Chapitre 1 : Il faut s'en aller
Le vent ébouriffait les cheveux bruns de l'homme qui regardait depuis la fenêtre, brisée, de sa chambre ce qui fut autrefois son royaume et celui des ses ancêtres. Le soleil commençait à disparaitre derrière les montagnes enneigées qui cachait le duché voisin. Il se souvenait, mélancolique, de son père, se tenant au même endroit que lui, des années auparavant.
" - Regarde, Bob, un jour ce royaume sera tien. Vois-tu ces villes, ces gens heureux à perte de vue? Gouvernés par un roi juste et bon ? Un jour, mon fils, ce sera toi le roi."
Le jeune homme se souvenait qu'il aimait ce paysage, les montagnes blanches qui dissimulait le soleil rouge, les villes qui s'animaient le soir venu. Mais aujourd'hui, il n'éprouvait plus rien face à ce paysage. Celui-ci était ravagé, en ruine, détruit par une guerre sans merci qui n'avait laissé que peu de survivants qui se faisaient encore la guerre. Les origines de cette guerre était pourtant infondées. Dans le royaume d' Ellénia, la succession au trône se faisait par les liens du sang, cependant, il n'y avait que les hommes qui pouvait accéder au trône et si il n'y avait pas d'héritier, on allait chercher les cousins des duchés voisins, et si il n'y avait pas de garçons, on autorisait alors la princesse à monter sur le trône, cela ne s'est produit qu'une fois et c'était la grand-mère de Bob. Dans le monde il y avait deux sortes de personnes, deux races : ceux aux pouvoirs magiques (tels que le feu, l'eau, l'air, la terre) et ceux sans pouvoirs. Pour des raisons d'égalité, un roi sur deux possédait des pouvoirs, la plupart du temps celui du feu. Mais depuis déjà deux générations, les magiciens commençaient à s'insurger, clamant qu'il ne devait y avoir que des mages au pouvoir car les non-magiciens étaient, selon eux, inférieurs, incapables de régner. Lorsque Bob arriva au trône, une révolte éclata, de la part des non-magiciens. Bob possédait effectivement le pouvoir du feu, comme son père avant lui, d'où la colère des habitants qui jugeaient que les mages occupaient déjà trop le pouvoir. Pour les mages, c'était on ne peut plus bénéfique. Bob n'aurait pas dû avoir la couronne à cause de ses pouvoirs, mais son frère, sans pouvoir, qui aurait dû régner à sa place mourut deux ans après sa naissance, et la Reine ne put avoir d'autres enfants par la suite. Au final, c'est une véritable guerre civile qui éclata, laissant derrière elle les ruines d'un royaume autrefois grandiose.
Un air impassible sur le visage de l'ancien monarque, il contemplait les débris de ce qui était autrefois sa capitale, Lennonie, où les habitants n'osaient que rarement sortir de chez eux et où il fallait se battre pour survivre. Son ami, et serviteur, rentra en trombe dans la chambre du roi.
- Votre Altesse ! Ils… Ils arrivent, il faut nous en aller ! s'exclama l'homme d'une trentaine d'années, haletant.
- Te souviens-tu ? demanda-t-il sans se soucier de la menace. Fanta, te souviens-tu ?
De ce royaume, immense, de ces jardins verdoyants.
Mais aujourd'hui, il n'y a que la mort sous ce soleil sanglant.
- Votre Altesse nous devons partir !
- Gabriel ! Il n'y a plus de roi et il n'y en aura jamais plus ! Je t'ordonne de m'appeler Bob. tonna le monarque d'une voix autoritaire.
- Bien… répondit le dénommé Gabriel, surpris qu'on le nomme par son véritable prénom et également surpris de l'entendre parler sans rimes.
Le monarque retourna à sa contemplation macabre, faisant fi des supplications de son ami. Repensant à ce qui fut, autrefois, son bonheur.
- Alors, tu te souviens ? redemanda-t-il. Fanta, tu te souviens du jour où on m'a annoncé
le nom de la future personne qui devait devenir ma moitié ?
Ô que j'étais anxieux, mais lorsque j'ai vu ses yeux.
J'ai su alors que rien ne nous séparerait,
ni le feu ni les plaies.
J'ai eu la chance d'avoir un enfant
Une petite fille, tout ce qu'il y a de plus charmant.
Mais sa mère et elle disparurent dans le sang.
Une larme silencieuse s'échappa des yeux vides du roi déchu, son visage restait impassible, sans émotions. Son ami tentait vainement de le raisonner, lui disant qu'il fallait fuir, tentant de le faire réagir. Le jeune roi ne réagissait pas, peiné par ses souvenirs. Sa femme et sa fille avait toute deux disparues sans laisser de traces, rien. Son épouse lui manquait terriblement, la douce au nom d'Anaïs, reine d'Ellénia n'était sûrement plus. Mais le souverain refusait cette possibilité.
- Je te le jure Fanta, que mon épouse et mon enfant
je retrouverais qu'importe le sang.
Fanta n'avait jamais vraiment su pourquoi son roi avait pris l'habitude de parler ainsi, ce n'était ni des alexandrins ni toutes autres rimes régulière. Aussi loin que remontait ses souvenirs, le monarque avait véritablement commencé à s'exprimer ainsi quand sa femme et sa fille disparurent, il y a bientôt cinq ans de cela. Juste un an après la première révolte. Oui, la guerre durait depuis six ans déjà. Six années de calvaire pour la population scindée en deux. Luttant pour survivre, survivre dans la misère d'un royaume sans politique, sans pilier stable. Les villes étaient vides le jour mais pleines la nuit. Les habitants qui ne participaient pas au conflits essayaient de survivre, volant aux deux camps leurs nourritures pour se nourrir. Lorsqu'ils se faisaient attrapés selon leurs races ils étaient engagés de force pour combattre ou ils étaient tués.
Un jour, Fanta osa demander à son roi, pour quelles raisons parlait-il en rimes. Il lui a répondu :
"- Parce que ma femme adorait la poésie, c'est ma manière de la garder en vie."
Une rime, encore une, pour tout réponse.
- Vot… Bob, il faut s'en aller! dit-il encore et encore, espérant faire réagir son monarque.
Le roi plissa les yeux, pensif. Il ne voulait pas s'en aller, ce serait indigne d'un roi. Mais aucun roi n'avait dû affronter une telle guerre civile.
- Bien, dit-il froidement, Partons. Mais apporte moi ma veste d'abord, ensuite nous irons.
Son ami hocha la tête et s'en fut quérir la veste de son roi, la dernière en état. Il la sortit de l'armoire et ne put s'empêcher d'apprécier son contact. Le tissu était incroyablement doux et résistant, les broderies d'or donnait un éclat presque magique à la veste et à son détenteur. Il alla vite la rapporter à son seigneur qui le remercia avant de l'enfiler rapidement.
- Allons-nous en Fanta, une longue route nous attend et…
Il ne put finir sa phrase, la porte de sa chambre vola en éclats, laissant entre un groupe de trois personnes. Le fait qu'il ne porte pas d'armes avait indiqué aux deux compères qu'ils étaient des mages, possédant certainement la magie de l'air à voir l'état déplorable de la porte. Contre toute attente, ils s'inclinèrent devant les deux amis, bouches bées.
- Sire, nous venons vous demander de rejoindre nos rangs. dit l'un deux, un sourire malsain aux lèvres. Vous me savez être l'un de vos plus fidèles ministre et l'un de vos plus valeureux mages.
Il disait vrai, ce fut, dans les temps anciens, le premier ministre du roi. Bob avait placé sa confiance en lui, confiance que ce mage, manipulateur et vénal, avait détruite en tuant les autres ministres non-magiciens. Ses cheveux bruns mi-longs tombaient sur son visage fin. Il avait changé en quatre ans, ses traits s'étaient endurcis, et il avait considérablement maigri, la vie devait être dure pour les deux camps.
- Fidèle toi ? Tu n'as su respecter les lois. répondit amèrement Bob en lançant un regard plein de rancoeur à l'encontre de l'homme.
- Mais, vous êtes le plus puissant d'entre nous, votre Altesse, vous pourriez éradiquer cette sous-race et tout redeviendra comme avant. Joignez-vous à nous. proposa l'ancien ministre.
L'ancien roi n'en croyait pas ses oreilles, comment cet homme pouvait lui demander une chose pareille ? Surtout qu'il savait que son meilleur ami, Fanta, était un non-magicien et sa fille aussi, si pour autant elle était encore de ce monde. Mais aussi que les trois-quarts de la population l'étaient. C'est certainement pour ça que les mages, minoritaires, se sentaient spéciaux et supérieurs par rapport aux autres.
- Romain, je n'accepte pas ta proposition.
Je ne veux pas éradiquer la majorité de la population.
Le dénommé Romain se redressa, des yeux remplis de fureur. Jamais, quelqu'un n'avait refusé ses propositions. Il avait attendu, s'était renseigné sur l'état du monarque pour tenter de le convaincre lorsqu'il serait au plus bas. Mais le jeune homme avait attendu assez longtemps et lorsqu'il entendit des rumeurs comme quoi le roi prévoyait de s'en aller loin de la capitale, il sut qu'il devait tenter de le convaincre rapidement. L'ancien ministre se mit à déambuler dans la pièce sans dessus-dessous, tapant du pied des objets cassés au sol.
- Altesse, vous ne pouvez refuser une telle offre pour reconquérir votre royaume et…
- Assez ! tonna Bob en faisant jaillir une boule de feu qui frôla le jeune homme.
Romain et ses compères regardèrent le trou formé dans le mur par la magie du feu, il se retourna pour regarde le roi dans les yeux. Les prunelles brunes du ministre trahissaient une colère montante alors que ceux du souverain étaient revenus à la normale, vides et impassibles. Les hommes de Romains commencèrent à préparer leur magie quand le jeune homme les dévisagea, secouant la tête de droite à gauche. Il aurait eu encore moins de chances de le convaincre si ses hommes l'attaquaient. Non, il fallait jouer la carte de la patience.
- Nous partons. dit froidement Bob en se dirigeant vers la porte, ou du moins ce qu'il en restait.
- Si c'est votre souhait Altesse, partez. répondit Romain alors que le monarque lui tournait le dos, s'éloignant de lui.
Le roi et son ami s'en allèrent, laissant l'ancien ministre en proie à une noire et dévastatrice colère. Celui-ci attendit que les deux amis disparurent à l'horizon avant de s'autoriser à détruire le reste du mobilier de la chambre pour calmer ses nerfs.
Bob et Fanta allèrent chercher deux chevaux, les derniers de l'écurie royale avant de partir en direction de la forêt, à l'opposé de Lennonie. Ne sachant pas où ils allaient, ils prévoyaient de passer le pas au peigne fin. Il n'y avait plus de monarchie, plus de roi. Ce dernier point fit réfléchir le monarque, si la tâche de Bob était donc finie, il n'avait plus d'obligations qui l'empêchait de partir à la rechercher de sa femme et de sa fille. Cette pensée le fit sourire, le voilà enfin libre.
