Voici une petite fiction sur Wolf's Rain, si certains lisent encore ce genre de choses :).
C'est une petite idée qui me trottait derrière la tête depuis quelques temps, j'espère donc que ça vous plaira.
-Approchez, Approchez ! Venez lire les nouvelles de la guerre !
-Encore des vendeurs de mort…
Attablés à un bar, regardant la foule s'entasser autour des marchands de journaux comme un vulgaire troupeau de bœufs, Kiba, Hige et Toboe discutaient, bien loin des considérations de la guerre et du malheur qu'elle répandait tout autour d'elle. Kiba bien plus encore que les deux autres, détestait les médias et les nouvelles parfois mensongères qu'ils diffusaient pour se faire de l'argent.
-Comme si acheter un ou deux journaux sauveraient les vies qu'ils ont envoyées au combat.
Il vida le verre de bière que le barman venait de lui servir, tentant de calmer sa haine à travers l'alcool. Il ne comprenait pas comment un tel comportement était toléré : parler ainsi de combattants peut-être déjà morts comme si c'était le dernier ragot de village le répugnait. C'est pourquoi il n'achetait jamais les journaux. Il ne voulait pas entrer dans le cercle vicieux des vendeurs de mort, comme il les appelait.
-Nous avons encore perdu la dernière bataille ! Plus de deux milles morts, qu'ils disent !
En entendant cela, Toboe pensa que Kiba avait raison : les médias devaient mentir, ce n'était pas possible autrement. Comment pouvait-il déjà y avoir autant de morts alors que la guerre avait commencé il y a quelques semaines à peine ? C'était tout bonnement impossible. Du haut de ses dix-sept ans, il ne concevait pas qu'une telle violence puisse exister. Pour lui, la vie se résumait à bien peu de choses : les journées qu'il passait avec ses amis et les longs voyages qu'ils entreprenaient ensemble.
La seule véritable blessure que lui avait infligée la vie était la perte de sa grand-mère deux ans auparavant. Mais il avait eu la chance inouïe de tomber sur Hige et Kiba ils étaient un peu devenus comme sa seconde famille et il se complaisait dans cette situation. Alors imaginer que des milliers de jeunes hommes à peine plus âgés que lui se faisaient tuer de la sorte… ce n'était pas imaginable pour lui. Et pourquoi mouraient-ils au juste ? Personne ne le savait réellement. On savait juste qu'ils étaient partis, gonflés d'espoir et de fierté, persuadés de revenir très rapidement, et qu'ils n'étaient pas encore revenus.
-N'oubliez pas de leur écrire, c'est encore le seul soutien qu'il leur reste face à la mort.
-Ecrire ? Je ne savais pas qu'on pouvait, lâcha finalement Toboe, qui était décidément bien peu informé.
Les deux autres lui envoyèrent un regard blasé, comme si ce qu'il venait de dire était la plus grosse connerie qu'il ait jamais dite. Mais Toboe n'était réellement pas au courant. Il pensait que rien ni personne ne pouvait atteindre ces contrées qu'on décrivait si terrifiantes, si pleines de désolation.
-Bien sûr que si, Chibi. Ceux qui le veulent peuvent correspondre avec les soldats. Certains disent que cela les aide à tenir face à l'adversité qui les décime.
-Je ne savais pas, répéta-t-il.
-Si, d'ailleurs j'ai un cousin là-bas, dans les tranchées. Mais je ne lui ai jamais écrit.
-Pourquoi ? demanda le petit brun, visiblement choqué par cette révélation. Il ne comprenait pas pourquoi son ami n'envoyait pas ses encouragements à son cousin, s'il savait la situation qu'il devait endurer chaque jour.
-A vrai dire je ne le connais pas trop, je ne sais pas quoi lui dire. Et puis Tsume est quelqu'un de très fermé, je ne suis pas certain qu'il me répondrait.
Tout de même, ce n'était pas une raison valable aux yeux du brun. Si lui avait dû correspondre avec un soldat, il n'aurait pas attendu de réponse en retour. Il aurait simplement été heureux d'amener son soutien et, peut-être, de raviver une lueur d'espoir dans les cœurs affaiblis par la guerre.
-De toute façon, c'est une excuse totalement débile. Comme si un bout de papier pouvait les protéger contre les balles et les obus. Ceux qui partent à la guerre savent qu'ils ont très peu de chance d'en revenir vivant et ça, même les lettres ne peuvent rien y changer.
Ça, c'était Kiba et son éternelle pensée négative. Le brun avait beaucoup souffert par le passé, et il croyait très peu aux promesses d'avenir florissant qu'on leur faisait aujourd'hui. Il était persuadé que leur armée perdrait et qu'ils seraient vite envahis par l'armée de Darcia, beaucoup plus prestigieuse que la leur.
-Tu es injuste, Kiba. Peut-être que ces soldats ont justement besoin de réconfort et…
-Arrête tes conneries, Toboe. Personne ne pourra les sauver, surtout pas toi et ta bouche en cœur. Alors je te conseille d'oublier cette idée.
Son jeune âge et sa naïveté voulaient laisser croire à Toboe qu'il pouvait réellement faire quelque chose pour aider ceux qui souffraient en silence, prisonniers d'un devoir insensé et d'une détresse sans nom. Alors, même s'il était bien conscient que de simples mots couchés sur du papier à lettre ne pouvaient pas les protéger contre le métal froid qui les menaçait à tout instant, il était persuadé qu'au moins, ces mêmes mots pouvaient leur mettre du baume au cœur, rien qu'un peu.
-Mais Kiba…
-Non, la discussion est close, Toboe. Laisse-les faire ce qu'ils doivent faire. Ton devoir n'est pas de divulguer des paroles d'espoir là où il n'y en a plus. Contente-toi de vivre ta vie, ici.
A ces mots, Kiba se leva et partit, certainement très en colère, comme toujours ces derniers temps, lorsqu'il était question de la guerre. Hige posa alors une main réconfortante sur l'épaule du petit brun, froissé par les paroles de son ami et surtout, blessé par tant de pessimisme et de résignation.
-Ne t'en fais pas, Chibi. Tu sais que Kiba souffre beaucoup en ce moment. Il ne veut pas en parler, mais je suis certain que quelque chose de terrible lui est arrivé.
-Oui mais…je ne comprends pas pourquoi il baisse les bras, comme si tout était déjà joué !
Oui, c'était vraiment ça qui blessait Toboe que Kiba baisse les bras. Il n'était pas habitué à le voir ainsi. En effet, leur ''chef'' les avait habitué à plus de détermination, à plus de force. Depuis qu'ils s'étaient allié tous les trois, Toboe avait toujours beaucoup admiré son aîné pour son courage, qui justement disparaissait aujourd'hui. Et lui ne pouvait rien faire pour l'aider il se sentait tellement inutile.
-Toboe. Kiba a toujours été une personne très refermée sur elle-même. Il nous en parlera quand il se sentira prêt, pas avant. Tu ne dois pas t'en vouloir, rien n'est de ta faute, et puis…
Le châtain marqua un temps d'arrêt, semblant réfléchir avant de continuer sa phrase. Il n'était pas certain que son idée soit vraiment bonne, et puis Kiba pourrait lui en vouloir toute sa vie si leur cadet en souffrait par la suite. Même s'il le cachait foutrement bien, Kiba était très attaché à eux.
-Quoi, Hige ? Dis-moi !
-Peut-être que je pourrais…te filer le nom de mon cousin ? Pour que tu lui écrives, si tu veux vraiment te sentir utile.
Un large sourire prit place sur les lèvres du plus jeune. Visiblement, cette idée le ravissait beaucoup. Il imaginait déjà ce qu'il pourrait bien dire au cousin de son ami pour raviver son cœur meurtri.
-Mais ne t'emballe pas. Je te l'ai dit : Tsume est quelqu'un de très froid, de très indépendant aussi. Ne t'attends pas à recevoir une réponse de sa part.
Qu'importe, Toboe voulait bien prendre le risque. Il était persuadé que son acte serait, d'une manière ou d'une autre, bénéfique. Il pourrait ainsi montrer à Kiba que tout n'est pas perdu, qu'il reste encore de l'espoir. Alors oui, même s'il ne recevrait aucune réponse, il voulait au moins envoyer ses encouragements au cousin d'Hige.
-Je m'en fiche. J'accepte de lui écrire.
Le châtain lui glissa alors un petit bout de papier sur lequel étaient griffonnées toutes les informations qu'il devait avoir pour correspondre avec Tsume. Ensuite, les deux amis partirent à la recherche de Kiba, qui devait certainement les attendre dehors. Ils avaient tous les deux sentis que le brun avait besoin d'être seul, mais à présent il serait probablement remis de son excès de colère.
-Eh, Toboe, pas un mot à Kiba, d'accord ?
Le petit brun hocha la tête en signe d'approbation : il ne dirait rien à Kiba avant d'être certain que ses lettres atteindraient le but qu'il espérait.
-Repliez-vous ! Repliez-vous !
Tirant à l'aveuglette, tentant vainement de distinguer à travers le brouillard épais les ennemis des alliés, Tsume courait. Une fois de plus, son bataillon se retrouvait en mauvaise posture face à l'armée de Darcia alors il n'avait que ça à faire : Courir. Courir pour sauver sa vie, en dépit de celles des autres. Son regard était à l'affût tout en faisant abstraction des corps étendus tout autour de lui. Il voyait des visages familiers, des corps recroquevillés, hurlant à la mort. Demandant à l'aide, pleurant leur mère et leurs proches laissés derrière eux quelques semaines plus tôt.
C'était devenu son quotidien depuis un peu plus de deux mois : la mort. Le sang, les blessures, les cris, l'odeur des cadavres, la perte de ceux qui partageaient son malheur dans les tranchées quelques heures plus tôt. Il s'y était presque habitué, à cette chienne de guerre.
Alors maintenant, il courait. Il courait pour rejoindre sa tranchée, même s'il ne savait pas ce qui était le pire : les obus qui risquaient à tout instant de lui tomber dessus ou retrouver des hommes mutilés, à moitié fous là-bas, dans les tranchées. Parce que c'était ce qui l'y attendait : les soldats étaient à bout de force, las de leurs défaites répétitives, désespérés de revoir un jour ceux qu'ils aimaient. Le manque de plus en plus conséquent de nourritures et les rats qui cohabitaient avec eux renforçaient encore cette sensation abominable.
Finalement, il parvint à rejoindre son poste. Sa tranchée. Son abri. Sa maison. Parce que oui, c'était sa maison. L'endroit où il vivait, l'endroit où il mangeait, l'endroit où il dormait. C'était là qu'il rêvait à un avenir meilleur et c'était là aussi qu'il se disait que tout était fini, qu'il n'y avait plus d'espoir.
A peine glissé dans sa tranchée, il entendit les gémissements, les cris parfois d'agonie des soldats blessés qui s'étaient traînés jusque-là, parfois pour y mourir. Il n'était pas rare qu'ils perdent d'autres hommes pendant la nuit qui suivait la bataille, succombant à leurs blessures. Ils manquaient cruellement de matériel médical, si bien que certains, pour qui il n'y avait plus aucun espoir, restaient seuls sur un côté, agonisant parfois durant de longues heures sans aucune aide, sans aucun soin.
Mais là, parmi les corps mutilés, les hommes épuisés, pleurant la perte d'un ami, parmi la mort et la désolation, certains souriaient. Et Tsume trouva cela vraiment déplacé.
-Le courrier est arrivé, lâcha finalement un de ces hommes qui souriaient, j'ai reçu une lettre de ma femme !
Et il bouscula presque Tsume avant de s'affaler sur un tas de terre, commençant la lecture de sa lettre, finissant comme toujours en larmes. Mais des larmes de joie, cette fois. Tsume trouvait cela puéril de se mettre dans un état pareil pour un bout de papier sur lequel de vaines promesses étaient écrites. Lui ne recevait jamais aucun courrier, n'ayant aucune famille proche. Et de toute façon, il ne voulait pas que des gens qui ignoraient tout ce qu'ils vivaient ici, à la guerre, lui écrivent. A tous les coups, ils lui diraient qu'il ne devait pas baisser les bras, que l'espoir était encore possible, mais ils ne savaient rien. Ils ne pouvaient pas comprendre ce qu'il vivait, ici, entouré de morts et sang.
Non, personne ne pouvait comprendre à part eux, qui vivaient ce calvaire jour et nuit, inlassablement.
Il était plus de vingt heures lorsque Toboe rentra dans sa chambre. Le petit studio qu'il partageait avec ses amis ne payait pas de mine, mais au moins il s'y sentait en sécurité. Et c'était plutôt confortable, compte tenu de la situation.
Aussitôt, il s'attabla à son bureau, sortant d'un tiroir du papier à lettre et un stylo bille. Il resta longuement devant une feuille blanche, ignorant ce qu'il pourrait bien écrire, ne sachant même pas par où commencer, ni ce qui était ou non autorisé à écrire. Il n'avait jamais écrit à personne auparavant…alors correspondre avec un soldat, c'était bien loin de ses habitudes.
Cher Tsume...
C'était déjà ça de fait. C'était bien ainsi qu'on commençait une lettre digne de ce nom, n'est-ce pas ? Tout du moins, c'était ce qui lui semblait le plus convenable d'écrire. Cher Tsume. Ce n'était rien, juste un nom, une interpellation, mais Toboe sentit alors l'inspiration monter en lui.
Il imaginait cet homme, à peine plus âgé que lui, envoyé au combat et qui tentait jour après jour de rester en vie. Il le voyait sur le champ de bataille, dans la peur du moment présent, dans l'incompréhension de sa situation. Il voyait ses traits se dessiner devant lui, bien qu'il ne l'ait jamais vu auparavant. Ce simple nom prenait forme, il devenait réellement la personne à qui il écrivait.
Par-delà les contrées, malgré les kilomètres qui les séparaient, il voyait cet homme, il sentait sa présence comme s'il était là, avec lui, dans cette chambre, attablé à ce bureau, à peine éclairé par la lampe de chevet. Tsume était là, avec lui. Il était partout où son regard se posait. Il était partout et nulle part à la fois.
-On va tous crever, de toute façon. Comme des chiens. Sans personne. Seuls. Et on nous oubliera. On ne sera même pas capable de reconnaître nos visages, de rendre nos corps à nos familles.
Transis par le froid, trempés jusqu'aux os par la pluie qui leur tombait sournoisement dessus, les soldats étaient entassés dans les tranchées, serrés les uns contre les autres, cherchant vainement un peu de chaleur. Leurs vêtements rendus lourds par l'eau du ciel se collaient les uns aux autres, témoins du malheur qui les liait. Et là, entre eux, un soldat abattu, déprimé par le manque de sa famille leur crachait à la figure mille et une vérités.
Oui, c'était vrai, ils allaient tous y passer. Tous, sans exception. Ils ne seraient plus rien que des morts morts pour rien. Que des corps sans nom qu'on plongerait dans l'oubli et que, peut-être on honorerait, parfois.
Tsume repoussa de l'épaule le jeune homme qui se collait contre lui. Il n'appréciait que très peu le contact physique et son humeur maussade ne faisait que renforcer ce sentiment. Il ne voulait pas se lier d'amitié, avec personne. Il savait que demain, ou dans quelques jours, quelques semaines, quelques mois, cette personne serait morte d'une balle dans la tête ou dans le thorax. Alors il refusait de se lier d'amitié avec l'un d'entre eux.
L'homme fut coupé dans son monologue funeste par l'annonce du courrier qui arrivait. Comme presque tous les jours, quelques lettres parvenaient aux soldats.
-Tsume, c'est pour toi.
Le jeune homme se tourna vers un autre soldat, qui lui tendait une lettre.
-Tu dois faire erreur.
Il n'avait pas reçu une seule lettre depuis qu'il était arrivé ici il ne voyait pas pourquoi aujourd'hui cela serait différent.
-Il n'y a qu'un seul Tsume ici, pas vrai ? Et c'est toi.
Sans un mot de plus, le soldat fourra la lettre entre les mains de Tsume, le laissant déjà seul pour aller lire son propre courrier. Tsume considéra le courrier quelques secondes, toujours intimement persuadé qu'il y avait erreur sur la personne. Pourtant, il finit par l'ouvrir.
Cher Tsume,
J'ignore si tu recevras un jour ma lettre, car j'ai toujours du mal à croire que quelqu'un puisse se faufiler sur les champs de bataille uniquement dans le but de vous faire parvenir du courrier. Mais je prends le risque que mes mots se perdent et j'espère que, si finalement ils t'arrivent, tu prendras plaisir à les lire.
Je m'appelle Toboe et je suis un ami de ton cousin, Hige. C'est grâce à lui que j'ai pris connaissance de ton existence et que j'ai décidé à t'écrire. A vrai dire, je suis très maladroit avec les mots et je ne sais pas quoi te dire. C'est la première fois que je fais cela, correspondre et mon ignorance rend mes phrases un peu gauches, je m'en excuse à l'avance.
Si je t'écris aujourd'hui, c'est parce que je veux non seulement t'envoyer tous mes encouragements et, si je le peux, te rendre le sourire dans cet enfer que tu dois vivre. J'ignore tout de la guerre, étant encore trop jeune pour m'engager, mais les nouvelles que nous en recevons ici sont suffisantes pour que je sache que c'est loin d'être une partie de plaisir. Et je trouve cela très courageux de se battre ainsi pour le pays.
Dans ces sombres moments que tu dois traverser, j'espère pouvoir amener un peu de joie et de chaleur, aussi éphémères soient-elles. J'espère simplement que tu ne trouveras pas ma requête déplacée et que tu accepteras de partager tes états d'âme avec moi. Je ne veux nullement m'imposer à toi. C'est pour cela que ma première lettre s'arrêtera ici. Je pense y avoir dit l'essentiel. Libre à toi maintenant de choisir si oui ou non tu veux me répondre.
Sache seulement que d'ici où je suis, je t'envoie tous mes encouragements et tout l'espoir qu'il me reste. En espérant recevoir très vite de tes nouvelles.
Toboe.
Ps : Ci-jointe mon adresse.
Tsume n'en revenait pas. Il n'y avait vraiment que son imbécile de cousin pour lui refiler des gamins curieux et encore innocents. Comme s'il avait besoin de s'enticher des états d'âme d'un môme même pas encore majeur. Il n'avait pas que ça à faire. Il n'était pas là pour jouer au babysitteur.
-Alors, cette lettre ?
Il haussa les épaules, déjà prêt à refiler le bout de papier à qui était à la recherche de l'amour et des encouragements inutiles d'un gosse.
-Tu vas y répondre, pas vrai ?
-Pourquoi ferais-je cela ?
-Mais enfin, Tsume ! Qui que ce soit, cette personne à sacrifier de son temps pour toi. Pour t'écrire. Pour te libérer un tant soit peu de ta solitude. Je sais que tu répugnes à ce genre de contact, mais crois-moi, personne ne peut réussir seul dans cette guerre. Tu auras besoin, à un moment ou à un autre, d'une épaule sur laquelle te reposer. Et qui que ce soit, celui qui a écrit cette lettre pourrait bien être cette épaule, justement.
-Mêle toi de tes affaires, tu veux ?
Tsume finit par fourrer la lettre dans sa poche avant de partir un peu plus loin, là où les soldats étaient bien trop occuper à pleurer sur les mots ringards qu'ils recevaient et lui foutaient la paix.
Comme s'il allait correspondre, et avec un gamin en plus ! C'était juste impensable ! Il ressortit la lettre de sa poche, prêt à la jeter sur le sol lorsque son regard s'arrêta sur l'écriture fine et hésitante. Ce n'était pas juste une lettre écrite dans le vide, non. Tsume voyait bien que les mots avaient été choisis avec soin, évitant de le blesser. Les courbes des lettres avaient été dessinées avec application sur le papier, si bien que le jeune homme n'eut pas le cœur à jeter ce travail.
Ce soldat avait raison : Toboe avait vraiment pris de son temps pour lui écrire. Il avait dû longtemps chercher ses mots avant de les lui envoyer. La moindre des choses aurait été de lui répondre, n'est-ce pas ? Mais répondre quoi ? Il ne connaissait strictement rien de ce garçon qui venait de lui écrire.
-Est-ce qu'il y a du courrier pour moi ?
C'était la même question depuis deux jours. Dès que Toboe rentrait de son petit boulot, qu'il avait trouvé pour participer au payement du loyer, il se jetait presque sur Hige et lui demandait si une lettre lui était destinée. Et c'était toujours la même réponse négative qui lui revenait…et qui brisait un peu plus son petit cœur gonflé d'espoir chaque matin.
Sauf qu'aujourd'hui, son ami lui envoya un petit sourire tout en tirant de la poche de son sweat un morceau de papier.
-Faut croire que tu as visé juste, Chibi, j'aurais jamais pensé que cet asocial te répondrait.
-Merci Hige !
Lui arrachant presque la lettre des mains, Toboe monta les escaliers quatre à quatre avant d'aller s'enfermer à double tours dans sa chambre, là où personne ne pouvait être témoin des mots qu'il allait lire. Il souffla un instant, anxieux à l'idée de se faire rembarrer par le soldat paniqué à l'idée de l'avoir froissé dans son orgueil. Prenant son courage à deux mains, il finit par décacheter l'enveloppe.
L'écriture qu'il lisait était maladroite et rapide. Quelques gouttes d'eau avaient séché sur le papier, étalant certains mots, preuves d'une rédaction faite sous la pluie.
Cher Toboe,
Tout d'abord sache que je ne suis pas ce genre de personne qui attache de l'importance à une quelconque correspondance. Je n'ai jamais eu besoin de quiconque dans la vie et ce n'est pas aujourd'hui que cela va changer. Cependant, je voulais te remercier pour ton attention.
Je ne pensais pas recevoir de courrier un jour, encore moins de quelqu'un que je ne connais pas. J'étais donc très réticent et je ne te cache pas avoir longtemps hésité avant de te répondre. Je suis très peu habile au contact humain, mon abruti de cousin a certainement dû te le signaler. Je ne te promets donc pas de t'écrire de longues lettres heureuses par la suite. Mais si, malgré cela, tu éprouves encore l'envie de m'écrire, et bien j'accepte ta correspondance.
Peut-être qu'un jour, j'éprouverai le besoin de parler de ce calvaire incessant que nous vivons chaque jour et si tu es toujours là, peut-être seras-tu l'épaule sur laquelle je me reposerai.
Tsume.
Le petit brun replia soigneusement le bout de papier. La première lettre de Tsume. Celle qu'il enfouirait au fond de son tiroir, la relisant chaque soir pour se remémorer que, là-bas, dans les trancher, sous le poids de la guerre, quelqu'un guettait son courrier.
Parce que oui, Toboe était fermement décidé à lui écrire encore. Il se préparait d'ailleurs déjà à lui répondre. Il souhaitait vraiment devenir l'étoile qui rassurerait le soir, l'emblème de l'espoir. Oui, il voulait devenir la personne à qui Tsume se confierait, plus tard. Celle vers qui ses pensées se tourneraient lorsque, opprimé par la peur, il ne verrait plus la lumière. Oui, Toboe parviendrait à briser le mur de glace qui semblait empêcher Tsume de se livrer. Il y arriverait, il en était certain.
Voilà pour le chapitre 1, laissez-moi vos avis :)
Bisous bisous!
