Un soleil brûlant planait au-dessus de l'école de sorcellerie Poudlard. Silencieuse – comme toujours, pendant les vacances d'été –, elle affichait toujours de hautes tours pointues et surplombait un lac très profond. Ses hauts remparts englobaient même la forêt interdite, dont la lisière avait, pour première et immédiate voisine, la maisonnette de Rubeus Hagrid, le garde-chasse, qui s'affairait justement dans le potager accolé à son domicile. Deux fois plus grand que n'importe quel homme, cinq fois plus large, aussi barbu et hirsute que ses cheveux emmêlés étaient noirs comme ses yeux brillants, le demi-géant faisait l'inventaire de tout ce qu'il pourrait fournir aux cuisines de Poudlard pour la prochaine rentrée. Il ne savait pas très bien écrire, mais il savait lire – et le professeur Dumbledore, comme chaque année, lui fournissait une liste pour répertorier les légumes qui seraient disponibles pour le banquet du 1er septembre, jour où les élèves reviendraient. Hagrid en profitait d'ailleurs pour arroser les plants, que la canicule menaçait de tuer, selon les instructions annotées par le professeur Chourave. Il était lui-même bon jardinier, mais l'avis d'une experte en botanique ne se refusait pas.
̶ Artichauts, navets, blettes, carottes, choux, céleris, aubergines, pommes de terre, ce sera OK, dit-il, rayant chacun des légumes cités. Les potirons…
Il fut tiré de ses réflexions orales en entendant le martèlement de sabots et se tourna vers la lisière de la forêt interdite, de laquelle surgit quelques secondes plus tard un vieux centaure. Les cheveux gris de l'être magique, mi-homme, mi-cheval, contrastaient formidablement avec sa robe noire de jais et son teint mat. De dos, il eût été impossible de le croire si vieux, et pourtant son visage s'était parcheminé au fil des années – et Hagrid savait de quoi il parlait, car lui-même était encore élève quand il avait rencontré Rovan pour la première fois.
Ce fut toutefois autre chose qui l'interpella : depuis qu'il le connaissait, Rovan n'était jamais sorti de la forêt. Aussi sa visite eut le don d'inquiéter le garde-chasse.
̶ Que se passe-t-il ?
̶ Je l'ignore, répondit le centaure. Les étoiles ont murmuré qu'un plein sera prochainement vidé d'un plein qu'il videra, et tous deux seront alors vides dans leur plénitude.
Hagrid réprima un grognement. Il détestait les interprétations célestes de Rovan et de son peuple.
̶ Mais aussi qu'ils tomberont du ciel.
Le demi-géant cilla.
̶ Du ciel ?!
̶ En effet. Si je suis venu te prévenir, Rubeus, c'est parce que c'est toi qui les trouveras dès que tu en auras fini avec ton inventaire. J'ignore si ce sera dans le jardin, dans ta cabane ou quand tu iras vers le château pour le prochain repas, mais les étoiles ont dit que seul le détenteur de la bonté et de la force saurait épargner au Premier Vide de se briser.
En temps normal, Hagrid aurait été flatté d'être qualifié de « détenteur de la bonté et de la force », ce qui l'aurait pas mal embarrassé aussi, mais l'avertissement de Rovan le tracassait. Le vieux centaure, il le savait mieux que quiconque, ne se trompait jamais et surclassait la plupart de ses semblables dans la lecture des étoiles – raison pour laquelle il enseignait l'astrologie, d'ailleurs.
̶ J'ai presque fini, dit le garde-chasse en regardant son potager. Si je comprends bien, je dois guetter le ciel dans chacun de mes déplacements, c'est ça ?
̶ C'est ce que les astres ont prophétisé. Une dernière chose, Rubeus, mais je ne suis sûr de rien en ce qui la concerne : la vieillesse qui n'est pas née viendra remplir le Premier Vide. Si j'arrive pour t'en parler aussi tardivement, c'est parce que je n'ai pas pu tout lire de ce que les étoiles annonçaient et ai dû réfléchir à leur interprétation, mais il a été fait référence à l'hospitalité d'Albus.
̶ Ca fait un peu trop à mémoriser…
Il retourna le parchemin dressant la liste de l'inventaire et l'apposa contre la barrière devant laquelle se tenait Rovan. Hagrid recopia les mots du centaure sans se soucier des fautes qu'il faisait, écrivant à toute vitesse pour que son cerveau n'ait pas le temps de se mélanger les pinceaux. Puis il se redressa et s'aperçut que Rovan était déjà reparti. Celui-là, je vous jure ! soupira mentalement le garde-chasse.
C'était une situation assez irritante – excitante, mais contrariante : Hagrid en savait beaucoup tout en ne sachant pas grand-chose, sinon qu'il aurait un rôle important à jouer dans quelques minutes. Il était difficile de se concentrer sur son inventaire, tant le ciel l'obsédait, tant il voulait se montrer digne d'un titre de « détenteur de la bonté et de la force ». Il ne comprenait rien à cette histoire de Premier Vide et de « vieillesse qui n'est jamais née », ni à celle allusion à l'hospitalité du professeur Dumbledore, mais peut-être y verrait-il plus clair quand les évènements annoncés par Rovan se produiraient.
Pour l'heure, il lui fallait se concentrer. « Toute chose vient en son temps », disait son père. Et si son père le disait, c'était forcément vrai : aussi le demi-géant chassa de son esprit les avertissements de son vieil ami centaure et reporta toute son attention sur le potager, non sans jeter de temps en temps un œil au ciel. Mais il ne se passa rien, pas même lorsqu'il rentra dans sa maisonnette après avoir posé à côté du palier son arrosoir.
L'endroit ne comportait qu'une seule pièce officiant à la fois de salon, de cuisine et de chambre. Un grand lit à la couverture en patchwork, une table de bois brut et assez de meubles pour cuisiner, étaient tout ce dont il avait besoin. Même les faisans accrochés au plafond, il aurait pu s'en passer, quant à la salle de bains, le château n'en manquait pas. La seule chose réellement précieuse qu'il avait, c'était un parapluie rose qui contenait sa vieille baguette magique brisée injustement.
Hagrid traversa sa cabane, saisit son parapluie et sortit par la porte de devant en rangeant sa liste des légumes dans une poche de sa chemise à carreaux – il faisait beaucoup trop chaud, y compris pour lui, pour qu'il se promène avec son long manteau en peau de taupe. Et alors qu'il refermait le panneau, le ciel redevint subitement l'objet de toutes ses attentions. Même s'il n'était pas dans la nature de Rovan, comme de ses congénères, de se montrer clair dans leurs prophéties, le vieux centaure ne lésinait qu'à de très rares occasions sur les détails – autant dire que, quoi que fût ce Premier Vide, il y avait de très fortes chances pour que ce ne fût pas quelque chose de très banal.
Le garde-chasse prit la direction du château, scrutant la voûte céleste. Peut-être aurait-il dû envoyer, dès qu'il était rentré dans sa maison, un message écrit au professeur Dumbledore pour le prévenir d'un évènement prochain. Peut-être que le directeur aurait su interpréter mieux que lui les propos de Rovan. Une autre chose dite par le centaure le travaillait : il avait de la force, bien sûr, mais si un truc tombait du ciel, même lui ne saurait la réceptionner sans en perdre ses bras… A moins que…
Hagrid s'arrêta soudainement, cogitant à toute vitesse. Il connaissait assez bien les centaures pour ne pas tomber dans le piège : le ciel ne désignait pas forcément cette gigantesque étendue bleue le jour, et noire la nuit : il s'agissait également de tout ce qui se trouvait au-dessus de soi. Autrement dit, s'il était en mesure d'éviter au Premier Vide de se briser, cela voulait dire qu'il ne chuterait pas littéralement du ciel, mais d'une hauteur supérieure à celle que le garde-chasse pouvait atteindre, même en se hissant sur la pointe des pieds.
Ce fut, tout au moins, la conclusion que le demi-géant tira de son analyse de la prophétie de Rovan – et il cessa aussitôt de contempler le ciel, fouillant du regard le vide qui le dominait : l'espace au-dessus du lac, au niveau des étages du château, au-dessus de sa cabane, la cime des arbres de la forêt interdite, les toits des serres, le sommet du Saule cogneur…
̶ C'est un truc à te rendre fou… marmonna-t-il en tournant la tête, exécutant des tours sur lui-même, le regard à l'affût.
Au moment où il posa le pied sur la première marche du large escalier de pierre, le « ciel » tonna en se déchirant dans un grand éclair de lumière violacé, et Hagrid sursauta en faisant volte-face, levant les yeux vers un spectacle assez angoissant : au niveau du quatrième étage, une silhouette venait de surgir de nulle part, une espèce de boule en cristal de la taille d'un Souafle chutant avec lui.
Le garde-chasse se précipita sans réfléchir, comme si son corps avait été possédé. Pas l'attraper ! Il ne faut pas que je l'attrape : je dois l'accueillir ! L'accueillir ! répéta une petite voix dans sa tête. Et le demi-géant, s'exécutant, tendit les bras pour accompagner « l'atterrissage » avec douceur, ralentissant la chute de la personne progressivement en faisant jouer ses puissants muscles, tandis que la globe qui accompagnait le Premier Vide s'écrasait lourdement juste à côté, sans même se fêler, creusant un trou dans le sol de l'allée de graviers blancs, comme s'il avait s'agi d'un boulet de canon.
Mais Hagrid ne prêta aucune attention à l'objet, déconcerté. Ces cheveux noirs de jais ébouriffés, ce visage anguleux, ces lunettes rondes…
̶ Ja…
Non, se dit-il aussitôt. Ce n'était certainement pas James Potter, réalisa le garde-chasse dès que son regard se posa sur l'étrange cicatrice en forme d'éclair qui barrait le front du jeune homme. Elle n'était pas récente – or, il avait croisé James, la semaine dernière, sur le Chemin de Traverse, qui faisait alors ses achats pour sa septième année. Même s'il lui ressemblait trait pour trait, ce garçon était quelqu'un d'autre. Quant à cette sphère translucide, il n'osa pas y toucher, car ne sachant à quoi il avait affaire : il se contenta donc de vérifier le pouls du jeune homme, qui paraissait plus endormi que malade.
̶ Hagrid !
Cheveux argentés aussi longs que la barbe qui lui tombait jusqu'à la taille, le professeur Dumbledore accourut, ses yeux d'un bleu électrique bondissant du garde-chasse au garçon par-dessus ses lunettes à la monture dorée en forme de demi-croissant. Sur ses talons, soufflant comme un buffle, le crâne nu et sa moustache morse aussi argentée que la chevelure et la barbe du directeur, Horace Slughorn, maître des potions de Poudlard. Il était aussi large, petit et gras que le professeur Dumbledore était fin et haut de taille.
̶ Par Merlin ! Qu'est-ce que Potter a encore fait ?! s'exclama le directeur de Serpentard. Qu'était cet éclair violet ?!
̶ Ce n'est pas James, monsieur, assura Hagrid.
Il tira la liste de l'inventaire dont le verso comportait les prédictions de Rovan.
̶ Rovan est passé me voir et m'a dit ceci, professeur, monsieur, dit le garde-chasse en tendant le petit parchemin plié en quatre à Dumbledore.
Celui-ci se saisit du papier et le consulta rapidement, le maître des potions penchant la tête pour lire, lui aussi, par-dessus le bras de son vieil ami et collègue. Puis le professeur Slughorn, les sourcils bien froncés pour exprimer toute sa perplexité, s'approcha du demi-géant.
̶ Étendez-le très doucement, Hagrid, s'il vous plaît.
Le sollicité s'exécuta, étalant très soigneusement le jeune homme sur l'allée. Le professeur Slughorn s'accroupit un peu difficilement et souleva la paupière gauche, la plus proche de sa main, du garçon – et un formidable œil vert émeraude, étrangement familier, se révéla à leurs regards, fixant le vide sans percevoir la lumière du jour, comme toute personne évanouie.
̶ Le sosie de Potter avec les yeux de Lily ?! s'étonna le maître des potions, déconcerté.
̶ Je crois, dit prudemment Dumbledore en parcourant le parchemin, que nous allons avoir bientôt un visiteur que mon « hospitalité » va amener à héberger, voire à enseigner. Afin de faire la lumière sur le jeune homme que nous avons devant nous, sans doute. Reste à savoir ce que signifie la première partie que Rovan a annoncée à Hagrid…
̶ Il faut reconnaître que c'est assez contradictoire : comment deux « pleins » peuvent se « vider », en sachant que « la vieillesse » remplira « le Premier Vide » dans sa « plénitude » ? Ca ne veut rien dire ! dit le professeur Slughorn.
̶ Horace, tu es plus intelligent que ça : tu sais comme moi que ce que nous pensions impossible hier ne l'est pas aujourd'hui ou ne le sera pas demain. « Tout n'est que concept », comme tu me l'as dit au moment où je t'ai reproché de t'intéresser un peu trop à la magie noire. Pour l'heure, ce jeune homme serait bien mieux installé dans un lit de l'infirmerie que sur les graviers de l'allée. Hagrid, auriez-vous l'amabilité de l'amener à Madame Pomfresh ?
̶ Bien sûr, professeur, monsieur. Mais qu'est-ce qu'on fait du globe ?
Les professeurs Dumbledore et Slughorn cillèrent.
̶ Quel globe ? demandèrent-ils d'une même voix.
̶ Celui-ci, dit le garde-chasse en pointant du doigt la sphère tombée, renonçant momentanément à se pencher sur le jeune homme pour le ramasser.
Les yeux du directeur et du maître des potions fouillèrent l'endroit désigné… et une étrange pensée s'immisça dans l'esprit du demi-géant : ils étaient incapables de le voir ! Contournant le jeune homme, Hagrid ramassa la sphère transparente en oubliant toute prudence, mais rien ne se passa, et s'approcha du professeur Dumbledore.
̶ Professeur, monsieur, vous connaissez le poids de mes mains : tendez les vôtres. Les deux, je m'en voudrais si vous vous blessiez.
Le vieux sage obtempéra, intrigué mais faisant toute confiance à son ancien élève. Et Hagrid posa la main tenant la sphère dans les paumes du directeur, qui fronça les sourcils et résista, comme s'il avait été tout à coup porteur d'une charge trop lourde pour lui. Le garde-chasse s'empressa de ramener son bras le long de son corps, craignant que le professeur Dumbledore ne se fasse mal.
̶ Vous allez bien, monsieur, professeur ? s'inquiéta Hagrid.
̶ Ne vous faites pas de souci, Hagrid : j'ai encore une certaine résistance, s'amusa le directeur. Mais, effectivement, vous portez une chose aussi lourde matériellement que magiquement. Horace, puis-je te demander de guetter toute arrivée au niveau du portail ? Comme je le disais, il est clair que nous allons recevoir la visite de cette « vieillesse qui n'est pas née ». Hagrid, je vous saurais gré d'emmener cette énigmatique personne à Madame Pomfresh pour qu'elle la surveille. De mon côté, je vais demander au département des Mystères de m'éclairer.
̶ Le département… ?! s'étonna le professeur Slughorn. Oh non, non, non, pas cette fois, Dumbledore ! Tu me dis ce que tu soupçonnes ou tu m'augmentes de 500 Gallions ! En plus, même si Callum vient te supplier de l'aider chaque fois qu'il est dans une impasse, je doute qu'il ait la gratitude pour t'ouvrir les portes du département des Mystères ! Alors ? intima-t-il d'un ton impérieux.
̶ Je n'en sais encore rien. Hagrid, l'orbe que vous tenez a-t-il des inscriptions ? Pourriez-vous aussi me dire ses dimensions ?
̶ Il est à peine plus gros qu'un Souafle, professeur, monsieur. On dirait juste une boule de cristal, en réalité, mais…
En y regardant de plus près, la surface du globe comportait effectivement des inscriptions, assez peu profondes, d'ailleurs, comme si l'artiste qui les avait taillées avait essayé de les rendre discrètes, voire invisibles, autant que faire se put
̶ Il y a… dit lentement le garde-chasse en passant son doigt sur les entailles bien ordonnées pour en identifier les formes. On dirait des hiéroglyphes… Il y a une gravure qui ressemble à un oiseau… Un ibis ou une cigogne, peut-être. Et un autre… on dirait un cartouche… Vous savez, les espèces de ronds pas très ronds qui encerclent les noms importants…
̶ Nous savons ce qu'est un cartouche, Hagrid, répondit le professeur Dumbledore en souriant, mais il est très aimable de votre part de nous le rappeler. Finalement, je vais plutôt aller voir Millicent. Si ce globe comporte des hiéroglyphes, nous allons avoir besoin du département de la coopération internationale si nous voulons élucider le mystère de l'apparition spectaculaire de ce jeune homme. Hagrid, amenez-le à l'infirmerie. Horace, tu t'occupes de « la vieillesse qui n'est pas née ». Si Minerva rentre avant mon retour, demande-lui de voir avec Irma…
̶ Oh non, pas elle ! grommela le maître des potions.
̶ Irma connaît aussi bien que nous deux la bibliothèque. Si nous avons affaire à une malédiction ou à un enchantement de l'Égypte antique, à l'époque où les hiéroglyphes étaient d'actualité, elle seule sera capable de nous guider vers les bons livres.
̶ Le professeur Binns est expert en Histoire de la magie, non ? dit Hagrid.
̶ Cuthbert ne tolère que les faits, dit le directeur. Avérés, tronqués, fantasmés, il s'en moque tant que la majorité les valide. S'il s'était trouvé face à ce garçon, il jurerait qu'il est le fils illégitime du père de James. Quand bien même il verrait les yeux vert émeraude de cet adolescent, il réfuterait toute idée…
̶ Qu'il soit le fils de Potter et de Lily, acheva le professeur Slughorn.
̶ Car les voyages dans le temps ne sont pas « historiquement » prouvés, bien que les récits y faisant référence ne manquent pas. Horace, tu ne relâches plus ton occlumancie. Hagrid, vous êtes de nouveau mon élève dès que je reviens du ministère : je vais devoir vous apprendre à fermer votre esprit pour ne pas qu'un legilimens ébruite le potentiel secret de notre... invité. Nos invités, plus exactement. Horace, vois aussi avec Filius s'il ne peut pas intervenir. Cette histoire de « plein » et de « vide » me tracasse.
Et il s'éloigna vers le portail flanqué de deux piliers surmontés de sangliers ailés, tandis que Hagrid, la sphère rangée dans une poche de son large pantalon, soulevait aisément le jeune homme inconscient en s'étonnant encore une fois aussi bien de la forme de sa cicatrice que sa ressemblance frappante avec James Potter. Était-ce réellement possible qu'il fut le fils de ce trouble-paix et de cette si charmante et impressionnante jeune femme ? Il était vrai que James s'était passablement calmé tout au long de cette dernière année – sa sixième de scolarité –, mais quand même… L'imaginer avoir un enfant de Lily ?!
̶ Professeur Slughorn, quelle potion dois-je suggérer à Madame Pomfresh, selon vous ?
̶ Hein ? Ah ?! Bonne question ! Une solution de Force, sans doute. Un philtre d'Apaisement, car on ne sait pas comment il va réagir en se réveillant. Albus dit vrai : cette histoire de « pleins » devenant « vides » tout en étant « vides » dans leur « plénitude », c'est un peu trop tordu… Si ce garçon est le fils de Lily, alors…
̶ Des tartes à la mélasse et des bonbons à la sève de pin ou à la rose, dit Hagrid.
̶ Mon cher ami, quand nous aurons prouvé votre innocence dans le meurtre Mimi Geignarde, je vais me faire un plaisir de vous faire regretter de connaître Lily aussi bien que moi quand vous reviendrez participer à mes cours !
̶ J'en serai honoré, professeur.
Il salua le maître des potions et emporta le corps inerte mais bien vivant du jeune homme. Il monta – enfin – le large escalier de pierre tout en observant le visage paisible du garçon. Et plus il le regardait, et plus il était convaincu que les professeurs Dumbledore et Slughorn avaient visé juste : il y avait une douceur typiquement « lilyesque », mais aussi le fort caractère de ses parents chez cet adolescent. Une espèce de fusion parfaite de Lily et James dormait dans ses bras, tandis qu'il franchissait les immenses portes de chêne massif du château.
Alignés par paires de chaque côté de l'entrée, les sabliers comptabilisant les points accumulés par la moindre maison s'affichaient sous la forme de pierres précieuses. Émeraudes à Serpentard, rubis pour Gryffondor, l'or était à Poufsouffle, et le saphir représentait Serdaigle. Mais toutes les pierres étaient à l'heure actuelle, contenues dans les parties supérieures des sabliers, attendant avec patience que la « guerre » de la Coupe des Quatre Maisons explose à nouveau. Il fallait reconnaître que la « bataille » ne s'était rarement avérée aussi serrée – et Hagrid savait de quoi il parlait.
Mais il n'y pensa plus, traversant à toutes jambes le hall d'entrée du château au plafond très haut – et que l'on n'apercevait plus à la nuit tombée. Il passa devant les hautes portes menant à la Grande Salle, se ficha royalement des panneaux donnant respectivement aux sous-sols d'une part, et aux cuisines et à la salle commune de Poufsouffle d'autre part. Il se concentra sur sa mission : emmener Sosie-James à l'infirmerie, et grimpa donc l'escalier de marbre aux rampes d'or aussi vite qu'il le put.
Il accéda au Grand Escalier, sans se soucier des innombrables portraits qui l'observèrent ou firent un commentaire, puis il atteignit le quatrième étage et allongea le pas. Traversant les couloirs, il ouvrit les portes de l'infirmerie d'un grand coup d'épaule et déposa l'adolescent sur le premier lit au moment où, surgissant de son bureau avec son air sévère, Madame Pomfresh s'apprêta à lui faire un reproche avant de se raviser, stupéfaite par la présence de…
̶ Potter ?! s'étonna-t-elle.
̶ Non, M'dame Pomfresh. Il lui ressemble, mais ce n'est pas lui. Le professeur Slughorn suggère une solution de Force et un philtre d'Apaisement. Il faut que je passe par les cuisines pour lui préparer une belle assiette… et il faudra demander au professeur Flitwick, quand il sera de retour, s'il peut jeter un œil à ce garçon… Je crois que c'est tout.
̶ C'est déjà bien assez ! répliqua l'infirmière en se penchant sur le jeune homme pour l'examiner.
Elle souleva à son tour l'une des paupières du garçon et resta bouche bée.
̶ Ce vert… Soit l'amour de Potter a viré à une obsession malsaine, soit…
Madame Pomfresh fixa Hagrid, qui se ratatina sur place mais resta stupéfait qu'elle ait accepté une telle théorie en à peine quelques secondes.
̶ Vous plaisantez ?!
̶ Les professeurs Dumbledore et Slughorn ne rejettent pas cette éventualité, dit timidement le garde-chasse. Mais nous n'en savons pas encore assez. Le directeur est parti pour le ministère afin d'obtenir un soutien et le professeur Slughorn attend quelqu'un qui doit arriver… même si on ne sait pas quand, ni qui.
L'infirmière baissa son regard sur le jeune homme.
̶ Cet éclair violet que j'ai cru apercevoir…
̶ A été provoqué par son apparition, confirma Hagrid. Je l'ai rattrapé à temps, mais je ne sais pas s'il a été vraiment épargné : il a quand même surgi au niveau du quatrième étage. Ca fait une sacrée chute, mine de rien !
̶ Ne vous en faites pas à ce sujet, dit Madame Pomfresh en auscultant bras, jambes, dos, nuque, torse et pieds du jeune homme. Ce garçon est intact. Hagrid, vous avez parlez de Force et d'Apaisement ?
̶ Oui, M'dame.
La sorcière au tempérament de feu se précipita dans son bureau pour en revenir avec trois – trois ?! – bouteilles. Un liquide bleu, un liquide assez peu ragoûtant mais efficace, et un autre d'un intense gris quasi-argenté. La dernière fiole ne manqua pas de susciter la curiosité de Hagrid.
̶ Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il en désignant le flacon à la mixture grisâtre.
̶ Une solution de Restriction. Horace est un potionniste remarquable, je ne dirai jamais le contraire, mais ses connaissances en soins sont plutôt déplorables. Si nous faisions boire une solution de Force à ce jeune homme dès son réveil, nous pourrions être en danger, car nous ne savons comment il réagira – et le philtre d'Apaisement met une heure avant d'agir. On va donc commencer par la Restriction afin de minimiser ses pouvoirs, puisque nous ne savons pas de quoi il est capable. Et vous allez devoir être mon assistant, pour le coup, car vous êtes sans doute la personne la plus forte physiquement de l'éco…
La porte s'ouvrit à la volée sur une femme sans âge. Elle avait de grands yeux chocolat, flamboyants d'une inquiétude profonde qui ne s'évanouit qu'à la vue du jeune homme, et ses longs cheveux bruns, lisses et attachés en queue-de-cheval, se parsemaient autant de fils gris que son visage étaient sillonnés de rides discrètes. Elle n'était pas bien grande, mais il émanait d'elle quelque chose d'étrange, comme si toute sa personnalité autoritaire, bienveillante, volontaire, aimante ne pouvait être contenue dans son corps et en débordait donc pour se répandre autour d'elle. Hagrid, quand elle passa devant lui pour se précipiter sur le garçon, eut la curieuse impression de voir le professeur McGonagall en cette femme – en tout cas, ce qui émanait de cette femme ne manquait pas de lui rappeler la directrice de Gryffondor, et l'impression s'intensifia dès qu'elle ouvrit la bouche :
̶ Comment va-t-il ? demanda-t-elle d'un poli qui ne masquait en rien son tempérament autoritaire.
̶ Physiquement, il est au top de sa forme, répondit Madame Pomfresh après avoir échangé un rapide coup d'œil avec le maître des potions qui l'encouragea à répondre d'un hochement de tête. Après, il va falloir attendre qu'il se réveille…
̶ Bien.
Et la « vieillesse qui n'est pas née » gifla violemment le jeune homme sans parvenir à le réveiller, ce qui n'était clairement pas son but.
̶ Mais qu'est-ce que vous faites ?! s'indigna l'infirmière.
̶ Je me venge. Ca lui apprendra à partir à l'aventure en nous laissant derrière pour nous protéger, une fois encore. Rappelez-moi de lui en coller une quand il sera réveillé, d'ailleurs. Une seule gifle ne sera pas suffisante pour que je lui pardonne.
̶ Ce que vous appelez « aventure » semble être plutôt un « danger mortel »…
̶ Faites-moi confiance : dès sa naissance, Harry savait mieux que personne comment s'attirer tout un tas de menaces mortelles à son insu et les surmonter les unes après les autres. Qui dit « danger mortel » résonnera comme « aventure palpitante » pour cet idiot.
̶ Oho ! s'exclama le professeur Slughorn, réjoui. Il s'appelle donc Harry James Potter ?!
La femme capta instantanément le piège tendu par le maître des potions pour vérifier leur hypothèse, au professeur Dumbledore, à Madame Pomfresh et à lui-même, mais elle ne parut guère étonnée qu'ils l'aient tous trois envisagée. Elle se contenta de sourire d'un air attristé.
̶ Plus maintenant, j'en ai bien peur. Navrée, mais je déteste me répéter, alors je préfère attendre que le professeur Dumbledore soit de retour pour tout déballer d'une traite. Ce que je peux vous dire, c'est que Harry doit absolument être intégré à votre époque, car je ne peux pas le ramener à la nôtre… Je ne suis même pas sûre que je puisse y retourner moi-même, en fait… Il nous a fallu trente-six ans pour trouver où il avait atterri…
̶ Trente… ?! s'exclama Madame Pomfresh. Mais ce garçon n'a même pas dix-huit ans !
̶ Seulement en apparence. Vous avez sous les yeux un ancien chef du Bureau des Aurors à la retraite qui s'est élevé au rang de légende, plus qu'Alastor Maugrey lui-même, bien qu'il n'eut pas encore épousé cette carrière quand il devint déjà un héros mythique en vainquant Lord Voldemort.
̶ Il a… ?! s'étonnèrent l'infirmière, le professeur Slughorn et Hagrid.
Leur incrédulité ne leur permit même pas de frissonner en entendant le nom du Mage noir.
̶ Je vous en dirai plus quand Albus sera revenu, dit la sorcière. Mais au fait, à part vous trois et lui, il y a combien de personnes au courant de sa présence ici ?
̶ Aucune, répondit le maître des potions. Minerva, Filius, Aurora, Septimus – ils sont tous soit sortis, soit partis en vacances. Il n'y a que Cuthbert de présent, mais ça m'étonnerait qu'il ait remarqué l'éclair violet qui a fait apparaître Harry dans Poudlard.
̶ Tant mieux. Moins de témoins et mieux ce sera.
Elle réfléchit, se frottant un œil comme si son voyage dans le temps l'avait quelque peu fatiguée.
̶ L'Ankhou-eyin… murmura-t-elle pour elle-même avant de s'intéresser aux autres. Est-ce que Harry est apparu avec une espèce de boule de cristal ?
Hagrid plongea la main dans sa poche de pantalon et en sortit la sphère, qui rétrécit et s'allégea dès que cette mystérieuse femme tendit la main. De toute évidence, elle aussi pouvait la voir et amorça des cents pas devant le lit du dénommé Harry, passant ses doigts sur les inscriptions en fronçant peu à peu les sourcils.
̶ Pourquoi Hagrid et vous êtes les seuls à la voir ? demanda le professeur Slughorn.
̶ En ce qui concerne Hagrid, je pense que c'est son métissage qui le lui permet.
Le garde-chasse se tortilla sur place, toujours mal à l'aise dès qu'on lui rappelait sa condition.
̶ Dans mon cas, c'est sans doute parce que j'ai été gravement blessée par l'Ankhou-eyin, même si je ne fais qu'émettre une théorie. Moi non plus, à mon époque, je ne pouvais pas le voir, sauf en dessin – et encore, les documents étaient si anciens que la grande majorité d'entre eux étaient illisibles. Mais la dernière fois que cet orbe a été brandi en ma présence, j'ai été très gravement blessée. Je serais morte, en vérité, si Harry et nos amis n'étaient pas venus à mon secours.
Une ombre passa sur son visage, et il fut évident que ce n'était pas d'avoir frôlé la mort qui rendait cette femme aussi sombre, brusquement. Sans nul doute que son sauvetage avait coûté la vie à certains de ses sauveurs. Mais elle parut chasser ce funeste souvenir et se concentra à nouveau sur la sphère en passant ses doigts dessus.
̶ Il n'y a pas que des hiéroglyphes… murmura-t-elle pour elle-même. Pompom, est-ce que vous avez un parchemin et une plume, s'il vous plaît ?
L'infirmière retourna en coup de vent dans son bureau pour apporter le nécessaire réclamé, ainsi que la petite bouteille d'encre trainant sur son bureau. Elle posa le tout sur la table de chevet de Harry et se recula pour laisser toute la place dont avait besoin la sorcière, qui entreprit de recopier ce qui avait été gravé sur « la boule de cristal ».
̶ Si je comprends bien, reprit le professeur Slughorn, cet orbe est une arme et Harry s'en est emparé, puis il a fait un bond dans le temps…
̶ C'est un peu plus compliqué que ça, mais je vous expliquerai tout au retour d'Albus, dit la sorcière, concentrée sur sa transcription. Par contre, je ne veux pas être grossière, mais je vais devoir donner les ordres avant que je puisse tout vous révéler. Est-ce que le poste de professeur de défense a été pourvu ?
̶ Pas encore, admit le maître des potions.
̶ Il l'est, maintenant. Horace, je vous prie d'en avertir La Gazette du sorcier. Hagrid, il va falloir une chouette aussi blanche que vous pourrez trouver chez Eeylops. Nous ne savons pas ce que cette sphère a fait à Harry, alors je préfère prendre autant de précautions que possible. Pompom, promenez-vous où vous voudrez, mais l'infirmerie est condamnée tant que je n'aurai pas parler à Harry.
̶ Vous dites ça comme s'il était dangereux, remarqua Hagrid.
̶ Très dangereux, reconnut la sorcière. Quand il combattait Voldemort, Harry se servait des sorts que nous apprenions en classes, mais face à la guerre que nous affrontons… affrontions, pardon, il a dû en apprendre d'autres, sans compter les connaissances acquises tout au long de sa carrière d'Auror. Puis il s'est passé quelque chose qui a… « réveillé », pourrait-on dire, un pouvoir assez terrifiant. Dormait-il, quelque part en lui ? Ou se l'est-il approprié accidentellement ? Personne ne le sait, pas même lui. Ses souvenirs étaient très confus et la legilimancie, la Pensine ou des potions n'ont jamais pu l'éclairer sur comment il avait obtenu ce pouvoir.
Le professeur Slughorn caressa sa moustache, observant le plafond d'un air songeur.
̶ J'ai déjà lu des histoires similaires… marmonna-t-il. Je me demande si Albus n'a pas un livre qui y fait allusion… Bien, je vais écrire à La Gazette puis j'irai jeter un œil à sa bibliothèque… Ah, puisque j'en parle ! Pompom, pourriez-vous aller demander à Irma de trouver des bouquins susceptibles d'être liés au parchemin qu'écrit… Mais j'y pense, vous nous connaissez, mais nous ignorons votre nom, très chère.
La femme s'en étonna et se détourna de son parchemin et du globe.
̶ Effectivement, admit-elle. Hermione Granger-Weasley, à votre service. Heureuse de vous revoir en vie et en bonne santé.
