A court d'idées

Le maître des herbes regarda son jardin avec un soupir. D'habitude, ses plantes lui procuraient tant de plaisir qu'il se surprenait parfois à leur parler; mais aujourd'hui, elles le décevaient toutes.

Pour l'anniversaire de sa Reine, le lendemain, il avait projeté de lui offrir une plante, mais toutes ses connaissances et tout son talent échouaient à en trouver une qui soit digne de la grandeur et de la beauté de l'Etoile du Soir. L'absinthe avait un beau feuillage d'argent, mais son amertume jouait en sa défaveur. La fleur de souci était pimpante, mais ses feuilles avaient une odeur désagréable. Quant à l'amaryllis, elle était charmante d'exotisme, mais peut-être poussait-elle à Fondcombe comme une mauvaise herbe…

Bref, le maître des herbes était désespéré. Et il était trop tard pour réfléchir à un autre présent. Avec une dernière invective lancée à ses plantes, il quitta le jardin à grands pas, décidé à passer la journée du lendemain caché dans l'un de ses cabinets en espérant que son absence passerait inaperçue.

Le lendemain, cependant, il prit sa place dans la file des habitants de Minas Tirith venus offrir leur hommage et leurs présents à leur souveraine. Arwen, assise sur un trône aux côtés de son époux, recevait chacun avec un sourire et une parole bienveillante.

Quand vint le tour du maître des herbes, il se prosterna devant la Reine en bafouillant.

« Je vous en prie, maître, relevez-vous, dit-elle gentiment. Votre science et votre âge vénérable inclineraient plutôt à inverser nos rôles! »

Le maître des herbes se redressa, mais garda la tête baissée. Toujours incapable de prononcer une parole cohérente, il tendit en tremblant un petit pot d'argile, qui contenait une plante minuscule. En la voyant, le visage d'Arwen s'illumina; elle la saisit et la serra contre son coeur avec émotion.

« Oh, maître, mille grâces et mercis à vous! s'écria-t-elle. Nul n'aurait pu me faire de plus beau cadeau! »

Etonné, Aragorn se pencha pour mieux voir la plante. Elle portait de longues feuilles lancéolées, d'un vert doré, comme si le soleil y avait délicatement déposé l'un de ses rayons. Au bout de sa tige se trouvaient un délicat bourgeon blanc. Aragorn fronça les sourcils: il ne connaissait absolument pas cette plante.

« -Je me réjouis de votre joie, ma Reine, dit finalement le maître des herbes d'une voix chevrotante. Mais je dois vous avouer que j'ai peu de mérite. A vrai dire, j'ai longuement cherché dans mon jardin un plante qui siérait à votre Majesté; mais j'ai trouvé celle-ci sous un banc, dans la cour royale, tandis que, découragé, je rentrais chez moi. A ma grande honte, je n'en connais ni le nom, ni l'origine, ni les vertus. Je me suis contentée de la déterrer avec précaution pour vous l'amener.

-Elle s'appelle laitoloth, la fleur de vie, répondit Arwen en caressant doucement le bourgeon du bout des doigts. Elle ne pousse que là où se trouve une femme-elfe, pour lui annoncer un surcroît de vie. »

Elle regarda la fleur de plus près, comme pour scruter un détail, puis se tourna vers Aragorn en souriant.

« Que les Valar soient loués, bien-aimé! La lignée royale est assurée! »

Le visage d'Aragorn fut un étrange mélange d'étonnement et de joie. Il échangea un long regard avec Arwen en lui serrant le bras, puis il se leva.

« Oyez, vous tous ici assemblés en l'honneur de votre Reine bien-aimée! Nous pensions ne vous l'annoncer que dans quelques jours, mais grâce au grand maître des herbes, la bonne nouvelle sera connue plus tôt, et plus précisément. Voici que vous aurez bientôt un petit prince! »

La foule s'assourdit en ovations et en cris de joie. Seul restait muet, contrairement à son habitude, le maître des herbes, trop heureux pour savoir quoi dire.