Voici une nouvelle fiction, commencée il y a tout juste un mois. Comme Animal et First Love, il s'ait du fruit d'un défi avec DayDreamie. Je vous conseille vivement d'aller lire ses productions, elle parvient toujours à faire des choses très différentes des miennes alors que nous nous donnons le même titre.
Je vous souhaite une bonne lecture.
Chapitre 1
Quand on y réfléchit un peu, le monde est assez mal fait. Prenons un exemple concret. Les enfants, alors qu'ils évoluent pour la plupart dans la douceur et l'innocence, veulent grandir et découvrir le monde. Les adolescents, qui passent en majorité par une crise existentielle ou identitaire, veulent soit grandir plus vite pour devenir des adultes, soit redevenir des enfants pour ne plus avoir à réfléchir. Les adultes, las de tous les problèmes qui leur tombent dessus, essayent de retrouver leur enfance au travers de leur propre progéniture. Et les personnes âgées commencent à se dire que leur vie est plutôt derrière elles que devant, et ressassent leur existence au travers d'histoires et anecdotes destinées aux générations suivantes.
Ainsi, quel que soit notre âge, on ne profite jamais de l'époque dans laquelle on vit. On préfère s'imaginer dans le futur ou regretter le passé. Quoiqu'il en soit, ça se saurait si c'était un moyen de vivre heureux. Moi, de toute façon, j'y ai renoncé assez tôt. Je devais avoir une quinzaine d'années. Lycéen, je réfléchissais trop. A tel point que je me suis rendu compte que les autres ne méritaient pas que je me rende malade pour eux, et que je décide d'arrêter de m'attacher.
Oh, ça n'a pas été sans mal, bien évidemment. Il ne faut pas croire que ça s'est fait en un clin d'œil. N'oublions pas que l'être humain n'est pas fait pour vivre seul. Il ne peut qu'évoluer dans un milieu social. Non entouré, son développement ne se fera pas, ou se dégradera. Même la plus grande des volontés est impuissante face à la nature… C'est désolant. Sans pouvoir la vaincre totalement, il existe pourtant des alternatives. Guères satisfaisantes, pourtant c'est toujours ça de mieux. La souffrance n'est pas tout à fait similaire, quelque fois l'une est préférable à l'autre.
Sans doute était-ce dû à un énième amour impossible. Je n'étais déjà pas du genre à avoir une grande confiance en ce que mon traître de cœur pouvait bien ressentir à l'égard des autres. Et ça s'est empiré avec le temps. J'avais peur d'être dépendant, de ne pas pouvoir faire ce que je voulais à cause de mes sentiments. Pour cela, il fallait que j'apprenne à me détacher, et surtout, à ne plus me créer d'attaches ou de liens sociaux, amicaux, amoureux…
J'étais au lycée depuis un an, donc j'étais déjà entouré par quelques personnes, plus toutes les connaissances, qu'on salue le matin en cours mais qu'on ignore consciencieusement quand on les croise dans la rue un jour de repos. J'ai d'abord brisé tous les rapports que j'avais avec ces personnes. C'est sûrement ce qui a été le moins difficile, puisque c'étaient celles dont j'étais le moins proche. Il me suffisait d'arrêter complètement de leur adresser la parole, de les saluer, ou simplement de les regarder avec attention. Prétextant au début une maladie contagieuse, ou jouant à l'homme invisible, j'ai finis par réussir à devenir quelqu'un d'étranger pour eux. C'était bien sûr le but recherché, même si cette première victoire ne m'avait apporté qu'un sentiment faible de réussite.
Maintenant je me rends compte que j'étais assez extrême à cette époque, dans la mesure où j'aurais simplement pu essayer d'être indifférent aux gens, sans pour autant briser les liens. J'en suis maintenant capable, dans une certaine mesure. Mais il faut dire que j'ai eu plus de sept ans pour apprendre.
Enfin. Grisé par ce succès, je m'étais attaqué à la deuxième étape. Il s'agissait cette fois-ci de me séparer de ceux qui étaient mes amis. Il a fallu que je m'y prenne plus en finesse, parce qu'ils ne m'ont pas laissé partir tel un voleur. Je ne pouvais décemment pas leur expliquer que leur présence à mes côtés m'affaiblissait plus qu'elle ne m'aidait, ou qu'elle ne rendait ma vie plus agréable à vivre. Ils m'auraient pris pour un fou – à juste titre – sans pour autant me rejeter. Bien sûr, ils auraient essayé de m'aider. Dans une autre vie, j'aurais apprécié leur geste à sa juste valeur. Or la situation étant ce qu'elle était, tout ce qu'ils faisaient pour me retenir me donnait davantage envie de m'enfuir, loin. Là où personne ne me connaitrait, et où j'aurais réussi à garder le contrôle de mes fréquentations.
J'ai ensuite séché les cours, pendant près de trois mois. Parallèlement, j'ai arrêté mon abonnement de téléphone. Tout ce temps, ces quatre-vingt-onze jours, je n'ai vu personne en dehors des quelques membres de ma famille qui n'avaient pas renoncé à me faire ressortir un jour de ma chambre. Certes, être bloqué entre les quatre murs d'une pièce de taille réduite, jour et nuit, a fini par me rendre un légèrement… nerveux, je dirais. Dans le sens où j'étais capable de rester calme pendant une longue période, et en revanche faire une crise de nerfs au moindre bruit énervant. Mais souvent, après avoir cassé quelques trucs, et déversé ma rage contre le chat ou toute personne présente, ça allait mieux.
Je n'ai pas de souvenir précis du jour où je suis retourné en cours, par contre j'ai manqué de perdre la vie plusieurs fois sous les coups de personnes assez rancunières. D'après elles, je les avais fait effrayé à disparaître dans la nature, sans donner de nouvelles. Ma réponse leur avait moyennement plu, à savoir qu'elles n'avaient qu'à pas s'attacher à moi. De mon côté, c'était réussi, ce qu'elles faisaient n'avaient plus aucun impact direct sur moi. J'étais devenu complètement indifférent à leur existence. Comme si nous n'avions jamais rien partagé ni quoi que soit d'autre.
Je donne peut-être l'impression de ne rien ressentir dans l'histoire, pourtant je ne serais pas devenu violent s'il n'y avait pas eu de sentiments controversés derrière. J'avais lutté contre ma nature d'être humain, et ce n'était pas une tâche facile, ni même indolore. C'est juste que ce n'était rien, comparé à ce que j'ai ressentis en attaquant la troisième étape.
Je me répète à coup sûr, seulement l'amour est une belle connerie. Je ne sais plus dans quelles circonstances j'avais cédé à ce sentiment, mais j'en ai gardé des marques. J'étais ami avec cette personne, c'est probablement ce qui est le plus difficile. On se dit qu'en étant proche d'elle, c'est déjà bien, parce qu'on est toujours persuadé qu'elle ne nous aimera jamais. A juste titre, pour ma part, dans ce cas au moins. Donc j'avais tenté d'enterrer cette erreur en moi. Malgré tout, mon esprit continuait à distiller ses pensées malsaines sans que je ne puisse rien faire pour changer la donne. Tout le temps, je suivais inconsciemment cette personne des yeux. J'agissais en fonction d'elle. Ça devenait insupportable, je ne m'en rendais parfois pas compte, persuadé que j'agissais en pleine possession de ma faculté de jugement.
Erreur. Je perdais mon identité. Si ça avait continué, sans nul doute que j'en aurais oublié mes goûts, ceux-ci se seraient confondus avec ceux que je prétendais aimer.
Les années ont passées, j'ai maintenant vingt-deux ans. A un tantinet près. Ce matin, le soleil brille timidement derrière les nuages, d'après ce que je peux constater depuis l'intérieur de mon appartement. Je suis au septième étage, et depuis ma chambre, j'ai une assez belle vue sur les eaux calmes du fleuve Han. Je vis dans l'arrondissement de Mapo, à Séoul. Pour moi qui avais toujours habité à Busan – beaucoup plus au sud du pays – mon arrivée dans la capitale il y a deux ans m'a complètement dérouté. Mais depuis, j'ai réussi à m'y faire. Et à trouver cet appartement, également.
La vue de l'eau m'apaise, ce qui est assez pratique quand je fais des crises. Je n'ai jamais réellement cessé d'en faire, ça varie juste selon les périodes. En revanche ça va quand même mieux maintenant que je parviens à contrôler ce que je fais.
Parallèlement, c'est crevant, et c'est pour ça que j'apprécie autant la quiétude de cet endroit. C'est petit, mais bien insonorisé. Pour pouvoir payer le loyer, je travaille dans un supermarché, à quelques pas d'ici. J'ai des horaires assez aléatoires, et ça m'arrive de bosser de nuit. Seulement, en n'ayant aucune vie sociale ni aucunes activités périphériques, ça ne me dérange pas. Et puis, les heures de nuit sont payées plus, c'est tout bénéfice pour moi.
Après un moment passé à me ressasser ma vie, je me relevai du lit en baillant. Je démarrai à neuf heures et j'avais intérêt à me dépêcher si je voulais arriver à temps, parce qu'il était déjà huit heures et demi. Qu'avais-je fais hier soir pour trainer autant au lit ce matin ? Je n'en avais plus aucune idée. J'avais certainement bu une goutte de trop…
Je refis le lit à la va-vite, de toute façon je reviendrais m'y coucher le soir alors à quoi bon… Juste un vieux réflexe. Je me dirigeai ensuite vers la cuisine pour me servir une tasse de thé avant d'aller faire un saut à la salle de bain. Après un brin de toilette, j'étais prêt à me rendre au boulot. J'attrapai alors une veste légère – la température douce de ce matin de juin me le permettant largement – et l'enfilai avant de récupérer mes clés et de sortir, verrouillant la porte derrière moi.
Le chemin jusqu'à mon lieu de travail ne me prenait généralement que quelques minutes à pieds, et cette fois ne fit pas exception à la règle. J'arrivai donc pile à l'heure, sous le regard approbateur de mon collègue qui me fit un léger signe de la main quand je fus entré dans le bâtiment. Des clients se pressaient déjà avec leurs caddies et leurs enfants pour faire les courses et j'eus un peu de mal à gagner les vestiaires pour me changer.
Une fois à l'abri des regards, j'ôtai mon tee-shirt, ouvris mon casier et me rhabillai avec le débardeur noir orné du sigle rouge et argent de l'enseigne. Notre uniforme n'était vraiment pas moche, comparé à d'autres. Je jetai un coup d'œil à ma poitrine, histoire de vérifier que mon badge ne s'était pas perdu en cours de route. Heureusement, il était là, affichant ostensiblement mon nom, Lee Sungyeol. Je n'en voyais pas l'utilité mais qu'importe.
Je refermai mon casier d'un coup sec après y avoir rangé mes affaires et marchai jusqu'à ma caisse où je m'installai, prêt à débuter une nouvelle journée de travail. Le matin j'étais généralement à la caisse, et ensuite j'étais en rayon, pour vérifier que tout était plein, où à l'arrière pour trier les commandes. Il y avait un autre étudiant qui ne venait qu'à mi-temps, et c'est lui qui tenait ma caisse l'après-midi. Quand j'étais du soir je la reprenais. Ça m'allait parfaitement, de cette façon je ne faisais jamais la même chose toute la journée.
Grâce à mes sacrifices au lycée, je pouvais désormais avoir des rapports avec les gens, sans qu'ils n'aient aucune influence sur moi. J'interagissais normalement avec mes collègues de travail, et il n'y avait rien de plus. Ils n'existaient pas pour moi en dehors du magasin. Et c'était parfait. De cette façon, je n'avais pas tous les inconvénients des liens sociaux.
La seule chose qui m'énervait, c'est que mes collègues trouvaient que je ne souriais pas assez. Ils voulaient absolument comprendre pourquoi j'étais aussi distant avec eux, surtout celui qui m'avait salué quand j'étais entré, Lee Sungjong. Tout juste vingt ans, bossant ici les vacances et les week-ends pour payer ses cours au conservatoire. Il avait une voix magnifique, c'était assez impressionnant d'ailleurs. Lui ne semblait pas avoir de problèmes particuliers avec les autres, étant juste un poil timide sur les bords.
Régulièrement, ils se retrouvaient dans un bar après le boulot, mais jusque-là, j'avais toujours refusé leur invitation, prétextant un animal à nourrir à l'appartement ou une trop grande fatigue. Malgré la piètre qualité de mes excuses, Sungjong continuait de me demander régulièrement si je voulais les accompagner. A croire qu'il était trop naïf pour se rendre compte que je n'en avais pas la moindre envie.
Ils étaient gentils, ce n'était pas le problème. Je n'étais juste pas la bonne personne à inviter. Si je voulais garder le contrôle de mes sentiments, pas question de fréquenter des gens plus que nécessaire. Ainsi, tout se passerait bien.
Qu'en pensez-vous?
Merci d'avoir lu.
