Petite histoire en deux gros chapitres ! C'est ma première fanfic sur Rizzoli & Isles, j'espère que cela vous plaira!


« Whenever you call me, I'll be there

Whenever you want me, I'll be there

Whenever you need me, I'll be there

I'll be around »

The Spinners.

Jane se réveillait péniblement. Tout son corps lui paraissait douloureux. Ses souvenirs l'étaient aussi. Elle n'était pas passée au travers d'une vitre depuis ses dix ans. Et elle aurait volontiers évité de de renouveler l'expérience. Le plus drôle dans cette histoire, c'est que sa mère l'avait engueulée de la même manière que lorsqu'elle était gosse. Après quoi, elle avait été saouler de questions le médecin qui s'occupait d'elle. Comme à l'époque. Il y a des choses qui ne changent pas.

Son canapé avait beau être moelleux et confortable, quoiqu'en disait le reste de sa famille, elle avait mal dormi. Depuis le début de l'enquête, elle échouait invariablement entre les coussins dépareillés de ce canapé, tous les soirs. Elle avait mal au crâne. Ses tempes lui semblaient traversées par une pointe qui lui écorchait la cervelle. Et il y avait cet énorme bleu sur le sommet de son crâne, ces égratignures sur les bras... ça avait été une sale journée. « Tout ça pour rien », songea-t-elle, en s'asseyant avec des grimaces de douleur. C'était ce qui lui faisait le plus mal. L'échec. Et l'inaction qu'on lui imposait à présent.

Machinalement, elle alluma la télévision. Tomba sur une rediffusion d'un match de play off. Elle n'aimait pas particulièrement le basket. Mais ça l'occuperait. Elle coupa le son, et fouilla sous les coussins du canapé qui était devenu son radeau, ces dernières heures. Elle extirpa le dossier de l'enquête en cours, l'ouvrit en grand sur la table basse en repoussant les boîtes de pizza vides et les sachets de chips éventrés. Saisit la boîte de paracétamol qui traînait dans un coin. Goba un comprimé. Puis deux, pour faire bonne mesure. Elle voulait avoir les idées claires. Il fallait mettre la main sur ce fou furieux. Le plus vite possible.

On frappait à la porte. Depuis combien de temps, elle n'aurait su dire. Le sommeil l'avait saisi sans qu'elle s'en rende compte, il y avait des photos de scènes de crimes étalées par terre, à portée de regard. Elle jeta un coup d'œil à la fenêtre. Il faisait presque nuit. C'était l'heure entre chien et loup. Elle n'aimait pas ça. Il ne faisait pas tout à fait nuit, mais mais ce n'était plus le jour pour autant. Une heure où rien n'est clair, défini. L'indécision, ce n'était pas dans son caractère. Elle se leva, grimaça. « ça va, ça va, j'arrive ! », lança-t-elle. Qui pouvait bien venir chez elle à cette heure-ci ? Sa mère, inquiète ? Tous les autres étaient encore au poste. Elle regarda au travers de l'œilleton, eut un léger sourire. Soupira en déverrouillant la porte. Elle aurait dû s'en douter.

Elle naviguait déjà vers le canapé quand Maura referma la porte derrière elle.

Celle-ci embrassa du regard le salon de l'appartement. Le salon de quelqu'un qui est trop investi ailleurs pour se soucier de son intérieur. Il y en avait partout. Des sachets de cacahuètes vides, d'innombrables bouteilles de bière vides alignées aux pieds du frigo, qui attendaient que l'on daigne les jeter. Un bac à linge trônait sur le plan de travail de la cuisine, plein à ras bord de vêtements froissés. Le propre et le sale mélangé. Cela fit tiquer Maura. Elle était toujours impeccable, organisée. À l'opposé de ce capharnaüm. Et cela en disant long sur l'état de fatigue de Jane. Elle n'était pas aussi maniaque qu'elle, c'était un fait. Mais tout de même. Elle rejoint Jane qui avait déjà repris sa place dans le creux du canapé, tournant les pages du dossier étalé devant elle. Un autre match de basket se jouait en silence en face d'elle. Maura écarta les coussins et les relevés téléphoniques qui s'étaient enfuis du dossier pour échouer entre les couvertures. Elle leva son regard vers Jane, concentrée, sa main droite parcourait du bout des doigts ce que ses yeux lisaient. Elle remarqua qu'elle portait les mêmes vêtements qu'hier, lorsqu'elle était partie de chez elle après l'avoir déposée en sortant de l'hôpital. Ce vieux t shirt de la BDP et ce pantalon de sport.

- Jane ?

- Mmh ?

- Tu portes les mêmes vêtement qu'hier soir.

- Mmh.

- Et je crois que c'est tout ce qu'il te reste de ta garde robe.

- Mmh.

Seules les intonations changeaient les quelques syllabes que Jane s'obstinait à maugréer. Trop butée, trop concentrée pour répondre correctement à Maura, pourtant assise près d'elle. « Encore blessée dans son orgueil de n'avoir pas réussi hier », songea la blonde.

- Jane, comment tu te sens ?

- Mmh.

- Tu comptes me parler par monosyllabes toute la soirée ?

- Mmh.

Maura restait patiente. Elle connaissait Jane. Elle savait que cette mauvaise humeur et cet apparent dédain n'étaient pas volontaires. Juste un contre coup d'hier.

- Il faut qu'on parle, tu sais. Il le faut.

Seul le silence lui répondait. Comme si articuler le moindre son était trop dur pour la brune. Elle entendait Maura. Mais préférait faire la sourde oreille. Ses mâchoires s'étaient imperceptiblement serrées, aux derniers mots de son amie. Preuve qu'elle ne parlait pas dans le vide. Et Jane savait que Maura le remarquerait. « Elle me connaît beaucoup trop bien », s'agaçait-elle. Elle esquissa un sourire qui disparu instantanément. Ses yeux venaient de trouver quelque chose parmi les pages maintes et maintes fois parcourues. Elle se figea. Il y avait quelque chose du chien de chasse qui retrouve une piste fraîche après s'être perdu. Tout son être semblait tendu par la réflexion. « Et si... ? Mais oui ! »

- Jane... s'il te plaît. Écoute-moi.

- Oui, attends, Maura, je crois que j'ai compris !

- Quoi ?

- Là où trouver le meurtrier !

Et elle se leva brusquement, pour aller fouiller dans une étagère. Sans ménagement, elle sortait et jetait par terre les livres et les objets qui encombraient les tiroirs. Maura ne comprenait pas. Elle la regardait, à genoux devant une étagère, en train d'accumuler plus de désordre au désordre préexistant. Mais elle le savait. Lorsque Jane était ainsi, c'est qu'elle avait une piste. Et une bonne.

- Ah, je l'ai !

Elle brandissait une carte de Boston qui avait déjà vécu, visiblement, piquée de minuscules trous de toutes parts, écornée, griffée. Puis, sans plus de cérémonie, elle la scotcha au mur, se recula, la fixa quelques secondes. « Mais oui, c'est ça... » Elle replongea dans le tiroir éventré pour en sortir une boîte d'épingles. Enfin, elle revint vers la table basse, se saisit du dossier, le parcourut de nouveau du regard. Maura vit l'excitation dans son regard, la concentration. Elle vit le coin de ses lèvres s'étirer un instant en sourire, avant qu'elle ne retourne se poster face à la carte. Puis, pour la première fois depuis qu'elle était arrivée, elle lui adressa la parole, franchement.

- Maur', tu te souviens de Zucker, le psychiatre spécialiste en criminologie ? Il répétait tout le temps ça, « Nous allons dans les endroits où nous nous sentons chez nous et nous nous sentons chez nous dans les endroits où nous allons », quelque chose comme ça...

- oui...

Elle avait compris où Jane voulait en venir.

- C'est comme ça qu'on va le coincer. On va l'avoir. On va l'avoir, Maur' !

Elle s'était retournée pour chercher du regard son amie. Elle ne l'avait pas entendu se rapprocher d'elle, toute concentrée qu'elle était. Lorsqu'elle fit volte-face, elle buta presque sur Maura, qui lui souriait, sans rien dire. Toujours ce sourire. Celui qui lui retournait les tripes sans qu'elle ne comprenne pourquoi et qui l'apaisait. Elles restèrent un instant interdites, face à face, à quelques centimètres l'une de l'autre. Et, sans rien dire, Jane étreint Maura, la soulevant de terre. « On va l'avoir, Maur', on va l'avoir ! » Elle partit d'un éclat de rire communicatif, reposant doucement à terre son amie. Maura s'amusait du revirement d'humeur de Jane. De ces quelques secondes d'intimité. Elle sentait encore les doigts de Jane sur elle. Ils lui avaient paru brûlants, sur sa peau fraîche, presque aussi froide que celle de ses patients. Jane ne la vit pas rougir, se détourner.

Déjà, elle plantait des épingles sur la carte, vérifiant d'un coup d'œil au dossier les lieux où leur fuyard avait l'habitude d'aller. « Il ne peut pas sortir de Boston, il y a des patrouilles partout, ses cartes de crédit, son téléphone et son passeport sont surveillés. Il éternue et on lui tombe dessus pour lui donner un mouchoir. Il n'a pas d'autre choix que de faire profil bas, et de rester à Boston. On va le coincer, c'est une question de temps, et de vérification, maintenant ! Il faut que j'appelle Korsak, pour lui dire d'envoyer des patrouilles là, là et là... » à présent, elle se parlait plus à elle-même qu'à Maura. Elle réfléchissait à haute voix,mains sur les hanches, sillonnant la carte des yeux. « Il faut que j'appelle Korsa... » alors qu'elle fouillait dans le tas de feuilles à ses pieds, elle vit la main de Maura qui lui tendait son téléphone. Elle leva les yeux vers elle. Encore ce sourire. Malicieux et serein. Elle le lui rendit, se saisit du téléphone et appela Korsak.

Maura s'était dirigée vers la cuisine, ouvrant le frigo pour contempler un désert. À l'exception d'un bocal de cornichons et d'une bouteille de ketchup périmée depuis deux ans, il n'y avait rien dans les étages. Mais le bac à bières était plein à craquer. « Chacun ses priorités nutritionnelles, hein ? » murmura-t-elle en sortant deux bouteilles pleines.

- Jane, si tu as le temps de faire des courses pour acheter de la bière, tu pourrais aussi en profiter pour acheter, je ne sais pas, moi, de la nourriture solide ? Je ne me doutais pas que le régime alimentaire liquide à base de houblon était si prisé et efficace. Serait-ce une nouvelle mode de régime européenne que j'ignore ?

La brune se retourna vers elle, raccrochant son téléphone.

- Serait-un sarcasme, Dr Isles ?

- Sans nul doute, inspecteur Rizzoli. Un sarcasme, c'est un trait d'ironie, plus ou moins mordant. À ne pas confondre avec l'ironie, qui consiste à dire le contraire de ce que l'on pense en...

- Ah, Maura, c'est bon, j'ai pas besoin d'une définition du dictionnaire, je sais ce qu'est un sarcasme, je le pratique suffisamment ! Toi en revanche, c'est plus rare.

Elle s'était installée face à Maura, de l'autre côté du plan de travail, en poussant le bac de linge dans un coin, désormais en équilibre précaire. Ce que Maura remarqua, alors que Jane prenait une gorgée de sa bière, avec délectation.

- Laisse, Maura, si ça doit tomber, ça tombera. Et ça ne tombera pas plus bas.

- Mais Jane...

- Laisse. Tout n'a pas besoin d'être classifié avant d'être rangé, Maura !

- Reconnais quand même que ton appartement ressemble à un champ de bataille, Jane.

Maura versa sa bière dans une tasse. Elle avait dû fouiller les recoins de placards pour en trouver une propre. Elle en était réduite à boire de la bière dans un mug avec des personnages de dessins animés en guise de décoration. La brune jeta un regard sur la pièce. C'était comme si elle la découvrait pour la première fois depuis des jours. Son esprit sortait du brouillard. Elle mesura d'un coup l'ampleur du désordre.

- Oui, l'enquête m'a pas mal pris la tête, c'est vrai que ça mériterait un petit coup de ménage, mais rien de bien méchant...

- Je t'en prie. On dirait qu'un régiment de hooligans a élu domicile chez toi.

- Et l'équipe de football avec, c'est vrai.

Elles partirent d'un éclat de rire. Cela faisait longtemps que Jane n'avait pas ri, depuis le début de l'enquête. Elle en avait presque oublié la sensation. Et voilà que Maura réussissait à la faire rire, deux fois dans la même soirée. Involontairement, même, comme lorsqu'elle s'absorba dans la contemplation des personnages de dessins animés qui ornait sa tasse, comme si cela avait été une pièce archéologique majeure. Elle ne faisait rien comme personne, songea-t-elle, voyant ses sourcils froncés, s'interrogeant sur le dessin de Poison Ivy et Harley Quinn sur le mug. Et elle n'est pas comme tous les autres. Il était tard, et même après sa journée de travail, elle avait l'air impeccable, élégante. Elle portait un ensemble tailleur pantalon d'un grand couturier, sans nul doute, qui épousait parfaitement ses courbes. La classe incarnée. Et elle parvenait à être courtoise, drôle, même, après avoir passé la journée à disséquer des cadavres.

Alors qu'elle, elle avait tout l'air d'être passée sous un six tonnes, avec ses cheveux ébouriffés, ses vêtements mis à la va vite et ses blessures. Le contraste entre elles la saisissait tous les jours, mais ce soir un peu plus qu'à l'accoutumée. Si elles étaient amies, et même, les meilleures amies du monde, pensait-elle non sans fierté, elles n'avaient vraiment rien à voir l'une avec l'autre. C'était le jour et la nuit. Et dehors, il faisait nuit. Jane esquissa un rire, qui lui secoua douloureusement les côtes, en voyant Maura toujours perdue dans la contemplation du mug. Apparemment, il restait des choses que Maura ignorait. Harley Quinn et Poison Ivy en faisaient partie.

- Jane, il faut qu'on parle.

Maura était sortie de sa réflexion, d'un coup. Elle levait les yeux vers Jane, reposa son mug. La curiosité enfantine était finie. Jane lui rendit brièvement son regard, mais demeura silencieuse. Elle ne voulait pas aller sur ce terrain-là. Pas ce soir. Pas si tôt, pas après avoir peut être trouvé comment coincer leur fou furieux. Inconsciemment, elle se tendit. Elle sentait ses muscles douloureux se raidir malgré eux. Maura attendait. Patiemment. Mais cette conversation, la brune n'en voulait pas. Ni ce soir, ni jamais. Ce n'était pas la peine. Elle se détourna, pour de nouveau s'installer sur le canapé. C'était devenu son îlot de protection, le seul endroit où elle se sentait en sécurité ces dernières semaines. Une illusion qui agissait comme un charme enfantin qu'elle ne voulait pas briser. Elle s'obligea à regarder le match de basket devant elle, remit un fond sonore, comme une armure de plus. Les Cavaliers étaient aux prises avec les Raptors. Ce n'était même pas les Celtics. Elle ne put retenir un soupir d'agacement. Mais ne prononçait pas un mot. Déchiquetait méthodiquement l'étiquette de sa bouteille de bière bien entamée.

- Très bien. Si tu veux. Écoute-moi, au moins.

Elle n'élevait pas la voix. Mais elle l'entendait. Elle le savait. Elle l'espérait. Les commentaires du match ne couvrait pas sa voix. C'était à Jane de choisir de l'écouter. Alors, elle quitta la cuisine, navigua au hasard dans le salon de l'appartement, les mains enfoncés dans les poches de son ensemble si coûteux. Elle gardait les yeux au sol, pour éviter de trébucher inopportunément sur quelque chose. Elle évita des baskets pleines de boue qui craquelait, contourna un sac rempli de vêtements pour bébé. Échoua contre le radiateur sous la fenêtre. Elle croisait les bras, observait la rue sans la voir.

- Jane, hier soir, j'ai eu peur. Je ne savais pas que vous étiez partis arrêter le type, avec Korsak. Je suis tombée sur Frankie qui partait en renfort à votre étage en sortant, alors je l'ai suivi, je suis venue avec lui. Au départ, je voulais juste vous souhaiter une bonne soirée et te dire de passer dîner chez moi. J'avais, j'ai toujours un excellent Merlot au frais dans mon frigo.

Elle marqua un temps d'arrêt, ne sachant si elle pouvait poursuivre. Jane ne disait rien. Elle connaissait l'histoire. Comment ça avait foiré. Ils l'avaient débusqué dans un garde meuble où il avait planqué du liquide et quelques objets de valeur « volés » deux ans plus tôt chez eux. Le garde meubles était dans un quartier pourri plein de friches industrielles. Personne ne fait attention à quoique ce soit, dans ce genre de voisinage. Il ne pensait pas qu'ils les retrouveraient aussi vite. Il avait tué sa femme alors qu'il tentait de cambrioler leur maison pour la deuxième fois. Une histoire banale : besoin de cash, dettes qui s'accumulent... il avait pu se remettre à flots deux ans auparavant. Mais cette fois, ça n'avait pas marché comme il l'avait prévu. Entre temps, leur mariage s'était détérioré, et il y avait du divorce dans l'air. Madame avait consulté à plusieurs reprises sont avocat. Si elle partait, il n'aurait rien. Héritage de madame, contrat de mariage. Il était acculé. Et avait assassiné sa femme en lui fracassant le crâne avec un éléphant en bronze qu'ils avaient ramené de voyage. Tout ça, Jane le savait. Par cœur. Elle se le récitait mentalement. Le dossier n'avait plus de secrets pour elle. Avec son équipe, ils avaient remonté le temps et reconstruit le puzzle. Toutes les pièces menaient à lui. Des preuves, il y en avait. Alors, ils l'avaient coincé là-bas. Et tout avait foutu le camp en trois secondes.

Jane revoyait le type. Son regard surpris, quand il les a vu débarquer dans l'allée du garde meuble, alors qu'il fermait son box. Elle se remémorait la fraction de seconde où tout s'était joué. La surprise, la peur, et la rage de l'animal désormais traqué. Il avait choisi de fuir. Elle avait dégainé sans réfléchir, naturellement. Et avec Korsak sur les talons, elle avait foncé à sa poursuite. Pas question de le laisser filer, même si les renforts n'étaient pas là, même si elle sentait Korsak se faire distancer dans son dos. Il fallait y aller. Et elle y était allée, tête baissée. Elle l'avait suivi jusque dans un entrepôt désaffecté. Elle l'avait acculé, seule. Il était dos au mur, ou plutôt dos à la fenêtre. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est qu'il serait armé. La gueule du revolver tremblait devant lui. Mis en joue par Jane, il cherchait encore une issue, n'écoutant pas ses exhortations. Elle s'en souvenait parfaitement. Il y avait les sirènes des voitures de patrouilles qui arrivaient en renfort, et cette odeur de moisi dans l'air. Il n'avait pas répondu à ses sommations. Il s'était énervé, l'avait traitée de tous les noms. Et Korsak était enfin arrivé. Il n'avait pas dû mettre plus d'une dizaine de secondes à venir, mais ça lui avait paru être une éternité. Arrivé de côté, il tenait en joue le fuyard, avançant pas à pas vers lui, calmement, comme Jane. Il était fait comme un rat. Du moins ils le croyaient.

Il ne savait plus sur qui braquer son arme. Il choisit Korsak. Ce n'était plus qu'une question de minutes avant que Frankie ne les rejoignent avec toute la cavalerie, elle le savait. Mais la présence de plus d'officiers n'arrangerait rien. Il ferait feu malgré tout. Elle le sentait. Il n'avait visiblement plus rien à perdre, les masques étaient tombés. Alors, elle jeta un coup d'œil à Korsak. Il avait compris qu'elle allait tenter quelque chose, elle l'avait lu dans son regard. Elle y avait lu de la peur, aussi. Elle y avait vu le « déconne pas, Jane ». Mais c'était maintenant où jamais. Alors qu'il tenait Korsak à distance, elle s'élança et se jeta sur lui. Il n'eut que le temps de tourner la tête que la brune était déjà sur lui. Un coup de feu partit en l'air. Ils traversèrent la vitre derrière eux, dans un fracas de verre brisé. Après, les choses étaient beaucoup moins claires dans son esprit.

Dans son élan, sa tête avait heurté un vide ordure dans la ruelle qui bordait l'entrepôt. Elle était sonnée, son crâne menaçait d'exploser, des gerbes de couleurs éclatantes lui passaient devant les yeux. Il y avait aussi ses côtes qui lui faisait un mal de chien. Il lui avait mis un violent coup de coude, dans leur chute. Mais elle lui avait rendu la pareille, il ne devait pas dans un bel état lui aussi. Elle sentait les coupures, les éclats de verre qui avaient transpercé sa veste. Elle le sentit se relever, déraper sur les morceaux de verre. Il s'enfuyait à nouveau. Deux coups de feu. Korsak. Elle distingua sa tête hirsute qui se penchait sur elle, hurlait quelque chose. Il appelait les secours, sans doute. La lumière était trop vive, elle ferma les paupières. Les rouvrit, doucement, pencha la tête sur le côté, vers le bout de la ruelle. Il y avait une silhouette. Elle l'aurait reconnu entre mille. Il se tenait là, les mains dans les poches. Frost. « C'est pas... c'est pas possible », avait-elle murmuré. Toujours la lumière, trop vive. Le monde tournoyait autour de Jane. Elle referma les yeux. Lorsqu'elle les rouvrit, la silhouette avait disparu. À sa place, il y en avait une autre, qui courait vers elle, des cheveux blonds qui flottaient en l'air. On aurait dit un ange. « Mais ça n'existe pas, les anges », souffla-t-elle alors qu'elle s'agenouillait à côté d'elle, lui serrait la main, auscultait sa tête. Constatait les dégâts. Il y avait eu un éclat de voix, déchirant l'air : « Elle a peut être une commotion cérébrale, des côtes fracturées, il faut que les ambulanciers l'emmènent aux urgences, vite ! » En un coup d'œil, la blonde avait saisi la situation, froidement, professionnellement, entourée de tous ces policiers qui semblaient observer la scène. Pour eux, il n'y avait plus rien à faire ici. L'avis de recherche était déjà lancé.

Dans un effort, Jane rouvrit les yeux. Il y avait toujours la main moite de Maura dans la sienne. Elle la voyait, ce n'était un tour que lui jouaient ses sens. Elle se concentra sur Maura, son visage. Elle se souvenait à quel point cela avait été dur de se concentrer, les paupières mi-closes à cause de la lumière et de la douleur. Mais elle la voyait. Distinctement, même. Elle était belle. L'angoisse se lisait sur ses traits, la panique bien cachée sous le masque du médecin. La sueur perlait sur ses tempes. Son chemisier blanc qui frémissait sous la brise l'éblouissait. Jane se souvenait de tous ces détails. Et plus encore de ce qui c'était passé après. Maura la fixait du regard, plongeait ses yeux dans les siens, la suppliait de rester consciente, encore quelques instants. Puis, juste avant qu'elle ne sombre, elle la vit former quelques syllabes muettes qu'elle put déchiffrer, parce qu'elle aussi, elle savait lire sur les lèvres des gens, bordel, il n'y a pas que Frankie qui aie ce talent dans la famille.

« Reste avec moi, s'il te plaît... »

Un battement de cil.

« ...je t'aime. »

Un haussement de sourcil surpris. Le noir total.

C'était cela dont se souvenait Jane. Après, il n'y avait que son réveil à l'hôpital, et tout c'était enchaîné machinalement : examens, bandages, retour à la maison. C'était Maura qui l'avait ramenée. C'était toujours Maura qui la ramenait hors des ténèbres.