AVALANCHE
Six années ce sont écoulées depuis le départ d'Anna de Gènes. La jeune fille était partie s'installer en Suisse avec son père adoptif, le docteur Robson à la fin de la coupe des régions d'Italie. Le Docteur avait quitté son équipe d'Ailes de Jupiter pour les laisser entre les mains de son ami Bertini, ayant le besoin de suivre sa fille qui souhaitait quitter le pays pour des raisons intimes. Mais après toutes ces années d'éloignements pour chacun, est-ce que les cœurs battants s'unissaient encore sincèrement… ?
Chapitre 1 : Maîtrise du passé
C'était un défilé qui valait la peine de prendre du temps pour être admiré. La montagne était envahie par les fleurs colorées amenées par le printemps et ces arbres où se penchaient des fruits aux allures gouteuses. Benjamin trouvait ce spectacle merveilleux, il prit même l'initiative de prendre une photo pour se souvenir de sa première venue en Suisse.
Un rire taquin se fit entendre par son voisin. Éric se moquait de l'admiration enfantine qu'éprouvait son ami pour le paysage. Il devait pourtant s'avouer que les alentours avaient l'air magique et rêveur, un charme démesuré pour le pays qui avait été l'un des premiers à accueillir la coupe du monde de football.
Par ailleurs, c'est entièrement à ça que pensait leur camarade Cesare. Bien que le site suisse porté sa beauté, il était plus impatient de piétiner le terrain du stade de Wankdorf Bern et d'affronter les meilleurs équipes du monde en statut junior.
- Et bien, tu as un de ces sourires Benjamin… Taquine Éric
- C'est vraiment beau la Suisse… La vue des Alpes me rappelle la France… Sourit-il
- Je comprends…
- En tout cas, on aurait pu profiter des spacieux Hôtels de la ville de Berne, mais non, le coach préfère nous emmener dans un manoir de paysan ! Râle Roberto
- Tu connais Bertini, il veut toujours faire simple… Rit Benjamin
- Mouais, mais devant les autres joueurs italiens et le coach ça ne le fait pas trop, capitaine ! Argumente le râleur
Benjamin devait avouer que l'évocation de son ami tenait la route. Des Ailes de Jupiter, il ne restait qu'Éric, Roberto, Luca, Cesare, et lui-même. Le sélectionneur de l'équipe d'Italie pour la catégorie junior, avait osé choisir cinq joueurs d'une même équipe nationale pour représenter le mondial italien. Mais les tensions entre leurs entraîneurs Bertini et Monsieur Panzo, étaient à contre sens, l'un moins snobe que l'autre, et lorsque Bertini avait annoncé que leurs joueurs logeraient dans une auberge située à trente minutes de la capitale, des tensions s'étaient émises.
Toutefois, sorti de ces cabines de train devenant oppressantes, Benjamin fut encore plus envoûté par le parcours donnant vu sur un panorama exceptionnel. Puis, le capitaine de l'équipe italienne se vit bouche-bée, descendant du bus, il se sentit hypnotisé par les lieux. C'était un manoir au style du dix-huitième siècle, comprenant trois étages, la bâtisse était démontrant de charme. Située à Spiez, la demeure se retrouvait posée derrière le grand lac de Thunersee, à quelque pas des montagnes des Alpes. Benjamin ne s'était jamais sentit aussi bien dans un lieu.
- Alors les garçons, j'ai une petite surprise pour vous, surtout pour toi Benjamin ! Ricane Bertini
- Qu'est-ce que vous nous avez préparés encore ?! S'effraie Roberto
- Vous comprendrez quand le responsable de l'auberge nous aura fait l'honneur de sa présence… Fit-il d'un clin d'œil
Benjamin fut intrigué, quelle surprise pourrait les attendre en Suisse… ? Bien trop impatient de visiter l'intérieur, le capitaine fut le premier à pénétrer dans les lieux. Un long couloir se présentait à la porte d'entrée, les vestes et les clés pouvaient se poser dès lors. Quelques pas en plus effectués et Benjamin se retrouva dans un grand salon, chic, bien décoré. Canapé, fauteuil, table à manger convivial, cette pièce était fortement chaleureuse. Sur le côté droit, un long escalier menait au premier étage. Dans le fond à gauche, se trouvait une porte dérobée, menant à la cuisine qui elle-même menait dans un grand jardin, où une fontaine romanesque se posait. Revenant sur ses pas dans le salon, Benjamin se laissa envouter par une décoration en particulier qui s'accrochait à la cheminée. Un tableau, imposant, où se fusait un romain de l'ancien temps. Il était là, victorieux, le regard fier, montrant la coupe de la victoire à ses sujets.
- Il te plait ce tableau Benjamin… ?
Le jeune homme retenu sa respiration, avait-il bien reconnu la voix qui s'élançait au niveau de l'escalier. Benjamin tourna son visage, et fut abasourdi. Ému de revoir celui qu'il considérait comme un père, un ami, celui qui l'avait formé et suivi durant toute sa jeunesse en Italie, il se précipita dans les bras de son héros.
- Docteur Robson, quel bonheur de vous revoir !
- Benjamin, comme tu as grandi, tu es un très beau jeune homme dit-moi !
- Et oui, j'ai dix-huit ans maintenant !
Le Docteur Robson admira celui qu'il voyait comme son filleul. Il était devenu un homme séduisant. Physiquement, il était toujours le même, mais son allure, sa carrure et ses traits de visages avaient mûris sans parler de sa taille, il dépassait le un mètre soixante-dix le rendant encore et davantage plus beau.
Des pas se firent entendre, pressants et curieux. Mais non, les jeunes garçons n'avaient pas mal entendue, leur ancien entraîneur était bien présent. Les jeunes garçons, surtout Roberto, s'empressèrent de venir saluer le meilleur coach qu'il n'ait jamais eu. Bertini admira ce spectacle, il était certain que cette surprise serait inattendue et heureuse. L'homme vint à son tour serrer dans ses bras son vieil ami qu'il n'avait vu depuis si longtemps.
L'hôte installa ses convives sur la terrasse donnant lieu à ce jardin fleuri. Les anciens partenaires s'installèrent à une table, entre eux, pendant que les autres joueurs de l'équipe d'Italie, visitaient les environs. Le Docteur Robson ne cessait de sourire, revoir ces jeunes garçons devenus des hommes à présent, illuminait son sentiment de père. Il observait surtout Benjamin, son protégé, celui qui avait selon lui le plus changé.
Le docteur Robson se permit de demander des nouvelles de chacun et s'intéressait particulièrement au cursus de Benjamin.
Le jeune homme, après la coupe d'Italie, avait repris ces études tout en restant le capitaine de l'équipe des Ailes de Jupiter. Ils avaient tous percés avec ce groupe, recevant les éloges des professionnels et les encouragements des journalistes sportifs. Grâce à leur niveau, ils avaient tous les cinq intégrés l'équipe d'Italie, perçant jusqu'à la demi-finale lors de la coupe européenne junior. Le reste de l'équipe des ailes de Jupiter, avait migré dans différent club du pays ou d'Europe. Ce qui étonnait le Docteur Robson, c'est que Benjamin n'avait jamais eu l'ambition lui aussi de quitter l'Italie pour essayer son talent dans une autre équipe, quelle soit européenne ou mondiale. Mais lorsque l'homme posa la question, cette dernière resta confuse et sans véritable raison valable de la part de Benjamin.
- Laissez tomber chef ! Mille fois j'ai dit à mon beau-frère de partir s'expatrier en France, mais il refuse ! Argumente Éric
- Beau-frère… ? Dois-je comprends que tu es toujours avec Catherine… ? Sourit Robson
- Oui… Répond ce dernier gêné
- Même si en ce moment ça tourne au vinaigre ! Se moque Roberto
- Tu es vraiment lourd ! L'insulte Luca
- Ce n'est pas grave… Juste une dispute de couple… Sourit Benjamin
Une dispute loin d'être sans gravité. Le capitaine expliqua que l'équipe de France ne l'intéressait pas, à la grande déception de Catherine, s'étant installée dans la capitale pour appartenir au conservatoire de Paris. Benjamin n'avait pas d'intérêt pour l'équipe française, sous l'incompréhension de sa bien-aimée qui souhaiterait s'installer définitivement avec son amant. Toutefois, elle comprenait les ressentiments exutoires de joueur de football, mais ce sujet était le plus délicat et souvent source de dispute ou de conflit.
- Tu es encore jeune, mais… Il est vrai que de jouer dans un autre pays t'apporterait beaucoup… Argumente Robson
- Je sais, mais… Je n'ai pas encore eu mon coup de cœur !
- De toute façon, j'imagine qu'à la fin de son conservatoire de danse, Catherine devra elle aussi se déplacer pour des galas…
- Oui, c'est pour ça que la dispute n'a pas encore la senteur du vinaigre ! Dit-il à l'attention de son ami
Cette réflexion moqueuse attira un rire au groupe, un rire chaleureux qui avait l'odeur du passé, un sentiment agréable à humer. La conversation de divers sujets s'étala, mais depuis quelques minutes maintenant, Benjamin lui aussi aimerait poser des questions, et une en particulier. Si le Docteur Robson demeurait en ce lieu, Anna aussi. Cependant, son ancien entraîneur n'avait aucunement abordé le sujet, et la demeure ne semblait pas contenir une quelconque preuve de sa fréquentation. Mais subitement, une arrivée mit fin aux mystères du jeune homme.
- Monsieur Robson ?
- Je suis dans le jardin Rodrigue !
Un jeune homme fit son apparition sur le pas de porte. Il était grand, d'une carrure frêle, une chevelure châtain et des yeux noisette à croquer. Une peau pâle, un style vestimentaire très moderne, et une cigarette se coinçait sur sa bouche. Il devait être âgé de plus de vingt ans.
- Rodrigue, assied-toi je t'en prie !
Le jeune homme salua le groupe et prit place aux côtés du Docteur.
- Alors, je vous présente Rodrigue… Un… Ami de ma fille…
Le Docteur Robson prononça ce titre « ami » de manière intimidé et honteux. Il ne semblait pas savoir – ou ne pas vouloir – définir cette relation qui n'était point idéale pour sa fille. Mais ainsi donc, Anna était bien en Suisse.
Lors de son départ, Benjamin ignorait totalement où son amie partie, par ailleurs, elle ne l'avait aucunement informé de son déménagement, il n'en avait été informé que lorsque le Docteur Robson était venu lui faire ses au revoir. Le joueur fut surpris, ni son entraineur ni son amie ne l'avait préparé à se quitter, Robson lui avait confirmé que sa fille adoptive souhaitait quitter le pays pour son école de médecine. Cependant, jamais un lieu ni même un pays n'avait été évoqué, seul indice, ils ne quittaient pas les frontières de l'Europe. Benjamin avait eu évidement des nouvelles de part Bertini, mais jamais rien de concret, uniquement des « ils vont bien ». Aucun numéro, aucune adresse, rien, pas même une explication, même la raison semblait incertaine. Robson aimait Anna comme sa fille de sang, pour répondre à la demande conséquente d'une petite fille de seulement treize ans, la raison du départ devait être plus conséquente.
Roberto observait Benjamin. Il était le premier à devenir l'ami de cet immigrant français, et Anna fut sa première rencontre en Italie. Anna n'était pas comptée comme ces plus proches amies, mais sa compagnie était toujours agréable, son côté garçon manqué certainement. Son départ ne lui avait fait ni chaud ni froid, mais il avait senti la déchéance dans le regard de Benjamin, comme une culpabilité. De ce fait, Roberto, de son tempérament naturellement franc, osa poser la question.
- À propos de votre fille, que fait Anna maintenant… ? Sourit-il
- Ah, mais vous allez pouvoir lui poser la question vous-même, elle va passer ! Je lui ai dit que j'avais une surprise ! Dit-il fièrement
- C'est cool, ça fait si longtemps ! Se réjouit Luca
Le cœur de Benjamin rata un battement. Ainsi, il allait revoir Anna, son amie, sa meilleure amie même. Elle était celle qui l'avait accueilli en Italie, aidé, encouragé, même dans sa relation avec Catherine. Mais cette pensée ne se hâtait pas que de bons souvenirs, ce triangle amoureux n'avait jamais su se canaliser, et le jeune homme se demandait si la raison du départ d'Anna était due à sa relation avec sa belle danseuse. Certainement. Après la joie, la rancune et la peine, Benjamin éprouva maintenant de la colère. Partir, sans un mot, sans donner un sens à cette ignorance, elle avait balayait leur amitié et sous-estimé l'affection qu'il avait pour elle. Son comportement était digne d'une enfant capricieuse, qui cherchait le conflit avant l'explication. Cependant, ce comportement ressemblait bien à Anna, impulsive, têtue et espiègle, son coup de tête mature avait valu des nuits blanches à la conscience du jeune homme.
Avant de connaître le présent de son amie, Benjamin écoutait avec passion ce qu'était devenu son ancien entraineur. Il avait continué son métier de médecin, ouvrant un cabinet dans le village, puis, à sa retraite, il avait vendu le cabinet à Rodrigue, étudiant en cinquième année de médecine. Le jeune homme avait investi dans le rachat pour être certain d'un avenir en Suisse. Jeune retraité, Robson s'était renchérit dans le football et entraînait une équipe poussin de son village. Son ancien entraîneur, parrain par affinité, semblait heureux et épanouit ici, et aucun regret ne semblait éclater dans ses yeux.
- Je bavarde mais nous n'avons plus de quoi nous festoyer ! Se lève Robson
- Attends, je vais t'aider ! Le rejoint Bertini
Les deux hommes rejoignirent la cuisine, laissant les garçons entre eux. Une tension première rejoignit le groupe, ils se regardaient, se devinaient, s'affrontaient et aucun n'osaient aborder une quelconque conversation. Mais après quelques minutes de silence, insupportable pour le dynamique Roberto, il coupa court à la tension, et observant le combat de regard entre Benjamin et Rodrigue, le jeune garçon osa l'insoupçonnable.
- Dis-moi Rodrigue, je n'ai pas très bien compris ta relation avec Anna… ? Sourit-il sournoisement
- Roberto ! Râle Cesare
- Laisse, je vais répondre… Sourit-il fièrement. Je ne suis pas son petit-ami si c'est ce que tu veux comprendre !
- Pourtant j'ai senti Monsieur Robson un peu gêné à ton sujet ! Surenchérit Roberto
- Monsieur Robson sait que j'entretiens une relation étroite avec sa fille… Dit-il crachant sa fumée cigarette, provocateur
- Tu veux dire que…
- Ouais, nous sommes, comment je pourrais dire, des sex-friend !
Luca cracha sa gorgé de limonade, Éric fit tomber son coude du bord de la table, Cesare trouvait subitement le carrelage de la terrasse intéressante, quant à Roberto, une envie de rire le prit. Mais celui qui resta sans voix, ce fut Benjamin, avait-il bien entendu, et surtout, compris ?
- Je ne savais pas que les footballeurs étaient coincés ! S'amuse Rodrigue de leur réaction
- Et bien… Ce n'est pas ça… Mais… Ça nous surprend… Venant d'Anna… Souffle Luca
- Anna ne veut pas de relation sérieuse… Mais si ça peut vous rassurer, je suis le seul qui ait ce privilège ! Dit-il d'un grand sourire
- Oh, alors s'il n'y a que toi, c'est sûr c'est pardonnable ! Se moque Cesare
- Mais je ne comprends pas pourquoi ça vous surprends autant, Anna a un caractère très espiègle, vous ne trouvez pas que ça lui ressemble…
- Quoi ? D'être une garce…
Ces six mots sortirent naturellement et de manière colérique de la bouche de Benjamin. Il avoua ne pas avoir réfléchit avant de faire cette annonce, sa tête et son cœur avaient réalisé l'effet d'un big bang à l'entente de cette relation douteuse, et le jeune homme n'avait rien trouvé de plus récapitulant que ce mot, « garce ». Toutefois, c'est le comportement arrogant de cet homme, Rodrigue, qui l'avait par-dessus tout remué, étendre la vie privée de la jeune femme, sans savoir à qui il s'adressait, osait prétendre connaître Anna mieux que quiconque, et justifier son acte, ça le rendait nerveux.
- Je suis certain que ce compliment lui fera très plaisir… Sourit Rodrigue
- La ferme ! Tu n'es qu'un…
Benjamin se leva de sa chaise, précipitamment, agacé par l'allure débraillée de cet homme et son air sans scrupule, fier de sa personne. Mais alors qu'il comptait annoncer ce qu'il pensait de son âme, le joueur de football entendit s'élancer la voix de son amie, Anna, venant de la cuisine. « Je t'ai ramené un bouquet de fleur », annonçait cette dernière en chantonnant. C'était bien elle, une voix haute, mais gracieuse, sa personne énergétique et volante, une vraie bulle électrique. Assurément, il entendit des pas venir vers eux, et alors qu'il se rassoit, il la vit, enfin.
- Alors, c'était quoi… Cette… Surprise…
Ne trouvant son père dans la cuisine installant comme chaque jour des fleurs nouvelles elle s'était automatiquement dirigée sur la terrasse, son père certainement en train de jardiner. Mais alors qu'elle posa un pied en dehors, et qu'elle se questionna curieusement de cette « fameuse » surprise, la jeune fille tomba nez à nez, regard contre regard, avec celui de Benjamin. Son cœur, ne rata non pas un battement, mais fit l'effet d'une chute d'un millier de mètre, atterrissant durement, d'un bruit sourd. Ses bras se tordirent, sa bouche devint sèche, son sang se mélangea, son ventre se contracta, ses jambes devenaient flagada et sans l'intervention musclée de Bertini qui heureux la serra dans ses bras, elle se serait écroulé de chagrin, de misère.
- Anna !
- Ah !
Bertini s'était saisi de la jeune femme dans ses bras, la serrant fort, la soulevant comme une enfant et la faisait tournoyer. Il la reposa à terre et l'embrassa comme un père, heureux de non pas revoir Anna, mais de la redécouvrir.
- Mon dieu que tu es belle Anna, mais regardez-moi ça, une véritable petite femme !
- Merci…
- Devi far girare la testa agli uomini! Eh? Dit-il taquin
* Tu dois faire tomber la tête des hommes ! Hein ?
Anna se mit à rire. Bertini était toujours tellement attentionné avec elle, un véritable « tonton » italien. La jeune fille l'embrassa affectueusement et serrant ses mains, elle demanda immédiatement des nouvelles de Maria. Bertini lui affirma qu'elle se portait très bien, qu'elle l'embrassait fort et qu'elle attendait sa visite avec impatience. Anna s'émeut de cette nouvelle, bien qu'elle écrivait une fois par mois à Maria femme admirable qu'elle affectionnait comme une tante sentir que les êtres que vous aimez se languissent de vous, est une fierté chaleureuse.
Son étreinte paternelle avec Bertini rompue, Anna ne sut comment se comporter avec ses anciens camarades, et en particulier Benjamin, sans parler d'Éric, qu'elle n'avait aucunement, non seulement imaginer revoir, mais encore moins l'envie. Cependant, Roberto, son plus ancien ami, ne put laisser la jeune femme dans l'incertitude, et il fut le premier à se lever et venir l'étreindre.
- Anna, ma coéquipière préférée, comment vas-tu… ?
- Roberto ! Bien, merci…
Anna était heureuse de l'accueil de son plus vieil ami et cet élan de gentillesse l'incita à faire un effort, pour être polie et ne pas paraître affectée. Elle se dirigea alors naturellement vers Luca, qu'elle embrassa et serra dans ses bras quelque peu, puis Cesare. Arrivé devant Éric, un rire nerveux s'étouffa dans la gorge d'Anna, et Éric se leva intimidé par le rire forcée de la jeune fille, mais il l'embrassa tout de même. Nerveusement, la jeune fille, ne sachant réellement que dire, insista sur le fait que le jeune blond avait fortement grandit, atteignant les un mètre quatre-vingt. Lorsqu'il fut temps de dire bonjour à Benjamin, le jeune homme eut à peine le temps de se lever, qu'Anna se contenta d'une tape sur le bras et d'un bref et vive « salut ».
Benjamin se rassoit, vexé, ne pensant mériter un tel accueil glacial. Anna se dirigea vers son père qu'elle embrassa et s'installa entre lui et Rodrigue. Benjamin aurait eu un moment de doute s'il eut croisé son amie dans la rue, non pas qu'elle était méconnaissable, mais elle avait changé et murie essentiellement. Pour commencer, elle avait laissé ses cheveux quelque peu poussés, ils étaient légèrement plus lisses que dans l'enfance, mais ondulés toujours agréablement. Ils étaient attachés en queue de cheval, mais on pouvait deviner qu'un côté était plus long que l'autre, l'un touchant la joue, l'autre un peu plus que le cou. Une coupe moderne. À son oreille gauche, se piquait une ravissante boucle d'oreille en forme de marguerite, puis à droite, encore une touche contemporaine, trois petites boules argentées se piquaient en file indienne. Son maquillage, ni sobre ni accentué, simple, enfin un point qu'il reconnaissait chez elle. Elle avait bien évidement prit quelques centimètres, mais pas plus d'un mètre soixante-cinq. Quant à sa tenue, il s'agissait d'un vêtement de travail il présumait, car son amie portait un débardeur blanc, ou une salopette en jean l'habillait. Il pouvait tout de même deviner qu'une poitrine, non pas généreuse, mais en rond, se présentait. Ce qu'il trouvait curieux, c'est toute la peinture qui se trouvait sur l'habit, que pouvait-elle avoir fait pour se retrouver ainsi. Peut-importe, car son égo devait s'avouer une chose, et une seule, « elle est devenue sublime ».
Après s'être installée auprès des convives, Anna fut silencieuse, du moins, elle évitait les sujets où il fallait parler d'elle. Non pas que sa vie privée soit une boîte à secret à ne pas dévoiler, mais elle préférait rester pour l'instant, mystérieuse. Mais le temps passa, et Bertini, très aimant de cet enfant, tenait à savoir ce que sa « douce » Anna avait fait durant ces six années. Fine, elle prétexta regarder l'heure qui s'écoulait, et prit l'initiative de partir préparer le dîner pour tous les invités.
- Mais Anna, je peux le faire ! Est gêné son père
- Non, non, papa ! Reste avec tes invités, je t'en prie, je m'occupe de tout !
Anna insista pour que son père reste assis et profite du retour des prodiges. La jeune fille s'activa en cuisine, s'attachant à préparer une somptueuse et appétissante paëlla. Tout en cuisinant, Anna ne put s'empêcher de réfléchir, de penser, de torturer son esprit. Revoir Benjamin lui avait procuré des sueurs froides et de chaude palpitation.
Néanmoins, après le sentiment de plénitude, c'est la rancœur, l'irritation. En première ligne, son père. Comment avait-il pu nommer la visite de Benjamin, « une surprise »… ? Ridicule ! Il était la raison de son départ, et celui qu'elle aimait comme un père, lui faisait l'affront de cacher cette venue. Aucune rancune envers son père, elle l'estimait bien trop pour ça, mais une certaine amertume s'engouffrait dans son cœur.
Enfin, lui, Benjamin. Elle avait fait sa connaissance à l'âge de treize ans, dès son arrivé en Italie. Orphelin tous deux, ils s'étaient tout de suite trouvés, et entendus. À peine passée une journée auprès de lui, et l'action de cupidon s'était mise en scène. Amoureuse, dès le premier instant, de son air naïf, de sa gentillesse, de ce caractère ambitieux, volontaire et borné. De nombreux points communs malgré les apparences.
« L'idiot ». Il n'avait jamais compris la nature de ses sentiments, et la force de son amour. Ce n'était pas un béguin d'adolescente, une relation d'enfance, non, elle l'aimait, réellement, sincèrement, avec hargne et dévotion. Elle n'osait repenser à tous ces évènements qui lui brisait le cœur, le broyer jusqu'à en essorer la dernière goutte. Catherine. Il avait fallu qu'ils se rencontrent, par le pur hasard de surcroît, une vraie moquerie de la part de la vie. Il était tombé sous le charme de cette jeune fille de bonne famille, belle, féminine, éprouvant autant de passion pour son activité que Benjamin. Ils étaient tombés amoureux ! Nausée.
Sa lèvre supérieure subit les bords tranchant de ses dents, car lorsqu'elle pensait à Benjamin, impossible de ne pas unir son amour pour lui à Catherine. Une bobine défilant son passé se propageait dans son esprit, où ce couple dit « parfait » grignotait son être. Souvenir, ce baiser meurtris qu'elle avait observé uniquement pour avoir une certitude de leur couple, ce câlin forcé avoué pour sauver l'égo surdimensionné de la danseuse, cette déclaration restée sans mot, juste un câlin de consolation ayant durait à peine quelques minutes, ces remerciements qui n'avaient aucune valeur réelle et cette conversation téléphonique secrète qu'elle n'aurait jamais dû entendre, elle le haïssait.
- Aie ! Merde !
Anna s'était coupée, tranchée le doigt à cause de ses yeux embués par les larmes et son esprit prit dans un tourbillon de douleur lointaine. Suçant son doigt, mais vite piqué par la salive, elle essouffla un second cri de douleur, qui fit lever son père, et rejoignit sa fille blessée.
- Anna, chérie, ça va ?!
- Laisse-moi tranquille !
Anna snoba son père et partit se réfugier à l'étage, dans la salle de bain. Elle soulagea son égratignure en la passant sous l'eau. Farfouillant dans l'étagère au-dessus de levier, elle s'empara d'une lotion et d'une bande. Elle s'assoit sur le coin de la baignoire et se passa le produit, utilisé grâce au coton et se banda le doigt en passant par le pouce. Son père arriva sur l'entrefaite et proposa son aide, mais Anna le repoussa, fronçant les sourcils.
- Anna, je t'en prie…
- Qu'est-ce qui t'a pris de me faire ça ?!
- Anna…
- Tu es la personne que j'aime le plus sur cette terre et certainement celle aussi qui a essuyé le plus de mes larmes et tu accueilles en me promettant une surprise l'objet de cette douleur !
- Anna, tu es une jeune femme maintenant, tu as fait ta vie et Benjamin aussi…
- Non mais je rêve !
Attristée par cette déclaration directe par son père, elle le bouscula en sortant de la salle de bain, et prit refuge dans sa chambre qu'elle ferma à clef.
- Anna ! Chérie… Excuse-moi… Anna !
Il sentit la poignet céder sous son poids, Anna acceptait de le laisser entrer. Son regard n'était pas calme, elle partit s'asseoir sur le bord de sa fenêtre et admira ce paysage qui apaisait toujours son cœur depuis des années maintenant. Elle s'en voulait de s'être emportée et de fuir devant la réalité. Mais personne ne savait à quel point elle avait souffert, non pas simplement repoussée par un homme qu'elle aimait, mais tout bonnement, rejetée.
- Anna, je suis désolé… Ce n'est pas ce que je voulais dire…
- Je suis désolée aussi de t'avoir crié dessus…
L'homme prit sa fille d'adoption dans ses bras et la berça doucement, un moment. Il respira son parfum, c'était l'arôme d'une femme adulte qui se pressait dans son odorat, mais dans son corps, roulait toujours cet effluve de bébé.
- Chérie… Je pensais qu'il était tant que tu passes à autre chose… Je suis le mieux placé pour savoir que tu n'es toujours pas en paix avec toi-même, parce que tu n'as jamais affronté cette douleur avec la personne concernée…
Le temps, la vieillesse qui s'embrasse avec la sagesse, l'innocence. Mais dans une part de notre jeunesse, il était difficile de s'allier avec la raison. Anna ne comprenait pas pourquoi elle devait demander pardon, et encore moins cette demande de devoir vivre avec la raison de son mal-être. Depuis qu'elle était arrivée en Suisse, Anna ne parvenait à s'attacher à rien ni à personne, elle avait fait diverses études, différents travails, et le seul refuge qui parvenait à l'équilibrer, c'était cette nouvelle passion artistique et cet objectif qu'elle s'était fixée elle-même pour se prouver une valeur.
- Anna… Tu ne passeras pas à autre chose tant que cette histoire ne sera pas réglée…
- Je n'ai peut-être pas envie d'y mettre un terme… Sourit-elle, tristement
- Chérie… Est-ce que tu es…
- Je dois retourner en cuisine, je n'ai pas fini de préparer le repas !
- Anna !
L'enfant s'échappa des bras de son parent. En colère contre elle-même, oui, elle l'avouait, dans ses confessions dictées, dans ses rêves intimes, six années écoulées et pas un seul de ces espaces temps avait été capable de faire oublier son amour pour Benjamin. Tous ces jours, ces heures escomptés, passés à s'occuper, la tête remplie d'aspiration, n'avaient rien changé ni modifié, son cœur murmurait toujours le doux prénom de son prétendant voulu, son corps se voyait toujours se faire envahir par ces papillons joueurs, taquins, ne voulant abdiquer devant les mauvais souvenirs, et s'incliner noblement ainsi à l'oubli. Futilité. Anna s'était fourvoyée, elle avait fuis le mal, sans réfléchir un instant qu'il fallait stopper hémorragie, avant de prendre la décision d'une guérison, l'éloignement.
Retournant à ses occupations culinaires pour s'aérer l'esprit, Rodrigue s'appuya sur le coin de porte de cuisine et admira son amie. Anna, le plus grand mystère amoureux de sa jeune vie. À vingt-quatre ans un peu passé, le jeune garçon, étudiant en médecine, avait craqué pour cette jeune fille, toute nouvelle majeure. À dix-huit ans, Anna respirait l'espièglerie et la folie, deux caractères audacieux qui avaient fait succomber ce jeune homme aussi emporté par la fougue de la jeunesse. Elle était belle pour commencer, sa chevelure blonde et ses yeux bleus éclatants, sans énumérer sa silhouette avantageuse. Rencontrer sur les bancs de la fac de médicine, les deux extravertis s'étaient tout de suite bien entendu, et une amitié ambigüe avait vu le jour par la suite. Pourtant, si Rodrigue s'était laissé séduire par le doux sentiment de tomber amoureux, et ainsi appartenir à une seule femme, Anna ne s'était jamais laissée aller à l'attachement. Par ailleurs, aucun mystère pour le jeune homme, l'étudiante avait eu bon goût de l'avertir dès lors que leur relation s'était accentuée. Rodrigue ne savait s'il en souffrait ou s'il s'était fait l'idée de ne jamais être « l'homme » parfait pour Anna, mais il persistait à vouloir la protéger et non sans se le cacher, à s'offrir à elle, quelque fois.
Le dîner bientôt prêt à être dégusté par les nombreux visiteurs, Robson observait sa fille qui était prête à quitter les lieux. Ce dernier se leva de sa place en s'excusant, et rejoignit sa fille dans l'entrée.
- Anna… ?
- J'ai commencé à mettre la table, tu n'as plus qu'à retourner une dernière fois la paëlla et c'est prêt…
- Chérie, s'il te plaît, reste dîner…
- Non, sans façon…
- Anna…
Le père de cœur prit les mains de sa fille dans les siennes et l'attira vers lui pour un baiser sur le front. Tout en souriant et serrant de plus en plus les mains d'Anna, il s'exclama de tout cœur, ému,
- Anna… Je suis si fière de toi… Bertini ne cesse de me poser des questions à ton sujet… Je t'en prie, reste…
- Papa… !
- Anna… Tu es une jeune femme intelligente, tu vas trouver le courage de rester…
- …
Le père, convaincu de l'importance de sa fille, se pencha sur son oreille pour lui donner un conseil de papa « malicieux ».
- Et puis je suis certain que tu vas faire enrager Benjamin…
Anna se mit à rire discrètement, elle reconnaissait bien là le caractère spontané de son père au fort tempérament. Robson n'avait pas toujours été un homme chaleureux, du moins, son éducation ne permettait pas de s'attarder sur les âmes en peine. Ce temps révolu, il était tombé en parent devant la douceur d'Anna et en parrain devant le secours de Benjamin.
- Je vais finir de préparer, monte te faire ravissante…
L'enfant chéri, embrassa son père et serra son cou par affection bienfaisance. Anna partit se loger tout d'abord dans la salle de bain pour se débarbouiller et rafraîchir son maquillage. Elle redessina ses traits au liner, qu'elle étira pour un plus grand et plongeant regard. Du crayon noir sur le bord des paupières et surtout, son essentiel, toujours assorti lascivement à sa peau pâle de pêche, un rouge à lèvre rouge éclatant. Enfin, elle détacha ses cheveux, les secoua et passa une main en guise d'objet de coiffe. Ses cheveux avaient bien légèrement poussés un côté plus court que l'autre. Elle passa sa main droite sur le côté gauche, et monta ainsi une mèche en hauteur, donnant un air de rockeuse joviale.
Satisfaite, elle retourna dans sa chambre et se changea. Retirant la salopette de travailleuse, elle opta pour une combinaison noire aux bretelles fines et au décolleté légèrement plongeant. Derrière, se dessinait un dos-nu, appétissant pour une main, courtoise. Enfilant de moyen talon assorti, elle descendit au salon, faisant remarquer son entrée. Les bouches se déployèrent tels des poissons en dehors de l'eau, la stupéfaction entoura l'âme de ces hommes qui n'avaient pas prêté plus attention que ça à cette présence féminine, mais une enchanteresse de la « classe » venait de prendre pied sur terre. Ceux déjà amoureux, emploieront juste le terme de « jolie femme », mais ceux qui faisaient cavaliers seuls, se sentaient soudainement prient d'intérêt pour la « fille » du groupe.
Benjamin accompagné dans sa vie sentimentale se laissa envahir par la curiosité. Il était honnête, jamais il n'avait vu Anna dans une telle beauté, fulgurante. C'était une femme aux allures incitatrices, une prestance toutefois pure, sans prétention ni insistance, juste cantatrice du cadeau de mère nature. Il sentait son souffle qui se saccadait pour une raison non justifiable. Nombreuses jeunes filles il l'avait rencontré dans les rues de Gènes, où certaines s'étaient même autorisées de l'aborder, pour bien plus qu'un café. Fidèle à sa belle Catherine, il ne prêtait guère attention à ces filles, non loin de lui de ne vouloir succomber, la chair humaine et l'envie du corps ne se contrôlait pas encore moins au masculin mais fidélité il voulait apporter à sa bien-aimée, même si aujourd'hui, leur couple se balançait au pied d'une falaise glissante.
Anna esquissa un sourire moqueur, les hommes, ils avaient le défaut de vous remarquer une fois mise sur huit centimètres de talon. Le naturel, ils ne l'aimaient qu'une fois amoureux, tout le mystère de ces messieurs, contraignant. Bien que, cette nouvelle attention ne déplaisait à la jeune femme, elle aimait plaire et se sentir désirée, une beauté froide qui attisait la curiosité des hommes. Il fallait dire que sa taille, ses traits élancés, sa chevelure blonde ainsi que son regard saphir, ne pouvait laisser indifférent.
S'installant à table, Robson se plaça en bout de table, sa fille à sa gauche, son vieil ami à sa droite. Aux côtés de Bertini, Benjamin et près d'Anna, Rodrigue. La jeune femme émit soudainement un rire narquois, la vision « ridicule » d'Éric s'asseyant auprès de son « beau-frère », narguant de ce fait Roberto, qui était sur le point de s'installer à cette même place. Le frère aurait-il peur que « l'amant » de sa sœur ne succombe ?
Le comité se régala de la cuisine d'Anna, une qualité remarqué par les joueurs italiens, dont certains osaient le compliment à voix haute. Bertini profita de cette intervention pour également féliciter sa protégée. Continuant l'admiration, l'homme souhaitait réellement savoir son parcours depuis son arrivée en Suisse. Le silence se fit, Anna s'échappa en buvant une gorgée de vin blanc, et tiqua de la tête, elle sourit, bêtement, et balbutia,
- Il n'y a rien d'intéressant à dire !
- Anna ! Intervient lassé son père
- Allons, mia bambola preziosa*, parle-moi de toi ! Insiste tristement Bertini
*ma précieuse poupée
Anna gigota, elle croisa sa jambe droite sur la gauche, elle attrapa la cuillère avec laquelle elle commença à jouer, nervosité. La jeune fille détestait parler d'elle, et encore plus devant Benjamin, aucune envie de lui faire découvrir sa vie sans lui, son quotidien aux humeurs et aux désirs changeant. Toutefois, le regard précieux que déversa Bertini dans ses yeux, lui dessina un sourire qui se mit sur la défensive, et anxieuse, elle commença son récit.
À son arrivé en Suisse, son père ayant trouvé une belle villa, il s'était vu devenir à sa retraite, maître d'hôte, des vacanciers, des étudiants, de nombreux visiteurs à la vie différente s'étaient suspendus en ce lieu, repartant avec un goût de nostalgie, tellement chaleureusement accueilli par ce père sa fille, riche en histoire.
Comme tout bon « papa », Robson avait convaincu Anna de reprendre ses études. Elle avait obtenu son bac scientifique l'année dernière, et se voyait partir en faculté de médecine, comme son père. Cependant, la jeune fille s'était vue venir une passion à l'âge de seize ans, le vague à l'âme, elle s'était abandonnée aux gribouillages sur des pages vierges en attente d'aventure. Son imaginaire était pur, nature, inspiré par ses émotions romanesques et piquantes. Sa plus grande fierté, ce tableau qui trônait au milieu du salon.
Roberto recracha la gorgée d'eau qu'il comptait avaler, tombant de sa chaise,
- C'est toi qui as fait ce tableau ?!
- Hum, oui…
Ainsi donc, le tableau qu'avait admiré Benjamin à son arrivé, était en vie grâce aux mains expertes d'Anna. Un réel talent, indéniablement, il n'aurait cru qu'un tel don se trouvait entre les doigts fins de son amie. Il racontait une histoire, sans doute, mais laquelle… ? Qui était ce romain aux airs fiers, démontrant le symbole de sa réussite ?
Aujourd'hui, ayant quitté la fac de médecine, il y a quelques mois, la jeune fille avait comme seul revenu, un salaire de professeur volontaire, elle animait une classe d'art dans un Hôpital pour les enfants hospitalisés à long terme. Son aspect généreux n'étonna finalement personne, pour ceux qui connaissaient parfaitement « l'artiste », ils savaient que c'était une amie dévouée et fidèle, prête à satisfaire vos moindres désirs.
- C'est pour ça que tu es arrivée en ouvrier tout à l'heure ! Taquine Roberto
- Idiot ! Sourit Anna
- Cette tenue est dédiée à un coup de foudre de ma fille !
- Un coup de foudre ?! S'interroge Bertini
- Papa !
Sa réponse dissuasive, émit une objection à parler de ce projet ambitieux. Anna se leva, ramassant les assiettes de chacun, les empilant, sous le monologue de son père, qui râla quelque peu, car ce projet n'avait rien de honteux, bien au contraire, il ne comprenait pas pourquoi sa fille était toujours réticente à parler d'elle, de ce qu'elle faisait. Est-ce qu'il y aurait un blocage psychologique… ?
Subitement, le père observant son enfant s'éloigner dans la cuisine, il pâlit et sentit son cœur se décrocher d'effroi. Se levant difficilement, il interpella sa fille,
- Anna ! Tu as un tatouage !
Rougissante, la jeune fille se retourna, pour cacher son dos, mais le père s'approcha et vint en priant vérifier sa vision. Robson se sentit mal, ses jambes tremblaient et ses organes palpitaient, qu'était-il encore passé par la tête de sa fille pour se faire croquer sur le corps, une marque indélébile. C'était une phrase, écrite en langue italienne, sous un graphisme italique, longeant la colonne vertébrale.
- La vita è una lotta. Accettalo. Lit le père
- La vie est un combat, accepte-le… Traduit Bertini
- C'est Mère Teresa qui a dit ça ! Se défend Anna
- Mais est-ce qu'elle a aussi dit que tu devais te le tatouer sur le corps !
La réflexion du « papa » qui s'inquiète pour sa fille, fit rire l'assemblée. Il frictionna les mots comme s'il pouvait les effacer, éclat de rire général, une confusion des deux générations. Cette citation d'une femme sage, gravée dans la peau d'une femme espiègle, en manque de fortune sur elle-même.
Après ce ricanement jovial, le groupe d'ami s'installa en cercle dans les fauteuils et canapé du salon. Bertini n'en démordait pas, il voulait savoir quel est ce secret qu'Anna gardait avec pudeur. Sous tension, c'est Rodrigue, taquin, qui confessa la « mystérieuse » occupation sédentaire de son amie.
- Anna retape une maison !
- Rodrigue !
- C'est vrai ? Sourit Cesare
- Et bien, oui…
- Anna est tombée amoureuse d'une maison abandonnée à notre arrivé ! Sourit le père
Un coup de cœur, une bâtisse qui rappelait les maisons de poupées qu'on vous offre à l'enfance. C'était une maison sur un étage, avec cheminée un détail capital pour les hivers Suisse un toit rose, des façades blanches, une petite terrasse couverte à l'entrée, et ce puits au fond du jardin, qui menait vers la rivière. Ce bloque ne valait pas un sou, mais la jeune fille avait succombée. L'été, elle passait son temps à l'admirer, la croquer, s'imaginant son état une fois rebâtie. Son père, ne pouvant rien lui refuser, avait promis à sa fille, de lui offrir la maison, si elle obtenait son diplôme. Réussite fêtée, c'était maintenant avec ses propres moyens, qu'elle recousait son futur foyer, de ses blanches mains.
- Je suis très fière de ma fille… Sourit ému Robson
Benjamin racla sa gorge, confus. Le parcours de son amie depuis sa venue en Suisse était admiratif. Anna ne s'était laissé porter par la vie, non, c'est elle qui était reine de son destin, elle faisait ce qu'elle aimait, sans condition ni contrainte, elle semblait épanouie, heureuse, et humble de surcroît. Par ailleurs, il ne savait comment définir cette sorte de mélancolie dans son regard, à chaque mot qui contait ces six années passées. Aurait-elle encore des blessures ? Ferait-elle tout ceci pour combler un manque ou négliger cette douleur qui ne souhaitait guérir ? Anna semblait être toujours occupée, s'interdisant de penser, c'était tout le fantasque de sa relation avec Rodrigue, cet homme de « certaines » nuits, aucun attachement ni promesse, encore moins loyauté, son amie vivait bohème.
- Bien, je dois partir, je travaille demain ! On se voit… Plus tard !
Anna se leva, précipitamment, posant une main amicale sur le genou de Rodrigue et embrassant son père. Le groupe d'ami fut surpris, pourquoi la jeune femme fuyait-elle, eux qui étaient heureux et ravi d'un tel chemin, bravé de courage et d'ambition.
Benjamin ne supporta ce snobisme, il n'eut droit à ni salutation ni regard et encore moins un mot. Depuis toutes ces années, avait-elle encore rancune qu'il ne l'eut choisi comme amour ? Après une amitié fondée, basée sur la confiance et le respect, il n'avait droit à nul prestige, et dire exclusive ? Encore davantage, il aurait espéré une explication suite à son départ discret, à ces jours écoulés sans donner signe de vie ou nouvelle, il n'avait jamais su où elle fut parti, il avait fallu un coup de pouce du hasard pour qu'ils se rencontrent de nouveau.
Colère. C'est frustré et blessé dans son égo, qu'il se leva furtivement et poursuivit son amie.
- Anna !
Entendant son nom, prononcé par son plus grand tourment, elle pressa le pas, mais sentit subitement son poignée être capturé par l'interlocuteur.
- Anna !
- Lâche-moi !
Elle hurla, exorcisant tout le mépris qu'elle éprouvait pour lui. Comment osait-il prononcer son prénom, avec exaspération, munie de cette rancœur ? Est-ce qu'il espérait avoir des réponses, mais pour quelles questions, il ne se préoccupait d'elle uniquement parce qu'elle avait mutilé son arrogance.
- Anna… Dit-il plus doucement
- Tu sais quoi Benjamin, rendons-nous service, et ignorons-nous tout le temps que tu seras ici !
Il sentit toute la violence qu'elle avait pour sa personne, son cœur semblait vociférer tout le mal qu'elle pensait de lui, toute la douleur qu'il avait accumulée dans son âme. Pourtant, lui, ne la haïssait d'aucune façon, c'était son amie, sa première chance italienne, une rencontre riche et unique. C'est elle qui n'avait voulu se régaler de cette amitié, préférant fuir son amour impossible. Il comprenait, il savait malgré tout qu'on souffrait lorsque la vie avait décidé de vous tourner le dos. Parfois, dans des conversations intimes avec Roberto, il se demandait s'il serait tombé amoureux d'elle s'il n'avait rencontré Catherine, c'étaient ces jours malsains où une amie lui manquait, et en l'occurrence, une seule femme pouvait porter ce rôle, Anna.
- Je n'ai pas envie de t'ignorer Anna, tu es mon amie !
- Mais c'est dingue, tu ne comprends rien ! Rit-elle hystérique
- Qu'est-ce que je ne comprends pas, que tu fuis, encore !
- Je fuis, moi je fuis ?! S'il y en a bien un de nous deux qui est un lâche ici c'est toi !
Les cris et les sanglots éplorés et fatigués d'Anna, incita l'ancien groupe d'ami à sortir dehors, et estomper les tensions. Mais en vain, l'aigreur de la jeune fille attendait depuis trop longtemps d'être mit en liberté, elle s'échappait dans le passé, et ouvrait sa plaie à cœur ouvert, avouant enfin les raisons de son départ,
- Moi je suis lâche ?! Rit nerveusement Benjamin
- Oh que oui ! Rit-elle comme fière
- Bien, écoutez, vous êtes fatigués et…
Un rire ironique s'échappa d'entre les dents d'Anna, l'intervention d'Éric la rendit souls, ivre de cracher la vérité.
- Mais que c'est triste, alors après toutes ces années tu joues encore les garde du corps !
- Je te demande pardon ?!
- Non, non, en fait ce qui est encore plus triste c'est que visiblement, Catherine n'ait toujours pas confiance en toi !
- Anna, arrête… Souffle Roberto, rejoignant son amie
- Quoi ? Quoi ?! Ce n'est pas vrai ?! Tu n'es pas le gentil et naïf chevalier servant qui vient doucement protéger le bien-aimé de sa petite sœur capricieuse !
- Tu dépasses les bornes ! Se fâche Éric
- Moi je dépasse les bornes… ? Dit-elle, plus intelligente, regardant Benjamin.
Impossible. Le cœur de Benjamin rata un battement. C'était douloureusement impensable, cependant, le jeune homme semblait avoir découvert pourquoi son amie le méprisait. Il repensa à ce jour de juillet, où Catherine avait rendu visite à Benjamin, et la nuit tombée, l'amoureuse ayant regagnée son train pour Paris, elle lui avait fait part de ses peurs et sa jalousie enfantine concernant Anna. Il se souvenait qu'Éric était passé lui porter conseille le lendemain, lui demandant de clarifier la situation avec son amie, qu'elle devait s'éloigner de lui, qu'ils devaient s'occuper tous deux séparément, rencontrant d'autre personne, rassurant sa dulcinée qu'Anna n'était qu'une simple « connaissance », qu'elle ne comptait pas et ne comptera jamais. Mais ce n'était pas les néfastes conseilles d'Éric qui avait fait souffrir la jeune femme non, elle était assez sage pour savoir qu'un amour fraternel fort unissaient ce frère et sa sœur cadette.
Non, ce qui était douloureux à ce souvenir, c'était l'appel téléphonique de Benjamin à Catherine. Venant lui rendre visite, fenêtre ouverte par cette chaleur juilletiste, entendant son prénom être prononcée, elle s'était fixée, près de l'embrasure, et écoutait cet échange anxiogène. Il déballait des adjectifs négatifs, parfois dégradants, ils n'étaient liés par aucun sentiment quelconque, même pas une simple amitié, ils avaient été tout juste partenaires, coéquipiers, il ne se laissera plus prendre à son jeu de « comédienne », jouant la malheureuse, l'amoureuse déchue. Il ne lui parlera que peu, à peine « bonjour », il avait passé une vingtaine de minutes à débiter des mots pour définir à quel point il comptait éloigner Anna de sa vie.
Visiblement, elle lui avait simplifié la tâche, épargné cette fastidieuse « besogne », elle avait quitté Gènes de son propre chef.
Son visage imbibée de larme, Anna puisa dans ses forces pour regarder Benjamin dans les yeux, et lui avouer,
- Tu sais ce que je venais faire ce jour-là… Je venais te demander si Catherine était bien arrivée, parce que j'avais entendu à la radio que des complications s'étaient fait savoir sur la ligne de train Marseille-Paris…
Rompu, brisé, un bruit sourd se fit entendre dans le corps de Benjamin, c'était son cœur qui venait de se fendre. Il ne pouvait se résigner à se séparer sur cette note douloureuse, et la voyant partir de nouveau, il rattrapa ses pas, mais une fois de plus, elle se débattit.
- Non, laisse-moi, je te déteste ! Tu me dégoûtes…
Anna courut vers un endroit rassurant, son nid peint de ses mains, là où elle s'évadait et se protégeait de toutes blessures, de tous souvenirs. Benjamin, impuissant, se sentit envahir par la honte, le remord et lui aussi, accourut vers la ville, sans réel destination, il voulait juste sentir son cœur s'emballer, ses membres se dégourdir, sa tête trembler, sa tension s'accélérer, il voulait effacer ce malentendu, cette faute qu'il n'aurait jamais dû commettre.
