflé pour rester dissimulé. Hormis Julian et Sorrento, seule June était au courant, elle et Kiki, évidemment. Elle avait bien pensé à essayer de leur cacher sa grossesse, mais les mois passant, c'était devenu impossible.
Ariane s'adossa contre le mur et poussa un soupir:
-Je partirai demain matin, je dois absolument me rendre en Irlande pour faire des préparatifs au château.
June écarquilla des yeux horrifiés:
-Tu ne vas quand même pas repartir maintenant toute seule?! Pas si près du terme!
-June, je ne peux pas me permettre de rester ici à attendre que ces petits monstres daignent pointer le bout de leur nez. Je dois partir, et le plus tôt sera le mieux.
-Ariane, tu en es au bout de ton septième mois, tu ne peux pas te remettre en route. Pas avant d'avoir accouché.
Une vague de désespoir prit la jeune femme à la gorge et elle ferma les yeux pour se concentrer sur autre chose, passant malgré elle la main sur son ventre, rassurée par le mouvement contre sa paume… Rassurée et horrifiée à la fois… Qu'allait-elle bien pouvoir faire d'eux? Non, même avant ça, comment allait-elle gérer la fin de sa grossesse? Rester ici? Non, elle ne pouvait pas se permettre de perdre encore deux mois au moins ici. Elle devait absolument se montrer digne de la confiance de la trentaine de Chevaliers survivants, elle devait être digne de son nouveau rôle de Pope. Partir et risquer de perdre les bébés? Elle ne parvenait pas non plus à s'y résoudre.
-Je ne sais pas quoi faire, June… Je n'aurais jamais dû accepter ce rôle, c'est trop difficile…
Sa voix s'éteignit en un soupir, presque un sanglot bravement contenu. La jeune femme blonde lui prit doucement la main et la serra dans les siennes:
-Tu vas y arriver, tu dois juste prendre le temps de te reposer. Nous sommes en sécurité ici, les autres sont déjà en route pour leur destination, tu ne peux rien faire de plus pour l'instant. Surtout pas dans ton état.
-Si seulement ils n'étaient pas là… Je ne pourrai pas les aider, je ne pourrai jamais être là pour eux…
Murmura-t-elle d'une voix tremblante, si bien que June se pencha pour l'enlacer, la serrer contre elle, lui transmettre un peu de sa force:
-Ces enfants sont un cadeau, et je suis certaine que tu sauras faire le nécéssaire pour les protéger.
-Je n'ai jamais voulu que tout ça arrive… Je ne voulais pas mettre des enfants au monde dans un tel cauchemar…
-Ce n'est pas ta faute, Ariane. Tout va bien, tout ira bien, nous allons réfléchir à une solution ensemble.
Ariane ferma les yeux et referma les bras sur son amie, retenant bravement les larmes de dépit qui menaçaient de s'échapper de ses paupières. Son dos l'élança légèrement, douleur se répercutant sur son sternum et sur les cicatrices qui s'y dessinaient désormais, mais elle parvint à souffler, consciente qu'elle était incapable de repartir dans son état:
-Merci…
$s$s$s$
Six mois plus tard…
Hilda referma la lourde tenture rouge de la chambre et esquissa un sourire en entendant sa soeur s'extasier devant le berceau du bébé que le nouveau Pope du Sanctuaire leur avait déposé quelques heures auparavant. Elle se pencha à son tour sur le berceau, un léger sourire attendri sur les lèvres face au bonheur manifeste de Freyja:
-Elle est adorable, tu ne trouves pas Hilda?
-Elle a son petit charme, je l'avoue. J'espère juste qu'elle ne criera plus comme à son arrivée.
Freyja perdit son sourire, sans cesser de délicatement caresser la joue de la petite Hélène, pas encore tout à fait assoupie ni tout à fait réveillée, les yeux encore brillants de larmes:
-La pauvre, devoir être ainsi séparée de sa mère… Elle doit le sentir…
Hilda posa une main rassurante sur l'épaule de sa soeur et la serra doucement contre elle, consciente du message de souffrance déguisé dans la voix de Freyja:
-Nous l'élèverons pour qu'elle ne manque de rien, ne t'en fais pas.
-En avons-nous le droit? Sa mère a dû terriblement souffrir de cette séparation…
-C'est son choix, sa manière de protéger ses enfants du danger du monde extérieur.
-Ses enfants? Elle en avait d'autres?
Hilda hocha doucement la tête puis souffla, si bas que Freyja faillit ne pas l'entendre:
-Il ne faudra rien lui dire, nous devons garder le secret de ses origines au moins jusqu'à ses vingt ans. Tu comprends, Frey'?
-C'est injuste, elle a le droit de savoir qui sont ses…
-Je sais, cela semble cruel, mais c'est pour la protéger.
Il y eut un léger silence, et comme Freyja ne faisait pas mine de répondre, Hilda insista:
-Promets-le moi.
La jeune femme blonde soupira et ferma les yeux, comme si elle ne pouvait pas dire une chose pareille en regardant le bébé droit dans les yeux:
-Promis…
-C'est pour son bien, je te le garantis.
-Je ne suis vraiment pas sûre que ça soit la bonne solution.
Hilda poussa un soupir:
-Ce n'est pas à nous d'en décider, nous devons juste respecter le souhait de sa mère.
Un violent coup de vent vint secouer la fenêtre de la chambre, et Freyja frissonna soudain:
-D'accord…
$s$s$s$
Sorrento entra dans le salon de la propriété Solo, et Julian se leva d'un bond:
-Alors?
L'homme de main hocha la tête, un sourire ému et attendri dessiné sur ses lèvres malgré lui, et Julian baissa les yeux vers la forme emmaillotée qu'il tenait délicatement dans ses bras: un petit garçon. Sorrento portait un petit garçon aux courts petits cheveux mauves foncés. Un sourire ému sur les lèvres, Julian souffla, comme s'il avait peur de le réveiller:
-Qu'est-ce qu'elle a dit?
-Elle nous a simplement demandé de prendre soin de lui et de ne pas lui révéler qui étaient ses parents avant ses vingt ans au plus tôt. Jamais, si possible. Elle veut le tenir éloigné de tout ça et compte sur nous pour le protéger.
Passant un bras protecteur autour des épaules de Sorrento, Julian posa son front contre le sien:
-Elle a eu raison de nous le confier, nous saurons le tenir à l'abris des Spectres et tous les autres dangers qui rodent. (Ils échangèrent un regard complice) Nous l'élèverons comme s'il était le nôtre.
Le bébé tressaillit dans son sommeil et agrippa le doigt de Sorrento par pur réflexe, comme pour bien s'assurer qu'il n'était pas seul:
-Lukas…
Son murmure tait à peine perceptible, aérien, preuve de l'angoisse soudaine de réveiller l'ange qui sommeillait dans leur bras.
$s$s$s$
Enveloppée dans sa longue robe de Pope, debout sur les murailles du château de Doe en Irlande, Ariane tint le casque rouge devant elle un long moment, observant son reflet, jugeant du regard cette mère indigne qui avait choisi d'abandonner ses enfants pour privilégier son rôle de Chevalier. Un coup de vent secoua les lourdes manches de la robe sombre, firent tinter les colliers contre sa poitrine, voler ses cheveux dans son dos. Elle inspira profondément, ferma les yeux et, encouragée par les murmures combinés de son armure et du casque, elle le posa enfin sur sa tête.
Le savoir des précédents Popes se glissèrent dans son cerveau, lui dévoilèrent des techniques secrètes, sur les attaques des Chevaliers qu'il fallait encore trouver dans le monde entier, sur les Guerres Saintes précédentes,… Ariane rouvrit les yeux, les sourcils froncés par la détermination.
La résistance pouvait enfin commencer.
Et voilà! J'espère que ce (long) prologue vous aura plu et vous donne un tant soi peu envie de lire la suite ^^ On se retrouve bientôt avec le premier chapitre (je pense reprendre le rythme d'un chapitre par mois maximum), et la rencontre avec les personnages principaux de cette histoire! J'espère qu'ils vous plairont!
A bientôt!
