L'histoire est terminée et sera postée dès que ma Beta-lectrice aura eu le temps de corriger.


Prologue

Le soleil dans sa majesté se lève sur un jour nouveau

J'entends dans l'aube naissante le chant des oiseaux

Marmottes et chamois admirent seuls le spectacle si beau

Décor enchanteur qui apaise mon âme, soulage mes maux

Le premier rayon frappe la cime enneigée tel un sceau

Avant de suivre gaiement le jeu de l'onde du ruisseau

Chaque habitation au matin blême est comme un château

Devant lequel tout souci parait banal vu d'en haut

Tout y naît en pleine lumière, point de place pour le faux

La force d'affronter la journée est déposée sur ma peau

Mon désespoir crevassé fond comme le glacier au chaud

La montagne ne craint rien et vient à bout de chaque bourreau

Existant au-delà du temps, l'éternité bercée au rythme de l'eau

A son appel, mon cœur de cristal reconnaît enfin ce qu'il vaut


I

Assise devant la cabane alpine dont elle était la gardienne, Niki savourait une bonne tasse de café, alors que les premières lueurs du jour chassaient petit à petit le brouillard dans la vallée. La nature s'était plongée dans son sommeil, recouverte d'un manteau de neige bienveillante, alors que la station, elle, se réveillait de plus belle, pour offrir aux touristes ses pistes de ski et autres attractions.

Mais pour l'heure, tout était encore calme, seuls quelques cliquetis du torrent gelé, les petits grincements du glacier et quelques animaux troublaient légèrement le silence des montagnes. Niki aimait observer les quelques bouquetins et chamois qui se frayaient un chemin dans le pierrier non loin du refuge, alors qu'un lapin mâchouillait le peu d'herbe qu'il avait pu dénicher et qu'un aigle tournoyait au-dessus d'une corniche de la face nord la plus difficile d'Europe.

Les alpes bernoises l'avaient vue naître et étaient depuis toujours sa patrie, son pied-à-terre et son paradis jusqu'au jour où elles étaient devenues son enfer. Après sept années passées à se mesurer au toit du monde, elle était, malgré la douleur et la colère omniprésente, revenue pour faire de cette modeste cabane sa retraite en attendant le jour béni où la montagne voudrait bien la juger digne d'elle et la prendre enfin dans son sein.

Un aboiement la sortie soudain à ses pensées moroses. Machinalement sa main passa sous le banc pour caresser le husky sibérien couleur crème qui s'y trouvait.

– Vodka, tu te réjouis ? C'est Peter avec nos provisions d'hiver.

La chienne, dont le lys frontal était parfaitement dessiné, posa son museau sur la cuisse de Niki, alors que le boucan infernal du rotor chassait à des kilomètres la faune restante. La neige au-dessus du toit du refuge se mit à virevolter dans les airs, lorsqu'un hélicoptère vert pointa son nez derrière la petite bosse qui protégeait les lieux des vents et des coulées de neige.

– Hey yeux bleus, plus belle que le ciel ! cria le pilote à peine l'engin posé.

Il tendit un os de bœuf congelé à la chienne enjouée. Pour autant son regard, lui, était plongé dans celui de la jeune femme.

– Tu la gâtes beaucoup trop Peter, dit-elle légèrement embarrassée, car elle n'était pas dupe, ces salutations ne faisaient nullement référence aux orbites claires du husky.

Pendant que Vodka se délectait de son cadeau de Noël avant l'heure, Niki s'empressa d'aider Peter à décharger la nourriture et les réserves de carburants de l'appareil.

L'allure sportive avec son mètre huitante, et la force colossale de la jeune femme impressionnaient à chaque fois le pilote. Il s'imaginait ce que ça devait être de former une cordée avec elle, afin d'escalader une paroi rocheuse ou d'atteindre un sommet.

Lorsqu'elle était revenue au pays, il avait espéré qu'elle l'emmène, mais elle lui avait répondu abruptement que cette partie de sa vie était définitivement terminée et que s'il voulait faire de la haute montagne il n'avait qu'à s'adresser à l'un des nombreux guides de la station.

– Alors on rêvasse, je parie que tu n'as pas déjeuné, à croire que tu sais toujours quand je fais de la tarte aux pommes.

Cette fois ce fut lui qui secoua la tête d'embarras avant d'ajouter en gloussant:

– Qu'est-ce que tu veux, elle est légendaire.

Malgré la mélancolie qui habitait sans cesse les yeux azur, il reçut enfin un timide sourire en retour.

En plaine, la première rame remplie de touristes s'élançait vers la montagne, tandis que Peter ne résistait pas à la tentation d'une seconde part de tarte.

– Tu es certaine que tu ne veux pas redescendre avec moi, ils annoncent une dépression qui pourrait durer plus d'une semaine.

Niki se contenta de secouer la tête en sirotant une nouvelle tasse de café. Il n'insista pas, sachant très bien que des nuits à moins quarante centigrades n'effrayaient nullement la tête de mule aux cheveux charbons.


II

Après le départ de Peter, Niki rejoignit Vodka en contrebas :

– Alors ma belle, tu as pris des forces pour la journée ? On va fendre encore quelques bûches avant d'aller nous promener sur la crête.

Le regard de l'animal, comprenant tout ce qu'elle disait, croisa le sien pour confirmer, avant de se diriger vers le petit traîneau en remuant joyeusement la queue. Niki empoigna sa hache qu'elle avait aiguisée soigneusement la veille et se mit à l'ouvrage.

Un à un, les longs rondins d'un mètre furent réduits à une longueur de trente centimètres. Vodka restait à une distance raisonnable du billot de bois sur lequel frappait sa maîtresse, attendant sagement qu'elle lui fasse signe, afin de prendre les bûches dans sa gueule et de les déposer dans la grande bâche qui surplombait le traîneau.

– Que penses-tu ? Ça va suffire à traverser la tempête ?

– Wouf, fut la réponse enthousiaste, alors que Niki d'un sourire passait déjà le harnais autour du cou et des flancs puissants de la chienne, afin de remonter la réserve de bois sur la courte distance qui séparait l'abri rempli de plusieurs stères de bois du refuge.

Aux alentours de midi, il y avait suffisamment de bois autour de l'âtre pour survivre à une semaine de tempête de glace. Niki caressa avec douceur le poil fin de son amie à quatre pattes tout en partageant un morceau de pain et de fromage avec elle.

La chienne adorait l'Emmenthal1, alors que Niki préférait les fromages du canton voisin, aussi lui laissa-t-elle le dernier morceau.

– En route ma fille, le moine2 a déjà revêtu son manteau, l'anticyclone faibli.

Vodka aimait se rouler dans la neige en cherchant à attraper les boules que lui lançait Niki. La promenade vers la petite crête surplombant le grand névé3, malgré l'air froid qui leur faisait face, leur fit le plus grand bien.

Elles observèrent un long moment les milliers de skieurs qui profitaient de la bonne poudreuse le long des flancs des trois titans reliés par l'éclat d'une splendide mer de glace.

La vue de l'observatoire trônant majestueusement au-dessus de l'arrivée du train crémaillère plongea la jeune femme dans un passé où la douleur signifiait uniquement des écorchures sur les genoux et les mains après une belle journée d'escalade, où les regrets ne se portaient que sur une sortie manquée à cause de la météo instable, et où l'amour se partageait au gré des vents avec une facilité déconcertante.

– N'est-elle pas belle ma fiancée, sœurette ? Un jour je l'épouserai ! lui lança en riant une voix surgit d'outre-tombe.

Un sanglot menaça de remonter le long de sa gorge, mais comme à son accoutumée, elle le ravala avec rage. Le husky visiblement alarmé par l'état d'esprit de sa maîtresse vint se blottir entre ses jambes.

Les rayons de l'astre de jour firent étinceler de plus belle la robe de la mariée de milliers de paillettes dorées lui rappelant douloureusement la chevelure de son frère disparu.

– T'inquiète pas ma grande, j'ai dépassé il y a longtemps le stade de faire une bêtise.

Elle se pencha pour embrasser la truffe chaude tout en se blottissant dans la douce fourrure.

– Hé, pas l'oreille, ça chatouille ! se défendit-elle contre les coups de langue qui chassèrent habilement ses pensées noires pour un temps.

Le ciel se voilait de premiers nuages et au loin les ténèbres déferlaient déjà sur les alpes françaises et italiennes, tel un encrier qu'on venait de renverser. Un dernier regard vers le grand névé avant de regagner d'un bon pas leur sûr abri.

- Étrange, on aurait dit… oubli ça, je radote… si c'était le cas, la REGA4 serait déjà là… il faut vraiment que je me ressaisisse et je compte sur toi pour m'y aider.

Une dernière léchouille avant que la chienne bienheureuse ne se laisse glisser dans le doux manteau blanc, et que Niki ne retire les peaux de phoques sous ses skis pour profiter d'une descente de rêve vers le refuge.


III

Une fois les fenêtres et la porte cloisonnées hermétiquement, la gardienne avait fait une grosse flambée dans l'âtre de la cuisine qui lui servait également de chambre. L'aile du refuge qui abritait le dortoir et le réfectoire ne servait qu'en plein été, car trop exposée aux intempéries.

Si vraiment quelques fous de la montagne voulaient y séjourner en dehors de juillet et août, un bivouac en tôle avait été installé sous la cabane, relié au refuge par un tunnel creusé dans le rocher. Mais la gardienne téméraire n'y descendait que si réellement le ciel menaçait de lui tomber sur la tête.

– Que penses-tu de ce ragoût Vodka ?

En guise de réponse, celle-ci replongea gaiement dans sa gamelle. Lors de toutes ses expéditions on l'avait nommée responsable des repas, un art qui lui venait de sa mère. Cette pensée lui arracha un long soupir, alors qu'un faible grésillement retint son attention.

– Juste à temps Mamouchka, dans moins d'une heure la tempête sera sur nous, dit-elle en posant le casque-radio sur ses oreilles.

– Peter m'a dit que tu l'avais rembarré une fois de plus, lui lança la voix chaleureuse en riant.

– Je n'y peux rien, il est très sympa, mais…

Niki se tut, car inutile de rappeler à sa mémoire ses échecs sentimentaux.

– Tu sais chérie, tu me fais penser à l'héroïne du nouveau best-seller qui fait fureur par ici.

Ah la la, Mamouchka et ses livres, mais pour ne pas frustrer sa grand-tante, la gardienne lui demanda de quoi parlait le roman en question.

– C'est l'histoire passionnante d'une princesse guerrière qui cherche la rédemption au temps de la Grèce mythologique en défendant les pauvres et les opprimés.

Ceci surprit Niki, car en général les lectures de sa grand-tante relevaient plus du genre Harlequin que de grandes épopées de combats héroïques.

– Oh, alors pas d'eau de rose pour une fois ? se moqua-t-elle gentiment.

– Mais bien sur que si, et c'est mon homonyme.

Jamais Niki n'aurait pensé que son unique confidente en dehors de Vodka puisse se passionner pour de la littérature alternative.

Dehors les vents commencèrent à se déchaîner et la communication devint de plus en plus difficile. La neige tourbillonnait et se mit à recouvrir le refuge et il n'était pas simple pour Niki de maintenir le feu dans l'âtre située à plus de trois milles mètres d'altitude. Aussi décida-t-elle de faire quelques réserves d'eau chaude avant de regagner sa couche pour la nuit, Vodka près d'elle.


IV

Un dernier rayon frappa le grand névé. Un objet métallique le refléta de manière aveuglante comme un miroir. La neige autour sembla soudain s'écarter pour faire apparaître un bras puis un visage.

La vitre des lunettes de ski était brisée et avait laissé une coupure sur le nez rougi par le froid glacial. Il se débarrassa tant bien que mal de la neige qui recouvrait son corps en essayant ensuite de se mettre debout, mais ceci lui arracha un cri de douleur et il retomba dans la neige. Visiblement une cheville était foulée et la jambe en proie à de sérieuses gerçures.

Une rafale de vent lui balança de la neige au visage, alors qu'il essayait péniblement de rejoindre le bord du névé, espérant y trouvé un abri contre les rochers, le temps de trouver une solution à sa situation désespérée. Les tourbillons qui se formaient dangereusement dans le couloir lui arracha l'écharpe posée sur sa bouche, et le força à avaler quantité de neige.

La nuit tomba rapidement, emportant avec elle les vingt degrés en dessous de zéro. Sa jambe était maintenant tellement frigorifiée que la douleur avait disparue.

Combien d'heures cela avait-il pris pour atteindre la bordure du névé, toute notion du temps lui avait échappé depuis. Il se rendit compte que c'était tout son emploi du temps de ces derniers jours qui lui échappait, une amnésie certainement causée par le coup qu'il avait reçu à l'arrière du crâne en réceptionnant sa chute.

– Surtout ne t'endors pas ! s'encouragea-t-il à voix haute tout en cherchant des yeux une éventuelle ouverture dans les rochers.

Si au moins la lune pouvait percer quelques minutes l'épais voile, mais le ciel l'abandonnait. Ses yeux cherchèrent et cherchèrent encore le long de la silhouette terrifiante de l'ogre5 pour y déceler le moindre abri qu'il pourrait atteindre.

Sa vie allait s'achever de la même manière qu'elle avait été, oubliée de tous, sans attache et totalement vide de sens. Avançant à quatre pattes, il finit par se laisser tomber dans le linceul immaculé.


V

Un cri déchira la nuit. Niki se réveilla en sueur, alors que sa chienne s'empressait de lui lécher la main qui pendait le long du lit pour se rassurer.

– Quel horrible cauchemar, ça avait l'air tellement vrai !... et si… non…

La gardienne secoua négativement la tête, alors que la sensation désagréable de froid et de peur l'affolait encore. Et si quelqu'un était vraiment tombé de la falaise ? Il aurait fallu pour ça délaisser les pistes balisées de près d'un kilomètre, sans oublier qu'un adepte de free-style en aurait informé la sécurité des pistes et les hélicoptères seraient depuis longtemps à sa recherche.

Un à un elle fit la liste des points de pourquoi il était impossible que son rêve ait quoi que ce soit à voir avec la réalité, mais malgré tous ses arguments, Niki ne put se défaire de l'angoisse qui l'empêchait presque de respirer.

– Il faut qu'on aille voir !

La chienne s'approcha de la porte, comme un signe qui la conforta dans sa résolution.

Un quart d'heure plus tard, Niki et Vodka remontaient témérairement vers la crête surplombant le grand névé, alors que le blizzard s'acharnait contre elles.

– Je suis désolée de t'entraîner là-dedans mon chien.

Le husky se retourna et vint se placer à un mètre devant elle pour lui ouvrir le chemin.

Leur pénible avancée lui rappela l'ascension du Cho Oyu, premier des huit mille mètres qu'elle avait franchis, lors de laquelle, ils avaient essuyé une lourde tempête malgré la météo qui était annoncée favorable à leur départ. Ils avaient été retardé et avaient dû finir l'étape planifiée de nuit pour enfin atteindre l'abri et y installer leur bivouac.

Personne n'avait paniqué, à quoi bon, ici on ne risquait pas de mourir, on l'était déjà, et la seule chose que Niki regrettait alors était de ne pas avoir pu tenir sa promesse.

Elle fixa solidement la corde au rocher, afin de pouvoir descendre en rappel vers le grand névé. Niki l'avait fait des centaines de fois pour enseigner la grimpe, et cela aussi bien de nuit que de jour, mais là avec les vents tourbillonnant et la neige, il fallait procéder avec la plus grande prudence.

– Qu'est-ce que tu décides, garder le traîneau ou descendre avec moi ?

En guise de réponse la chienne monta sur un rocher pour grimper sur les épaules de sa maîtresse, comme elles avaient l'habitude de le faire. Niki passa alors une seconde corde entre son sac à dos et le harnais de sa meilleure amie. C'est ainsi qu'elles descendirent le long de la paroi.


Notes

1 Il s'agit là du fromage avec des trous (canton de Berne) contrairement au Gruyère (canton de Fribourg) qui lui n'en a pas.

2 Traduction de Mönch, l'un des trois géants des alpes bernoises.

3 Coulée de neige éternelle comportant pas de crevasses contrairement à un glacier.

4 Garde aérienne de sauvetage suisse

5 Traduction erronée, due à ses nombreuses victimes, de « Eiger » dont la traduction plus probable serait « le grand épieu ».


La suite d'ici 2-3 jours. Merci de me suivre