Il avait réussi. Son dessein final, la beauté de son accomplissement se trouvait devant ses yeux. Sa vengeance, ce but pour lequel il s'était désâmé, était enfin atteint. Il n'avait plus rien d'autre à faire que de regarder crépiter le feu de sa victoire. Le feu, oui, en lui-même. A quelques pas de ses bottes de fers gisaient là Andragoras III, et son fils, et il bravait sa peur et taisait son envie de reculer pour contempler son œuvre la plus ultime. La fin de ces longues années de haine, devant lui. Devant ses yeux qui regardaient et qui ne trahissaient aucune émotion. Aucune joie. Aucun dégoût. Il regardait Andragoras lutter alors que son fils avait déjà quitté la bataille et le supplice. Il regardait Andragoras serrer les dents, puis finir par malgré tout laisser échapper un hurlement de douleur. Il le regardait trembler sur le sol en s'agitant aussi faiblement que ses blessures le lui permettaient. Il était pitoyable. Lui donnait envie de vomir. Mais il le regardait. Et il le regardera jusqu'à la fin de son agonie. Ou, même, jusqu'à ce que le feu le consume entièrement. Il baissera la tête pour scruter le tyran perdre sa chair qu'il voyait s'empourprer. Ca fait mal, hein ? Il pensa. La partie droite de son visage le lançait à la vue des flammes. Ses yeux piquaient à l'odeur de la fumée. Et les cendres s'introduisaient dans sa trachée et dans ses poumons. Mais il ne broncha pas. Il ne bougea pas. Il avait attendu ça pendant tellement d'années. De longues années torturées par les souvenirs, par la douleur et par une haine qui n'avait pas d'égal. De longues années à rêver voir celui qui se présentait comme son oncle mourir, et mourir avec son fils comme lui avait failli mourir avec son père. Et, aujourd'hui, il était allé au-delà de toutes ses espérances. Il les tuait par le feu. Et il avait repoussé tous ses doutes. Il avait refusé de s'écouter, n'écoutant que la voix de la haine, étant sûr de faire le bon choix.
Et pourtant, il se trouvait là. Il se trouvait là devant l'homme qu'il haïssait plus que tout au monde, il se trouvait là devant celui qu'il pensait s'amuser à torturer indéfiniment. Et il avait cette expression neutre, sans aucune explication, et il y avait dans sa tête une voix étrangère qui lui répétait. Tu vois, ça n'en valait pas la peine. Une voix qui lui semblait pourtant familière. Tu ne te sens pas mieux, n'est-ce pas ? Une voix qui lui rappelait quelqu'un. La vengeance ne répare rien. J'ai tenté de te l'expliquer, tu ne m'as jamais laissé le temps. Sa propre voix. Celle qui avait disparu ce jour. Celle qu'il avait abandonnée pour des rêves de fureurs. Celle à qui il avait toujours coupé la parole, certain de ne plus en avoir besoin. Que vas-tu faire, maintenant ? Il restait silencieux. Il la laissait parler. Il se laissait penser. Il regardait le roi – l'ancien roi – se battre encore sur le sol. Il ne ressemblait plus à rien. Il était hideux. Maintenant qu'il n'y a plus rien ? Il avait l'épée et la couronne de Parse. Et il avait ce masque d'argent sur son visage. Et il avait… Rien d'autre. Il n'avait rien d'autre. Plus personne. Irina aussi, était morte. Elle était morte pour sa vengeance ; il l'avait sacrifiée. Plus d'objectifs. Parce qu'il l'avait tristement accompli. Plus rien. Une épée, une couronne. Et la peur du feu. De lui ou du semblant d'homme devant lui, il se demanda qui était le plus pitoyable.
