Louis a plongé. La face écrabouillée contre le sable, la gorge bombée d'eau. Louis a plongé. Il rejoignait Victoire dans un dernier sursaut, la cherchant dans les plis des vagues. Papa s'est jeté à l'eau. Maman, devant sa fenêtre, balançait ses longs bras maigres dans un « Adieu » sirupeux. Assise sur les rochers humides, je retournais mes os, dévisageant tendrement la noyade.

La Mer était furieuse de l'immersion du père. Elle les poignardait d'écume, s'ébrouant contre les rochers. Je glissais, les algues me collant aux jambes. Quelques grammes de sel dans la gorge, je battais des bras.

Papa a ramené Louis sur la berge. Son petit corps sec tremblant, il a craché la Mère. Papa pleurait sur sa dépouille vivante. Il embrassait les joues du petit Louis avec ferveur, comme une idole. Maman, devant la fenêtre, regardait la Mer.

Et la Mer la scrutait, gourmande. Et la Mer l'avalait. Et la Mer la laissait moite. Toute dégoulinante, du sel dans le coin des yeux. Et la Mer l'assassinait. Ultime nique faite à la divine. Offrande mortuaire à Poséidon.

Maman nous oubliait dans un froissement de cils, effaçant nos visages. Louis éparpillé sur le sable, Papa écrasé par la douleur. Et, moi, immergée dans l'eau jusqu'au cou. Il n'y avait plus que Victoire, la nuque fracassée, contre la berge. Victoire si belle dans son linceul glacé. Encore morte, elle nous poignardait.

Contre mon dos, l'écume fouettait. Le sang battait contre mes oreilles. Victoire me chuchotait des mots noirs, tout contre moi. Ses mains squelettiques sur ma gorge dans un sursaut fatal. Je crachais la Mère. Je disais « non ». Je me débattais contre les vagues, sans avoir pied. Et Victoire continuait sa terrible valse.

Elle était en colère, la Mère, me chuchotait-elle. Je n'avais pas le droit d'écraser Louis comme cela, j'étais lâche. Elle aspirait le « a » et le recrachait contre mon oreille pleine d'eau. Je battais des pieds, j'hurlais que cela n'était pas moi qui avais sauté. Qui était de nous deux la plus lâche alors ?

Elle riait qu'elle n'avait fait que se laisser avaler, bien au chaud dans la gorge de la Mère. Que la mort était trop belle. La vie est laide, susurrait-elle. Aussi laide que toi, Dominique. Je la rejetais d'un mouvement de bras. Maman l'avait contaminé et je n'y pouvais rien. Ses lèvres tartinées de rouge, ses yeux trop maquillés, elle s'était empoisonnée de son image étriquée. Le miroir se fissurant devant son visage noir.

Sur le rivage, je voyais Papa serrer Louis tout contre lui. J'agitais les bras : l'image vacillait. La Mère m'aspirait. Je battais des jambes. Je battais des jambes et Maman, devant la fenêtre, criait Victoire. Parce que plus rien n'avait de sens.

Mes yeux me brulaient, je pleurais. Victoire riait, comme Louis. Papa ne comprenait plus rien. Et je me noyais. Et je me noyais. La Mère me berçait, plus tendrement que jamais. Comme une promesse, Victoire chuchotait qu'enfin je serais belle, belle à en crever. Je battais encore des jambes, entravé par la poigne de la Mère. J'hurlais, la bouche grande ouverte, avalant la Mère.

Car, jamais je n'avais voulu être belle. Et cela, Victoire ne l'avait jamais compris.