Disclaimer : Je ne possède rien, si ce n'est les quelques OCs.

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I'm gonna die in a place that don't know my name.

2010

FBI BLACK SITE

MIRANSHAH, PAKISTAN.

ROOM 1

15:32:06

1.

Le silence était complet. Dans la pièce exigüe aux effluves entêtants de poudre et de transpiration, installés à une table bancale dans le halo grésillant d'une ampoule dénudée, ils patientaient sans jamais lever le nez de leurs doigts croisés. Plus de cris, de coups de feu ; dans le calme poisseux du QG les trois combattants ne faisaient plus face qu'aux échos des dernières bombes et des ultimes hurlements arrachés aux martyres, qui résonneraient pour toujours dans leurs cœurs et leurs esprits. C'était fini. La mission avait réussi. Leur patrie était fière d'eux. Mais eux, plongés dans un mutisme tendu, fébriles et anxieux à la perspective d'endosser le rôle qu'on comptait leur attribuer sans même leur octroyer le temps de se rétablir de leur précédent assaut, mesuraient encore mal l'ampleur de leur victoire.

La porte branlante s'ouvrit sur le visage crispé d'Higgins. D'un coup d'œil circulaire, il balaya la maigre assemblée de ses agents, les couvant tour à tour d'un regard ferme et approbateur. Voilà. Voilà tout ce qu'ils recevraient en rétribution à leur courage et à leur dévotion.

Les gardes bouchèrent le passage dans le dos de leur supérieur et, sans plus attendre, Higgins distribua une nouvelle tournée de dossiers. Avec des gestes lents et rouillés les trois agents en feuilletèrent les pages avec autant d'application et d'intérêt dont ils pouvaient faire preuve en pareilles circonstances. Leurs tympans vibraient encore des déflagrations qui avaient bien failli les souffler comme un château de cartes, et il leur était difficile de se concentrer sur les images furtives qui défilaient sur le papier.

Alors une photographie retint son attention, fit crachoter son cœur, distilla une adrénaline douloureuse dans ses membres transis. Raidie, la bouche sèche et les paumes moites, elle dut lutter pour ne pas couvrir le cliché de ses mains tremblantes, comme pour le préserver à travers le papier glacé. Là, devant un fond blanc, vêtu de son traditionnel costume noir, vrillant l'objectif d'un regard menaçant, il semblait déjà la mettre au défi de surmonter l'impossible épreuve qu'on lui imposait.

— Mark Snow et deux de ses recrues, déclara Higgins, qui désignait les rapports tout en tirant la dernière chaise vacante pour y poser le pied, bras croisés sur son genou relevé.

— CIA ? interrogea Turner.

— Exact, confirma Higgins. Il s'agit de récolter des informations au sujet d'une mission dont Snow aurait reçu l'avis via un appel ultra-sécurisé, hier, visant un objet dont ils n'ont pas encore retrouvé la trace. Vus les moyens déployés, il ne leur faudra pas plus d'une semaine pour le pister, il faut donc agir avant que leur destination leur soit révélée, afin qu'on soit sûrs de les coincer. Dès qu'ils auront sa localisation, ce sera à ses deux employés de décoller dans la minute. Hors de question de les intercepter là-bas, où que ce « là-bas » soit, alors qu'on sait exactement où ils sont actuellement et qu'il s'agit d'un terrain parfaitement praticable.

— En quoi ça intéresse le FBI ? fit Williams qui plaquait ses cheveux noirs en arrière dans un geste nerveux, y dérangeant poussière et débris qui virevoltaient dans la lumière chiche comme de petits papillons.

— La commande d'extraction de cet objet aurait été passée par une certaine Alicia Corwin, de la NSA, expliqua Higgins. Il aurait été volé au Pentagone par les Chinois, ou plutôt vendu par quelqu'un du Pentagone aux Chinois. Si la NSA préfère en passer par la CIA pour le récupérer, on a l'ordre de comprendre comment un vol pareil a pu être possible en premier lieu, et surtout qui l'a manigancé.

— Et vous croyez que Snow sait quelque chose à propos de ça ?

— Il connait l'existence de l'objet, et il connaît Alicia Corwin. Ça ne vous suffit pas ? grinça Higgins.

Turner le brava du regard avant de se reporter sur les liasses clairsemées devant lui, ses boucles brunes se délogeant de derrière ses oreilles pour danser comme des carillons devant son front barré d'un pli soucieux.

— Mais Snow et ses hommes ne sont pas responsables du vol, si ? fit Williams avec précaution en jetant un coup d'œil soucieux à son ami renfrogné. Pourquoi ne pas interroger directement cette Alicia... Corwin ? Elle en sait sûrement plus qu'eux à propos des malfaiteurs ?

— Pourquoi ? fit Higgins, acide, un rictus arrogant accroché à ses lèvres entre deux profondes fossettes. Parce qu'Alicia Corwin est introuvable, une vraie anguille, et que Snow est le dernier à avoir été en contact avec elle. Aucun de ses collègues n'a voulu nous dire où elle se trouvait, et à en croire les rapports aucun n'était même au courant du vol. Ou de ce qu'est cet objet.

— Vous auriez pu commencer par là... bougonna Turner.

Le visage anguleux d'Higgins se ferma brusquement, se raidissant pour lui rendre la sévérité militaire qu'ils lui connaissaient :

— Je commence par là où il me semble judicieux de commencer, Turner, merci.

— Oui monsieur.

Higgins le jaugea un moment du regard avant de poursuivre :

— J'aurais aimé vous dire qu'elle se présentera en personne à Snow et ses recrues dès qu'ils auront trouvé l'objet pour les y envoyer elle-même, mais ce n'est encore qu'une possibilité parmi tant d'autres, et on ne peut pas envisager camper autour de la base de la CIA pendant une semaine en espérant qu'elle se pointe. D'ailleurs, je ne suis pas intéressé par son kidnapping. C'est un moyen de l'espionner de façon civilisée que je cherche. Et il y a de grandes chances pour que si par miracle elle se sent l'envie de venir délivrer elle-même l'avis de mission officiel, elle n'apprécie pas franchement notre intrusion. D'où ma conclusion que votre mission à vous sera bien plus efficiente si elle vise en premier lieu l'agent Snow.

— Et en quoi elle consiste exactement, cette mission ?

Toutes les têtes se tournèrent vers Cardelli, qui fixait son employeur avec gravité. Elle se fichait bien au fond qu'il s'agisse d'un contrôle de routine, d'un travail de bas étage en comparaison de la haute responsabilité confiée à la CIA, d'une enquête annexe visant uniquement à prévenir d'autres cambriolages du même genre. Il leur faudrait l'exécuter de toute façon. Et c'étaient les conditions et les critères de cette exécution, précisément, qui l'accaparaient en ce moment.

Radouci par la pertinente intervention de Cardelli, Higgins répondit :

— À récupérer les renseignements nécessaires auprès de l'agent Snow.

Et comme il était peu probable qu'il accepte gentiment de dévoiler ce secret à ses éternels ennemis, Cardelli supposait que « récupérer les renseignements nécessaires » impliquait de les lui arracher sous la torture.

— Tout ce que vous apprendrez de lui peut nous être utile à retrouver cette Corwin et à lui tirer à son tour les vers du nez de manière détournée pour savoir qui sont les voleurs, et comment ils sont entrés. Ou au moins nous fournir des pistes exploitables à ce sujet. Je doute qu'elle ait explicitement donné rendez-vous à Snow si elle a bel et bien décidé de faire le voyage personnellement pour assigner ses petits soldats, donc inutile de lui réclamer l'heure et la date. D'ailleurs, encore une fois, nous ne voulons pas d'une rencontre avec Corwin dans ce genre de climat. On ne veut pas braquer la NSA.

Turner gribouilla distraitement le coin de sa feuille, feignant de prendre les consignes en note. Comme si elles avaient pu leur sortir si facilement de la tête.

— Vous allez me dire que c'est une question con mais... essaya Williams qui s'époussetait maintenant les épaules. Pourquoi vous ne demandez pas carrément à l'agent Snow de vous parler de Corwin ? C'est peut-être pas la folle ambiance entre le FBI et la CIA, mais on est quand même dans le même camp, non ?

De toute évidence, Cardelli n'était pas la seule à avoir déduit des insinuations d'Higgins qu'il leur faudrait user de la manière forte sur le chef de leur unité.

— Snow ne dira rien sur Corwin à moins d'y être contraint. Et encore, médita Higgins qui peignait distraitement sa coupe en brosse d'un revers du pouce sur les tempes. Cette histoire a été couverte avec un soin qui me laisse penser qu'on fait sévèrement pression sur la CIA pour étouffer l'affaire. Si les gens qui sont à la source de la commande d'extraction apprennent que le FBI farfouille dans leurs petits papiers, ça pourrait méchamment nous retomber dessus. Raison pour laquelle il est absolument exclu de jeter Corwin à l'arrière d'une camionnette si elle fait le déplacement jusqu'au QG local de la CIA.

— Alors je suppose qu'en lançant l'assaut, on ne doit pas laisser Snow et ses recrues savoir que nous sommes du FBI ? s'enquit Williams, dont la figure ovale s'était bordée d'une ombre régulière en pointant le menton en direction de son chef.

— À moins que vous ne vouliez faire éclater un scandale gouvernemental. Parce que sans parler des représailles, je ne pense pas qu'il serait très bien vu que le Bureau se jette franchement à la gorge de l'Agence sans même un minimum d'efforts pour se cacher. Comme vous l'avez judicieusement fait remarquer, on est tout de même censés être dans le même camp.

Higgins laissa flotter ses paroles, défiant presque ses agents de trouver à redire à ses méthodes. Comme aucun ne bronchait, il poursuivit :

— Nous ne savons pas grand-chose sur ses deux larbins, continua Higgins en changeant de position pour s'asseoir à califourchon. Mais tout porte à croire qu'ils ne sont encore au courant de rien pour l'objet. Snow attend probablement de savoir où il se trouve pour les y envoyer directement. Vous les utiliserez pour faire parler Snow.

Ils acquiescèrent.

— Trois contre trois, vous bénéficierez de l'effet de surprise. Cernez-les, désarmez-les, puis occupez-vous de Snow. Mais ne les amochez pas trop, le gouvernement a toujours besoin d'eux pour effectuer la future mission d'extraction, quand ils auront repéré l'emplacement précis de l'objet.

Un silence s'attarda, durant lequel les trois collègues échangèrent un regard lourd de dépit résigné et de détermination peinée. L'avantage de se lancer si rapidement dans une nouvelle opération était qu'ils n'auraient pas franchement le temps de ressasser le succès doux-amer de la précédente. Mais à en juger par la mine creusée de Williams, les yeux vitreux de Turner et la fébrilité de Cardelli, ils étaient indéniablement éreintés ; et ils ne rêvaient plus que d'une chose : boucler ce briefing pour aller se coucher.

— Tétouan, Maroc. Vous avez trois jours.

Higgins recueillit l'accord tacite de ses employés d'un autre coup d'œil, puis scella leur entente d'un hochement de menton et tourna les talons. Dans le silence maintenant troublé par le bruissement ténu des feuilles qu'on rassemble, les trois agents se levèrent pour s'éparpiller à travers les corridors de la base sans prononcer le moindre mot. Cardelli lutta plus férocement que jamais pour ne pas se laisser submerger par la panique, prépara son sac, nettoya son arme, consulta une centaine de fois le dossier de ses futures victimes. Puis, n'y tenant plus, elle quitta la moiteur étouffante du quartier général pour s'engouffrer dans les ruelles ombragées parmi les marchands et les étals.