Hallooo ~
Je ne sais pas si cette suite, des gens l'attendaient (Alex Draglandr me l'a expressément dit, donc sans doute un peu pour certaines xD) mais bref, vu la bête, j'ai décidé de commencer à la publier malgré la longueur assez conséquente des chapitres - 7,000 mots voire plus, et c'est relativement long à écrire puisque constitué de plusieurs scènes successives... Le prochain chapitre n'arrivera sans doute pas avant un bon mois, même s'il est déjà prêt, car je tiens à garder un peu d'avance... Désolée .
Sur ce, voici la suite de You Make Me Wanna Die. Il y aura sans doute moins d'une dizaine de longs chapitres comme celui-ci.
C'est vraiment ... Spécial, donc j'apprécierais bien des retours pour avoir une idée de ce que ça peut donner et pour voir si vous me suivrez dans cette énième... Fic bizarre. xD Merci d'avance et enjoy :D
Rori H. Nemuri
PS : Le couple est... Quelque chose que je voulais essayer depuis longtemps. Bref, vous verrez bien ! Je vous demande juste d'essayer avec moi ^^ (Uh, ça sonnait horriblement pervers... xD)
Titre: Kill it With Fire
Auteur: Rori H. Nemuri
Rating: M, Ma
Genres: Action-Aventure (pour faire joli), Angst (juste un poil), Romance (appelons un chat, un chat), Yaoi (partout)
Disclaimer: Bleach est la propriété de Tite Kubo.
Synopsis: Sequel de You Make Me Wanna Die. Grimmjow l'avait joliment bousillé. Cadeau d'adieu oblige, Ichigo l'avait tué, avait perdu ses pouvoirs, et dix ans ont passé comme une seule nuit, jusqu'à ce qu'il retrouve le chemin de la mystérieuse boutique d'Urahara...
Warning: C'est beaucoup moins sombre que YMMWD, disons que ça va crescendo de la nuit noire au levé du soleil - quelle poésie. C'pas mièvre non plus. Y a beaucoup d'UST (Unresolved Sexual Tension) donc vous risquez d'être frustré(e)s. Juste un peu... =)
Spoilers: Séquelle/Suite de "You Make Me Wanna Die", à lire en priorité. Sinon vous ne comprendrez rien. Se passe après la bataille finale, Ichi a donc perdu ses pouvoirs...
Kill it With Fire
Quelque part à l'arrière de son crâne, il entendait sa propre voix, agaçante, lui répéter des paroles sensées qu'il préférait ignorer.
Ça t'amuse ? De faire comme si tout ça avait un sens ?
« J'te mentirai si ça en avait un, murmura Ichigo face à son miroir, les deux mains posées à plat sur la vasque blanche du lavabo dans lequel gisaient les restes de son dernier repas. Je te mentirai », répéta-t-il en frappant du poing contre le rebord immaculé.
Pendant les onze dernières années, sa vie n'avait été qu'une intense suite d'événements pourris. Sans doute une sorte de malédiction qu'Aizen lui avait envoyée depuis les abysses où il était enfermé… Histoire de pouvoir chier un minimum sur celui qui avait provoqué sa perte.
Il avait vingt-huit ans. Aujourd'hui était mercredi, ou jeudi. Ou mardi. Les gardes s'enchaînaient à l'hôpital sans qu'il ne se souvienne des heures, longues et épuisantes, passées assis dans un coin à remplir des dossiers, debout dans un bloc à regarder le chirurgien faire en tentant d'assimiler la technique. Pourtant c'était plus supportable que sa propre vue dans un miroir.
Tout ça lui donnait horriblement envie de dégueuler.
« Ah nan, déjà fait, siffla-t-il avec cynisme en ouvrant le robinet d'eau froide à fond. Adieu », lança-t-il à l'amas rougeâtre qui disparaissait dans le siphon.
Aujourd'hui, il y avait onze années, un mois et six jours qu'il avait tué Jaggerjack. Il l'avait laissé pourrir dans le sable, à moitié crevé. Et peu importait s'il survivait ou non, parce qu'honnêtement, ce connard avait été une vraie saloperie dont il garderait les stigmates toute sa vie. La longue ligne blanche traversant son œil en serait à jamais la preuve. Celles de son dos étaient recouvertes, comme celle de son bras, ou de son épaule, mais celle-là…
Il l'effleura du bout des doigts.
La dernière chose que cet œil avait vu, c'était le regard bleu, infiniment sauvage, de la bête qui faisait rouler son ongle le long de sa peau, langoureux, agacé, haineux, tandis que pas un seul cri ne sortait de ses lèvres closes.
« J'te hais… » Lança-t-il à son reflet en cachant son œil mutilé de sa main.
Son regard s'était éclairci et était devenu plus fauve qu'ambré. Ses cheveux, il avait fini par les teindre en noir en pensant, naïvement, que ça suffirait à effacer tout ce qu'il avait été. Il ne restait plus alors que quelques rares marques qu'il était trop tard pour faire disparaître. Ses cicatrices, il les avait aimées à en crever. Il les embrassait avant d'aller se coucher et les rouvrait quand elles menaçaient de disparaître. Religieusement, il faisait passer sur son bras la lame effilée d'un couteau en songeant qu'à côté des griffes, ce n'était qu'une pâle imitation de douleur. Les griffes labouraient, allaient bien plus profondément encore que ce truc qui prétendait couper.
Et aujourd'hui, il était borgne, tatoué, désabusé, fatigué, teint et souhaitait plus que tout crever pour de bon. Ces petits bâtons de merde qu'il fumait depuis plus d'une décennie auraient dû l'y aider, mais visiblement ils n'étaient pas disposés à tenter quelque chose tout de suite. Parfois Ichigo se disait qu'il aurait préféré trépasser en se battant contre Aizen. Pas d'emmerdes, pas de perte de pouvoir, le vieux con aurait été content et sa mort aurait tout eu d'héroïque. Il aurait enfin fait un truc de bien dans toute la merde qu'avait été sa vie depuis que sa mère avait trépassé, vingt ans auparavant.
Et depuis dix ans, dix longues années, il fumait à l'abri sous le proche de l'hôpital, désillusionné, cherchant un sens à tout ce tas de conneries. Personne ne venait plus pour lui depuis presque huit ans. Depuis qu'il était sorti avec Inoue. Quelle bonne blague, celle-là…
Il se passa de l'eau sur le visage, se rinça la bouche, et retourna jusqu'à son lit tout en sachant qu'il ne dormirait pas. Il enchainait parfois des gardes d'une trentaine d'heures, et c'était à peine assez pour le faire dormir huit ou neuf heures d'affilée. Il se souvenait vaguement s'être couché hier, dans l'après-midi, après être rentré de l'hôpital à pied. Il était quatre heures du matin, et il avait tué Grimmjow il y avait onze ans, un mois et six jours.
« La vie est une vraie pute… » Grimaça-t-il en allumant sa lampe de chevet.
Le cendrier en verre était rempli de mégots et un paquet de cigarettes, une boîte d'allumette et des somnifères étaient rangés dans le premier du tiroir de la table de chevet, derrière quelques livres et revues médicales. Dans le second tiroir il y avait des réserves de teinture noire pour cheveux qu'Ichigo remplissait toujours à ras-bord. Il n'avait jamais eu le courage d'aller chez le coiffeur pour que ce soit, disons, définitif. A la place il achetait ces sous-marques pour adolescents à la cherche d'une identité qui partaient en quelques shampoings. Au cas où il aurait envie de revenir à ce qu'il avait été. Au final, il avait continué son petit manège pendant les dix dernières années.
Ça commençait à partir, d'ailleurs.
Il se souvenait encore du discours que son père lui avait servi, après qu'il se soit réveillé. Aucun Shinigami n'avait été là pour l'accueillir. Personne, juste personne. Pas même ses camarades classe. Pourtant, Isshin lui avait certifié avec moult gestes et phrases équivoques qu'ils venaient tous les jours le voir, espérant son réveil.
Ichigo ne l'avait pas cru.
Et puis, pendant une année, il avait joué. Il avait compris que c'était fini, après avoir passé les premières semaines à appeler, désespéré, Zangetsu ou son horrible double blanc. Il ne sentait plus rien. Il avait l'impression qu'on lui avait enlevé son dernier œil, ses doigts, sa langue, son nez, ses oreilles, tous ses sens étaient engourdis et perturbés, anesthésiés ou juste perdus dans un flot immense de sensations qu'il ne comprenait plus. Sans reiatsu, il se sentait aussi inutile qu'un nouveau né au milieu d'un tas de couvertures. Il avait fait la douloureuse expérience de son inefficacité le jour même de son retour au bahut. Ishida et Chad s'étaient brutalement levés et avaient quitté la salle sous les cris du professeur. La colère l'avait submergé et il n'avait plus cherché à parler à personne pendant des semaines. Il détestait ça. Il voulait être celui qui serait en première ligne, à les protéger, tous, eux et leur ignorance, eux et leur aveuglement quand il avait été si orgasmiquement malmené par un Arrancar un mois entier durant, eux… Ses amis, sa seconde famille.
Aujourd'hui, ils n'étaient même plus quelques noms dans son répertoire.
Il avait fini le lycée tant bien que mal. Les trois premiers mois, ça avait été. Plutôt bien, même s'il n'était pas au même niveau qu'avant. Ses professeurs avaient imputé cela à ses absences et son hospitalisation, songeant que sa convalescence n'était pas encore complète mais qu'il prenait quand même trop son temps. Las, Ichigo avait fini par ne plus venir qu'à grand peine. Et un jour, puis un autre, et encore un autre, l'école avait appelé sa maison pour signaler son absence. Pourtant, Ichigo partait le matin, et revenait le soir, ni tard, ni tôt. Ses sœurs s'étaient longuement inquiétées de voir la déchéance chronique de leur frère prendre une telle tournure, mais rien de ce qu'elles auraient pu faire ou dire n'aurait empêché sa chute.
Il faisait ça deux à trois fois par semaine et s'en sortait avec des notes oscillant autour de la moyenne. Les entretiens se succédaient pour lui faire comprendre qu'il fallait se reprendre, qu'il n'était pas encore trop tard pour avoir une note correcte aux examens finaux. Il leur avait ri au nez. Tout ça, c'était juste du babillage. Rien ne lui semblait vraiment réel, depuis qu'un Espada l'avait torturé si plaisamment dans les draps de sa chambre d'adolescent. Personne ne pouvait comprendre. A cette époque là, il continuait de rouvrir les plaies, se lamentant sur ses sentiments de crétin naïf qui l'avaient finalement conduit à tuer la seule personne qui ait jamais donné un sens à sa vie de merde, même pour seulement quelques heures par nuit.
Et puis, passé les examens, Inoue avait tenté sa chance. Elle, Ishida, lui et quelques autres s'étaient inscrits en médecine. Aujourd'hui Ichigo se souvenait à peine l'avoir fait. Son père lui payait un appartement plus proche de la faculté que ne l'était la maison familiale, parce que c'était plus simple et qu'il en avait les moyens… Maintenant, la situation était un peu différente.
Inoue avait débarqué chez lui, peu après le début de l'année. Ses cheveux étaient teints depuis la rentrée et personne n'avait fait de commentaires, mais elle, elle insistait presque lourdement pour faire partie de sa vie.
« Tu n'as pas faim ? Ton frigo est vide, tu sais. »
Bien évidemment, qu'il était vide.
Sans se le dire clairement, Ichigo en était arrivé à la conclusion que la mort était préférable à son sort. Pourtant, il se savait incapable de s'entailler la gorge, de se droguer jusqu'à l'overdose, de se jeter sous un train ou sous une bagnole pour en finir. Il était trop lâche. Et… Pas tout de suite. Il avait par la suite commencé avec les cigarettes. Une façon passive et lente d'accueillir la mort dans son corps, même si elle hantait déjà son cœur.
« Tu dois te ressaisir, Kurosaki-kun ! Je peux t'aider, laisse-moi juste essayer, je te promets que j'arriverai à te redonner goût à la vie… »
Grimmjow lui avait donné envie de crever. Mais l'envie, ça n'avait pas été assez pour qu'il le fasse. Même maintenant, alors qu'il connaissait une demi-douzaine de moyens de se tuer, lentement, rapidement, sans douleur, avec, il se retrouvait bloqué dès qu'il pensait juste à prendre ce foutu couteau pour se le planter dans la gorge. Alors à la place il travaillait trop, mangeait trop peu, fumait, dormait quand il en avait vraiment besoin et vivait seul, loin d'un monde pour lequel il ne manifestait plus que du dégoût.
« Laisse-moi juste t'aimer, Ichigo. »
Il avait été idiot de croire qu'une femme, rousse, à gros seins, au QI aussi élevé que celui d'une guenon, suffirait à remplacer le fauve qui habitait encore son cœur.
Il l'avait aimé. Plus qu'il n'aurait fallu.
Il n'avait rien répondu et elle avait pris ça pour un signe. Le premier semestre, elle venait de temps à autres remplir son frigo, vérifier qu'il survivait. Parfois elle le suivait jusqu'à chez lui, quand un imprévu bien spécial ne l'empêchait pas de s'installer un peu plus. Elle disait l'aimer. Et lui, pathétique idiot à la recherche d'une dernière identité qui le sauverait d'une vie morne et sans couleurs, il avait marché.
Ichigo laissa son regard vagabonder sur la chambre. Il ne gagnait pas encore très bien sa vie, mais l'argent de son père avait permis à ce dernier d'investir dans ce petit duplex dont il aurait fini de rembourser l'emprunt dans quelques semaines. L'endroit était resté le même depuis qu'Isshin avait décidé que son fils vivrait ici le temps que dureraient ses études.
Diable ce que tout ça paraissait loin.
Fouillant dans la table de chevet, Ichigo tomba sur la boîte d'allumettes et décida d'aller fumer. Nuit ou pas, il ne dormirait pas plus.
. : : .
Ce qui le faisait royalement chier dans son boulot, c'étaient les gens. Après d'interminables années d'études, des séances de révision à n'en plus finir, et un rythme éreintant, Ichigo avait eu du mal avec la socialisation. Les gens. L'hôpital. Les sourires, la gentillesse. Il savait bien qu'il n'y avait pas que ça, mais il préférait ne pas creuser plus profondément les raisons de tous ces changements qu'il avait traversés après le passage de Grimmjow.
A quoi ça l'avancerait, au juste, de se dire qu'il avait gagné si au final il avait juste terminé aussi détruit de l'autre l'avait voulu ?
« Kurosaki, magne-toi ! »
Il y avait eu un accident sur l'une des artères de la ville. Un cycliste avait pris un large rond point à l'envers, entraînant dans sa bêtise pas moins de trois voitures, un poids lourd et des piétons – des tonnes de piétons qui marchaient tranquillement sur le trottoir – avant de prendre lamentablement la fuite.
La première pensée d'Ichigo avait été que ce genre de chose arrivait toujours aux autres.
Et qu'il n'était jamais sur le bon trottoir au bon moment.
La soirée fut longue, et la garde qui suivit aussi. Seule cette vague notion de durée permettait à Ichigo de tenir le nombre d'heures requises sans jamais se plaindre. Son travail, quoiqu'emmerdant par son côté socialisant, avait le don de lui occuper les mains et l'esprit. Il y aurait toujours quelque chose à faire ici. Quatre personnes étaient mortes et les policiers avaient fini par ramener le cycliste, qui s'était blessé à la jambe dans sa fuite et avait tenté de se soigner à l'arrache en volant du désinfectant et des bandes dans une pharmacie non loin du lieu de l'accident. Ichigo l'avait croisé en allant annoncer à une famille que l'opération de leur fille cadette s'était bien passée. Il criait dans les couloirs, secouait ses menottes et insultait vivement le gigantesque policier brun qui l'avait escorté jusqu'ici.
Chad.
Ichigo s'arrêta en plein milieu du couloir. Il était surpris, vraiment, sachant que depuis des années déjà, le portugais cherchait à l'éviter le plus possible, ce qui incluait l'hôpital, son quartier, et toutes sortes d'endroits où il pouvait se trouver. Même par hasard. La dernière fois qu'ils s'étaient parlé, Chad lui avait avoué ne pas savoir s'il pourrait se retenir.
Narquois, Ichigo se détourna. Tout ça pour éviter de lui foutre un bon poing dans la tronche, ouais. La chute qui s'en serait suivie aurait peut-être causé un lourd traumatisme crânien, mort cérébrale, et adieu monde cruel. Chad lui aurait fait un sacré cadeau.
Les parents de la gamine attendaient, assis sur les fauteuils de l'entrée. Ils avaient les yeux embués, et tentaient de s'arrêter entre deux crises sans y parvenir. Qu'Ichigo les approche avec une bonne nouvelle ne changeait au final pas grand-chose. Ils continueraient de pleurer.
« Votre fille a survécu a ses blessures, et s'en sortira sans davantage de traumatismes que ce qui avait déjà été observé. Elle sera descendue en salle de repos d'ici une vingtaine de minutes. »
Froides, glaciales, ses paroles sans vie dégoulinaient de sa bouche avec un horrible goût de pourriture, alors que dans sa tête les mêmes paroles dansaient encore et encore.
Je ne fais rien dans cet hôpital.
Il quitta les parents. Ses collègues l'appelaient Cœur de Pierre dans son dos, quand ils croyaient qu'il était trop loin pour entendre. Et Ichigo s'en fichait bien, car tout ce qu'ils pourraient dire ne serait jamais assez puissant pour l'atteindre.
Ma place n'est pas ici.
Il marcha jusqu'aux étages. L'histoire du cycliste était réglée, il ne restait plus que quelques blessés à sauver ou à laisser mourir. Il croisa des employés du centre de transplantation qui passaient avec leurs petits sacs isothermes, collectant les organes des morts sur demande de leur famille.
Cet endroit n'est pas chez moi.
Il courut dans les escaliers, ne vit personne. Il tenait déjà son paquet de clopes dans une main, le briquet dans l'autre, sentant qu'il avait désespérément besoin d'une pause, le plus loin possible de ses collègues. L'accès au toit était toujours ouvert, et il n'y avait jamais personne. Ichigo chargea la porte de métal, la faisant horriblement grincer alors qu'elle pivotait sur ses gonds. Le toit était enneigé. Le froid mordait ses poumons à chaque longue inspiration qu'il prenait, peu sûr de s'il devait ou non s'arrêter. L'air était glacé et lui donnait un trop court instant l'inimitable sensation de vie qu'il cherchait tant. Le ciel était sombre. Aucun flocon ne tombait, et le soleil brillait au loin sur les larges bâtiments blancs du centre-ville qu'il apercevait d'ici.
Sortez-moi d'ici.
Ses mains rendues gourdes par le froid mirent du temps à allumer le petit bâton de merde qui pendait, malingre, à ses lèvres. Ichigo pria silencieusement pour que cette clope soit la dernière, et qu'elle finisse enfin par l'emporter dans la tombe.
Avisant le cylindre rabougri et fumant qu'il tenait entre ses doigts, il décida de s'approcher du bord.
« La comédie a assez duré », grinça-t-il avec un sourire cynique.
Ses pas faisaient de légers bruits qui cessèrent lorsqu'il s'arrêta prêt du petit rebord couvert de blanc qui le séparait du vide. Le ciel jetait des ombres bleues sur le sol en bas. Des gens marchaient sans se soucier de rien, sortant de l'hôpital rassurés, souriants, heureux. Ichigo eut un rictus de dégoût. Les riches étaient les pires. Ces crétins qui pensaient tout savoir de la vie, alors que précisément, la vie se situait dans la douleur la plus mortelle du monde…
Du haut de l'hôpital, il voyait quelle farandole de voitures pourrait le renverser s'il traversait le bon trottoir au bon moment, tout en songeant que sauter par-dessus ce ridicule muret n'était qu'une affaire idiote de volonté. Mais même ça, c'était pas possible. Elle était assez forte pour lui faire prendre les armes contre un monde tout entier, mais allait se planquer au fond d'un trou dès qu'il fallait le faire crever. Peut-être était-ce parce qu'il ne savait que trop bien que là, après la mort, il y a des gens qui viennent vous chercher et que ce n'est au final que le début d'un long et éprouvant voyage dans un nouveau monde ou certains n'ont pas conscience d'être morts.
Ricanant, il s'éloigna d'un pas et jeta sa cigarette, avant de reprendre cet air non concerné et froid qu'il gardait si souvent perché sur son visage. A quoi bon se forcer quand votre vie est merdique, de toute façon ?
Mais soudain, une silhouette plus qu'une autre capta son attention. Ses doigts bleuissaient à vue d'œil, mais Ichigo demeura dans le froid matin de Décembre, remarquant avec surprise la silhouette grande dégingandée d'Urahara Kisuke avancer jusqu'à la rue, se dirigeant à grands pas légers et aériens jusqu'à l'hôpital. Une longue écharpe sombre était enroulée autour de son cou et tranchait avec la pâleur blonde de ses cheveux. Il ne portait pas de chapeau, et d'aussi loin qu'Ichigo pouvait le voir, c'était toujours le même.
Que faisait-il là, à descendre la rue dans un accoutrement idiot ?
Un costume occidental, rien que ça. Ichigo eut un nouveau sourire ironique. Ce monde était tellement crétin.
Il se rua jusqu'à la porte, dérapant dans la neige en claquant le battant métallique derrière lui. Sa garde se finissait dans un peu moins d'une heure. Les couloirs étaient vides, et il n'y avait personne non plus aux vestiaires. Peut-être les dernières opérations étaient-elles plus importantes que de rentrer chez soi à l'heure pour s'emmerder comme un rat mort, ou dormir.
Ichigo attrapa son écharpe marron merde et la passa vivement autour de son cou, et claqua la porte en acier gris de son casier avant de sortir du vestiaire, marchant vite, sans courir car c'était interdit, et parce qu'il ne voulait pas être remarqué alors qu'il traversait les couloirs larges et vides de l'hôpital. Il y avait toujours des murmures sur son passage. Sortir pour une pause clope dans cet hôpital, c'était comme être Lady Gaga poursuivie par des paparazzis. Des gens qu'il ne connaissait même pas scrutaient ses moindres faits et gestes, détaillaient sa posture, son allure, ses fringues, sa coiffure, son visage, étudiaient le froncement de ses sourcils, les plis de sa blouse, les cernes sous ses yeux.
Les infirmières étaient sans doute les pires. Ces pauvres filles sans avenir qui se dandinaient ici et là, courant après les chirurgiens de leurs petits pas pressés dans un uniforme d'un rose saumon pisseux, souriant poliment, se présentant comme le côté humain de l'hôpital alors que leurs chefs n'étaient que des connards ambitieux qui ne souhaitaient qu'une chose : s'en foutre plein les poches. Les plus emmerdantes, c'était les deux grognasses qui trainaient toujours à l'entrée, un pot de vernis rouge pute posé sur le comptoir, là où les fiches de rappel et les transferts devaient être faits et signés.
Et aujourd'hui comme hier, elles étaient là, leurs yeux avides et si discrets brûlant son dos comme autant de mégots de cigarette qu'il se serait planté dans le dos de la main.
« Tu sais quoi, l'autre jour j'ai appris qu'il avait été dans la même classe que ma sœur, au lycée !
Il y eut un petit silence marquant la surprise de l'interlocutrice.
- Pas possible !
- Je te jure, siffla l'autre en insistant à outrance sur chaque mot. Il était roux, à l'époque. Mais roux, comme orange tu vois…
- Putain, et on a loupé ça…
- Ouais, et tu sais pas la meilleure… Il faisait partie d'un gang, avec le grand portugais qui bosse au commissariat du coin et qui nous ramène des blessés, des fois, tu sais bien… »
L'autre acquiesça vivement, souffla sur ses ongles, reprit la lime et se réinstalla confortablement au fond de son siège tandis que leur mystérieux sujet de discussion traversait le hall. Elles notèrent avec un air profondément dédaigneux qu'il avait déjà son paquet de cigarettes à la main, et une vieille écharpe marron élimée. Les portes coulissantes s'ouvrirent pour laisser passer un froid courant d'air de Décembre qui fit frissonner les deux infirmières coincées derrière le comptoir.
Le coup de feu de l'après-midi était passé avec le cycliste. Les admissions en urgence étaient rares en fin d'après-midi, surtout le mardi, alors la plupart des médecins n'étaient même pas présents, partis plus tôt ou en train de finir une opération, et les internes se tapaient le sale boulot, de même que les infirmières qui se trouvaient toujours sous-payées.
« Pff, c'est à se demander comment une telle ordure a pu devenir interne…
- T'as vu sa cicatrice à l'œil ? Il paraît qu'il est partiellement aveugle.
- Une ordure j'te dis… A un moment il venait blessé tous les matins et un autre jour il avait plus son œil. Ses amis l'ont cru quand il disait qu'il s'était cogné dans une porte, ou qu'il avait été attaqué par une bestiole, mais ça a jamais trompé ma frangine. Regarde-le, comme il se pavane… Un ancien chef de gang, c'est clair…
- Ouais… »
Le concerné n'entendait qu'à mi-mots les commentaires acides des infirmières, aides-soignantes, et autre membre du personnel hospitalier sur sa vie. Il la connaissait mieux qu'elles pour l'avoir vécue. Alors, il savait mieux qu'elles qu'il n'avait pas été chef de gang pendant ses années lycée.
Un dompteur de fauve raté, à la limite.
Il était côté entrée, et, à l'abri sous l'immense porche de l'Hôpital de Karakura, il fumait une autre cigarette en apercevant, au loin, la silhouette sombre et familière se faufiler jusqu'à la rue, marchant d'un pas pressé jusqu'aux portes de l'hôpital.
Urahara Kisuke.
Ichigo souffla longuement, une fumée blanchâtre avec laquelle il vivait depuis des années filtrant de ses lèvres. Avant ça avait été une épée, longue et large comme plusieurs, puis fine et longue, assombrie par un sursaut de pouvoir. Aujourd'hui, c'était une cigarette et un scalpel. Les gens pouvaient bien dire ce qu'ils voulaient, ils ne comprenaient pas. Ils ne comprendraient jamais.
L'air était froid et le ciel nuageux. Il neigerait encore, ce soir. Il jeta son mégot par terre, l'écrasa sous le talon de sa chaussure, et attendit. Le souffle chaud du système de ventilation passa dans ses cheveux et sur son visage, lui faisant oublier l'hiver qui régnait au dehors un court instant où quelqu'un sorti. Il entendit vaguement les infirmières cancaner, tandis qu'il rangeait le paquet dans la poche de sa blouse. Aujourd'hui était un jour comme tous les autres pour lui, quoique ce soir, les infirmières avaient été un peu moins acerbes que d'habitude.
Si elles savaient, toutes ces putes…
Déterminé, Urahara marchait droit devant, ses pas claquants sur le sol sans qu'il n'en ait rien à foutre. Ses cheveux blonds étaient en désordre, et, commençant une nouvelle clope, Ichigo se surprit à le trouver attirant. Ce mec était tout ce qu'il avait toujours voulu, mais il était inaccessible. Ichigo était aussi inoffensif et idiot qu'un gosse de trois ans à qui on tendrait une grenade en lui demandant d'aller détruire la tourde Tokyo. Urahara était celui qui proposerait de détruire tout Tokyo avec une seule grenade.
Sa démarche assurée lui donnait presque des airs de Messie.
« Oh, Kurosaki, fit-il d'une voix grave et caressante, je ne te savais pas brun, s'étonna-t-il sans que le ton soit convainquant.
- Je ne vous savais pas non plus bien habillé, répliqua-t-il en laissant tomber de la cendre dans la neige.
Urahara pouffa, et son rire eut aux oreilles d'Ichigo tout l'effet d'une salvation.
Je suis dingue et on m'a foutu dans cet asile sans que je demande rien.
- Ma foi, il se trouve que j'ai à faire avec Ryuken-san, et il trouve mes autres tenues trop…
- Excentriques ? Proposa Ichigo en écrasant sa cigarette sous le talon de sa chaussure.
- J'allais dire laides, mais puisque tu insistes, disons que c'est excentrique, lança-t-il avec un air ravi. Ta couleur de cheveux est excentrique aussi ? Ne put-il s'empêcher de demander.
Urahara avait toujours été d'un naturel joueur, horriblement joueur.
- Elle l'était, répondit-il froidement.
Ils étaient de la même taille, à présent.
C'était étrange de le revoir. Sa visite était-elle si désintéressée que ce qu'il disait ?
- N'était-ce pas plutôt Ishida que vous veniez voir ?
- Tout dépend duquel tu parles, répondit Kisuke avec un déroutant sérieux auquel Ichigo se fit un plaisir de répondre.
- Tout dépend de vous, non ?
Urahara rajusta son écharpe, et passa les portes coulissantes lentement.
- Passe à la boutique, un de ces jours. »
. : : .
Le Dimanche était un jour emmerdant.
Sa garde était finie, et Ichigo repartait du second étage vers les vestiaires. Les infirmières soufflaient sur son passage, et il se prit soudain pour un souverain au milieu de sa cour. Les jours de gloire lui manquaient, encore plus depuis que cet horripilant espoir de sauvetage que la visite d'Urahara avait lancé dans sa tête. Il croisa Ishida Uryû pour la première fois depuis longtemps, quelque part dans les couloirs du troisième étage. Il était toujours le même, souriant, agacé parfois, et gentil. Dégoulinant de gentillesse et de professionnalisme. C'était le médecin parfait. A côté, Ichigo n'était qu'une sale copie du Docteur House qui hantait les couloirs en traînant ses vieux démons et cette vieille odeur de cigarette qui faisait plisser le nez des patients et des infirmières.
« Kurosaki, on sort après la garde, tu nous rejoins au Blossom ? » Lui lança un des internes d'Ishida.
Le fief du service de chirurgie, ce bar du bas de la rue aux néons colorés qui passait de la vieille musique. Le Blossom Paradise. De ce que les internes en disaient, la bière y était bonne, le saké aussi. C'était aussi non-fumeur, végétarien et rempli de ces grognasses qui se vernissaient les ongles pendant le service.
Il leur fit signe que non.
« Une prochaine fois alors ! »
Il leur accorda un vague geste de la main et traversa les couloirs, silencieux.
Il regarda sa montre, enfonça ses mains dans ses poches et fit un dernier tour pour voir si personne ne manquait de rien. La femme d'un patient arrivé aujourd'hui fronça les sourcils et le regarda durement alors qu'il vérifiait les constantes de son mari, reniflant avec un agacement notable. Elle finit par poser son magazine pour se couvrir le nez d'un élégant mouchoir blanc où étaient brodées des initiales en lettres dorées. L'alliance à son annulaire devait valoir deux ou trois fois son salaire mensuel, peut-être plus. Ichigo eut un vague sourire devant tant de faste là où une simple cicatrice lui avait suffit. Les gens ne comprenaient pas ça. Pourtant c'était la même philosophie derrière ses cicatrices et une alliance hors de prix. Plus ça faisait mal, plus c'était fort. Plus c'était vivant. Et c'était bien plus vrai que n'importe laquelle de ces parures qui pendaient au coup de sales pestes accrochées à leur homme comme des sangsues. Car contrairement aux autres médecins de son âge, fraîchement diplômés ou bientôt sorti de l'enfer de l'internat, Ichigo ne finirait pas marié à la première connasse venue. Avant tout ça, peut-être… Mais le jour où Grimmjow avait passé sa fenêtre un soir encore chaud de Septembre, il avait renoncé à toute logique. Les graines de la discorde avaient été semées, bien profondément, si profondément… Que sa vie était devenue un gigantesque enfer dont l'Espada avait été le roi pendant un mois. A posteriori, il ne s'en souvenait pas, ou peu. Il se rappelait la fatigue, la chaleur, la douleur, le plaisir, la destruction méthodique à laquelle ils s'étaient livrés, l'un sur l'autre. Et il avait adoré l'idée.
Tout ça, c'était loin maintenant. Onze longues années avaient passé.
Balançant sa blouse et son uniforme d'interne dans son casier, Ichigo en profita pour ramasser son portable qu'il laissait toujours trainer dans les boîtes métalliques qui servaient de rangement. Pas de message. Il le rangea dans la poche de son jean et enfila sa ceinture, noua les boutons de sa chemise, ajusta son écharpe couleur de merde et mis sa veste sombre. Sa petite serviette en cuir coincée sous le bras, il passa à l'accueil en sortant pour vérifier qu'il n'avait oublié de signer aucun papier, puis ressortit par les mêmes portes vitrées que tout à l'heure, une cigarette allumée au coin des lèvres.
Il marchait à pas rapides sur le chemin du retour, en essayant de ne pas songer à la date. Il n'avait pas de voiture, pas de vélo. Il préférait marcher, comme au lycée. Ça lui vidait la tête et qui sait, en traversant un jour il finirait peut-être par croiser la route d'un chauffard, un jour de chance. A la place, il croisa Inoue Orihime qui revenait de ses courses à la supérette. Ils n'habitaient absolument pas dans le même quartier, mais lui devait passer non loin de chez elle pour rentrer plus vite.
« Ah, Kurosaki… »
Elle s'était arrêtée, l'atmosphère s'était alourdie. Le soleil jetait des ombres plus orangées que bleu sur le sol gelé. Elle lui fit un abrupt signe de tête qu'il ne remarqua pas. Il continuait d'avancer, le regard perdu sur l'horizon. Orihime le suivit du regard, une étincelle rancunière au fond de ses yeux. Elle était infirmière dans le même hôpital que lui. Elle faisait en sorte de ne pas le croiser, comme Ishida ou Chad.
« Tu n'es qu'un sale type, Ichigo ! » Lui cracha-t-elle tandis qu'il avançait, sa silhouette sombre et amaigrie se détachant sur le fond coloré du soleil vers lequel il avançait.
Il s'arrêta et lui lança un regard fatigué par-dessus son épaule. Ses cheveux roux étaient attachés, une écharpe rose mal tricotée pendait à son cou et ses yeux semblaient remplis de larmes prêtes à déborder.
Dix ans auparavant, alors qu'il sombrait et descendait de plus en plus bas, elle était venue le trouver et lui avait solennellement demandé de « la laisser l'aimer ». Il n'avait pas accepté. Il n'avait plus rien dit, ou presque, depuis des mois, presque une année. Il n'ouvrait la bouche que pour être cynique, et ça aussi, avec le temps, ça avait disparu. Alors, la rousse s'était incrustée. Jusqu'à ce qu'il tente de reproduire avec elle le même schéma qu'avec lui.
Inoue le regarda, fixement, à travers ses larmes.
« Je te hais ! » Sanglota-t-elle.
Puis, elle fit demi-tour et courut, son sac de course trop lourd la faisant tanguer ridiculement sur la droite. Ichigo reprit sa route. Il ne tirait aucune satisfaction de cette merde idiote qu'il avait imposée à cette connasse. Elle avait fait le choix de rester pour s'occuper de l'épave qu'il était devenu. Elle disait l'aimer.
Maintenant, ça le faisait sérieusement marrer.
Il éclata de rire dans la rue, plié par l'amusement que lui procurait la situation.
« Quelle vie de merde ! Mais quelle vie de merde, ricana-t-il, hilare. Tu vois ça Grimmjow ? Toute ta merde, je la perpétue partout… Absolument, horriblement partout ! »
Il fit un tour sur lui-même, manqua de tomber.
Son œil gauche ne lui faisait plus signe de rien et il se prit la palissade en bois d'une coquette maison au style européen. Mitoyenne à un terrain vague au fond duquel une autre maison, de style purement nippon et toute en bois, se dressait, résistant aux intempéries. Personne n'avait déblayé la neige qui s'accumulait sur le porche, le toit, et descendait en formant de longues stalactites pointues.
L'état de la boutique était cataclysmique. Personne ne semblait être venu ici depuis des années.
Pourtant, mu par ce qui était sans aucun de la curiosité, Ichigo pénétra sur le terrain vague, le traversant à grand pas sous le soleil déclinant. Ses doigts nus cherchèrent la porte, derrière une mince épaisseur de givre et de glace, et la firent coulisser tranquillement, comme si la neige n'avait pas d'emprise sur elle. Posant ses affaires dans l'entrée, Ichigo se mit à avancer dans l'étroit et long couleur plongé dans l'ombre qui lui faisait face. Des odeurs rances de renfermé et de moisissures lui parvenaient, mais n'entamèrent pas son intense excitation à l'idée de pénétrer dans l'endroit. Il avait l'impression d'être un gosse de dix ans entrant dans une maison hantée.
Il y avait au fond du couloir une petite porte en bois sombre éclairée par la lueur vacillante d'une bougie qui aurait bientôt terminé de fondre dans la coupe blanche lui servant de bougeoir. Le battant couina un peu, Ichigo se plia en deux et entra à l'intérieur.
Urahara l'y attendait, affalé dans une tonne de coussins aux couleurs chatoyantes, dans un coin d'une grande pièce illuminée par quelques autres bougies colorées. Dans l'air flottait une odeur d'encens et il fumait une longue pipe, enroulé dans un kimono trop grand qui découvrait ses épaules blanches et un morceau de son torse. Il faisait chaud, atrocement chaud. Des tapis colorés de toutes épaisseurs recouvraient le parquet sombre, des tapisseries cachaient les murs et il n'y avait aucune fenêtre. L'atmosphère était presque effrayante, mais la curiosité d'Ichigo l'était encore plus pour le pousser à aller dans un tel endroit.
« Voyage en Inde ? Lança-t-il en s'asseyant, adossé à son propre tas de confortables oreillers moelleux.
Un fin sourire étira les lèvres d'Urahara qui reposa sa longue pipe et se tourna vers lui.
- Des tas de choses ont changé, Kurosaki, lui avoua-t-il avec un air joueur. Réponds à mes questions et je répondrais aux tiennes.
Ichigo songea à remonter ses manches, ne le fit pas, puis s'assit en tailleur, s'éloignant du confort traitre des coussins pour mieux contrer les tentatives d'Urahara pour l'embobiner, même si celui-ci paraissait étrangement affable.
- Qu'est-il arrivé à la boutique ?
- Oh, rien de grave. Les Shinigamis m'ont retiré mon droit de vente et m'ont chassé. Ou alors dans l'autre sens, je ne sais plus très bien, raconta-t-il en retombant mollement dans ses oreillers. Approche-toi, on y voit rien avec toutes ces bougies…
Ichigo se rapprocha.
Cette curieuse sensation qu'il avait eue en entrant ne le quittait plus, et c'était grisant même s'il ne parvenait pas à mettre un seul mot dessus. Voir Urahara étendu sur un tas de tissus dans une pièce fermée à toute lumière du soleil lui procurait la même sensation de curiosité teintée d'excitation, comme s'il était redevenu l'adolescent bagarreur qui voulait protéger ses amis et venait ici en quête d'aide… La situation n'était finalement pas si différente de jadis.
- Aaaah, c'est mieux, se réjouit Urahara en se redressant soudainement. A mon tour, Ichigo…
Il étudia son ancien disciple du regard, se redressant sur son tas de linges moelleux pour mieux le voir. Ses yeux verts semblaient affamés de réponses mais la déception les voila vite.
- C'est à mon tour de poser une question, non ? Demanda-t-il, peu sûr de lui.
Ichigo acquiesça, peu sûr de la demande, mais sachant déjà qu'il ferait n'importe quoi pour rester davantage, pour vivre davantage.
C'était peut-être ça, cette sensation qu'il avait en s'asseyant ici.
De revivre, enfin, comme s'il se réveillait d'un long coma inutile.
- Montre-moi tes cicatrices.
Avide, Urahara soufflait ses mots comme un serpent crachait son venin. Séducteur, il avait attiré Ichigo dans son antre dans le but secret de voir les trophées qu'il gardait jalousement gravés dans sa chair, à l'abri sous le tissu de ses vêtements.
- Vous avez une drôle de façon de poser des questions, s'amusa Ichigo en remontant une de ses manches, dévoilant une figure païenne et colorée tatouée sur son avant-bras droit.
- J'ai toujours été drôle, répliqua Urahara dans un souffle.
Vivement, presque avec voracité, il lui attrapa l'avant bras, ses longs doigts fins et chauds glissants sur la peau froide de son ancien disciple alors qu'il retraçait le tatouage, ligne par ligne, caressant la surface irisée.
- Puis-je voir les autres ?
- C'est à moi de poser une question, le coupa Ichigo en récupérant le plein usage de son bras. Pourquoi les Shinigamis sont-ils venus ?
- Quelque chose comme « maintenant que vous n'êtes plus d'aucune utilité, bla bla, bla, il faudrait mieux que vous vous pliez aux lois de Soul Society ». Je crois que Yamamoto ne nous apprécie vraiment que si nous lui sommes utiles… Je n'ai pas besoin de te faire un dessin, lui lança-t-il ensuite avec un défaitiste. Puis-je savoir qui t'a fait ça où dois-je reposer ma question ?
Ichigo n'était pas sûr de vouloir répondre à cette question, mais le fit malgré tout, pris dans cet étrange jeu où la curiosité prenait le pas sur la raison.
- Grimmjow Jaggerjack, le Sexta Espada.
- Oh. C'était donc pour cela, nota-t-il mollement, son regard vert embrumé.
- Quoi donc ?
- Les sursauts de reiatsu que j'avais enregistrés pendant un bon mois. Il t'a aussi pris un œil ?
- Non, je me suis fait ça en me cognant contre une porte, rectifia Ichigo avec un sourire amusé. Ma vie est-elle si intéressante pour que vous me posiez tant de questions ?
- Tu m'intrigues comme tu m'as toujours intrigué. Y a-t-il besoin d'une raison pour être curieux ?
- Tout dépend de ce que vous ferez d'autant de connaissances, renchérit-il.
La conversation filait et la distance les séparant s'était réduite.
Pourtant, aucun des deux ne le remarqua.
- Comment puis-je vous voir, si j'ai perdu mes pouvoirs ?
- Ceci, fit Urahara en faisant un geste exagérément grand de la main qui englobait son corps et même toute la pièce, est une couverture humaine que je garde pour que les Shinigamis me laissent tranquille. Visiblement tant que je ne vends rien et que je vis seul ils sont heureux… Ont-ils seulement quelque chose à craindre de moi ? Hasarda-t-il en levant les yeux au ciel.
Se reprenant soudain, il se redressa et approcha son visage de celui d'Ichigo comme s'il voulait à tout prix lire au fond de ses yeux sa réponse à la prochaine question.
- Que ferais-tu, si Jaggerjack était en vie ?
- Je l'ai tué, et je ne peux maintenant plus le voir. D'autres questions ?
- Aucune. Ou si, une. Reviens me montrer les autres, un de ces jours, et j'aurais des informations pour toi.
- Vous ne dévoilez jamais ce que vous savez, inutile de m'appâter avec de fausses promesses », susurra Ichigo aux yeux verts et brillants d'Urahara qui répondit seulement par un sourire énigmatique.
Il se leva et disparut dans le couloir, prenant sur lui pour ne pas céder à son ancien maître, enlever son haut épais et lui montrer toute l'étendue magnifique des ravages qu'avait causés Grimmjow sur son pauvre corps d'humain faible et désormais inutile.
Et même chez lui, l'idée qu'il pouvait faire demi-tour à tout instant et retourner à la boutique lui donnait envie de se ruer dehors, car les mots tentateurs d'Urahara dansaient dans ses oreilles.
« Qu'est-ce que je ferais, s'il était encore en vie ? » Se demanda-t-il à voix haute, songeant qu'il était parfaitement ridicule.
Horriblement bandant était la première idée qui venait à Ichigo en songeant à Jaggerjack, revenu d'entre les morts pour poursuivre ce qu'ils avaient commencé et mettre un terme à leur guerre de pouvoir. Ils se battraient sans doute encore, et encore, jusqu'à ce qu'ils parviennent à un équilibre, même bancal, car chacun s'était au final révélé dépendant de l'autre. Ichigo chassa rapidement ce doux rêve qu'il avait longtemps fait étant adolescent. Grimmjow ne l'aimait pas, et même s'il avait voulu que jamais ça ne s'arrête, il y avait lui-même mis fin, tranchait dans la chair et l'os pour détruire ce qui était et resterait sa première et dernière source d'intérêt dans ce monde pourri jusqu'à la moelle.
Ou alors, dans un accès total de rédemption, il tuerait Jaggerjack pour mettre un terme à tous ces souvenirs qu'il s'était imposés, pour repartir sur un bon pied, se réconcilier avec ses amis, sa famille, ne plus se teindre les cheveux et pouvoir vivre une vie de jeune adulte normal entre fêtes et boulot. Quelque chose d'un peu plus équilibré que sa vie actuelle, en somme.
… Mais ça, ça sonnait juste risiblement faux.
Parce que franchement, Ichigo n'en savait rien, à comment il réagirait. Il n'avait pas le moindre ridicule petit indice, et n'en voulait même pas parce qu'il n'y avait pas de raison d'en avoir.
Grimmjow était mort à coups répétés de Bankai. De Getsuga Tensho. De sa main. Point barre.
Pourtant, Urahara l'avait dérouté plus qu'il ne l'aurait cru. En le voyant débarquer à l'hôpital, l'esprit d'Ichigo n'avait pas attendu pour monter des plans. Retrouver ses pouvoirs, en finir avec cette vie merdique qu'il se forçait à mener comme si elle avait un sens, alors qu'en réalité il s'en fichait éperdument. Et puis il s'était senti fatigué et n'avait même pas voulu savoir pourquoi, après tant de temps, un vieil ami si mystérieux revenait le hanter pour lui proposer des choses impossibles. Ichigo avait empêché ses pensées de creuser plus loin, mais était quand même allé à la boutique, en quête d'une solution, de quoi survivre encore un jour ou deux, jusqu'à ce que ses pouvoirs reviennent.
Mieux aurait valu ne pas y croire. Kuchiki avait eu raison sur une au moins une chose, même après toutes ses années…
Les miracles n'arrivent bien qu'une seule fois.
