Crédits : tous les personnages, à quelques exceptions près, appartiennent à Maki Murakami, nous nous contentons simplement de les emprunter.

Note : Ut fata trahunt est une locution latine et signifie littéralement « Comme les destins conduisent », que l'on peut traduire de façon plus générale par « Au gré du destin, du hasard ».


CHAPITRE PREMIER

Hors d'haleine, les joues en feu et haletant comme un poisson sorti de l'eau, Suguru déboucha dans le hall bondé de Kyôto Station, la grande gare ultramoderne de l'ancienne capitale impériale.

Il s'arrêta un court instant pour reprendre son souffle et en profita pour jeter un coup d'œil à sa montre. 9h14, son train partait dans deux minutes. Rassemblant ses forces, il réassujettit le sac de voyage qu'il portait en travers des épaules et empoigna à nouveau sa grosse valise qu'il se remit à traîner derrière lui, éreinté par son poids et le problème à la roulette qu'un comble de malchance avait fait se briser sur le rebord d'un trottoir juste avant d'arriver à la gare.

Si seulement un accident de la circulation n'avait pas ralenti le trafic ! Il avait fini par sortir du taxi et avait couru jusqu'à la gare, traînant sa valise comme on traîne sa misère, et tout ça pour rater son départ à une minute près ?

Redoublant ses efforts, Suguru se fraya un chemin vers le quai où attendait son train, louvoyant laborieusement entre les voyageurs, très nombreux en ce dernier week-end de vacances scolaires. Bien évidemment, il s'agissait du quai le plus éloigné et sa pénible progression était encore ralentie par le flot des gens qui se dirigeaient vers la sortie, après être descendus de train.

L'Hikari à destination de Tôkyô lui apparut enfin. Le jeune garçon composta son billet, tout froissé d'avoir été dans sa poche, le fourra derechef au même endroit et reprit son avancée vers le train, dont le départ était imminent.

Voiture 7. Dans un dernier effort, Suguru jeta son sac de voyage dans le petit dégagement au-dessus du marchepied et entreprit de hisser sa valise qui, à ses bras fatigués, paraissait peser des tonnes.

« Un coup de main ? »

L'adolescent releva la tête et vit devant lui un jeune homme d'une vingtaine d'années, aux longs cheveux brun-roux, revêtu d'un sweat-shirt gris et d'une paire de jeans méticuleusement déchirée. Un sac à dos était posé à ses pieds.

« Heu… Oui, merci… » haleta Suguru en essuyant ses paumes glissantes à son pantalon. Avec l'aide du jeune homme, il tira son volumineux bagage à l'intérieur du train, et pas trop tôt ; quelques secondes plus tard, les portes se refermèrent et l'Hikari démarra sans bruit.

« Je… je vous remercie…

– Oh, mais de rien. Et puis, il fallait bien dégager le passage si je voulais avoir une chance de monter dans ce train. »

Si Suguru n'avait pas déjà été écarlate à cause de l'effort, il aurait senti ses joues le brûler.

« J'ai… cumulé les pépins… avant d'arriver jusqu'ici… expliqua-t-il pour tenter de se justifier, encore essoufflé.

– Bah, l'essentiel c'est que tu y sois, pas vrai ? Au fait, tu vas t'en sortir avec ta valise ? Je peux t'aider à la monter, si tu veux », proposa le jeune homme, désignant la volée d'escaliers étroits et assez raides qui conduisaient vers la partie haute du duplex. Suguru consulta son billet. Bien évidemment, sa place était à l'étage… Il soupira.

« Ce n'est vraiment pas de refus, et merci de me le proposer. C'est très gentil à vous. »

Une fois en haut, tandis qu'il bataillait pour caser son monstre de valise dans l'espace relativement restreint et encombré réservé aux bagages volumineux, le jeune homme alla s'asseoir à sa place. Enfin débarrassé de son fardeau, Suguru donna un nouveau coup d'œil à son billet et partit à la recherche de la sienne.

« Quatre-vingt six… quatre-vingt sept… quatre-vingt huit… Oh ! »

Son siège était déjà occupé. Comble de la coïncidence, c'était le jeune homme aux cheveux longs qui y était assis. Voyant Suguru devant lui, il leva des yeux étonnés.

« Oui ? Tu… as encore besoin d'un coup de main ? demanda-t-il d'un ton mi-amusé, mi-ironique.

– Heu, non mais… Vous êtes assis à ma place. »

L'étonnement du jeune homme ne fit que croître. Il tira son billet de son sac, posé à ses pieds, et y adressa un rapide coup d'œil.

« Ah… je regrette, mais c'est bien ma place. Siège 88, voiture 6.

– Voiture 6 ? »

Une brillante rougeur couvrit les joues de Suguru.

« On… n'est pas dans la 7 ?

– Non, ici c'est la 6 », intervint la voisine du jeune homme aux cheveux longs, une grosse femme d'une soixantaine d'années qui n'avait absolument aucune envie de se lever du siège dans lequel elle était enfoncée.

« Ah, eh bien… veuillez m'excuser.

– Y'a pas de mal », répondit le jeune homme avec bonne humeur en plaçant les écouteurs de son baladeur MP3 dans ses oreilles. Un peu confus, Suguru traversa le wagon et alla s'asseoir à sa place, bien libre celle-ci.

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Arrivé à Tôkyô, près de deux heures et demie plus tard, il avait totalement chassé de son esprit l'image du jeune homme aux cheveux longs. Une existence très différente de celle qu'il avait menée jusque là l'attendait dans la capitale, et surtout une première année d'études ardue à la Tôkyô University of Fine Arts and Music. Le fait qu'il ait bénéficié d'une dérogation pour y entrer, en raison de son incroyable talent au piano, n'allait certainement pas le dispenser de travailler et même s'il mourait d'envie de faire ses preuves au sein de cette école prestigieuse, il n'en demeurait pas moins qu'il n'avait que seize ans et que la compétition allait être rude avec les étudiants plus âgés. Non qu'il en fût intimidé, d'ailleurs ; au contraire, il brûlait d'envie de montrer ce qu'il valait.

L'annonce que l'Hikari arrivait à son terminus le tira de ses pensées, et il se leva aussitôt pour aller récupérer sa valise à l'extrémité de la voiture numéro six. En passant, il ne put cependant s'empêcher de lancer un regard furtif au jeune homme qui l'avait aidé, et qui paraissait toujours absorbé par l'écoute de sa musique. Alors que le train ralentissait en entrant en gare, Suguru dégagea le bagage, qu'il avait eu tant de mal à caser dans son compartiment, et attendit l'ouverture des portes en haut des escaliers.

Cette fois, il fut en mesure de descendre ses bagages sans le secours de personne, bien que lentement, et une fois sur le quai il poussa un soupir de soulagement et recula afin de laisser sortir les voyageurs qui venaient derrière lui. Mais il buta soudain contre quelqu'un, et serait tombé si la personne ne l'avait aussitôt soutenu et remis sur ses pieds.

« Hé là ! Fais attention… » entendit-il, en même temps que des bras solides l'encerclaient et qu'un léger parfum ambré l'enveloppait. Suguru se retourna et vit que son « sauveur » n'était autre que le jeune homme aux cheveux longs, qui le regardait avec un petit sourire.

« Vivement que tu arrives à destination, on dirait ! Tu pourras te débarrasser de cette valise monstrueuse… Allez, bonne journée ! »

Il était parti avant même que le garçon ait eu le temps d'ouvrir la bouche pour le remercier. Quelque peu songeur, Suguru remonta lentement le quai jusqu'au point de rendez-vous que lui avait fixé Mika, la femme de son cousin, chez qui il devait résider en attendant de trouver un logement pour l'année universitaire.

Il a dû penser que j'étais un drôle de débile, songea-t-il. Cela dit, on aurait du mal à lui donner tort…

Le reste de la journée parut s'écouler à une vitesse incroyable, et le soir venu Suguru n'avait qu'une seule envie : se laisser tomber dans son lit et dormir, du sommeil du juste. Quand il ferma les yeux, toutefois, la fragrance ténue d'un parfum ambré se rappela à son souvenir, éveillant dans son esprit l'image fugitive d'un grand jeune homme à la chevelure brun-roux.

XXXXXXXXXX

« Sakura, ta beauté rayonne sur le monde. Accorde-moi un baiser et mon cœur, aussi léger qu'une colombe, s'envolera vers les Cieux.

– Ta gueule, Nakano. Garde ton baratin pour une de tes écervelées. Moi, ça marche pas. »

Le garçon rit et se releva en faisant mine d'épousseter son pantalon. Il reprit sa place à côté de sa camarade, une jolie jeune fille châtaine à l'air volontaire et énergique qui le regardait en coin, un sourire aux lèvres.

À cette heure de la journée, le J-Pop Café s'était considérablement vidé et ne s'y trouvait plus qu'une poignée d'habitués, principalement des adolescents qui fréquentaient le lycée voisin, Tohôku, et constituaient le gros de la clientèle du petit établissement. Une fine pluie tombait au-dehors et assombrissait la salle, donnant des reflets gris aux verres alignés derrière le comptoir. Un serveur aux cheveux teints en rose replaça quelques chaises près de l'entrée et vint s'accouder en face de ses deux clients.

« Prends exemple sur Shûichi, Nakano, dit Sakura en désignant le jeune barman.

– Quoi ? Je dois me teindre en rose ?

– Non… Mais lui au moins il est mignon.

– Shûichi, mignon. Et moi ?

– Toi, t'es lourd. Et pourquoi t'es resté aussi longtemps à Kyôto, d'abord ? On n'a pas réussi à te joindre.

– Je… »

Le garçon rougit et jeta un coup d'oeil à son meilleur ami, dont le manque de discrétion était proverbial.

Pourvu qu'il ne…

« Il a rencontré une fille ! répondit Shûichi, ravi de rejoindre la conversation.

– … ou un garçon, avoua le concerné.

– Donc tu cours plusieurs lièvres à la fois ? demanda Sakura, un brin énervée.

– Non ! Mais… tu comprends quand on me branche, je dis rarement non. Que ce soit une jolie fille… ou un joli garçon et lui… il était vraiment canon. Et puis, Princesse Sakura, il n'y a que toi dans mon cœur. Les autres ne comptent pas. »

Shûichi rit. Nakano était dans de beaux draps. Les trois amis se connaissaient depuis le collège mais en dépit de son physique avantageux, Hiroshi n'avait jamais réussi à sortir avec Sakura. Parfois, le garçon se demandait si les sentiments de son camarade étaient sincères ou pas. Il papillonnait de fleur en fleur mais poursuivait sans relâche la Fleur du cerisier.

Pourtant, la séduire était devenu un jeu, puis une habitude. Tous les trois savaient qu'il ne se passerait rien mais les tentatives de séduction d'Hiroshi Nakano étaient devenues un véritable sujet de divertissement. Au lycée, les élèves avaient même lancé des paris. C'était la dernière année des trois comparses. Nakano conclurait-il avec dame Sakura ? Les filles ne le souhaitaient pas, les garçons, si.

« De plus, noble Sakura, jamais tu n'accordes un regard au pauvre hère que je suis. Comprends que je puisse satisfaire mes appétits… charnels… avec d'autres. Tu as la douceur d'une marâtre mais toi seule pourrais consoler mon cœur esseulé… »

La jeune fille gratifia le Don Juan d'un regard interrogateur puis se remit à siroter son thé.

Avec un soupir, Nakano sortit une cigarette qu'il alluma aussitôt après l'avoir tassée. Sakura se leva et virevolta devant lui. Elle portait un cache-cœur prune moulant et une minijupe plissée fuchsia qui voleta, dévoilant un petit bout de sa culotte en coton blanc.

« Tu vois tout ça, Nakano ? »

Le garçon hocha la tête, oubliant tout à coup que sa cigarette se consumerait en entier s'il ne tirait pas dessus. Son amie était une adolescente ravissante dont les yeux bleus et le sourire éclatant faisaient tourner bien des têtes – y compris la sienne à une époque, et encore un peu parfois.

« Eh bien, j'accepte un rendez-vous avec toi si tu tiens un mois, je dis bien un mois, sans sexe ni cigarette. »

De l'autre côté du comptoir, Shûichi gloussa. Sakura était maligne ; c'était à son tour d'ennuyer Hiro. Celui-ci ne cilla pas et regarda la lycéenne mettre sa veste et prendre sa besace.

« Tu ne dis plus rien, Nakano. Tu as perdu ta langue ? C'est ça de trop s'en servir. Allez, à demain les gars. »

Elle poussa la porte du café et allait sortir quand le Casanova, enfin tiré de sa torpeur, l'interpella :

« Pas de sexe ni de cigarette pendant un mois ? Ô Reine des Neiges, comme tu es froide et cruelle ! s'écria-t-il sans reconnaître le garçon qui avait profité que la porte était ouverte pour entrer dans le café. Mais je ne t'aime pas assez pour renoncer à mes péchés », marmonna-t-il en se rasseyant.

La jeune fille rit et partit.

La silhouette frêle qui s'était faufilée alors que Sakura maintenait la porte n'avait rien raté de la déclaration et fila s'installer à la table la plus éloignée, non sans rougir. C'était le garçon du train. Visiblement, l'autre ne l'avait pas vu.

Tant mieux, c'est pas plus mal… songea-t-il.

À l'abri de la pluie qui s'était soudain mis à tomber à verse, Suguru tira des partitions de sa pochette en cuir. Il avait commencé les cours depuis deux semaines et s'en tirait plutôt bien. Son talent le préservait des moqueries qu'il aurait pu subir du fait de son âge ; de plus, sa maturité ne le désavantageait pas face à des étudiants plus vieux. Il était au même niveau que ses pairs, les problèmes sentimentaux en moins, donc des soucis en moins.

Il s'était assez vite adapté à la vie tôkyôïte. Bien sûr, il s'était plus d'une fois égaré dans le métro mais muni de son plan, il ne craignait plus rien. Enfin presque… La veille il avait raté sa station et était descendu à la suivante pour tenter de rejoindre à pied l'endroit où il aurait dû sortir. Erreur fatale. Il avait marché plus d'une heure avant de se décider à prendre un taxi.

Il sourit. Ses partitions étaient intactes. Il sortit un crayon de sa trousse et reprit ses annotations.

Shûichi lui lança un coup d'œil et soupira discrètement. Le café s'était vidé et si ce client n'était pas rentré il aurait enfin pu discuter un peu avec Hiro ; mais le boulot était le boulot et il prit la commande de ce qui semblait être un collégien. Quand il apporta le café, il ne fit pas attention à la sacoche en cuir de Suguru, qui avait glissé par terre, et s'y prit les pieds. Il perdit l'équilibre et renversa tout simplement le café sur les partitions.

« Mais ça va pas ! » hurla Suguru en se levant d'un bond.

Hiroshi se retourna pour voir ce qui se passait. Shûichi venait de renverser un café sur un client fort mécontent et se précipitait vers le comptoir pour prendre de quoi essuyer. Plus rapide, le jeune homme tira un paquet de mouchoirs en papier de son sac et entreprit d'éponger les partitions.

« C'est inconscient ! Ça aurait… »

Les réprimandes de Fujisaki restèrent en suspens. Le garçon du train l'aidait, et en plus il souriait.

« C'est son premier jour mentit Hiroshi. Il faut être indulgent, non ? »

Les papiers une fois secs, il les étudia rapidement, se représentant la mélodie dans sa tête.

« Ça a l'air très joli. C'est de toi ?

– Non. Satie », répliqua Suguru, un peu sèchement, en reprenant ses partitions d'un geste brusque.

Beau mais inculte, commenta-t-il mentalement tout en rangeant ses affaires.

« On ne se serait pas déjà vus quelque part ? demanda Hiroshi.

– Hiro ! Depuis quand tu dragues les collégiens ? » s'exclama Shûichi.

Suguru fronça les sourcils. Non seulement ses partitions étaient sales mais en plus on le prenait pour un gamin ! Qu'est-ce que c'était que ce café ?

« Non, on ne s'est jamais vus, mentit-il. Et je ne suis pas un collégien ! »

Il se leva et rassembla ses affaires à la hâte.

« Il est mignon quand il s'énerve », glissa Hiroshi à son ami.

Piqué au vif, Suguru se retourna.

« Non ! Je ne suis pas mignon non plus ! »

Il quitta le café sans attendre, préférant encore affronter la pluie plutôt que ces deux garçons manifestement débiles.

XXXXXXXXXX

Une semaine s'était écoulée depuis l'incident du café, et à présent que Suguru était plus familier avec la métropole, il s'y aventurait un peu plus fréquemment, à la recherche de magasins spécifiques. D'après son plan de la ville, Hit Import devait se trouver une rue plus loin sur la droite. Il avança de quelques dizaines de mètres et poussa un cri de victoire intérieur en apercevant l'enseigne du disquaire.

La Golden Week débutait dans deux semaines et il avait promis à sa mère et son jeune frère de leur ramener des disques d'Erik Satie à l'occasion de son retour à Kyôto pour les vacances.

Si ce boulet n'avait pas renversé son café, j'aurais pu travailler plus !

Il poussa la porte et le tintement d'une petite clochette annonça son arrivée. À la caisse était assis un quadragénaire de type occidental, vêtu comme un loubard. Suguru eut un petit frisson. La boutique ne payait pas vraiment de mine, sombre et étriquée, aux murs de béton brut. Pourtant tout le monde en parlait à la fac, même son cousin la connaissait.

Après un timide « Bonjour » qui n'obtint pas de réponse, il s'enfonça dans la longue salle privée de fenêtre et entreprit d'examiner le contenu des bacs. L'odeur de renfermé et la musique – pouvait-on vraiment qualifier ces hurlements de musique ? – lui apparurent subitement secondaires. La réputation de cette boutique n'était pas usurpée : c'était une véritable caverne aux trésors. Spécialisée dans les imports, on y trouvait aussi bien des vinyles originaux datant des décennies passées que les derniers titres des stars de la pop anglaise et allemande.

À farfouiller dans les rayons, Suguru en oublia le but de sa visite. Jetant un coup d'œil à sa montre, il bondit. Il allait être en retard ! Son cousin organisait un dîner qu'il ne pouvait pas se permettre de manquer. Il hésita un bref instant entre partir et revenir plus tard ou demander conseil à un vendeur. Il opta pour la seconde solution et chercha désespérément un employé du regard. Deux garçons discutaient quelques rayons plus loin, et au vu de leur tee-shirt noir imprimés d'un Hit Import en rouge, ils devaient être du magasin, même s'ils ne semblaient pas se soucier le moins du monde de la présence d'éventuels clients.

« Je ne suis pas d'accord ! Le remix de Korn est vraiment à chier ! Il perd l'essence même de la chanson, on ne ressent rien. Pas de désespoir, pas d'amour, pas de mal être ! L'interprétation est superficielle et sans technique.

– T'es dur, Nakano. Quand même, ils ont réussi à donner un nouveau souffle à la chanson.

– Un nouveau souffle ? Tu délires, Yué ! On dirait une chanson commerciale pour gamins sans cervelle ni aucune oreille et…

– Excusez-moi, vous êtes du magasin ? » les interrompit une voix derrière eux. Les deux vendeurs sursautèrent et se retournèrent. Le visage d'Hiroshi s'éclaira à la vue du garçon qui se tenait devant eux.

« Hé ! Monsieur Satie ! Je sais qui c'est maintenant !

– Merveilleux, répondit Suguru, ironique et aussitôt sur la défensive. Peut-être pourriez-vous me dire où je pourrais trouver des disques de lui dans cet endroit ? »

Un peu étonné par la sécheresse de son ton, mais nullement désarçonné, Hiroshi ne releva pas et le guida jusqu'à l'aile des albums classiques. Il le regarda chercher un instant puis s'enquit, charmeur :

« T'es sûr qu'on s'est jamais rencontrés avant le café ? »

D'ordinaire, il ne se serait pas permis de tutoyer un client mais ils s'étaient déjà vus, après tout. Il en aurait mis sa main à couper.

« C'est marrant, je suis certain qu'on s'est déjà croisés.

– Dans vos rêves, sûrement, grinça Suguru.

– Dans mes rêves on n'aurait pas fait que se rencontrer… » roucoula Hiroshi. Suguru piqua un fard et remercia tous les kamis de la création d'avoir enfin mis la main sur ce qu'il cherchait. Il prit vivement l'album et s'empressa de rejoindre la caisse.

« J'espère qu'on se reverra ! » gloussa Hiroshi.

Suguru se dépêcha de régler ses achats et courut presque jusqu'à la première bouche de métro. Loin de ce garçon, il respira enfin. Autour de lui, pourtant, flottait toujours cette fragrance entêtante…

À suivre…


Sakura : fleur de cerisier en japonais

Golden Week : semaine qui s'étend du 29 avril au 5 mai. La majorité des Japonais prennent des vacances pendant cette période car elle couvre 4 jours fériés sur les 7 jours de la semaine. Les écoles et les universités sont fermées et les entreprises fonctionnent avec un effectif minimal ou ferment également pour l'occasion car la plupart des employés s'en vont pour une partie ou même la totalité de la semaine.