Disclaimer : Tous les droits concernant A Song of Ice and Fire appartiennent à George R.R. Martin et à son éditeur.

Spoilers : Cette fanfiction démarre peu de temps après la Bataille de la Néra (fin de la saison 2, pour les show-watchers / ACOK pour les book-readers). Elle suit partiellement les évènements qui lui sont immédiatement postérieurs.

Rating : T. Je vous ferai savoir si le rating augmente en début de chapitre.

A/N : Le personnage de Shara Arryn est une construction personnelle. Son ajout dans la trame de l'histoire tend à la déformer de manière définitive à partir d'un certain moment (vous vous en rendrez compte). J'ai essayé de rendre cette fiction un peu plus "réaliste" que la précédente que je trouve déjà un peu trop... Disons que je trouve qu'elle finit trop bien. Enfin bref, j'espère que vous la trouverez agréable à lire. N'hésitez pas à commenter.


Birds of a Feather


Chapitre I – Yes, she does

La mariée était assise dans un superbe fauteuil, en face d'un superbe miroir, entourée de superbes cadeaux. Bijoux, pierreries, peintures, riches étoffes brodées d'or et d'argent, vases, robes, tiares, meubles faits des bois et des matériaux les plus précieux. Tous ces superbes cadeaux étaient pour elle, juste pour elle. Ils venaient de partout, d'Essos au Bief, de Villevieille à Vivesaigues, et ils avaient été envoyés par toutes les maisons de Westeros, des plus petites aux plus grandes, du sud jusqu'au nord… Mais pas toutes. Quelle surprise, railla-t-elle intérieurement.

Et la mariée était aussi entourée d'une nuée de femmes de chambre qui vrombissaient autour d'elle, tiraient ses cheveux, tordaient certaines mèches, en relevaient d'autres, tressaient, lissaient, bouclaient, posant des questions sans attendre de réponse, pestant les unes contre les autres, contre ses cheveux, sa position, geignant devant le temps qui passait. Et la mariée attendait juste qu'elles terminent.

Elle avait les cheveux d'un blond pâle, savamment coiffés en une multitudes tresses qui couraient tout autour de sa tête jusqu'à un enchevêtrement encore plus compliqué de mèches et de torsades dont s'échappaient ça et là quelques boucles, et les yeux d'un bleu ciel. Ils faisaient sa réputation, à vrai dire, tant ils étaient parfois durs, sévères et perçants sur sa peau laiteuse, mais ils n'étaient alors plus que las, perdus dans leur reflet. Même fardée, la jeune femme avait toujours l'air distante, bien trop distante pour une future mariée.

On lui demanda de se lever et de grimper sur un piédestal improvisé – un coffre, en fait. Elle obéit et se détourna de sa réflexion. Comme une poupée apathique, elle les laissa lui enfiler les jupons, la robe, la sur-robe. Elle ne savait pas à quoi elle ressemblait, en vérité pas plus que le reste du mariage, elle n'avait pas choisi sa robe. Ni les cadeaux, ni les invités, ni les lieux. Ni le mari. Elle ne réagit qu'à peine lorsque les oiseaux de malheur qui l'entouraient tirèrent les lacets de son corset.

« Ma dame, si j'osais, vous êtes… Vous êtes splendide, » s'enhardit à lui dire l'une d'entre elles. « Cette robe est incroyable.

- Ah oui ?

- Elle l'est vraiment. » Elle ne se rendait visiblement pas compte qu'elle n'avait cure de l'aspect de sa robe, et continua sa logorrhée. « Quels bijoux souhaitez-vous porter ? Peut-être des rubis, pour aller avec les broderies…

- Aie-je reçu des saphirs ? »

La camériste parut soudainement mal à l'aise, et balbutia qu'elle ne savait pas mais qu'il n'était peut-être pas prudent, enfin qu'il n'était pas convenant… Que le seigneur son futur époux n'allait pas apprécier, qu'elle devait porter du rouge… Elle haussa un sourcil et attendit qu'elle ait terminé de s'empêtrer dans ses explications pour descendre du plot au grand dam de ses autres femmes de chambre pour se diriger vers la table sur laquelle on avait posé tous les bijoux qu'on lui avait envoyés. Elle retint un rire narquois.

Ils étaient tous faits d'or jaune et de rubis. Certains avaient osé lui offrir des diamants, il y avait un collier d'émeraude – sans doute les Tyrell, mais il n'y avait aucun saphir. Rien de bleu. Que du rouge, de l'or, et un peu de noir. Elle resta un instant immobile, à observer ce superbe tableau. Je déteste le rouge. Elle ouvrit les boites laissées fermées. La plupart d'entre elles contenaient des peignes ou des broches. Mais toujours rien de bleu ou d'argenté. Il avait tout prévu, ou du moins, il s'était débrouillé pour qu'elle ne puisse pas se rebeller une dernière fois.

« Ma dame, votre époux désire que vous portiez ceci, » la rappela à l'ordre la plus vieille de ses dames de compagnie. Elle ne l'avait jamais vue, elle n'appartenait sans doute pas à sa suite. Encore une espionne. Elle tenait une rivière de rubis. « Il estime que…

- Je suis ravie de savoir ce que le seigneur mon futur époux désire, mais je souhaite… Porter ceci. »

Elle saisit un collier de perles, encore rangé de sa boîte, et le lui tendit. Il était accompagné d'un ornement de tête, une sorte de tiare souple faite des mêmes perles. Elle la saisit et revint s'asseoir en face du miroir, placide. Elle sentit la gêne dans l'assistance mais réitéra son ordre. Elle portait ces perles. C'était encore ce qu'il y avait de moins rouge dans cette pièce.

Quand elle croisa son propre regard dans le miroir, elle découvrit la robe qu'elle portait. La camériste n'avait pas menti : c'était objectivement une merveille. Toute de pourpre et d'or, elle était faite une robe d'un blanc nacré parcouru de broderies dorées figurant de grandes fleurs, des roses sans doute, et d'une sur-robe faite d'un lourd brocard rouge. Le corsage reprenait les motifs de la robe et son décolleté était serti de petites perles d'or. Le tout était tellement volumineux qu'elle peinait à rester assise sans glisser.

Bien sûr, la rivière de rubis qu'elle aurait dû porter aurait sans doute fait de la tenue une œuvre d'art. C'était bien le but, en plus d'assurer définitivement l'emprise de son époux sur elle. Mais il aurait dû s'attendre à ce qu'elle résiste et à ce qu'elle refuse. Elle avait déjà trop accepté, c'était déjà presque un miracle qu'elle soit là, apprêtée comme une véritable princesse le jour de ses noces. Et peut-être qu'elle n'était pas si loin du compte.

« Quelle dommage, madame, que vous refusiez de porter le présent de Lord…

- Je vous remercie de vos conseils avisés, » répliqua-t-elle d'une voix cassante. « Mais je ne vous aie pas demandé de m'en donner. Je porterai les perles.

- Mais le seigneur…

- Le seigneur sera sans doute fâché de ne pas me voir arriver à l'heure au septuaire et il le sera probablement encore plus s'il apprend que c'est à cause d'une femme de chambre impertinente et entêtée. »

Elle tourna la tête vers cette dernière et la fixa quelques secondes. Elle finit par plier, au sens propre comme au sens figuré, et passa les rangées de perles autour du cou de la jeune femme. Elles étaient doucement fraîches sur sa peau et elle les effleura du bout des doigts tandis que l'on plaçait au sommet de sa tête, au dessus de son chignon, l'ornement qui lui était associé. Ce n'était pas si mal, c'était peut-être même mieux ainsi. Moins tapageur. Plus distingué.

Elle acquiesça et se releva. Elle saisit la cape d'un gris perle qui pendait à l'un des montants de son lit et la drapa autour de ses épaules. On avait pas eu le temps d'aller chercher la cape nuptiale de sa maison, aussi avait-on à la hâte trouvé un ersatz presque grotesque tant sa qualité était inférieure à celle de sa robe. Les caméristes quittèrent alors tour à tour la chambre et laissèrent leur place à la Garde Royale toute de blanc vêtue. Elle réprima un frisson. Ces mêmes hommes qui l'avaient jetée dans une geôle à peine une semaine plus tôt l'escortaient désormais jusqu'à l'autel. Elle ne leur adressa pas le moindre regard et se dirigea sans un mot jusqu'à la voiture qui devait l'emmener jusqu'au Grand Septuaire de Baelor où l'attendaient la totalité de la Cour et quelques autres invités triés sur le volet. Ainsi que son époux.

Plus jeune, elle s'était parfois ingéniée à imaginer ce que serait son mariage. Elle avait été élevée pour ne voir qu'un acte purement politique dans l'événement, sans que jamais on ait laisser l'enfant qu'elle était à l'époque imaginer autre chose qu'une union de raison, utile non seulement à sa maison mais surtout au royaume tout entier. Même plus grande, alors que la plupart des hommes et des femmes qui croisaient son chemin vantaient sa beauté naissante, il n'avait jamais été question de laisser le moindre damoiseau ou nobliaux lui compter fleurette, quand bien même sa belle-mère se lançait parfois dans de longues et lyriques tirades sur l'amour et sa magie.

Et elle avait grandi, elle était devenue une femme auprès d'un père qui n'avait jamais témoigné pour elle que d'un intérêt au mieux amical, au pire politique, et qui, en guise d'éducation, l'avait couverte de livres en tout genre et l'avait abreuvée d'histoires à la morale souvent très simple mais lourde de sens. Il avait façonné cette fille aînée comme il aurait sans doute façonné son fils s'il en avait l'occasion, sans jamais laisser le temps ou la chance à ce qui fait normalement l'éducation des jeunes filles de prendre sur elle. Pas de contes, pas de chant, très peu de couture, mais beaucoup de lecture, d'enseignement politique et d'encouragement à l'honneur.

Mais même ainsi, même en ayant pleinement conscience qu'elle n'aurait jamais rien d'autre qu'un mariage d'utilité, jamais elle n'avait imaginé cela comme ça. Jamais elle n'avait imaginé qu'on l'enfermerait dans un carrosse pour l'emmener de force au septuaire, et jamais elle n'avait imaginé qu'elle n'aurait pas le moindre mot à dire sur les évènements. Mais après tout, ce n'était pas la seule chose qu'elle n'avait jamais imaginé possible. Beaucoup de choses impensables arrivent, ces derniers temps. Un roi était mort, d'autres luttaient pour le pouvoir et elle s'était mise à jouer avec le feu en pensant ne jamais se brûler. Elle ne faisait que récolter ce qui lui était dû.

Quand ils arrivèrent enfin devant l'immense septuaire, elle marqua un temps d'arrêt avant de vraiment descendre de la voiture. Le bâtiment était superbe, avec ses immenses tours et ses coupoles. Une foule de badauds était réunie à distance raisonnable de son maigre cortège et l'observait dans un silence presque religieux. Ce n'était pas tant par respect que par choc cela ne faisait que quelques jours que la bataille de la Néra s'était déroulée, et déjà la Cour reprenait ses habitudes dispendieuses et mariait ses plus belles colombes. Son plus beau faucon.

Elle entra dans le bâtiment d'un pas lent mais décidé. Elle ne ferait pas leur joie en hésitant. Elle avait choisi ce mariage, même si ce n'était pas un véritable choix. Elle avait choisi de vivre plutôt que de mourir. Un choix que n'aurait sans doute pas fait son père à sa place, mais son père était mort. La salle circulaire était remplie de monde et tous avaient tourné les yeux vers elle. Elle ne leur rendit pas leur regard et s'avança au même rythme.

Elle s'arrêta lorsqu'elle vit Joffrey – le roi Joffrey, corrigea-t-elle mentalement, s'avancer vers elle d'un air crâne. Elle se raidit et releva le menton encore un peu plus qu'il ne l'était déjà. Il lui tendit son bras et haussa un sourcil.

« Votre père n'est plus et en tant que père du royaume il est de mon devoir de vous accompagner à votre époux, » déclara-t-il avec un sourire carnassier. « Comme c'est étrange pour un roi que de marier un de ses aïeux.

- Je n'en doute pas, votre majesté. »

Elle avait répondu d'une voix atone et avait saisi son bras sans y prendre gare. Elle descendit les marches en tentant de ne pas trébucher sur sa traine et sur le minuscule roi qui semblait se faire une joie de l'accompagner jusqu'à l'autel. Il était légèrement plus petit qu'elle et elle devait se pencher pour ne pas donner l'impression que c'était elle qui l'accompagnait. L'image n'échappa pas à certains courtisans qui dissimulèrent un sourire derrière une main élégante ou un éventail. La plupart, cependant, étaient murés dans un silence respectueux et sans doute un peu terrifié.

Par pas elle, non. Par son époux qui attendait près du Grand Septon, immobile, pour ainsi rigide. A son bras pendait la cape de sa maison, cape qui viendrait bientôt remplacer l'hideux drap blanc qu'elle portait encore. Le roi l'abandonna lorsqu'elle atteignit les marches de l'autel et elle les monta seule. Derrière elle, elle sentait le regard acerbe de la reine Cersai la toiser. Elle n'avait pas besoin de le voir pour le savoir. Elle s'arrêta au niveau de son futur époux et se tourna vers lui, tradition oblige.

Ils échangèrent un long regard, lourd de sens mais vide du moindre sentiment. Ils savaient tous les deux pourquoi ils étaient là, lui parce qu'elle avait tenté et réussi de s'élever contre le trône, elle parce qu'elle s'était brulée en jouant avec le feu. Elle avait réussi à valser au sommet des griffes Lannister sans jamais tomber, jusqu'au moment où on l'avait traînée jusqu'à leurs crocs. Et c'était sans doute le pire d'entre eux qui avait refermé le piège sur elle au point de la forcer à cette union contrenature du Lion et du Faucon.

« Votre majesté, votre majesté, » déclara le Grand Septon en saluant Joffrey et Cersei. « Messires, nobles dames. En ces lieux, au regard des dieux et des hommes, je déclare solennellement que le seigneur Tywin de la maison Lannister et la demoiselle Shara de la maison Arryn sont mari et femmes. » Il fit une pause maladroite. Il a fait réviser le discours, remarqua-t-elle. Il se tourna vers Tywin et continua. « Vous pouvez maintenant revêtir votre épouse de votre cape, la plaçant sous votre protection.

- Par ce geste, je vous prends pour ma dame épouse.

- Par ce geste, je vous prends pour mon seigneur époux. »

Leur deux voix, presque rauques, s'étaient élevées en écho l'une de l'autre dans l'immense rotonde du septuaire. Il n'y eut pas de baiser, pas de geste, elle se tourna juste pour sentir sa cape glisser de ses épaules et être remplacée par la lourde cape de velours des Lannister. Elle frissonna et ferma les yeux un instant. C'est donc cela que ressent l'oiseau en cage. La sensation était terrifiante. Elle allait devoir s'y habituer.

Elle ne réagit tout d'abord pas en sentant sa main sur son bras, puis comprit qu'elle devait se tourner vers la foule. Elle se défit de sa prise discrètement, tandis que la foule en contrebas applaudissait. La reine ne l'avait pas quitté des yeux - aurait-elle eu de véritables flammes à la place des yeux qu'elle serait sans doute morte plusieurs fois. Elle était en vérité la seule représentante des enfants de son époux à être présente – Tyrion était alité, gravement blessé, et Jaime était toujours introuvable. Ce fut d'ailleurs la première à se diriger vers le couple pour leur adresser ses félicitations déguisant à peine la haine qu'elle éprouvait déjà pour la jeune femme.

Et elle ne fut que la première d'une longue liste de courtisans à venir féliciter les jeunes mariés. Elle ne répondit que par les phrases d'usage, sans prendre la peine de distinguer les plus nobles des plus modestes, laissant le soin à Lord Lannister de ménager les sensibilités des uns et des autres. Elle attendit que le calvaire se termine pour remonter dans une voiture et retourner vers le Donjon Rouge. Les yeux tournés vers la petite fenêtre, elle ne tenta pas d'adresser le moindre mot à ce qui lui servait désormais de mari. Il fallut de très, très longs instants avant qu'il n'intervienne pour briser le silence qui s'était installé.

« Je suis satisfait de voir que cette robe vous sied.

- Elle est superbe, » répondit-elle sans feindre le moins intérêt. « Je vous remercie.

- Vous ne portez pas le collier.

- Non, en effet. »

Elle tourna lentement la tête vers lui. Son visage n'exprimait pas d'émotion particulière, pas d'agacement, de colère ou de surprise. Il faudrait qu'il soit capable d'en exprimer, cela dit. Il soutint son regard un long moment avant de se détourner à son tour et d'ordonner aux conducteurs de se hâter. Dehors, la frustration de la population était comme une rumeur sourde qui, lorsqu'ils traversèrent Culpucier, se fit plus menaçante encore qu'elle n'avait pu l'être quelques semaines plus tôt, lors des incidents du départ de la princesse Myrcella à Dorne. Elle n'était pas présente, restée dans ses appartements du Donjon Rouge pour terminer les préparatifs de la bataille de la Néra, mais elle avait assisté de sa fenêtre aux débordements et à l'incendie qui s'en était suivi. Sans doute ne voulait-il pas que de tels… Problèmes se reproduisent le jour de son mariage.

Si elle était le centre de l'attention, non seulement à cause de sa robe, de sa beauté et de sa réputation mais aussi à cause des récents évènements, il n'était pas en reste. Aurait-elle été parfaitement honnête qu'elle aurait dû reconnaître qu'il portait plutôt beau, dans un habit de parade. Large d'épaule, grand, encore mince, il n'y avait sans doute que sa calvitie pour rappeler que l'homme approchait de la soixantaine. Sa barbe et ses favoris étaient encore d'un blond doré et ses yeux verts brillaient encore avec force. Dommage que je ne sois son épouse que pour éviter le gibet.

« Puis-je vous demander pourquoi ?

- Je ne le souhaitais pas. Je pense que je porte assez de rouge et d'or pour vous contenter.

- Vous feriez mieux de vous y habituer, » lui rappela-t-il sans tourner la tête. « Ce sont désormais vos couleurs.

- Il faudrait peut-être dire la même chose au royaume entier, dans ce cas. »

Elle eut un minuscule sourire et retourna à sa contemplation des rues. Les soldats du Guet de Port-Réal semblaient contenir l'agitation générale à grand peine. L'ambiance avait changé du tout au tout entre le moment où elle avait quitté le Donjon et le moment où elle y retournait. Après tout, si le peuple ne la connaissait pas, il connaissait Tywin Lannister et la reine. Et il les haïssait tous les deux. Si, quelques semaines plus tôt, elle avait pu considérer cette haine comme un atout, elle était désormais dans sa ligne de mire. Shara Lannister, se répéta-t-elle silencieusement.

Peut-être qu'elle s'habituerait à la pourpre et à l'or, peut-être qu'elle se ferait à l'idée de devoir subir le ressentiment général à l'égard de sa famille d'adoption, peut-être même qu'elle finirait par apprécier sa position – qui sait ? Mais elle était certaine qu'elle ne se ferait jamais à l'idée de devoir porter le nom des Lannister. Arryn elle était née, Arryn elle mourrait. Aussi haute que l'honneur.

Lorsqu'ils arrivèrent dans la cour intérieure du château, elle repoussa encore une fois l'aide qu'on lui proposa et descendit seule de la voiture. Ils étaient les derniers à arriver, comme de coutume lors des mariages. Les festivités devaient avoir lieu dans la Grande Gallerie, où toute la Cour pouvait loger et où des estrades avaient été installées pour accueillir les quelques saltimbanques qui avaient été autorisés à animer la journée. Connaissant de réputation l'absence de goût de Tywin Lannister pour les joyeusetés de toute sorte, elle était à peu près certaine qu'il s'était limité au strict minimum et que ce n'était pas lui qui les avait sélectionnés.

Elle attendit qu'il arrive à sa hauteur pour passer son bras sous le sien et entrer finalement dans l'immense salle de réception. De nouveaux applaudissements retentirent et furent bientôt tus par les musiciens. Elle prit place à la table d'honneur, non loin du roi et aux côtés de son époux. Il n'y eut pas de discours, pas de rires gras, pas de plaisanteries graveleuses. C'était le mariage de la Main du Roi, du Lion de Castral-Roc, pas de quelque jeune nobliau à l'humour douteux. Ce n'est même pas un mariage.

Elle parcourut alors la salle des yeux, non pas en quête d'un quelconque réconfort – elle n'en trouverait pas, mais de tout ce qui avait pu changer depuis qu'elle avait été jetée dans sa cellule. Sansa Stark était toujours là, assise près du roi, le visage fermé et couverts de contusions de toute sorte. Tous les fards du monde ne pouvaient dissimuler le traitement que lui faisait subir son fiancé. Et elle avait beau ne connaître la jeune fille que de loin, elle ne pouvait s'empêcher de la plaindre. Elle avait cru en la bonté de Joffrey, comme beaucoup de monde avant et après elle. Pauvre fille. Son père avait fait la plus grande de ses erreurs le jour où il avait accepté de prendre la place du sien en tant que Main de feu le roi Robert. Et elle avait fait la plus grande des siennes en acceptant, la bouche en cœur, d'épouser le prince de l'époque, le roi de maintenant.

Pas vraiment le roi, songea-t-elle en tournant la tête vers son mari. Il ne souriait pas, ne parlait pas, ne regardait pas vraiment les artistes qui s'ébattaient face à eux. Il y avait trop à faire dans ce royaume pour s'amuser, visiblement. Quelque part, elle ne pouvait qu'être d'accord. Peut-être que dans d'autres circonstances, elle aussi aurait été occupée à diriger des troupes… Ou tout du moins à envoyer des informations à ceux qui les dirigeaient véritablement.

Elle ne se rendit pas compte qu'elle ne mangeait pas, se contenant de piquer machinalement des morceaux de viande, de légume dans son assiette sans jamais les porter à sa bouche. Elle n'avait pas faim. Elle n'avait qu'une envie : que cette journée se termine et qu'on en finisse avec cette mascarade. Peut-être qu'un peu d'alcool aurait rendu les choses moins longues, moins difficiles, mais elle n'éprouvait aucune attirance pour l'ivresse.

Elle fut sortie de sa torpeur par Petyr Baelish, debout face à elle. Elle cilla et pencha la tête tandis qu'il s'inclinait respectueusement devant le seigneur son époux. Espèce d'imbécile. Elle lui tendit sa main, qu'il baisa avec distinction, avant de se redresser et de croiser ses bras derrière son dos.

« Lord Baelish, » dit-elle avec un sourire forcé. « J'espère que les festivités sont à votre convenance.

- Elles le sont, madame. Les mets sont d'une rare délicatesse et la musique… Hmm, plus douce encore que tous ces vins dorniens.

- J'en suis ravie.

- Et moi, madame, je suis ravi de vous voir ainsi. J'avoue m'être inquiété pour vous, seule dans votre geôle glaciale. Quel… Retournement de situation que de vous voir ici, plus belle que jamais. »

Elle se tendit insensiblement. Tywin s'était désintéressé de son conseiller et était en pleine discussion avec Mace Tyrell qui ne cessait de se courber, tout sourire. Ces courtisans lui donnaient la nausée, et Lord Baelish, grand Argentier, était sans doute le pire d'entre eux. Son demi-sourire mi obséquieux mi sarcastique n'appelait qu'une chose : une gifle. Dommage que ce ne soit ni l'endroit ni le moment.

Elle laissa son sourire s'agrandir, refusant de se soumettre aux sous-entendus de ce volatile de malheur. Il était son vassal et il se pavanait devant elle comme s'il était d'une puissance aussi comparable à la sienne. Son honneur, piqué, réclamait justice mais elle se contenta de sourire. Parce que c'était tout ce qu'elle pouvait désormais faire. Sourire et rester digne devant l'humiliation.

« N'est-ce pas, » répondit-elle simplement. « Vous n'êtes désormais plus le seul à avoir connu une ascension… Surprenante.

- Je crains cependant que nos situations ne soient guère comparables. Je ne suis que l'héritier d'une maison mineure devenu Argentier du royaume, vous… Vous n'êtes rien de moins que l'héritière de la maison Arryn, rebelle à ses heures, devenue l'épouse d'un des hommes les plus puissants de ce monde en lieu et place de l'épouse d'une billot et d'une épée.

- Il est vrai. » Elle ferma les yeux un instant et se mit à rire brièvement. « Et comment… Pensez-vous que l'homme le plus puissant du monde pourrait réagir, si son épouse venait à voir son honneur terni par le petit noble du Val ? »

Son sourire vacilla légèrement et il acquiesça lentement. Les joutes verbales étaient son fond de commerce, mais il se débrouillait toujours pour rester dans sa zone de confort. Ce n'était cependant qu'une menace en l'air – elle n'avait aucune idée de la manière dont il pourrait réagir, en vérité. Il tenait certes à l'honneur de son nom plus qu'à toute autre chose, à l'honneur de sa famille plus encore, mais elle n'était pas sa famille. Elle était une pièce rapportée, quelque chose d'à peine utile. Mais Baelish n'insista pas et s'inclina avant de disparaître dans la foule.

Elle le suivit du regard et retomba dans une apathie contemplative. Quelque part, il n'avait pas tort. Sa présence ici était surprenante, et c'était un euphémisme. Quelque chose était intervenue, quelque chose avait convaincu Tywin Lannister que cette traîtresse à la couronne avait un intérêt qui justifiait sa survie et, plus encore, son intégration de la maison Lannister. Elle ne savait pas quelle était cette chose, personne n'avait su ou voulu le lui dire. Personne ne doit savoir. Elle doutait qu'il ait dit quoique ce soit à qui que ce soit à son sujet, si ce n'est qu'elle devait être sortie des cellules et ramenée à la surface.

« Vous avez chassé Lord Baelish, » constata-t-il une fois que Lord Tyrell fut retourné à sa table. « Pourquoi ?

- Il avait à faire, je ne l'ai pas chassé.

- Je ne suis pas sourd. J'ai entendu de quoi il était question. » Il porta son verre à ses lèvres en observant les convives. « Vous vous servez déjà de mon nom pour vous protéger. Vous ne perdez pas de temps.

- Je vous aie épargné une éprouvante conversation avec un flagorneur. Vous devriez plutôt me remercier. »

Elle tourna la tête vers lui. Son expression ne changea pas et il feignit de ne rien avoir entendu. Il se leva et s'excusa, déclarant devoir s'entretenir avec l'un des membres du Conseil restreint. Elle acquiesça et baissa les yeux sur son assiette. Elle était à nouveau remplie – de poisson, cette fois-ci. Consciente qu'elle était observée par absolument toute la Cour, elle finit par se résoudre à picorer au moins un peu de ce qu'on lui servait.

Le plat avait beau être délicieux, elle n'y prit aucun plaisir et se perdit de nouveau dans la contemplation de l'assistance. Elle finit par accrocher le regard de la reine régente qui, visiblement piquée au vif par la situation, se releva et se dirigea vers elle, un léger sourire aux lèvres. Elle se releva pour s'incliner devant elle, avant de sentir ses doigts sous son menton.

« Redressez-vous donc. Il semble que nous soyons désormais de la même famille. »