Allongée sur la couchette, j'avais le regard fixé devant moi. Je ne regardais rien de particulier, j'étais simplement perdue dans mes pensées. Depuis mon mariage avec le sauvage, tout n'avait été que désespoir. Je ne m'étais pas mariée par amour d'ailleurs, et je me sentais trahie. Il y avait de cela quelques mois, ma mère m'avait amenée au Palais du Peuple de D'Hara et m'avait présentée. Nous étions un petit groupe de vagabonds et mon offrande au « seigneur » de ces terres devait ramener les vagabonds dans ses bonnes grâces. Son conseiller décida donc de faire d'une pierre deux coups : il me mariait au chef-sauvage de la tribu. Bien entendu, l'idée trouva racine dans le cerveau du seigneur, et évidemment, en deux trois mouvements, j'étais mariée.

Je n'ai jamais voulu cela, mais je ne me doutais pas que cela serait aussi difficile. Les premiers jours étaient les plus durs. Ce peuple était réellement étrange. Ils étaient à part, ils passaient leurs journées à cheval et obéissaient de façon aveugle à leur chef. Ce dernier n'était pas doux avec moi, il désirait simplement une descendance et vu que j'étais en âge de lui en fournir une, il ne se privait pas d'essayer. Les premiers jours, j'avais plusieurs fois pensé à m'échapper. Je ressentais une vive colère pour lui, et j'avais beau me débattre, il me maitrisait sans souci. Et puis, je me suis rendue compte que je ne pouvais rien faire pour échapper à ce qu'il m'attendait. Depuis, je m'étais résignée. Et cela faisait encore plus mal.

Une larme coula et roula le long de ma joue. Ce n'était tellement pas ce que j'avais imaginé, ce que ma mère me racontait lorsque j'étais petite, ce que j'avais lu dans les livres. C'était plus cruel, plus vil, et plus douloureux. Où était passé le prince charmant, beau, séduisant et agréable ? Celui qui avait des manières et des mains douces et non rudes. Il n'avait jamais existé, et même si c'était son image que j'avais gardé en tête les premiers jours, aujourd'hui, j'avais compris cela. Je sentis mon mari bouger à côté et je tirais la couverture sur moi, sans lui jeter un regard. Il se leva et sortit de la tente, me laissant seule. J'entendis des paroles, une langue qui m'était inconnue, et qu'ils nommaient simplement « le langage ». Même si je commençais à en saisir quelques idées, certaines notions m'échappaient. Il y avait de l'agitation. Peu m'importait en définitive. Je voulais juste qu'on me laisse tranquille. Une de mes servantes arriva et m'aida à m'habiller. Je lui demandais pourquoi. Elle me répondit qu'il allait y avoir une exécution.

Je frissonnais. Je détestais cela. Et le chef-sauvage le savait pertinemment. J'attachais mes longs cheveux blonds argentés en deux nattes que je nouais entre elles, laissant les autres mèches pendre librement. Je devais y aller, je n'avais pas le choix. Je soupirais, puis me dirigeais jusqu'à la grande tente. Beaucoup de monde était déjà arrivé et il régnait une ambiance barbare et sanglante. Je me dirigeais vers la chaise qui m'était destinée, juste à côté du sauvage. En temps normal, on procédait ainsi et une fois que le chef et la cheftaine étaient assis, le prisonnier était amené. Quelques secondes plus tard, les spectateurs s'écartèrent pour laisser passer un homme, que deux soldats trainaient nonchalamment. Je n'arrivais pas à voir son visage, ses cheveux courts noirs et bouclés le dissimulaient. Il fut jeté à nos pieds et s'écrasa par terre. Je me raidis sur mon siège. Il avait déjà été torturé comme le prouvait sa chemise noire déchirée à certains endroits et les taches de sang proliférant.

Je me crispais et agrippais le pommeau de ma chaise. Il releva la tête vers nous, tandis que le chef levait la main pour obtenir le silence. Les hommes baissèrent leurs ares et se turent progressivement. Je croisais le regard du prisonnier. Il avait des yeux noirs, et pourtant il y régnait une ardeur que je n'avais pas vue auparavant. Le Chef prononça quelques mots et je pris la parole pour traduire. « A quoi devons-nous l'honneur de votre visite, étranger ? » Il planta ses yeux dans les miens et j'eus un violent frisson. Il ne répondit rien et un garde qui se trouvait sur le côté lui envoyé son poing dans la figure. Le Chef reposa la même question, dans sa langue cette fois-ci, sans passer par moi. Voyant qu'il ne parlerait pas, le Chef se leva et le frappa avec une force décuplée, ce qui fit tomber le jeune homme à terre. De ce que je pouvais voir, ça n'était pas un paysan. Il avait une bonne épée, mais, je n'avais aucune idée de ce qu'il venait faire ici. C'était bien trop dangereux.

Le Chef prononça les mots fatidiques annonçant qu'il allait être tué. Il se retourna ensuite vers moi, revint s'asseoir et posa une main dominatrice sur ma cuisse. J'eus envie de vomir, mais je n'en fis rien, et je regardais simplement l'homme se faire emmener au loin par deux soldats. Des gouttes de sang subsistaient sur le sol, et je les fixais, alors que tous commençaient à s'éloigner. Le Chef déplaça sa main le long de ma cuisse, et je finis par implorer sa clémence pour le prisonnier. Il me répondit qu'il n'en avait que faire. J'utilisais alors une autre approche.« Laissez-moi lui parler, je peux peut-être vous donner des informations. » Le Chef s'arrêta un moment, et je m'aplatis contre le dossier de ma chaise, espérant qu'il cesse de mettre ses mains rudes sur moi. « Donnez-moi la nuit. Qu'avez-vous à perdre ? » Le Chef hocha les épaules et il se décolla de moi, me laissant mon espace vital. Je me levai, encore toute tremblante, et sortis de la tente. Qu'est-ce que tu fais, idiote ? Tu vas te faire tuer.